Les Chouans : Épisodes des guerres de l’Ouest dans les Côtes-du-Nord/6

V


Réorganisation de la Chouannerie dans les Côtes-du-Nord par M. Le Gris. — M. de Kerigant chef de la division de Dinan. — Invasion de Saint-Brieuc par les Chouans (8 octobre 1799). — Les républicains à Lorges. — Mme Le Frotter et ses fils.

M. Le Gris du Val fut nommé dans l’intervalle commandant en chef du département des Côtes-du-Nord par le comte d’Artois, et sa nomination fut confirmée par le roi Louis XVIII, qui, en lui adressant son brevet, lui conféra aussi le cordon rouge.

M. Le Gris s’empressa de continuer l’organisation des forces ébauchées par M. de Boishardy, ce dont il s’était déjà lui-même occupé avant l’armistice. Il était à la fois homme de cabinet et homme d’action. Très lettré, il a même laissé de petites pièces de théâtre de société fort gaies : on avait généralement de l’esprit dans la famille Le Gris, et beaucoup de bonté[1].


M. Le Gris acheva d’organiser la Chouannerie dans les Côtes-du-Nord. Faute d’une direction unique et intelligente, les royalistes, bien que très nombreux, n’avaient point obtenu jusque-là les avantages qu’ils étaient en droit d’espérer. L’armée royaliste eut cinq divisions, et les commandements en furent à peu près distribués comme suit, d’après mes notes et mes souvenirs :

Guingamp-Tréguier : MM. de Keranflech ; comte Troplong du Rumain ; de Courson de La Villevalio ; Cozanec ; Taupin, etc.

Lannion, jusqu’à la limite du Morbihan : Penanster ; Le Bris, dit la Jeunesse ; Desbarres.

Saint-Brieuc : Le Nepvou de Carfort ; de Gouyon ; Dutertre ; Lehelloco ; Thomas Séverin ; Hidriot, dit Capel ; Hervé du Lorin, père et fils.

Dinan : Garnier de Kerigant ; de La Baronnais, frères ; Le Saicherre ; Rolland, dit Justice ; de Pontbriand ; du Boishamon ; Fœnel ; Lamandé, dit la Minute.

Loudéac : M. Le Gris du Val se réserva ce commandement. Il avait pour lieutenants : MM. Robinault de Saint-Régeant ; Guillard du Gouët, ancien garde du corps du Roi ; Le Bris ; Guillard de Marvill.

Ces divisions organisées formèrent un effectif d’environ sept à huit mille hommes, non compris un escadron de cavalerie dit des guides.

Mon père, presque aussitôt sa sortie de prison, nommé au commandement de la division de Dinan, se rendit dans le pays pour exécuter les ordres qu’il avait reçus du commandant en chef.

La nomination de mon père à la division de Dinan n’ayant pas été mentionnée par l’auteur des Guerres de l’Ouest, je me vois dans la nécessité de relever cette nouvelle erreur de l’honorable écrivain. M. Théodore Muret a publié son ouvrage, recommandable à bien des titres, en 1848. Les renseignements reçus par lui au sujet de mon père étaient erronés. Les pièces dont je reproduis plus loin le texte n’ont pas été faites pour la circonstance : la plupart des personnes qui les signèrent n’existant plus en 1848, mon assertion est surabondamment prouvée. Il s’agit d’abord de ses états de service, attestés par les chefs survivants de la Chouannerie en 1814 et 1815, et dans lesquels il est qualifié de chef de la division de Dinan. Les signataires sont : « Le Veneur de La Roche, maréchal de camp pour le Roi en 1795, commandant l’armée catholique et royale des Côtes-du-Nord ; comte Troplong du Rumain, chef de division de l’armée royale ; Morin de La Villecorhin, major en 1799 ; Courson de La Villevalio, colonel du 5e régiment de la garde royale ; Le Nepvou de Carfort, colonel, chef d’état-major de l’armée royaliste des Côtes-du-Nord ; de Keranflech, chef de division ; de Sol de Grisol, maréchal de camp, commandant l’armée royale de Bretagne. »

D’autre part, mon père ayant reçu, le 28 novembre 1814, une lettre de M. le préfet des Côtes-du-Nord, lui annonçant qu’il était compris pour une somme de… dans la répartition de celle de vingt-cinq mille francs « mise à la disposition de Son Excellence M. le maréchal-duc de Dalmatie, gouverneur de la 18e division militaire, pour être distribuée à titre de secours aux fidèles sujets de Sa Majesté de la province de Bretagne[2], »[sic] mon père répondit à M. le préfet des Côtes-du-Nord par une lettre ou une longue note dans laquelle il refuse le don qu’on veut bien lui offrir, et il énumère succinctement ce qu’il a souffert et quelle était sa situation. Je reproduis deux extraits de cette lettre, parce qu’ils confirment ce que j’ai dit plus haut. « … Nous employâmes l’or et l’argent pour gagner nos juges : ils acceptèrent tout ; mais, malgré cela, ils nous condamnèrent, Le Gris à Mort, moi, Mme Le Gris et mon domestique Jean Le Coq à la déportation. Cependant, à force d’or et d’argent encore, notre famille nous tira de prison (rançon des 18,000 francs), quoique pourtant la procédure existât toujours et que nos têtes fussent mises à prix. Mme Le Gris fut reprise et conduite à Paris. Quant à moi, je reçus l’ordre de mes chefs de me rendre du côté de Dinan, et on me donna un brevet de chef de division. Je me rendis à ma destination. Je n’avais ni soldats, ni armes, ni argent. J’aliénai ma fortune, je vendis du bois de dessus mes terres ; mon père me donna des avances à valoir à mes droits successifs. Je vins à bout de former ma division, une des plus considérables des cinq divisions des Côtes-du-Nord[3]. Pendant ce temps, on arrêta ma femme ; on la conduisit à Quintin, où on lui laissa la ville pour prison, etc. »

