Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCLXXIV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 575-576).

CHAPITRE CCLXXIV.


Comment la forteresse de Royauville fut prise et conquise par mine, et tous les Anglois qui dedans étoient morts sans nulle mercy.


Nous reviendrons aux besognes des lointaines marches. Si conterons du siége qui se tenoit devant Royauville en Quersin, que les François y avoient mis et établi, qui étoient plus de douze mille combattans parmi les Compagnies, et toutes bonnes gens d’armes. Et encore à deux journées près d’eux se tenoient les gens du duc de Berry, messire Jean d’Armignac, messire Jean de Villemure, le sire de Beaujeu et les autres d’Auvergne et de Bourgogne, qui bien étoient trois mille combattans, qui tantôt se fussent traits avant si besoin eût été. Messire Jean Chandos et le captal, et messire Guichard d’Angle et les autres qui faisoient frontière à Montalban savoient bien le siége des François devant Royauville, et quel nombre de leur côté ils étoient sur le pays : si ne trouvèrent mie gens assez pour eux combattre ni lever le siége. Car le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch qui étoient à siége devant Bourdille ne vouloient nullement briser leur siége.

Or avint ainsi que les François, qui avoient devant Royauville mis leurs mineurs en mine, et qui avoient leurs engins qui jetoient jour et nuit, si contraignirent ceux de Royauville que les dits mineurs vinrent à leur entente, et firent renverser un grand pan de mur, parquoi la ville fut prise et tous les Anglois qui dedans étoient morts sans prendre à merci, dont ce fut dommage, car il y avoit de bons écuyers. Ceux de la nation de la ville furent pris à merci, parmi ce que, dès ce jour avant, ils vinrent à être bons François et loyaux. Si ordonnèrent les seigneurs qui là étoient capitaines et gens d’armes, pour garder la ville si mestier étoit, et pour donner conseil et avis du réparer. Si se départirent ces gens d’armes après le conquêt de Royauville, sur le pays de Quersin et de Rouergue, pour eux rafraîchir et être mieux à leur aise, et s’en vinrent les compagnies en la cité de Caours et là environ. Si en furent capitaines Aymemon d’Ortinge, Perrot de Savoie, le petit Meschin, Jaquet de Bray et Ernaudon de Pans, et détruisoient tout le pays. Si retournèrent le comte de Pierregord, le comte de Lisle, le comte de Comminges, le vicomte de Carmaing, et les autres Gascons en leurs terres ; car messire Hue de Cavrelée, messire Robert Briquet, Jean Gresuelle, Lamit, Naudon de Bagerant, le Bourg Camus, le Bourg de Breteuil, le Bourg de l’Esparre et toutes ces gens de Compagnies, y faisoient grand’guerre, et avoient mort, ars et détruit la terre du comte d’Armignac et celle du sire de Labreth.

En ce temps étoit un sénéchal en Rouergue très vaillant homme et bon chevalier durement, Anglois, qui s’appeloit messire Thomas de Witevale[1] qui tenoit la ville et le châtel de la Milau, à une journée de Montpellier. Combien que le pays autour de lui fût tourné et conquis François, si tint-il la dite garnison plus d’an et demi, et une forteresse en Rouergue, que on appelle Wauclère ; et fit en ce temps plusieurs belles chevauchées et issues honorables sur les François, et de bons conquêts, et jut là très honorablement jusques à ce que monseigneur Bertran du Guesclin le bouta hors, ainsi que vous l’orrez recorder avant en l’histoire. Et toujours se tenoit le siége devant Bourdille.

  1. Johnes l’appelle Whitewell. Barnès, sir Thomas Wake.