Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCLXXXVIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 589-590).

CHAPITRE CCLXXXVIII.


Comment messire Louis de Sancerre surprit le comte de Pennebroch et ses gens et en occit grand’quantité ; et comment le dit comte fut assiégé en une forte maison.


Or vous conterons du comte Jean de Pennebroch quelle chose il fit. Si très tôt comme il put savoir que messire Jean Chandos fut retrait à Poitiers, et qu’il eut donné à ses gens congé, il mit sa chevauchée sus, où bien avoit trois cents lances Anglois et Poitevins, et se partit de Mortagne ; et encore y eut aucuns chevaliers et écuyers de Poitou et de Xaintonge, qui avoient été avecques Chandos, qui se remirent en sa route. Si chevauchèrent ces gens d’armes, des quels le comte de Pennebroeh étoit chef et souverain, et passèrent parmi Poitou, et prirent à l’adresse ce propre chemin que messire Jean Chandos et ses gens avoient fait ; et entrèrent en Anjou, et parardirent et exillèrent du plat pays grand’foison, que les premiers en avoient laissé, qui s’étoit rançonné, et se reposèrent et refreschirent en ce pays de Loudunois ; et puis reprirent leur adresse et s’en vinrent en la terre du vicomte de Rochechouart, où ils firent grand dommage.

Les François qui se tenoient ès garnisons françoises sur les marches de Poitou, de Touraine et d’Anjou, où moult avoit grand’foison de bonnes gens d’armes, entendirent et sçurent la vérité de ces deux chevauchées, comment par orgueil le comte de Pennebroch, qui étoit un jeune homme, n’avoit voulu venir en la compagnie de messire Jean Chandos : si se avisèrent qu’ils le mettroient jus s’ils pouvoient, et seroit ce trop plus aisément que le dessus dit messire Jean Chandos. Si firent un mandement secrètement de toutes les garnisons de là environ ; et se fit chef messire Louis de Sancerre, maréchal de France. Si s’avalèrent ces gens d’armes de nuit tout secrètement en la Roche de Posoy en Poitou[1] qui étoit françoise. Là étoit messire Robert de Sancerre, cousin au dit maréchal, messire Jean de Vienne, messire Jean de Bueil, messire Guillaume des Bordes, messire Louis de Saint-Julien, et Kerauloet le Breton ; et étoient bien sept cents combattans.

Le comte de Pennebroch avoit pris son retour et étoit rentré en Poitou et parars toute la terre du vicomte de Rochechouart. En sa compagnie étoient messire Baudouin de Franville, sénéchal de Saintonge, messire Thomas de Percy, messire Thomas le Despensier, messire d’Angouses, messire Jean Orsuich, messire Jean Harpedaine, messire Jacques de Surgères, messire Jean Courson, messin Thomas de Saint-Aubin, messire Robert Tinfort, messire Simon Housagre, messire Jean de Mortaing, messire Jean Couchet et plusieurs autres. Si chevauchèrent ces Anglois et Poitevins sans nul esmay ; et n’avoient encore ouï nouvelles de nuls gens d’armes, et s’en étoient rentrés atout grand pillage et grand avoir en Poitou. Si vinrent un jour, de haute nonne, loger en un village que on appelle Puirenon, ainsi comme ceux qui cuidoient être tous assurés. Et si comme leurs varlets entendoient à establer leurs chevaux, et appareiller à souper, lors vinrent ces François, qui savoient bien leur convine, tous avisés de ce qu’ils devoient faire ; et entrèrent en ce village de Puirenon, les lances abaissées, en écriant leurs cris : « Notre-Dame ! Sancerre ! au maréchal ! » et puis commencèrent à abattre et à découper gens par les rues et dedans leurs hôtels. Le cri et la noise commença tantôt à élever, et gens à entrer en très grand effroi ; car ils étoient soudainement surpris.

Ces nouvelles vinrent au comte de Pennebroch, à monseigneur Thomas de Percy, à monseigneur Baudouin de Franville et aux autres chevaliers, que c’étoient les François qui les avoient envahis et assaillis. Si furent tantôt ces seigneurs et leur gens appareillés, et se trairent hors de leurs hôtels, et se commencèrent à recueillir ensemble ; mais ils n’y purent tous venir ; car la force des François fut là si grande que les Anglois et Poitevins d’un côté ne les purent souffrir ; et en y eut à celle première empainte, que morts que pris, plus de six vingt ; et n’eut le comte de Pennebroch et aucuns chevaliers, qui là étoient, plus de remède ni d’avis fors que d’eux retraire au plus tôt qu’ils purent, en une plate maison de templiers, séant tout au sec, et tant seulement fermée en pierres. Là se recueillirent, boutèrent et enfermèrent ceux qui y purent venir à temps. Tout le demeurant y furent morts et pris, et la plus grand’partie de leur harnois et de leurs chevaux perdus, et perdit le dit comte de Pennebroch toute sa vaisselle.

Les François, qui les poursuivoient de près, entendirent que ils étoient là recueillis et enclos ; si en furent tous joyeux, et dirent entre eux : « Ils ne nous peuvent échapper ; tous seront nôtres. Nous leur ferons chèrement comparer les dommages qu’ils ont faits en Anjou et en Touraine. » Donc se trairent devers celle maison moult ordonnément et trop bien appareillés, et en grand’volonté pour assaillir. Quand ils furent là venus, il étoit heure de remontée : si regardèrent le dit châtel devant et derrière, et considérèrent assez que il étoit bien prenable. Si le commencèrent à assaillir durement et aigrement, et eut là faite mainte belle appertise d’armes ; car les François étoient grand’foison et bonnes gens ; si assailloient en plusieurs lieux, et donnoient le comte de Pennebroch et ses gens moult à faire aux François ; et les Anglois, qui n’étoient pas grand’foison, se penoient moult de bien faire la besogne et d’eux défendre ; car il leur touchoit. Si y eut ce jour aucunes échelles dressées et compagnons aventureux montans amont, les pavais sur leurs têtes, pour eux contregarder des pierres et du trait ; et quand ils venoient tout amont, ils n’avoient rien fait ; car ils trouvoient bien à qui parler, gens d’armes, chevaliers et écuyers tenans lances et épées en leurs mains, qui les combattoient vaillamment main à main, et qui les faisoient descendre plus tôt qu’ils n’étoient montés. Avec tout ce, il y avoit archers d’Angleterre entrelardés entre ces gens d’armes, à deux pieds tous droits sur le mur, et traioient assez ouniement ; lequel trait les François qui étoient dessous et assaillans ressoingnoient moult. En cet effroi, assaut et riote ils furent jusqu’à la nuit, que les François, qui étoient tous lassés et travaillés d’assaillir et de combattre, se retrairent et sonnèrent leurs trompettes de retrait, et dirent qu’ils en avoient assez fait pour ce jour, jusques au matin que de rechef on les viendroit assaillir. Tout considéré, entre eux disoient les François : « Ils ne nous peuvent échapper ni éloigner qu’ils ne soient nôtres ; car nous les tenons pour enclos et affamés. » Si s’en vinrent en leurs logis lies et joyeux, et se aisèrent de ce qu’ils avoient, et firent grand guet par devant la dite maison de Puirenon, pour être mieux assurés de leur affaire, et que ces Anglois ne vuidassent et s’en allassent par nuit.

  1. La Roche-Posay est en Touraine, sur la frontière du Poitou.