Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXXIII

CHAPITRE CLXXIII.


Comment les Gascons s’avisèrent d’un bon avis par quelle manière le captal seroit pris et emporté de la bataille.


Assez tôt après que les François eurent ordonné leurs batailles, les chefs des seigneurs se mirent ensemble et se conseillèrent un grand temps comment ils se maintiendroient ; car ils véoient leurs ennemis grandement sur leur avantage. Là dirent les Gascons dessus nommés une parole qui fut volontiers ouïe : « Seigneurs, bien savons que au captal a un aussi preux chevalier et conforté de ses besognes que on trouveroit aujourd’huy en toutes terres ; et tant comme il sera sur la place et pourra entendre à combattre il nous portera trop grand dommage : si ordonnons que nous mettions à cheval trente des nôtres, tous des plus apperts et plus hardis par avis, et ces trente n’entendront à autre chose fors à eux adresser vers le captal ; et pendant que nous entendrons à conquerre son pennon, ils se mettront en peine, par la force de leurs coursiers et de leurs bras, à dérompre la presse et de venir jusques au captal ; et de fait ils prendront le dit captal, et trousseront, et l’emporteront entr’eux, et mèneront à sauveté quelque part, et jà n’y attendront fin de bataille. Nous disons aussi que, si il peut être pris ni retenu par telle voie, la journée sera nôtre, tant fort seront ébahis les gens de sa prise. » Les chevaliers de France et de Bretagne qui là étoient, accordèrent ce conseil légèrement, et dirent que c’étoit un bon avis, et que ainsi seroit fait. Si trièrent et élurent tantôt entr’eux et leurs batailles trente hommes d’armes des plus hardis et plus entreprenans par avis qui fussent en leurs routes, et furent montés ces trente, chacun sur bons coursiers, les plus légers et plus roides qui fussent en la place, et se trairent d’un lez sur les champs, avisés et informés quel chose ils devoient faire ; et les autres demeurèrent tous à pied sur les champs en leur ordonnance, ainsi qu’ils devoient être.