Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLXIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 216-217).
Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLXIII.


Comment le comte de Ghines et le comte de Tancarville se partirent du siége d’Aiguillon et vinrent à Paris dire au roi la manière du siége d’Aiguillon.


Quand le duc de Normandie et les seigneurs de France virent le grand meschef, et que par ce ils ne pouvoient venir à leur entente, ils furent moult courroucés, et firent les autres trois nefs et les kas cesser et retraire, et issir hors tous ceux qui dedans étoient. Si ne pouvoient les seigneurs plus aviser voie, manière, ni engin comment ils pussent le fort châtel d’Aiguillon conquerre ; et si n’y avoit prince, ni baron, tant fût grand, ni prochain de lignage du duc de Normandie, qui osât parler du déloger, ni traire autre part ; car le dit duc en avoit parlé moult avant qu’il ne s’en partiroit, si auroit le châtel à sa volonté et ceux qui dedans étoient, si le roi son père ne le remandoit. Si avisèrent les seigneurs que le comte de Ghines, connétable de France, et le comte de Tancarville se départiroient du siége et s’en retourneroient en France, pour montrer et conter au roi l’ordonnance de l’état du siége d’Aiguillon. Si se partirent de l’ost ces deux comtes dessus dits, assez par le congé du duc, et chevauchèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent à Paris, où ils trouvèrent le roi Philippe. Si lui recordèrent la manière et l’état du siége d’Aiguillon, et comment le duc son fils l’avoit fait assaillir par plusieurs assauts, et rien n’y conquéroit. Le roi en fut tout émerveillé, et ne remanda point adonc le duc son fils ; mais vouloit bien qu’il se tînt encore devant Aiguillon, jusques à tant qu’il les eût contraints et conquis par famine, puisque par assaut ne les pouvoit avoir.

Or nous souffrirons à parler du duc de Normandie, et du siége d’Aiguillon, et parlerons du roi Édouard d’Angleterre et d’une grosse chevauchée qu’il fit en cette saison pardeçà la mer.