Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCXLV

Livre I. — Partie I. [1345]

CHAPITRE CCXLV.


Comment ceux d’Angoulême se rendirent au comte Derby qui était devant Blayes où rien ne conquit, et s’en alla hiverner à Bordeaux.


Le siége pendant devant Blayes, le terme du mois vint, que ceux d’Angoulême se devoient rendre s’ils n’étoient secourus. Si y envoya le comte Derby ses deux maréchaux, le seigneur de Mauny et le baron de Stanford, pour remontrer les ordonnances où ils étoient obligés. Ceux d’Angoulême ne sçurent ni ne voulurent rien opposer à l’encontre : si vinrent et descendirent en l’obéissance du roi d’Angleterre, et jurèrent féauté et hommage aux dessus dits maréchaux du comte, qui représentoit le corps du roi, par vertu de la procuration qu’il avoit ; et ainsi eurent eux paix et revinrent leurs otages. Si envoya le dit comte, à leur requête, un capitaine sage homme et vaillant écuyer durement, qui s’appeloit Jean de Norvich. Et toujours se tenoit le siége devant Blayes ; et tant s’y tint que les Anglois en étoient tous hodés et lassés ; car l’hiver approchoit durement, et si ne conquéroient rien sur ceux de Blayes. Si eurent conseil, tout considéré, l’un par l’autre, qu’ils se retraieroient en la cité de Bordeaux et se tiendroient là jusques au printemps, qu’ils regarderoient où ils pourroient chevaucher et employer leur saison. Si se délogèrent toutes manières de gens et passèrent la rivière de Gironde, et firent passer tous leurs harnois, et vinrent à Bordeaux, où ils furent reçus à grand’joie et moult honorés des bourgeois et bourgeoises de la ville. Assez tôt après la revenue du comte Derby à Bordeaux, il départit toutes ses gens et envoya chacun en sa garnison, pour mieux entendre aux besognes dessus les frontières, et être aussi plus au large.

Or parlerons-nous un petit d’aucunes avenues qui avinrent ès mettes de Picardie et ailleurs en ce temps, et puis retournerons à une grosse chevauchée que le duc de Normandie Jean, ains-né fils du roi de France, fit en cette saison en Languedoc, et recouvra sur les Anglois plusieurs villes, cités et châteaux qu’ils avoient pris en celle même année et la saison de devant.