Le commandement de la division de Dinan fut confié à mon père, à cause de ses services, et aussi à cause des biens considérables possédés par la famille de sa femme dans cette contrée. Je fus très étonné, en 1848, quand parut l’ouvrage de M. Théodore Muret, de n’y trouver à peu près aucune mention de mon père, ni, à plus forte raison, du commandement de la légion de Dinan. On en attribuait tout l’honneur à un autre, qui, si honorable que fussent son nom et sa personne, n’était point en situation alors de réaliser cette organisation. Je veux parler de M. Toussaint du Breil de Pontbriand, devenu depuis un des hommes considérables de notre pays. Il avait à peine vingt ans alors qu’on procéda à cette organisation, exigeant des capitaux et une influence dont il était dépourvu, et que mon père possédait comme propriétaire dans le pays et comme ancien chef.

Je ne fus pas surpris outre mesure de cet oubli ; je savais déjà par ma propre expérience, comme officier mis en disponibilité en 1830, que l’abnégation la plus absolue est souvent un encouragement pour l’intrigue et la pousse, à l’occasion, à méconnaître les services les mieux établis.

À l’époque de la publication des Guerres de l’Ouest, mon père et ma mère étaient morts depuis longtemps, presque dans le malaise. Par discrétion, par inexpérience, peut-être, je ne voulus pas alors démentir une foule d’assertions dont je savais cependant l’inexactitude.

Toutefois, quelques années plus tard, des relations de famille m’appelèrent dans le pays de Dinan, où, dans mon enfance, j’avais connu plusieurs chefs de cantons de mon père, Le Saicherre, Fœnel, Rolland, dit Justice, Lamandé, etc. La plupart de ces vieux serviteurs désintéressés de la royauté avaient disparu ; cependant, le plus intelligent, le plus énergique d’entre eux vivait encore. Je vis Olivier Rolland, dit Justice. Il me prouva immédiatement, en m’embrassant cordialement, que j’avais en face de moi un ancien compagnon de mon père. Lorsque je lui parlai de la division de Dinan, sur laquelle il s’étendit longuement, il n’hésita pas un moment à me dire que non-seulement mon père l’avait commandée, sans conteste, mais encore organisée au prix des plus grands sacrifices.

— Vous le certifieriez alors, lui dis-je, même au besoin par un acte authentique, un acte notarié ?

— Devant n’importe qui, me répondit-il en souriant.

Cependant, à la réflexion, je craignais de nuire à ce vaillant cœur, qui, après avoir exposé sa vie, avait été condamné à mort, avait vu sa peine commuée en une prison perpétuelle qu’il subit pendant toute la durée du premier Empire, puis enfin était redevenu marchand de bestiaux comme dans sa jeunesse. Je le priai donc de me donner une simple attestation de ce qu’il venait de me déclarer, sans trop savoir l’usage que j’en ferais.

Voici la copie de cette pièce :


« Je soussigné Olivier Rolland, dit Justice, ancien chef de bataillon dans l’armée royale de l’Ouest, déclare, dans l’intérêt de la vérité, que, dans l’année 1798, la division de l’arrondissement de Dinan, où il servait, fut commandée en chef, jusqu’à la pacification, par M. François Garnier de Kerigant, et non par un autre, ainsi que cela a été écrit dans un ouvrage intitulé les Guerres de l’Ouest, par M. Théodore Muret. — Dinan, ce vingt-deux septembre dix-huit cent cinquante-quatre.

» Olivier Rolland, dit Justice,
» ancien chef de bataillon. »

En relevant l’erreur commise par M. Muret, je ne suis guidé par aucune espèce de malveillance ; tous les acteurs du drame héroïque dont j’ai parlé sont morts depuis longtemps, et moi-même, arrivé à la fin de ma carrière, je n’ai besoin de rien. Mais, par des allusions récentes à des faits anciens, amené à raconter ce qui est arrivé à ma famille pendant la Révolution, je ne pouvais passer sous silence une circonstance importante qui laissait une sorte d’équivoque sur la vie de mon père. Je dois encore ajouter, pour corroborer mes affirmations, qu’à la pacification de 1800, mon père, en qualité de chef de division, se rendit à Rennes pour traiter avec le général Brune. J’ai l’acte entre les mains.

En 1798 et pendant une partie de l’année 1799, mon père avait donc été envoyé dans le pays de Dinan pour former une division. Ma mère, de son côté, demeura sans cesse préoccupée de la délivrance de sa sœur, et M. Le Gris de l’organisation et de l’armement des cinq divisions des Côtes-du-Nord. Si l’on ajoute à toutes ces préoccupations les expéditions continuelles dirigées tantôt contre les colonnes mobiles doublées des Faux-Chouans, tantôt contre les petites villes où il était indispensable de ne pas laisser s’établir de garnisons, on comprendra facilement l’impossibilité dans laquelle on s’était trouvé de délivrer les prisonniers que ma famille avait laissés à Saint-Brieuc, et auxquels des promesses irréalisables avaient été faites. Comme je l’ai déjà dit, parmi les prisonniers se trouvaient quelques chefs de la Chouannerie ; des condamnés politiques, tels que Mme Le Frotter de Kerilis ; MM. Morin de La Villecorhin, Penanster, Le Veneur de La Roche ; des émigrés, entre autres, M. le vicomte de la Villegourio, qui a laissé une notice intéressante sur la manière dont il échappa au massacre de Quiberon. Mme Le Frotter était condamnée à mort pour des faits que je relaterai plus loin, en m’arrêtant sur cette branche de la famille de ma femme, dont les souffrances ne le cèdent en rien à celles de la mienne.

