Les Chemins de fer pendant la guerre (Général de Lacroix)/01

Les Chemins de fer pendant la guerre (Général de Lacroix)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 50 (p. 414-428).
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LES CHEMINS DE FER
PENDANT LA GUERRE

I
L’EFFORT MILITAIRE


DU RÔLE MILITAIRE DES CHEMINS DE FER

La guerre de 1859, en Italie, a été le point de départ de l’application du service des chemins de fer à la guerre. Plus tard, pendant la guerre de Sécession, les Américains en firent un usage méthodique et instituèrent un corps de chemins de fer qui leur rendit les plus grands services. Au mois de juillet 1861, les succès des Confédérés sur le plateau de Mannassas Junction furent dus au transport par voies ferrées des 8 000 hommes du général Johnson au secours du général Beauregard, dont la gauche était débordée par des forces supérieures. L’arrivée inattendue de ce renfort, en pleine bataille, au moment même où les troupes fédérales se croyaient victorieuses, renversa brusquement l’équilibre des deux partis et assura la victoire des Confédérés. Ce fut le premier exemple de l’emploi des chemins de fer comme moyen de transport rapide à grande distance vers le champ de bataille.

Les Allemands, profitant de cet enseignement, ont su tirer un très grand parti de leur organisation des services de chemins de fer pendant la guerre de 1866 et surtout pendant celle de 1870-1871. La guerre des Balkans a encore confirmé l’expérience des campagnes précédentes. Mais la dernière guerre, en raison même de son étendue, devait porter à son maximum le rendement militaire des chemins de fer, chez nos adversaires comme dans les armées alliées.

La parole du général Lamarque : « . Il est possible que la vapeur amène un jour une révolution aussi complète que l’invention de la poudre à canon » s’est trouvée amplement justifiée. L’influence des chemins de fer sur les opérations elles-mêmes s’est développée dans une proportion inattendue et pendant toutes les phases de cette longue guerre. Il ne suffit pas, en effet, de disposer d’effectifs nombreux ; il faut encore pouvoir les amener, à temps, au point voulu. C’est le jeu incessant des réserves, réalisé dans le temps et dans l’espace, c’est l’action directrice et régulatrice du commandement s’exerçant durant tout le cours de la bataille ou des batailles. C’est la manœuvre, dans son cerveau et dans sa main.

Les chemins de fer sont devenus un service de première importance, dont le concours est indispensable à partir du jour où la mobilisation a été décidée. Leur emploi s’étend jusqu’aux abords mêmes du champ de bataille et il se manifeste dans toute l’étendue du vaste domaine de la stratégie et de la tactique.

Les transports de couverture, de mobilisation et de concentration sont longuement préparés, dès le temps de paix, par les soins du quatrième bureau de l’état-major de l’armée et des différents réseaux. Ils exigent un effort considérable, un soin minutieux et une mise au point constante ; car c’est d’eux que dépendent en grande partie les résultats des premières rencontres.

Après la concentration des armées, commence le travail intensif du service des chemins de fer dans la zone des armées et à l’arrière, afin d’assurer la mise en œuvre des conceptions de manœuvre du Haut Commandement et la satisfaction des besoins multiples des armées en campagne : vivres, munitions, matériel de toute nature, évacuation des malades, des blessés, des prisonniers, transport des permissionnaires, des isolés, du courrier quotidien, etc.


DIRECTION DES CHEMINS DE FER AUX ARMÉES

Aux armées, les services de l’arrière comprennent deux grandes divisions distinctes : le service des chemins de fer et le service des étapes. Le premier a trait à tout ce qui se rapporte à l’organisation, l’entretien, l’exploitation, la construction, la destruction et la réparation des voies ferrées. Le second embrasse tous les services qui ne rentrent pas dans le cadre des chemins de fer.

Le service des chemins de fer est centralisé et dirigé par un officier général ou supérieur, qui prend le titre de directeur des chemins de fer et relève de l’officier général, directeur de l’arrière. Ce dernier est placé sous l’autorité immédiate du commandant en chef des armées.

Le directeur des chemins de fer assure, au moyen des commissions de réseau, des sections techniques de chemins de fer et des sapeurs de chemins de fer de campagne, le fonctionnement de toutes les lignes ferrées mises à la disposition du général en chef, dans la zone des armées. Les lignes ferrées, laissées en dehors de cette zone, forment le réseau de l’intérieur et continuent d’être exploitées par le personnel des Compagnies. Au point de soudure des deux réseaux, des stations de transition assurent la continuité et la régularité du service, sur chacune des lignes de communication qui desservent les armées.

Ces lignes de communication s’étendent sans interruption, du front aux points les plus éloignés du territoire. L’action du directeur des chemins de fer se prolonge, de même, sur toutes les lignes de chemins de fer, pour l’exécution de tous les transports de personnel ou de matériel nécessités par les opérations militaires en cours d’exécution.

Le personnel des sections techniques de chemins de fer de campagne étant, en majeure partie, emprunté au personnel des réseaux, les Compagnies, par suite de la prolongation de la guerre, ont eu à suffire à des besoins toujours croissants avec un personnel de plus en plus restreint. Les mouvements imprévus imposés, dans tous les sens, par les opérations militaires, ont eu une répercussion immédiate jusqu’aux derniers réseaux de l’intérieur. Toutes les Compagnies, à tour de rôle, ont été mises à l’épreuve ; elles ont eu à surmonter une foule de difficultés d’ordre technique, dont elles n’ont pu triompher que grâce au dévouement incessant de leur direction et de leurs agents. Elles ont eu ainsi une large part dans le succès final des opérations, en donnant à l’arme des transports intensifs à grande distance toute la souplesse et la puissance dont elle était susceptible.

