Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre XXXV

Livre I. — Partie I. [1327]

CHAPITRE XXXV.


Comment les Anglois se mirent en trois batailles pour cuider combattre les Escots qui tout ardoient ; mais ils ne les purent aconsuir.


Quand le roi anglois et tout son ost eurent vu les fumières des Escots, si comme dit est devant, ils sçurent bien que c’étoit les Escots qui entrés étoient en leur pays. Si firent tantôt crier alarme, et commander que chacun se délogeât et suivît les bannières. Ainsi fut-il fait. Et se trairent chacun armés sur les champs comme pour tantôt combattre. Là en droit furent ordonnées trois batailles grosses à pied, et chacune bataille avoit deux ailes de cinq cents armures qui devoient demeurer à cheval. Et sachez qu’on disoit qu’il y avoit bien là huit mille armures de fer, chevaliers et écuyers, et trente mille hommes armés, la moitié montés sur petites haquenées, et l’autre moitié sergens à pied et coustilliers[1], envoyés par l’élection des bonnes villes, à leurs gages, chacune bonne ville pour sa rate ; et si y avoit bien vingt quatre mille archers à pied sans la ribaudaille.

Tout ainsi que les batailles furent ordonnées, on chevaucha tout rangé après les Escots, à l’assent et enseignement des fumières, jusques à basses vespres[2]. Adonc se logea l’ost en un bois sur une petite rivière, pour eux aiser et pour attendre le charroi et les pourvéances. Et tout le jour avoient ars les Escots à cinq lieues près de leur ost ; et ne les pouvoient aconsuir. Lendemain, au point du jour, chacun fut armé, et trairent les bannières aux champs, chacun à sa bataille et dessous sa bannière, si comme ordonné étoit. Si chevauchèrent les batailles ainsi rangées tout le jour, sans dérouter, par montagnes et par vallées ; ni oncques ne purent approcher les Escots qui ardoient devant eux, tant y avoit de bois, de marais et de déserts sauvages et mauvaises montagnes et vallées ; et si n’étoit nul qui osât, sur la tête à couper, forpasser ni chevaucher devant les bannières, excepté les maréchaux et leurs gens.

  1. Soldats armés d’une espèce de sabre appelé coustille.
  2. Vers le soir.