Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CVIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 415-416).

CHAPITRE CVIII.


Comment ces seigneurs étrangers montrèrent humblement au roi d’Angleterre leur povreté ; et quel chose il leur répondit.


Ainsi que le duc de Lancastre et ces barons et ces chevaliers s’en retournoient devers Calais, pour trouver le roi d’Angleterre que tant avoient désiré, ils rencontrèrent sur le chemin, à quatre lieues près de Calais, à si grand’multitude de gens d’armes que tout le pays en étoit couvert, et si richement armé et paré que c’étoit merveilles et grand déduit au regarder les armes luisans, leurs bannières ventilans, leur conroy par ordre le petit pas chevauchant ; ni on n’y sçut que amender. Quand le duc de Lancastre et ces seigneurs dessus nommés furent parvenus jusques au roi, il leur fit grand’fête et liement les salua, et les regracia moult humblement de leur service et de ce qu’ils étoient là venus de leur bonne volonté. Tantôt ces seigneurs étrangers, Allemands, Brabançons et Hesbaignons tous ensemble, remontrèrent au roi moult humblement leur povreté et nécessité ; comment ils avoient tout leur avoir dépendu, leurs chevaux et leurs harnois vendus, si que peu ou néant leur étoit demeuré, pour lui servir, auquel nom ils étoient là venus endroit, ni pour eux r’aller en leur pays, si besoin étoit. Si lui prièrent que par sa noblesse il y voulsist entendre et regarder.

Le roi se conseilla assez brièvement tout à cheval, en my les champs là où il étoit. Si leur répondit courtoisement, que il n’étoit mie bien pourvu de là endroit répondre pleinement : « Et vous êtes durement travaillés, si comme je pense ; si vous allez reposer et rafraîchir deux jours ou trois dedans Calais, et je m’en conseillerai encore aujourd’hui, et demain plus pleinement, et vous envoierai réponse telle qu’il vous devra suffire par raison, et selon mon pouvoir. » Ces étranges gens n’en purent adonc avoir autre réponse ni autre chose : si se partirent du roi et de la route le duc de Lancastre, et s’en allèrent par devers Calais. Quand ils eurent chevauché environ demie lieue, ils encontrèrent le plus bel charroy et le plus grand et le mieux étoffé de toutes pourvéances, et le mieux appareillé que oncques fut vu en nul pays. Après ils encontrèrent le prince de Galles si noblement et si richement paré d’armes, et toutes ses gens, que c’étoit grand’beauté à regarder ; et si avoit si grands gens en son conroy que tout le pays en étoit couvert. Et chevauchoient tous le commun pas, rangés et serrés ainsi que pour tantôt combattre, si mestier fut, toujours une lieue ou deux arrière de l’ost du roi son père : si que toujours leurs charrois et leurs pourvéances charroioient entre les deux osts. Laquelle ordonnance ces seigneurs étrangers virent volontiers et moult la prisèrent.