Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre LXIX

Texte établi par J. A. C. BuchonA. Desrez (Ip. 62-63).
Livre I. — Partie I. [1337]

CHAPITRE LXIX.


Comment les Anglois prirent terre sur les Flamands qui gardoient le passage de Gagant et vinrent combattre main à main.


Quand les Anglois virent la ville de Gagant, où ils tendoient à venir et combattre à ceux qui dedans se tenoient, si s’avisèrent qu’ils avoient le vent et la marée pour eux et que au nom de Dieu et Saint George ils approcheroient. Adonc firent-ils sonner leurs trompettes, et s’armèrent et appareillèrent vitement, et ordonnèrent les vaisseaux, et mirent les archers devant, et singlèrent fort vers la ville. Moult bien avoient les gaites et les gardes, qui en Gagant se tenoient vu approcher cette grosse armée : si supposoient assez que c’étoient Anglois ; parquoi ils s’étoient jà tous armés et rangés sur les dikes et sur le sablon, et mis leurs pennons par ordonnance devant eux, et fait entre eux des nouveaux chevaliers jusques à seize ; et pouvoient bien être environ cinq mille tous comptés, bien apperts bacheliers et compagnons, hardis et légers ainsi qu’ils le montrèrent.

Et là étoit messire Guy de Flandre, Frère au comte Louis de Flandre, un bon et sûr chevalier, mais bâtard étoit, qui admonestoit et prioit tous les compagnons de bien faire. Et là étoient messire Ducres de Hallewyn, messire Jean de Rodais, messire Gille de l’Estrief, qui fut là fait chevalier, messire Simon et messire Jean de Brukedent, qui y furent faits chevaliers aussi, et Pierre d’Englemoustier, et maints compagnons bacheliers et écuyers et apperts hommes d’armes, ainsi qu’ils le montrèrent, et qui moult désiroient la bataille aux Anglois. Et étoient tous ceux ordonnés et rangés à l’encontre des Anglois ; et n’y eut rien parlementé ni devisé, car les Anglois qui étoient désirans de les assaillir, et ceux de défendre, crièrent leur cri, et firent traire leurs archers moult fort et moult roide, et tant que ceux qui le hâvre gardoient et défendoient en furent si essonniés, que, ils voulussent ou non, il les en convint reculer. Et en y eut du trait à ce premier coup moult de mehaignés ; et prirent terre les barons et chevaliers d’Angleterre, et s’en vinrent combattre à haches, à épées et à glaives l’un à l’autre. Et là y eut plusieurs belles bacheleries et appertises d’armes faites ; et moult vaillamment se combattirent les Flamands : aussi moult bachelereusement les requirent les Anglois. Et là fut moult bon chevalier le comte de Derby : et s’avança des premiers si avant, qu’il fut, en lançant de glaives, mis par terre ; et lui fut là messire Gautier de Mauny bon confort, car par appertises d’armes il le releva et ôta de tous périls, en écriant : « Lancastre, au comte de Derby ! » Et adonc ils approchèrent de tous côtés, et y eut plusieurs mehaignés, et par espécial plus des Flamands que des Anglois ; car les archers d’Angleterre qui continuellement traioient, leur portèrent très grand dommage.