Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCLVI

Livre I. — Partie I. [1346]

CHAPITRE CCLVI.


Comment ceux d’Angoulême se rendirent au duc de Normandie ; et puis conquit le châtel de Damassan ; et comment ceux de Tonneins se rendirent ; et puis prit le port Sainte-Marie.


Quand vint lendemain du jour de la Purification Notre-Dame, les bourgeois d’Angoulême se trairent ensemble en conseil, pour savoir comment ils se maintiendroient. Tout considéré, ils eurent conseil et avis qu’ils se rendroient et mettroient en l’obéissance du duc de Normandie, ainsi que devant. Si envoyèrent en l’ost devers le dit duc de Normandie certains traiteurs, qui exploitèrent si bien que le duc les prit à merci et leur pardonna son mautalent, et entra dedans la cité et au châtel, et reçut la foi et hommage de ceux d’Angoulême. Si y établit le duc un chevalier des siens à capitaine, qui se nommoit Antoine de Villiers, et cent soudoyers avec lui, pour mieux garder la cité et le châtel que du temps passé n’avoit été. Après ces ordonnances se délogea le duc, et se traist devers le châtel de Damassan ; et y sist le duc quinze jours devant ainçois qu’il le pût avoir ; et ne fut jour qu’il n’y eût assaut. Finablement il fut conquis, et tous ceux qui étoient dedans, Anglois et Gascons, morts. Si le donna le duc, et toute la châtellerie, à un écuyer de Beauce, appert homme d’arme malement, qui s’appeloît le Borgne de Milli. Et après vint le duc de Normandie devant Tonneins qui siéd sur la rivière de Garonne ; et là trouvèrent bien garni et pourvu d’Anglois et de Gascons, qui le gardèrent et défendirent vassalement un grand temps ; et y avoit presque tous les jours assaut et escarmouche. Tant y fut le duc, et contraignit ceux de dedans, qu’ils se rendirent par composition, saufs leurs corps et leurs biens ; et les devoit le duc faire conduire jusques à Bordeaux sur son péril. Ainsi se partirent les compagnons étrangers ; mais ceux de la ville demeurèrent en l’obéissance du duc de Normandie. Et se tint là le dit duc et tout son ost sur la rivière de Garonne jusques après Pâques[1], qu’ils se délogèrent et se trairent devers le port Sainte-Marie, sur cette même rivière. Et là avoit environ deux cents Anglois et Gascons qui gardoient la ville et le passage, et l’avoient fortifié grandement ; mais ils furent tellement assaillis que ils furent pris par force, et tous ceux qui dedans étoient. Si le réparèrent et rafraîchirent de nouveau de gens d’armes, et puis s’en partirent les François et chevauchèrent devers Aiguillon.

  1. Pâques était cette année le 16 avril : ce fut donc vers la fin de ce mois, ou au commencement de mai que le duc de Normandie mit le siége devant Aiguillon.