Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXXI

CHAPITRE CLXXI.


Comment les Navarrois et les François sçurent nouvelles les uns des autres ; et comment le captal ordonna ses batailles.


Ainsi eurent les Navarrois et les François connoissance les uns des autres, par le rapport des deux hérauts. Si se conseillèrent et avisèrent sur ce, et s’adressèrent ainsi que pour trouver l’un l’autre. Quand le captal eut ouï dire à Faucon quel nombre de gens d’armes les François étoient et qu’ils étoient bien quinze cents, il envoya tantôt certains messages en la cité d’Évreux devers le capitaine, en lui signifiant que il fist vider et partir toutes manières de jeunes compagnons armés dont on se pouvoit aider, et traire devers Coucherel ; car il pensoit bien que là en cel endroit trouveroit-il les François ; et sans faute, quelque part qu’il les trouvât, il les combattroit. Quand ces nouvelles vinrent en la cité d’Évreux à monseigneur Leger d’Orgesy, il les fit crier et publier, et commanda étroitement que tous ceux qui à cheval étoient incontinent se traissent devers le captal. Si en partirent de rechef plus de six vingt compagnons jeunes, de la nation de la ville.

Ce mercredi se logea à heure de nonne le captal sur une montagne et ses gens tout environ ; et les François qui les désiroient à trouver chevauchèrent avant, et tant qu’ils vinrent sur la rivière que on appelle au pays Yton, et court autour devers Évreux, et naît de bien près de Conches[1] ; et se logèrent tout aisément ce mercredi, à heure de relevée, en deux beaux prés tout au long de celle rivière. Le jeudi matin se délogèrent les Navarrois et envoyèrent leurs coureurs devant pour savoir si ils orroient nulles nouvelles des François ; et les François envoyèrent aussi les leurs pour savoir si ils orroient nulles telles nouvelles des Navarrois. Si en rapportèrent chacun à sa partie, en moins d’espace que de deux lieues, certaines nouvelles ; et chevauchoient les Navarrois, ainsi que Faucon les menoit, droit à l’adresse le chemin qu’il étoit venu. Si vinrent environ une heure de prime sur les plains de Coucherel, et virent les François devant eux qui jà ordonnoient leurs batailles ; et y avoit grand’foison de bannières et de pennons, et étoient par semblant plus tant et demi qu’ils n’étoient. Si s’arrêtèrent les dits Navarrois tous cois au dehors d’un petit bois qui là sied ; et puis se trairent avant les capitaines et se mirent en ordonnance.

Premièrement ils firent trois batailles bien et faiticement tous à pied, et envoyèrent leurs chevaux, leurs malles et leurs garçons en ce petit bois qui étoit de-lez eux ; et établirent monseigneur Jean Jeviel en la première bataille, et lui ordonnèrent tous les Anglois, hommes d’armes et archers. La seconde eut le captal de Buch, et pouvoient bien être en sa bataille quatre cents combattans, que uns que autres. Si étoient de-lez le captal de Buch le sire de Saux en Navarre, un jeune chevalier, et sa bannière, et messire Guillaume de Gauville, et messire Pierre de Saquenville. La tierce eurent trois autres chevaliers, messire le bascle de Mareuil, messire Bertran du Franc et messire Sanse Lopin ; et étoient aussi environ quatre cents armures de fer. Quand ils eurent ordonné leurs batailles, ils ne s’éloignèrent point trop l’une de l’autre, et prirent l’avantage d’une montagne qui étoit à la droite main entr’eux et le bois, et se rangèrent tous de front sur celle montagne pardevant leurs ennemis ; et mirent encore, par grand avis, le pennon du captal en un fort buisson épineux, et ordonnèrent là entour soixante armures de fer pour le garder et défendre. Et le firent par manière d’étendart pour eux rallier, si par force d’armes ils étoient épars ; et ordonnèrent encore que point ne se devoient partir, ni descendre de la montagne pour chose qui avenist ; mais si on les vouloit combattre on les allât là quérir.

  1. La rivière d’Iton prend sa source dans le Perche, passe à Évreux et se jette dans l’Eure un peu au-dessus du Pont-de-l’Arche.