Dans l’un des répits de l’affreuse maladie qui la conduisit au tombeau, l’héroïque femme dont l’initiative était si bien acceptée, Mme Le Gris du Val, pria Mercier, dit la Vendée, et Saint-Régeant, d’organiser une tentative sur Saint-Brieuc pour délivrer les prisonniers.

Cette expédition fut discutée et arrêtée à Boscenit, en présence de la malade, entre MM. Mercier, Le Nepvou de Carfort, Saint-Régeant et Le Gris du Val. On décida que ces chefs fourniraient les contingents nécessaires pour assurer le succès de cette nouvelle tentative et éviter les fautes de la première. Des émissaires sûrs et intelligents furent expédiés de différents points à Saint-Brieuc, où l’on savait, du reste, très exactement, et jour par jour, ce qui se passait.

Rolland, dit Justice, dont on connaissait le sang-froid, l’intelligence et l’intrépidité, redevint pour la circonstance marchand de bestiaux : il fut chargé de coordonner tous les renseignements et de prescrire la marche des colonnes dans l’intérieur de la ville. Les Chouans y ayant de nombreux amis et parents, il fut facile de connaître le nombre d’hommes de chacun des postes, les habitudes de ceux qui d’ordinaire les composaient, et, par suite, d’établir la force des détachements royalistes chargés de les surprendre et de parcourir la ville pour empêcher tout rassemblement. L’effusion du sang et tout combat devaient être évités.

Dans ce moment, Saint-Brieuc avait peu de troupes ; cependant, quelques détachements étaient logés dans la caserne et dans le couvent des Ursulines de Montbareil. La garde nationale, nombreuse et bien armée, avait voulu, par suite du faux sentiment de patriotisme dominant alors, occuper tous les postes.

Les forces royalistes appelées à concourir à cette expédition, dont l’importance a été quelque peu exagérée, se composaient, au plus, d’environ mille hommes choisis, fournis par les divisions Mercier, Le Gris du Val et Carfort. Le premier fut chargé du commandement ; il avait parmi ses aides-de-camp un jeune homme que nous avons tous connu et honoré dans sa vieillesse, M. du Fou de Kerdaniel, âgé à cette époque de dix-huit à vingt ans.

M. Le Gris du Val fut remplacé par Robinault de Saint-Régeant, dit Pierrot, ancien officier d’artillerie de marine, d’un caractère doux, très intelligent, très bien élevé, et l’un des ennemis les plus énergiques de la Révolution.

La veille du jour fixé pour l’entrée à Saint-Brieuc, Mercier partit des environs de la Trinité, éloignée d’à peu près douze lieues, et rejoignit la colonne Saint-Régeant, entre les forêts de Loudéac et de Lorges, aux abords du bourg de La Motte.

Le lendemain, ces deux bandes réunies, sans quitter la forêt de Lorges, arrivèrent de bonne heure, ayant devant elles la troupe de Carfort, à Saint-Carreuc et Plaintel, d’où elles partirent entre neuf et dix heures du soir, pour entrer vers minuit à Saint-Brieuc. Les trois chefs de division savaient seuls le but de l’expédition.

Ce mouvement de troupe n’ayant pu se produire sans éveiller l’attention des habitants, quelques-uns ont pu dire que certains d’entre eux en avaient été informés ; mais les événements ont prouvé l’inexactitude absolue de ces bavardages. Chaque colonne était accompagnée d’un habitant de Saint-Brieuc ; un nombre déterminé de pelotons, ceux particulièrement chargés de cerner les postes, s’étaient déchaussés, afin de ne faire aucun bruit.

L’ordre formel était d’éviter, autant que possible, toute collision, de ne tirer qu’à la dernière extrémité, et, sous les peines les plus sévères, de n’entrer dans aucune maison.

Malgré tous les procès-verbaux et les enquêtes du lendemain, cette consigne fut très fidèlement observée, cela est certain.

D’autre part, il faut remarquer que Rolland, à Saint-Brieuc depuis plusieurs jours, s’était mis en communication avec diverses personnes de la ville : il avait vu l’un des prisonniers, M. Morin de La Villecorhin, avec lequel il fut convenu que, le soir de l’attaque, les prisonniers, nombreux, se tiendraient prêts, et, au moindre bruit, s’empareraient du geôlier et des armes des quelques gardes nationaux composant le poste de la prison. Si l’on veut considérer aussi que la prison, très petite d’ailleurs, était remplie d’hommes du pays, fort connus, et qui, malgré leur captivité, avaient conservé une situation dont on tenait compte, on comprendra l’espèce de relâchement bienveillant au milieu duquel ils se trouvaient et qui permit heureusement de délivrer les prisonniers sans effusion de sang.

Les prescriptions furent parfaitement exécutées : les quelques hommes de garde de l’intérieur, surpris dans leur sommeil, ne purent opposer aucune résistance ; la même inaction s’imposa forcément au geôlier Peyrode dont, après l’événement, on voulut faire un héros. Il aurait, selon M. le président Habasque, tiré d’une fenêtre de la prison sur les Chouans, « massés » devant la porte. Or, toute démonstration hostile de sa part fut impossible, alors qu’il en aurait eu l’intention, parce qu’il fut saisi à la première alarme par les prisonniers, et dépouillé de ses clefs. En tout cas, il ne tua personne et n’éprouva de sa vie autant de peur que ce soir-là.

