Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCXXXI

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 628-629).

CHAPITRE CCCXXXI.


Comment le sire de Pons se tourna François, et comment le sénéchal de Poitou fit son mandement pour aller assiéger Montcontour.


Assez tôt après la revenue de Montpaon, et que ces seigneurs de Poitou furent retraits en leur pays, qui tenoient frontière aux François, il eut secrets traités entre monseigneur Louis de Saint-Julien, le vicomte de Rochechouart et autres François, d’un côté, et le seigneur de Pons ; et tant parlementèrent et tant exploitèrent les François, parmi grands pourchas qui vinrent du roi de France, qui nuit et jour travailloit à attraire ceux de Poitou à son accord, que le sire de Pons se tourna François, outre la volonté de madame sa femme, et ceux de sa ville de Pons en Poitou[1] ; et demeura à ce donc la dame Angloise et le sire François. De ces nouvelles furent moult courroucés les barons et les chevaliers de Poitou qui Anglois étoient ; car le sire de Pons étoit malement grand seigneur.

Quand le duc de Lancastre l’entendit, si en eut grand mautalent ; et tint grand mal du seigneur de Pons et grand bien de madame sa femme et de ceux qui se vouloient tenir Anglois, qui demeuroient dans la dite ville de Pons ; et pour aider et conseiller la dame, fut ordonné un chevalier, qui s’appeloit messire Aymemon de Bourg, hardi homme et vaillant durement. Si couroit presque tous les jours le sire de Pons devant la ville, et ne les déportoit en rien ; et telle fois y venoit qu’il en étoit rebuté et rechassé, et qu’il s’en retournoit à dommage.

Ainsi étoient là les choses entouillées, et les seigneurs et les chevaliers l’un contre l’autre ; et y fouloit le fort le foible, ni on n’y faisoit droit, ni loi, ni raison à nullui ; et étoient les villes et les châteaux entrelacés les uns dedans les autres, les uns Anglois et les autres François, qui couroient et rançonnoient et pilloient l’un sur l’autre sans point de déport.

Or s’avisèrent aucuns barons et chevaliers du Poitou, qui Anglois se tenoient, que ceux de la garnison de Montcontour les travaillolent plus que nuls autres, et qu’ils se trairoient celle part, et qu’ils les iroient assiéger. Si firent un mandement en la ville de Poitiers, au nom du sénéchal de Poitou, messire Thomas de Percy, auquel commandement obéirent tous chevaliers et écuyers ; et furent bien cinq cents lances et deux mille brigands pavoisés, parmi les archers qui là étoient. Là étoient messire Guichard d’Angle, messire Louis de Harecourt, le sire de Parthenay, le sire de Poiane, le sire de Tonnai-Bouton, le sire de Crupegnac, messire Percevaux de Couloingne, messire Geffroy d’Argenton, messire Hugues de Vivone, le sire de Tarste, le sire de Puisances, messire James de Surgières, messire Maubrun de Linières et plusieurs autres ; et aussi des chevaliers anglois qui pour le temps se tenoient en Poitou, pour cause d’office ou pour aider à garder le pays, tels que monseigneur Baudouin de Franville, messire d’Angouse, messire Gautier Huet, monseigneur Richard de Pontchardon et des autres. Quand ils se furent tous assemblés à Poitiers, et ils eurent ordonné leurs besognes, leur arroy et leur charroy, ils s’en partirent à grand exploit, et prirent le chemin de Montcontour, tous ordonnés et appareillés, ainsi que pour l’assiéger.

  1. La ville de Pons est en Saintonge, sur la Suigne, à quatre lieues de Saintes. Ces erreurs géographiques ne sont pas rares dans les écrivains de cette époque.