Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXXXII

Texte établi par J. A. C. BuchonA. Desrez (Ip. 114-115).
Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CXXXII.


Comment ceux de Tournay mirent hors de la cité toutes povres gens ; et comment le roi de France fit son mandement pour les secourir.


Vous avez ci-dessus bien ouï recorder comment le roi d’Angleterre avoit assiégé la bonne cité de Tournay, et moult la contraignoit ; car il avoit en son ost plus de six vingt mil hommes d’armes, parmi les Flamands, qui s’acquittoient bien de l’assaillir ; et l’avoient les assiégeurs tellement environnée de tous côtés, que rien ne leur pouvoit venir, entrer, ni issir, qu’il ne fût tantôt hapé et aperçu. Et pour ce que les pourvéances de la cité commencèrent à amenrir, les seigneurs de France qui là étoient firent vuider toutes manières de povres gens, qui pourvus n’étoient pour attendre l’aventure, et les mirent hors à plein jour, hommes et femmes, et passèrent parmi l’ost du duc de Brabant, qui leur fit grâce ; car il les fit conduire sauvement tout outre l’ost.

Le roi anglois entendit par ceux et par autres que la cité étoit durement étreinte : il en fut joyeux, et pensa bien qu’il la conquerroit, combien longuement ni quels frais il y mît.

D’autre part le roi de France qui se tenoit à Arras, et fut toute la saison, entendit que ceux de Tournay étoient moult contraints, et qu’ils avoient grand mestier d’étre confortés. Si s’ordonna à ce qu’il les conforteroit, à quel meschef que ce fût ; car il ne vouloit mie perdre une telle cité que Tournay étoit. Si fit un très grand mandement par tout son royaume, et aussi une grand’partie dedans l’Empire, tant qu’il eut le roi Jean de Behaigne, le duc de Lorraine, le comte de Bar, l’évêque de Metz, l’évêque de Verdun, le comte de Montbéliar, messire Jean de Châlons, le comte de Genève, et aussi le comte de Savoye et messire Louis de Savoye son frère. Tous ces seigneurs vinrent servir le roi de France, à ce qu’ils purent avoir de gens. D’autre part revinrent le duc de Bretagne, le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, le comte d’Alençon, le comte de Forez, le comte d’Armagnac, le comte de Flandre, le comte de Blois, messire Charles de Blois, le comte de Harcourt, le comte de Dampmartin, le sire de Coucy, et si grand’foison de barons et de seigneurs que les nommer par nom et par surnom seroit un grand détriement. Après revint le roi de Navarre, à grand’foison de gens d’armes de Navarre et de la terre qu’il tenoit en France, dont il étoit homme du roi ; et si y étoit le roi David d’Escosse, à la délivrance du roi de France, à belle route de gens d’armes.