On a reproché aux royalistes d’avoir, en délivrant leurs amis, donné la liberté à des criminels dont plusieurs étaient condamnés à des peines infamantes ; quelques-uns se seraient même reconstitués prisonniers. Nous laissons la responsabilité de ces assertions au grave magistrat qui les a formulées.

Aussitôt les captifs sortis, les différents pelotons dispersés dans la ville reçurent l’ordre de battre en retraite et de se rallier promptement.

Pendant l’accomplissement de ces faits à la prison, les pelotons envoyés à l’avance dans l’intérieur de la ville pour empêcher tout rassemblement n’avaient trouvé de résistance nulle part. Les postes furent surpris et envahis avec une telle rapidité, que les hommes dont ils se composaient n’eurent guère le temps de saisir leurs armes ni d’essayer une défense tout à fait inégale.

Il y eut bien quelques luttes dans les postes et quelques blessures, mais point de combat, ai-je toujours entendu affirmer. Les soldats eux-mêmes, bien qu’ils aient aussi essayé de se défendre, ne purent opposer une résistance sérieuse. On ne put évidemment se masser nulle part pour combattre ; le relevé des morts, que nous donnerons plus loin, le prouve absolument.

Le général Casabianca, bien qu’ayant des plantons à sa porte, dormit, paraît-il, d’un profond sommeil, jusqu’après le départ des assaillants, assure-t-on. M. le président Habasque dit, page 68, t. IIe, que l’un des grenadiers de garde à la porte du général, et il le nomme pour donner plus de poids à son assertion, « vint avertir le poste de la place de la Liberté de l’arrivée des Chouans. »[sic] Pourquoi ce grenadier, avant d’aller prévenir le poste de la place de la Liberté, ne faisait-il pas réveiller son général ? Pour pallier ces invraisemblances, on a dit que le général Casabianca était arrivé de la veille à Saint-Brieuc, puis, accusant son courage, on le surnomma le général Casa-Peura.

Ce général, avant comme après cette affaire, sut prouver cependant qu’il ne connaissait pas la peur ; mais, dans des cas semblables, il faut toujours une victime expiatoire, et l’on choisit pour ce rôle un vieux capitaine ayant conquis tous ses grades sur les champs de bataille ! La vérité, la voici : tout le monde fut surpris, et la résistance fut impossible. Toutefois, si bien combinée que fût cette entreprise, il était difficile qu’elle n’entraînât pas quelques malheurs, cela va de soi.

On a beaucoup parlé de la mort de M. Poulain-Corbion, commissaire du Directoire exécutif. J’ai toujours entendu raconter que cette mort avait été purement accidentelle, comme celle de quelques autres personnes : il fut tué à quatre heures du matin, en sortant de sa maison. Une voix prudente lui cria de rentrer ; mais, au lieu de suivre cet avis, s’élançant dans un sens opposé, il fut atteint de plusieurs balles et tomba, sans être connu de ses assaillants et sans avoir été signalé à leurs coups. La sommation et le colloque dont on a parlé au sujet de cette rencontre sont complètement imaginaires. Les chefs des pelotons étaient des hommes honorables, ne tuant pas à plaisir, et sachant à l’occasion honorer le courage même chez leurs adversaires.

Les Chouans ne crurent pas seuls que la mort de M. Poulain-Corbion avait été absolument accidentelle : c’était aussi l’opinion de beaucoup d’anciens habitants de Saint-Brieuc. Il y a six ou sept ans, j’en acquis une nouvelle preuve, sans la chercher, certes. Dans un dîner, à la campagne, je me trouvai placé à côté d’un officier général, aussi remarquable par l’élévation de ses sentiments que par la distinction de son esprit. Le hasard de la conversation l’amena à me raconter cette prise de Saint-Brieuc. Supposant que j’en ignorais les détails, il me dit en avoir entendu parler par des parents dont il m’indiqua les noms, gens très à même, en effet, de bien connaître cette affaire. Il confirma absolument la version donnée plus haut, contredisant celles écrites sur ce coup de main. On doit remarquer encore qu’il ne fait pas jour à quatre heures du matin à la fin d’octobre.

M. Poulain-Corbion, sorti de chez lui, averti, sans doute, de ce qui se passait, et voulant peut-être y porter remède, ne put aller se présenter aux assaillants ; il chercha vraisemblablement, au contraire, à les éviter, et succomba fortuitement, sans être reconnu, comme quelques autres personnes dont je vais donner les noms, tels qu’ils sont inscrits sur les registres de l’état-civil de Saint-Brieuc :


Déclarations de décès du 6 brumaire, an 8
(28 octobre 1799).

1° Poulain-Corbion, commissaire du Directoire, né à Quintin, âgé de 56 ans, décédé hier, 28 octobre 1799, à quatre heures du matin.

2° Gautier, Louis-Jacques, 38 ans ½, né à Saint-Brieuc, décédé hier, à trois heures du matin.

3° Darthuy, Pierre-Louis, 26 ans, né à Issy-L’Union (Seine), décédé hier, à cinq heures du matin.

4° Botrel, François, décédé hier, à quatre heures du matin, né à Guingamp.

5° Le Breton, Jean-Louis, grenadier de la garde nationale, né à Quintin, 40 ans, décédé à trois heures du matin.

