Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCLXX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 570-571).

CHAPITRE CCLXX.


Comment messire Jean Chandos prit Terrières ; et comment le comte de Pierregord et plusieurs autres seigneurs assiégèrent Royauville en Quersin.


Après cette avenue qui avint entre Mirabel et Lusignan, si comme ci-dessus est dit, chevauchèrent les Anglois et les Poitevins mieux ensemble et plus sagement. Or parlerons de messire Jean Chandos, de messire Guichard d’Angle[1] et des autres qui se tenoient à Montalban, à sept lieues de Toulouse, et faisoient souvent des issues honorables et profitables pour eux sur les François ; car ils étoient bien mille combattans et plus ; si désiroient moult à trouver les François pour eux combattre. Pendant qu’ils étoient là, ils regardèrent qu’ils n’employoient mie trop bien leur saison, fors que de garder la frontière : si se avisèrent qu’ils viendroient mettre le siége devant la ville de Terrières en Toulousain. Si se ordonnèrent selon ce qu’il appartenoit, et se départirent un jour en grand arroy de Montalban et s’en vinrent devant Terrières. Quand ils furent là tous venus, ils l’assiégèrent tout environ, et là imaginèrent et considérèrent bien que de assaut ils ne l’auroient point à leur aise, si ils ne l’avoient par mine. Si mirent leurs mineurs en œuvre, lesquels exploitèrent si bien, que au chef de quinze jours ils la prirent par mine. Et furent morts tous ceux qui dedans étoient, et la ville robée et courue.

Encore en celle chevauchée ils avoient avisé de prendre une autre ville à trois lieues de Toulouse qu’on appelle Laval, et avoient mis leur embûche assez près d’illec en un bois ; et s’en venoient devant, environ quarante de leurs lances armés couvertement, en vêtemens de vilains ; mais ils furent déçus par un garçon qui venoit pied à pied avec eux, lequel découvrit la besogne ; et par ce ils faillirent à avoir la ville et à leur entente, et s’en retournèrent arrière à Montalban.

En ce temps tenoient les champs le comte de Pierregord, le comte de Comminges, le comte de l’Isle, le vicomte de Carmaing, le vicomte de Brunikel, le vicomte de Talar, le vicomte de Murendon, le vicomte de Lautrec, messire Bertran de Torride, le sire de la Barde, le sire de Pincornet, messire Perducas de Labreth, le Bourg de l’Esparre, le Bourg de Breteuil, Aymemon d’Ortinge, Jaquet de Bray, Perrot de Savoie et Ernaudon de Pans, et étoient bien ces gens d’armes, parmi les compagnies, dix mille hommes combattans. Si entrèrent par le commandement du duc d’Anjou, qui pour le temps se tenoit en la cité de Toulouse, en Quersin moult efforcément, et contournèrent le pays en grand’tribulation, et ardirent et exillèrent le pays, et s’en vinrent devant Royauville en Quersin, et l’assiégèrent. Le sénéchal de Quersin l’avoit paravant pourvue bien suffisamment de tout ce qu’il appartenoit à une ville gardée, et de bons compagnons Anglois qui jamais ne se fussent rendus pour mourir, combien que ceux de la ville en fussent en bonne volonté, si ils eussent pu. Quand ces barons et chevaliers de France l’eurent assiégée, ils envoyèrent querre quatre moult grands engins en la cité de Toulouse, et tantôt on leur envoya et fit-on charrier. Si furent dressés et mis en ordonnance par devant la garnison de Royauville. Si jetoient nuit et jour pierres et mangonneaux[2], par dedans la ville, qui moult les contraignit et affoiblit. Et avec tout ce ils avoient mineurs avec eux, qu’ils mirent en leurs mines, et qui se vantèrent qu’ils prendroient la ville. Et toujours se tenoient les Anglois comme bonnes gens et vaillans, et se confortoient bien de ces mineurs, ni n’en faisoient pas, par semblant, trop grand compte.

  1. Guichard d’Angle fut créé pair d’Angleterre sous le titre de comte de Huntingdon, dans la première année du règne de Richard II. Il avait aussi été élu chevalier de la Jarretière pour avoir contribué au mariage du duc de Lancastre avec une fille de Pierre-le-Cruel.
  2. Mangonneau se prend à la fois pour la machine qui lance et pour l’objet lancé.