Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCCII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 604-605).

CHAPITRE CCCII.


Comment messire Louis de Saint-Julien, messire Guillaume des Bordes et Kerlouet prirent la ville et la forteresse de Chasteauleraut.


Ces lettres furent apportées par deux chevaliers de l’hôtel du roi d’Angleterre en la prinçauté et duché d’Aquitaine, et notifiées et publiées partout, et proprement les copies envoyées secrètement à Paris devers le vicomte de Rochechouart, le seigneur de Maleval, le seigneur de Mareuil et les autres qui là se tenoient, ou ailleurs à ceux qui François retournés s’étoient. Mais pour chose que ces lettres eussent été envoyées et publiées parmi le dit pays d’Aquitaine, je n’ouïs point dire que nul en laissât pour ce à faire à son intention ; mais encore tous les jours se tournoient et conquéroient toujours les François avant. Et avint, sitôt que messire Louis de Saint-Julien fut retourné en la Roche de Posoy, et messire Guillaume des Bordes en la garnison de la Haie en Touraine, et Kerlouet à Saint-Salvin, ils mirent secrètement sus une chevauchée de gens d’armes et de compagnons, et vinrent écheler, sur un ajournement, la ville de Chasteauleraut ; et eurent près attrapé monseigneur Louis de Harecourt, qui dormoit en son hôtel en la dite ville, et qui de ce ne se donnoit garde : si n’eut plus de recours que il s’enfuit en purs ses linges, draps, et tout deschaux, de maison en maison, de jardin en jardin, et fit tant qu’il s’en vint bouter sur le pont de Chasteauleraut que ses gens avoient fortifié, et là se sauva-t-il et recueillit ; et là se tint un grand temps. Mais les Bretons et les François furent seigneurs et maîtres de la ville et en firent une grande et belle garnison, et en fut Kerlouet capitaine ; et venoient tous les jours les Bretons combattre à ceux du pont, et là eut fait mainte grand’escarmouche et appertise d’armes. Ainsi ces François et ces Bretons, monseigneur Louis de Saint-Julien, monseigneur Guillaume des Bordes et Kerlouet le Breton, recouvrèrent en peu de temps la perte qu’ils avoient faite au pont de Luzac, et de l’autre assez.