6° Fournier, Louis-Nicolas, gendarme à Saint-Brieuc, 26 ans, né à Sarrebourg (Meurthe), décédé hier, à quatre heures du matin.

7° Couture, François, musicien de la 13e demi-brigade, 23 ans, né à Pontmartin (Seine-et-Marne), décédé hier, à quatre heures du matin.

8° Marvis, Joseph-Marie-François, employé au bureau du payeur général, né à Port-Malo (Ille-et-Vilaine), 28 ans, décédé hier, à six heures du matin.

9° Chardronet, Jacques, 40 ans, né à Port-Brieuc, décédé hier, à deux heures du matin[4].


Les personnes ci-dessus désignées furent toutes tuées entre deux et six heures du matin. Cet espace de temps comprend bien, à peu près, celui passé par les Chouans à Saint-Brieuc. Entrés vers une heure du matin, avec les consignes indiquées plus haut, consignes parfaitement exécutées, les actes de décès le prouvent, ils en sortirent vers six heures du matin.

Si l’on veut maintenant considérer les qualités des victimes, presque toutes étrangères au métier des armes, et les heures de leur décès, on restera bien convaincu que non-seulement la plupart des morts furent accidentelles, mais qu’il n’y eut aucune action sérieuse nulle part, ni, par suite, aucune des pertes de temps mentionnées dans les procès-verbaux reproduits trop complaisamment par les divers auteurs ayant raconté cette prise de Saint-Brieuc.

Que le lendemain on ait éprouvé une vive émotion ; que des personnes, par des déclarations retentissantes, aient voulu se mettre à l’abri de certains soupçons et en imposer au public, étonné des événements de la nuit, cela se conçoit, mais de pareils récits peuvent d’autant moins servir de base à l’histoire que les plus importants furent rédigés par des intéressés.

Plus tard, il est vrai, de graves écrivains ont accepté ces témoignages : il semblerait, à entendre M. le président Habasque, et même mon vieil et honorable ami M. de Geslin de Bourgogne[5], que la ville de Saint-Brieuc aurait été, dans la nuit du 27 octobre 1799, le théâtre de combats sanglants, acharnés. Nous savons cependant qu’il n’en fut rien. Le triste et encore trop nombreux catalogue énuméré plus haut prouve bien que, s’il y eut des résistances particulières, même des actes de courage, il ne put y avoir de combat dans l’acception du mot. L’histoire, mieux informée, espérons-le, portera un jugement plus éclairé sur un fait qu’on persiste, sans raison, à grossir outre mesure.

Les royalistes quittèrent Saint-Brieuc vers six heures du matin : les compagnons de Carfort prirent le chemin de Moncontour ; les autres se retirèrent en suivant les sentiers et les champs conduisant à Plaintel et à Saint-Carreuc. Une seule voie un peu praticable, celle de Saint-Brieuc à Lorges et Uzel, passant près de Quintin, existait dans cette direction ; les autres chemins étaient d’affreuses ornières, pouvant servir seulement aux bestiaux et aux chevaux. Cette route, faite par le duc d’Aiguillon, avait été jadis pavée, mais elle était devenue d’un accès difficile, et les Chouans ne la suivirent pas ; cela est prouvé.

Je ne puis comprendre, conséquemment, comment M. le président Habasque, connaissant comme moi l’état des autres chemins, a pu écrire cette histoire d’un canon emmené par les Chouans. Si les Chouans avaient emporté quelque chose de Saint-Brieuc, ils auraient, me semble-t-il, préféré tout autre objet à un canon, très encombrant pour eux et absolument inutile.

Si les décès des personnes tuées à Saint-Brieuc ont été indiqués sur les registres de l’état-civil, il n’en fut pas ainsi du côté des royalistes : plusieurs furent blessés, M. de Keranflech, entre autres, au blocus de la caserne. Le jeune Le Frotter, Étienne, âgé de vingt ans, fils aîné de Mme Le Frotter, fut tué, après avoir eu le bonheur d’embrasser sa mère et son frère cadet, alors âgé de dix-sept ans et se trouvant aussi détenu. Le corps d’Étienne Le Frotter fut trouvé percé de nombreux coups de baïonnettes et de balles dans une prairie dépendante du Veaumeno, entre cette propriété et Montbareil[6].

Plusieurs Chouans blessés, n’ayant pu suivre les colonnes, furent forcés de rester cachés dans la ville et dans les environs ; mais nous n’avons jamais entendu parler d’autre mort que de celle du jeune et courageux Étienne Le Frotter, sans affirmer cependant qu’elle ait été la seule.

Aucune maison ne fut forcée ni pillée ; les Chouans, après avoir délivré les prisonniers, sortirent de Saint-Brieuc les mains vides, comme ils y étaient entrés, il importe de le rappeler.

Ils arrivèrent harassés à Lorges, par différentes voies, excepté, toutefois, la colonne de Carfort, et s’arrêtèrent dans la forêt pour s’y reposer et prendre une nourriture dont ils avaient un impérieux besoin. Aussi, quand ils furent surpris à leur tour par les troupes venues de Saint-Brieuc à leur poursuite, on trouva des morts un peu de tous les côtés, entre autres, à la croix Saint-Lambert, située à plus de quinze cents mètres du château.

Au sujet du passage des Chouans à Lorges, M. le président Habasque, qui ne perd pas une occasion de les accuser, dit qu’ils vidèrent les caves du château de Lorges. Je crois, en effet, que, si les caves avaient été remplies, elles se seraient ressenties du voisinage de tant de gosiers desséchés ; mais, malheureusement, le château de Lorges n’étant pas habité depuis plus de vingt ans, les caves, hélas ! étaient vides.

