Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre LXXV

Livre I. — Partie I. [1338]

CHAPITRE LXXV.


Comment le roi David d’Escosse avec la roine sa femme vinrent à Paris au roi de France ; et comment il et tous les barons d’Escosse lui promirent et jurèrent qu’ils ne feroient point paix aux Anglois sans son conseil.


En ce temps le jeune roi David d’Escosse, qui avoit perdu grand’partie de son royaume et ne le pouvoit recouvrer, pour l’effort du roi d’Angleterre son serourge, se partit d’Escosse privément à petite menée, avec la roine sa femme ; et se mirent en mer. Si arrivèrent à Boulogne, et puis firent tant qu’ils vinrent en France[1], et droitement à Paris où le roi Philippe se tenoit pour le temps, attendant tous les jours que défiances lui vinssent du roi anglois et des seigneurs de l’Empire, selon ce qu’il étoit informé. De la venue du roi d’Escosse fut le roi de France moult réjoui, et le fêta grandement, pourtant qu’il en entendoit à avoir grand confort ; car bien véoit le roi de France et oyoit dire tous les jours que le roi d’Angleterre s’appareilloit tant qu’il pouvoit pour lui faire guerre : si que, quand le roi d’Escosse lui eut montré sa besogne et sa nécessité, et en quelle instance il étoit là venu, il fut tantôt tout acquitté de lui ; car moult bien se savoit acquitter de ceux dont il espéroit à avoir profit, ainsi que plusieurs grands seigneurs savent faire. Si lui présenta ses châteaux pour séjourner à sa volonté, et de son avoir pour dépendre, mais qu’il ne voulut faire aucune paix ni accord au roi d’Angleterre, fors par son conseil. Le jeune roi d’Escosse reçut en grand gré ce que le roi de France lui offrit, et lui créanta tout ce qu’il lui requit. Si sembla adonc au roi de France que c’étoit grand confort pour lui et grand contraire pour le roi d’Angleterre, s’il pouvoit tant faire que les seigneurs et les barons qui étoient demeurés en Escosse voulussent et pussent si ensonnier les Anglois qu’il n’en pût venir, si petit non, de deçà la mer pour lui gréver, ou qu’il convînt le roi d’Angleterre repasser pour garder son royaume. Pour ce et en telle intention il retint ce jeune roi d’Escosse et la roine sa femme de-lez lui, et les soutint par long-temps, et leur fit délivrer quant qu’il leur besognoit : car d’Escosse leur venoit-il assez peu pour leur état maintenir. Et envoia le dit roi de France grands messages en Escosse à ces seigneurs et barons qui là guerroioient contre les garnisons du roi d’Angleterre, et leur fit offrir grand’aide et grand confort, mais qu’ils ne voulussent faire paix ni donner nulles trêves aux Anglois, si ce n’étoit par sa volonté et par son conseil, et par la volonté et le conseil de leur seigneur le roi d’Escosse, qui tout ce lui avoit promis et juré à tenir.

Sur les lettres et requêtes du roi de France, les barons d’Escosse se conseillèrent. Quand ils furent bien conseillés, et ils eurent bien considéré parfaitement toutes leurs besognes et la dure guerre que ils avoient aux Anglois, ils s’accordèrent liement, et le jurèrent et scellèrent avec le roi leur seigneur. Ainsi furent les alliances de ce temps faites entre le roi Philippe de France et le roi David d’Escosse, qui se tinrent fermes et estables un long temps. Et envoya le dit roi de France gens d’armes en Escosse pour guerroyer les Anglois. Et par espécial, messire Arnoul d’Audrehen, qui depuis fut maréchal de France, et le sire de Garencières avec plusieurs chevaliers et écuyers y furent envoyés ; et y firent maintes belles appertises d’armes si comme vous orrez avant en l’histoire. Or me tairai à présent de cette matière, et me retrairai à notre matière de devant.

  1. David Bruce s’était retiré en France dès l’année 1332.