Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CVII

Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CVII.


Comment ceux de Tournay, de Lille et de Douay coururent jusques devant Courtray où ils prirent grand’proie de bêtes et tuèrent plusieurs hommes.


Quand le roi vit que par nulle voie ni pourchas qu’il sçut faire ni montrer il ne pourroit retraire les Flamands ni ôter de leur opinion, si commanda à ceux qu’il tenoit en garnison à Tournay, à Lille, à Douay, à Béthune et aux châteaux voisins, qu’ils fissent guerre aux Flamands et courussent leur pays sans déport. Dont il avint que messire Mathieu de Roye, qui pour le temps se tenoit dedans Tournay, et messire Mathieu de Trye, maréchal de France, avec messire Godemar du Fay et plusieurs autres, mirent sus une chevauchée de mille armures de fer, tous bien montés, et trois cents arbalétriers, tant de Tournay, de Lille que de Douay, et se partirent de la cité de Tournay un soir après souper, et chevauchèrent tant que, sur le point du jour, ils vinrent devant Courtray, et accueillirent entour soleil levant toute la proie de là environ. Et coururent les coureurs jusques aux portes, et occirent et mes-haignèrent aucuns hommes qu’ils trouvèrent dedans les faubourgs ; et puis s’en retournèrent arrière et sans dommage ; et prirent ces gens d’armes leur retour devers la rivière du Lis et devers Warneston, en accueillant et emmenant devant eux toute la proie qu’ils trouvèrent et encontrèrent. Et amenèrent ce jour là en la cité de Tournay plus de dix mille blanches bêtes et bien autant, que porcs, que bœufs, que vaches ; et en fut la dite cité bien pourvue et rafraîchie un grand temps et largement avitaillée.

Ces nouvelles, qui ne furent mie trop plaisantes pour les Flamands, s’espartirent parmi Flandre. Si en fut le pays durement ému et troublé, et en vinrent les complaintes à Jaquemart d’Artevelle qui se tenoit à Gand : pourquoi le dit Artevelle fut durement courroucé, et dit et jura que cette forfaiture seroit vengée au pays de Tournesis. Si fit son mandement partout, et commanda, par toutes les bonnes villes de Flandre, que tous vuidassent et fussent, à un certain jour qu’il leur assigna, avec lui devant la cité de Tournay ; et escripvit au comte de Sallebrin et au comte de Suffolch, qui se tenoient en la ville d’Ypres, qu’ils se traissent celle part. Et encore pour mieux montrer que la besogne étoit sienne et qu’elle lui touchoit, il se partit de Gand moult étoffément, et s’en vint entre la ville d’Audenarde et la cité de Tournay, sur un certain pas que on dit le Pont de fer ; et se logea là, attendant les dessusdits comtes d’Angleterre et aussi ceux du Franc de Bruges.