À la mort du dernier duc de Lorges, de la branche de Durfort, en 1775, un procès s’était engagé entre ses deux filles, dont l’aînée avait épousé le vicomte de Choiseul, depuis duc de Praslin, et la cadette, en 1762, Jean Laurent de Durfort de Civrac, son cousin, sur la tête duquel le dernier duc de Lorges avait fait passer son titre. Ce procès, pendant depuis vingt-cinq ans, fut terminé longtemps après la Révolution, et il est à supposer que, dans l’intervalle, l’homme d’affaires du duc défunt n’avait pas eu la prévoyance de remplir les caves du château. D’ailleurs, cet homme d’affaires était l’un des chefs de canton de l’armée royaliste.

Pendant ce temps, à Saint-Brieuc, tout le monde était sur pied : les uns, ceux qui étaient chargés de la garde des postes, rédigeant des procès-verbaux, pour attester qu’ils avaient fait plus que leur devoir ; les autres recherchant les personnes soupçonnées d’avoir favorisé les royalistes ; mais, aucun habitant ne les ayant vues, aucune arrestation ne put être faite.

Sitôt que l’on se fut remis de l’étonnement causé par les événements de la nuit, et aussi pour mettre fin à une confusion pouvant avoir des conséquences fâcheuses, on résolut de poursuivre les Chouans. Quinze à seize cents hommes, ayant à leur tête ce même Casabianca, sur lequel allait bientôt retomber une faute dont la responsabilité était imputable un peu à tout le monde, sortirent sans tarder de Saint-Brieuc.

Cette troupe suivit facilement le gros des royalistes, qui avait pris la direction de Lorges en passant par Plaintel ; mais, ayant mis beaucoup plus de temps que les Chouans à faire ce trajet, elle arriva trop tard à Lorges. Les chefs et une grande partie de leurs forces avaient quitté ce lieu depuis plus d’une heure, lorsque la colonne briochine déboucha, très éparpillée, dans la forêt. Ayant trouvé, couchés ou assis, un certain nombre d’hommes sur les marches de la croix Saint-Lambert, elle fit une décharge sur eux et en tua cinq ou six, qui furent inhumés au pied de cette croix. Pendant que ces faits se passaient à la croix Saint-Lambert, les personnes restées au château en sortirent en toute hâte, au bruit des coups de fusils ; mais, à ce moment, un autre détachement de la colonne briochine s’avança sur l’esplanade et tira sur quelques attardés qui descendaient les marches du château. Parmi ces derniers se trouvait Mme Le Frotter ; elle fut atteinte de plusieurs balles, au moment où le second de ses fils lui aidait à monter à cheval. Elle fut tuée sur le coup, et son fils, pour ne pas subir le même sort, fut obligé d’abandonner le corps de sa mère, auquel des âmes pieuses donnèrent la sépulture. Ce fut le triste et dernier épisode d’une affaire dont j’ai cru nécessaire de reprendre en détail le récit, afin de rétablir la vérité des faits.

La courageuse femme dont je viens de relater la mort mérite bien aussi que je retrace ici quelques particularités de sa vie et de son héroïque dévouement à la cause de Dieu et du Roi. Pour cela, il me suffira de reproduire la note laissée sur elle par notre grand-père, M. Le Frotter :


« … En 1790, le chevalier Le Frotter de Kerilis[7] fut persécuté comme tous les gentilshommes de la province : sa vie fut plus d’une fois en danger. Décidé à suivre le parti du Roi et croyant qu’il ne pouvait être utile à ce parti s’il restait en France, il émigra au mois d’octobre 1791[8]. Il se rendit en Angleterre, où il a porté les armes et fait toutes les campagnes pendant que la guerre a duré et que les régiments de gentilshommes ont existé ; il faisait les fonctions de fourrier dans un de ces régiments, et je lui ai vu des certificats vraiment honorables et qui prouvent qu’il s’est toujours comporté en brave et loyal gentilhomme.

» Il avait épousé, en juillet 1776, Marie-Gabrielle Thibault, fille unique du sieur Thibault, de la ville de Pontivy, ancien chirurgien-major sur les vaisseaux de la Compagnie des Indes ; il en eut trois garçons : 1° Étienne, né le 10 avril 1779 ; — 2° Honorat, né le 2 avril 1782 ; — 3° Gabriel, né le 24 juin 1790, desquels on parlera dans la suite. Marie-Gabrielle Thibault ne fut pas moins dévouée au parti du Roi que son mari. Dès qu’il fut parti, et malgré toutes les défenses des lois républicaines et la surveillance tyrannique qu’on employait, elle parvint à envoyer ses deux aînés auprès d’un parent qu’ils avaient dans l’armée dite des Chouans. Les nationaux en furent informés ; aussitôt elle fut dénoncée, accusée, arrêtée et emprisonnée.

» L’acte d’accusation est du 5 pluviose[sic], an IV. Elle fut envoyée au tribunal, qui la condamna à six mois de détention dans les prisons de Vannes, comme complice de ses enfants, qui suivaient le parti des rebelles.

» En l’an II (1793), elle avait déjà été renfermée à Quimperlé, comme femme d’un gentilhomme émigré. Cette détention avait duré quatorze mois.

» En l’an IV, elle fut condamnée, comme royaliste, à six mois de prison ; mais rien ne put lasser son courage ni lui faire changer de parti. Toujours fidèle à son Roi et à la Religion, elle inspira sans peine les mêmes sentiments à ses deux fils, et tous travaillèrent de concert à favoriser de tous leurs moyens le parti royaliste, dont ils ont été les martyrs, comme nous allons le voir.

