Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CCCXIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 266-268).
Livre I. — Partie I. [1347]

CHAPITRE CCCXIX.


Comment le pape Clément envoya deux cardinaux pour traiter de la paix entre les deux rois ; et comment le roi Philippe se partit du Mont de Sangattes et donna congé à toutes ses gens.


Entrementes que le roi de France étoit sur le mont de Sangattes, et qu’il étudioit comment et par quel tour il pourroit combattre les Anglois qui s’y étoient fortifiés, vinrent deux cardinaux en son ost, envoyés en légation[1] de par le pape Clément qui régnoit pour ce temps. Ces deux cardinaux se mirent en grand’peine tantôt d’aller de l’un ost à l’autre, et volontiers eussent vu que le roi d’Angleterre eût brisé son siége, ce qu’il n’eût jamais fait. Toutefois sur certains articles et traités d’accord et de paix, ils procurèrent tant que un répit fut pris entre ces deux rois et leurs gens, là étant au siége et sur les champs seulement ; et mirent par leurs promotions, de toutes parties, quatre seigneurs ensemble qui devoient parlementer de paix. De la partie du roi de France y furent le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, messire Louis de Savoye et messire Jean de Hainaut[2] ; et du côté des Anglois, le comte Derby, le comte de Norhantonne, messire Regnault de Cobehen et messire Gautier de Mauny. Et les deux cardinaux étoient traiteurs et moyens allans de l’un à l’autre. Si furent tous ces seigneurs, trois jours, la greigneur partie du jour ensemble, et mirent plusieurs devises et prêchemens avant, desquelles nulles ne vinrent à effet.

Entrementes que on parlementoit et ces trêves durans, le roi d’Angleterre faisoit toujours efforcer son ost et faire grands fossés sur les dunes, par quoi les François ne les pussent surprendre. Et sachez que ce parlement et détriement ennuyoit durement à ceux de Calais, qui volontiers eussent vu plus tôt leur délivrance, car on les faisoit trop jeûner. Ces trois jours passèrent sans paix et sans accord, car le roi d’Angleterre tenoit toudis son opinion que il seroit sire de Calais, et le roi de France vouloit qu’elle lui demeurât. En cel estrif se partirent les parties, ni on ne les put depuis rassembler. Si s’en retournèrent les cardinaux à Saint-Omer,

Quand le roi Philippe vit que perdre lui convenoit Calais, si fut durement courroucé ; et à envis se partoit sans aucune chose faire ; et si ne pouvoit aller avant ni combattre les Anglois qu’ils ne fussent tous perdus davantage : si que, tout considéré, le séjourner là ne lui étoit point profitable ; si ordonna à départir et déloger[3]. Si fit, lendemain que parlement fut failli, bien matin recueillir en grand’hâte tentes et trefs et trousser, et se mit à chemin devers la cité d’Amiens ; et donna congé à toutes manières de gens d’armes et de communes. Quand ceux de Calais virent le délogement de leurs gens, si furent tous déconfits et desbaretés ; et n’a si dur cuer au monde que, qui les vit demeurer et doulouser, qui n’en eût eu pitié. À ce délogement ne perdirent rien aucuns Anglois qui s’aventurèrent et qui se férirent en la queue des François ; mais gagnèrent des chars, des sommiers et des chevaux, des vins et des prisonniers que ils ramenèrent en l’ost devant Calais.

  1. Ces légats étaient Annibal Ceccano, évêque de Tusculum, et Étienne Aubert, cardinal du titre de Saint-Jean et de Saint-Paul. On a dû voir par la lettre que nous venons de rapporter que Froissart a eu tort de placer le défi avant les négociations qui le précédèrent de plusieurs jours. Clément VI n’avait cessé, depuis le commencement de la guerre, de chercher à concilier les deux rois. On trouve dans Robert d’Avesbury des lettres datées d’Avignon le 15 septembre 1347, par lesquelles il témoigne au roi d’Angleterre sa surprise du peu d’égard que ce prince a eu pour les ouvertures que lui avaient faites ses légats au mois de septembre précédent, et la réponse dans laquelle le monarque anglais tâche de se justifier de ce reproche, en protestant qu’il est prêt à faire la paix, sauf son droit à la couronne de France qu’il regarde comme son légitime héritage.

    Le continuateur de Nangis ne fait mention ni de l’entremise des légats, ni du défi de Philippe à Édouard. Ce fut au contraire, suivant lui, le monarque anglais qui envoya proposer au roi de France une trêve de trois jours, de laquelle il profita pour fortifier les endroits faibles de son camp.

  2. Les plénipotentiaires français étaient, selon la lettre d’Édouard, les ducs de Bourbon et d’Athènes, le chancelier de France, le sire d’Offemont et Geoffroy de Charny. Froissart est plus exact à l’égard de ceux des Anglais ; il n’oublie que Barthélémy de Burghersh, chambellan du roi.
  3. Philippe de Valois décampa le 2 août avant le jour.