» Au mois de pluviose[sic], an VII (mars 1798[sic]), Marie-Gabrielle Thibault et ses deux fils furent encore dénoncés, accusés, décrétés et emprisonnés. L’aîné parvint à se soustraire à l’emprisonnement par la fuite ; mais Honorat, le cadet, fut pris et partagea le sort de sa mère. On les accusait de fournir des munitions de guerre et de bouche aux Chouans, d’augmenter le nombre de leurs partisans, en portant les soldats républicains à la désertion, ce qui s’appelait embauchage. Voici l’événement qui accrédita cette accusation :

» Le même jour qu’Étienne Le Frotter partit de Pontivy pour rejoindre l’armée catholique et royale, des chasseurs républicains de la garnison, au nombre de cinq ou six, désertèrent avec leurs armes.

» Le citoyen Michaut, général républicain, qui les commandait, fit arrêter sur-le-champ Mme Le Frotter, son fils Honorat, leur servante et treize autres personnes, dont plusieurs étaient de race noble ; ils furent jetés dans les cachots et tenus au secret. Il y avait alors à Saint-Brieuc une commission militaire chargée de juger les contre-révolutionnaires (on appelait ainsi ceux qui n’étaient pas démocrates enragés).

» Le général Michaut y fit passer Mme Le Frotter et tous les autres accusés, avec ordre de les juger promptement et suivant la rigueur des lois.

» On commença une procédure. Des témoins sans nombre furent amenés de Pontivy, et, après huit jours d’audience, intervint un jugement, le 9 thermidor, an VII, par lequel Mme Le Frotter, son fils aîné, contumace, et deux particuliers de Pontivy furent condamnés à mort. Les condamnés se pourvurent contre ce jugement, qui fut confirmé le 27 du même mois, à la sollicitation du général Michaut. Les deux particuliers furent exécutés. Étienne Le Frotter était contumace, et Mme Le Frotter, quand on alla lui prononcer son jugement, dit, pour se sauver, qu’elle avait lieu de se croire enceinte. On la fit examiner, et, sur le rapport du chirurgien, on lui accorda une surséance de trois mois, qu’elle devait passer en prison, à Saint-Brieuc. Pendant ce temps, elle fit preuve d’un courage héroïque : toujours calme, toujours résignée à la volonté de Dieu, il ne parut jamais dans ses discours et dans ses lettres ni dépit, ni haine, ni terreur, ni esprit de vengeance, ni abattement. Elle m’écrivit quelques lettres, uniquement pour me recommander Gabriel Le Frotter, son troisième fils, qu’elle laissait sans ressources et en bas âge. »

Bien que le jugement ne prononçât aucune peine contre Honorat Le Frotter, il continua à être détenu. Après la délivrance de sa mère et sa mort à Lorges, il servit dans l’armée morbihannaise ; mais, quelque temps après, étant tombé, lui neuvième, dans une embuscade où son chef et un de ses camarades furent tués, il fut fait prisonnier, emmené d’abord à Hennebont, ensuite chargé de fers à Lorient, où, ayant été traduit devant une commission militaire, ses six camarades furent condamnés à mort et exécutés, et lui, à cause de son âge, condamné à deux ans de prison[9], qu’il faisait à Lorient lorsque survint la pacification.

Les historiens de cette triste guerre, dominés généralement par les idées révolutionnaires, ont répudié tout sentiment de justice ; ils ont prodigué leurs éloges pour ceux que les républicains couvraient du nom de patriotes, et des calomnies à leurs héroïques adversaires.

Ainsi, je viens de raconter, ayant des pièces authentiques sous les yeux, le courage, le stoïcisme d’une mère qui combat jusqu’à la mort pour la cause des principes nationaux, avec ses deux fils à peine sortis de l’enfance. L’un meurt percé de coups, en cherchant à la délivrer ; l’autre, qui l’accompagne, ayant à peine seize ans, étant parvenu à s’échapper, après avoir reçu son dernier soupir, continua jusqu’à la dernière heure à combattre les oppresseurs de son pays. Lorsqu’enfin les terroristes furent vaincus par l’épée de Bonaparte, il s’engagea dans l’armée française et la quitta seulement après une odyssée fabuleuse, à la paix générale, en 1815[10].

Pourtant, M. le président Habasque, écrivant ses Notions Historiques sur les Côtes-du-Nord en 1833 et 1834, avec cette épigraphe : « Qui querit, invenit, »[sic] n’a rien trouvé à dire sur les familles dont je viens de parler. Or, elles vivaient sous ses yeux, il les avait connues riches et les voyait pauvres ! Dominé par les idées des vainqueurs de Juillet 1830, il a préféré suivre les errements de ses devanciers et considérer ces vaillants cœurs, ces défenseurs loyaux de la Religion et de l’Autorité comme des rebelles !… Cependant, ces familles s’étaient conduites comme il le faisait lui-même dans ses fonctions de magistrat, au moment où il écrivait ; elles avaient été fidèles, et, de plus, désintéressées !


  1. Un de ses cousins germains, prêtre de Saint-Sulpice, l’abbé Le Gris du Val, a laissé des sermons fort estimés ; il devint un des prédicateurs de Louis XVI. Lorsque le Roi fut condamné à mort, il écrivit à la Convention, au péril de sa vie, la lettre suivante, reproduite dans l’Histoire de la Terreur, par M. Mortimer-Ternaux : « René Le Gris du Val, natif de Landerneau, département du Finistère, employé jusqu’au 10 août au Séminaire de Saint-Sulpice, demeurant à Versailles, chez le sieur Cérisier, boulevard du Roi, demande à être admis auprès de Louis Capet en qualité de confesseur. Il déclare qu’il n’a pas prêté serment, parce que sa conscience ne le lui permettait pas. »
    La Commune n’avertit point le prisonnier du Temple de cette demande ; mais elle fit arrêter le pétitionnaire, qui, ayant échappé à l’échafaud, vécut jusqu’à l’époque de la Restauration.
    M. l’abbé Le Gris du Val est mort à Paris le 21 janvier 1819. On lit dans un numéro du Conservateur du même mois : « M. Hue est sorti de la vie avec un compagnon digne de lui, M. l’abbé Le Gris du Val. Ce dernier avait voulu accompagner à l’échafaud Louis XVI, comme le premier l’avait suivi dans les fers. L’abbé Le Gris du Val a fondé un grand nombre d’établissements charitables, entre autres, les Enfants Délaissés, les Prisonniers pour Dettes, les Petits Savoyards, les Petits Séminaires. »
    Le Conservateur donne une notice sur M. l’abbé Le Gris du Val.
  2. J’ai entre les mains cette malencontreuse lettre, et si j’ai laissé en blanc la somme offerte à mon père, c’est uniquement pour ne pas faire retomber sur un Gouvernement respectable les sottises de ses agents.
  3. Ce renseignement est peut-être le seul authentique qui mentionne l’organisation de cinq divisions dans l’armée royaliste du département.
  4. Les déclarations du 7 brumaire, c’est-à-dire du 29 octobre, sont : 1° Lorant, Mathurin, canonnier au 6e régiment d’artillerie, né à Port-Brieuc, décédé à deux heures du matin, à l’hospice ; — 2° Valin, Pierre, né à Fontenay (Vendée), maréchal-des-logis de gendarmerie, décédé hier, à deux heures du matin. — Ces deux militaires furent-ils blessés à l’attaque de Saint-Brieuc, ou le lendemain à Lorges ? Rien ne l’indique.
  5. Puisque le nom de M. de Geslin de Bourgogne revient sous ma plume, je veux profiter de cette occasion pour rendre hommage à ce vrai patriote, à cet homme de bien, à l’égard duquel le pays, parfois en quête d’illustrations, ne me semble pas avoir été précisément équitable. M. de Geslin, mort presqu’à la fleur de l’âge, était un ancien capitaine d’état-major. Il avait une instruction très variée et était doué d’un rare esprit d’initiative. Il a vécu au milieu de nous de la façon la plus modeste ; alors qu’il aurait pu se parer d’un titre brillant entre plusieurs, il n’en prit jamais aucun. Beaucoup cependant considèrent la famille de Geslin comme descendant des comtes de Penthièvre, puînés de nos ducs. En 1212, en effet, Geslin de Coëtmen, dans le comté de Goëlo, berceau des Geslin, fut tuteur des enfants mineurs d’Alain III de Penthièvre. — M. de Geslin ne s’est jamais prévalu de sa naissance. Il fut le fondateur du premier journal politique dans le département des Côtes-du-Nord. Un grand nombre de Comices agricoles de canton ont dû leur création à son initiative ; il aurait voulu une réunion annuelle des délégués des Comices au chef-lieu pour exposer et défendre les intérêts de l’agriculture. Mais les médiocrités, toujours défiantes et envieuses, s’opposèrent à la réalisation de cette généreuse et utile pensée. Ce grand travailleur, outre de nombreux articles de journaux, a laissé une étude sur l’esprit militaire en France, une autre sur la Révolution, et enfin un ouvrage considérable, dans lequel se révèle une haute érudition : l’Histoire des Évêchés de Bretagne. Il fut aussi le fondateur de la Société d’Émulation, qui continue d’exciter au milieu de nous l’amour du travail intellectuel et d’offrir un[sic] aide à tous ceux qui veulent s’y livrer.
  6. Je trouve sur lui, dans les notes laissées par le grand-père de ma femme, M. Le Frotter, qui fut à diverses reprises secrétaire des États de Bretagne, l’appréciation suivante : « Étienne Le Frotter avait l’esprit vif et entreprenant ; il avait été deux ou trois ans à l’hôtel militaire, établi à Rennes pour la noblesse sans fortune. Son père ne put l’emmener quand il émigra, parce qu’il était trop jeune et trop faible. Dès qu’il eut la force de porter les armes, il se rangea du parti royaliste, ne voulant pas, disait-il, s’exposer à tuer son père. Tous les Frotter de cette branche, dite de Kerilis, et de la branche aînée, ont eu le même dévouement pour la cause du Roi, pendant qu’il a été possible d’espérer réussir. Si les efforts d’Étienne Le Frotter n’ont pas été couronnés par un plus heureux succès, il n’en mérite pas moins les éloges et les regrets de tous ceux qui savent sentir et penser noblement. »
  7. « Notes et observations sur la famille de MM. Le Frotter, originaires des paroisses d’Yvias et de Quimper-Guézennec, aux évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier en Basse-Bretagne. » Ce manuscrit est entre mes mains. M. Le Frotter, notre grand-père, est mort au commencement du premier Empire.
  8. En 1791, il était difficile de prévoir les soulèvements dont la France fut plus tard le théâtre.
  9. Il avait, dans son interrogatoire, déclaré treize ans.
  10. Voir pièces justificatives, annexe III.