Il n’est donc pas sans intérêt de mettre en relief les efforts considérables qui leur ont permis de se tenir constamment, même dans les circonstances les plus critiques, à la hauteur de la tâche confiée à leur honneur, à leur habileté technique et à leur patriotisme.


TRANSPORTS DE MOBILISATION ET DE CONCENTRATION

Le 2 août 1914, à minuit, le service de guerre fut substitué, sur tous les réseaux, au service ordinaire. De nouveaux horaires remplacèrent les anciens. Les transports de mobilisation, qui ont pour but d’assurer le départ de tous les mobilisés, du lieu de leur résidence à destination de leurs corps, commencèrent immédiatement et ne se terminèrent que le 19 août. Le réseau P.-L.-M. eut à mettre en mouvement plus de 3 000 trains pour assurer ce service. Du 2 au 5 août, le réseau d’Orléans fil partir près de 1 500 trains dans les trois premiers jours de la mobilisation. Du 2 au 8 août, la Compagnie de l’Est, en dehors des mobilisés stationnés sur son territoire, eut encore à transporter 40 000 ouvriers étrangers qui travaillaient aux mines de Briey et de Longwy et qui ne pouvaient, à l’extrême frontière, rester exposés aux conséquences des premières rencontres.

Les transports de concentration s’ouvrirent, le 5 août, bien avant que les transports de mobilisation ne fussent terminés. Ils amenèrent nos armées jusqu’aux régions frontières, dans les conditions prévues par le plan de concentration. Quelques données numériques sont nécessaires pour apprécier l’effort immense demandé au service des chemins de fer du 5e au 20e jour de la mobilisation et satisfaire à l’obligation d’en préciser tous les détails.

Un corps d’armée à l’effectif de guerre exige pour le transport de ses unités de combat, en dehors des parcs et des convois administratifs, une moyenne de 80 trains et de 4 000 wagons. La masse à transporter immédiatement représentait la valeur de 42 corps d’armée, actifs ou de réserve. La vitesse normale des trains militaires, qui est de 30 kilomètres à l’heure, se réduit dans la pratique à une vitesse utile d’une vingtaine de kilomètres en raison des ralentissements et des arrêts indispensables, surtout sur de longs parcours. La durée des débarquements a quai varie, suivant les, armes, de une heure et demie à trois heures.

Sur le réseau du Nord, les transports de concentration occasionnèrent la mise en marche de 1 012 trains, dont 509 formés dans les gares de la Compagnie. Le Midi eut à rassembler les trois corps d’armée du Sud : ceux de Montpellier, de Toulouse et de Bordeaux, pour les acheminer vers le réseau de l’Est, par l’intermédiaire des réseaux de l’Ouest-Etat ou de Paris-Orléans. Sur ce dernier, les transports de concentration nécessitèrent la mise en marche de près de 2 000 trains militaires emportant 600 000 hommes et 144 000 chevaux. La moyenne des marches fut de 135 par jour, les trains se succédant souvent à 10 minutes d’intervalle.

La Compagnie de l’Est eut à concentrer à l’extrême frontière les trois corps d’armée de Nancy, de Châlons et d’Epinal. Elle eut en outre à amener à leur destination les corps du Midi, du Centre et de l’Ouest. Elle dut assurer la circulation de plus de 4 000 trains militaires. Les journées les plus chargées furent celles des 9. 10 et 11 août 1914, avec une moyenne de près de 400 trains par jour. Sur certaines lignes, les trains durent se succéder à moins de quatre minutes d’intervalle et se suivre à moins de deux kilomètres de distance. On juge, par cet exemple, de la conscience et de l’esprit de discipline et de dévouement dont tout le personnel d’exécution du réseau de l’Est a dû faire preuve, à cette période délicate de la concentration.

Sur le P.-L.-M., plus de 4 000 trains ont été mis en mouvement, du 5e au 30e jour de la mobilisation. Certains gares régulatrices ont dû orienter jusqu’à 200 trains par jour, soit aiguiller, en moyenne, leurs trains de huit en huit minutes. Du 12 au 20 août, le réseau, en dehors du transport des corps d’armée métropolitains, a eu à écouler, en trois jours, toutes les forces mobilisées venues d’Algérie et de Tunisie par Marseille, puis assurer, en sens inverse, le transport des troupes territoriales allant au Maroc remplacer la division du général Gouraud.

Enfin, les réseaux du Nord et de l’Ouest-Etat ont amené dans le Nord, entre Condé-sur-Escaut et Maubeuge, les unités britanniques, qui commencèrent à débarquer le 7 août. Du 12 au 20, 420 trains, soit une moyenne de 42 trains par jour, emmenèrent de Boulogne et de Saint-Nazaire, à destination du front, 260 000 hommes avec tout le matériel qui les accompagnait, sans que l’exécution de notre propre concentration en fût troublée.


OFFENSIVE ALLEMANDE EN BELGIQUE

Au début de la guerre, les Allemands concentrèrent leurs VIe, VIIe et VIIIe armées sur notre frontière de l’Est, de Delme à la frontière suisse. L’intervalle entre Metz et Thionville était tenu par les garnisons mobilisées des deux places fortes. Une autre armée, la Ve, se concentrait à Trêves et à la frontière orientale du Luxembourg. Un groupement de quatre armées apparaissait au Nord du Luxembourg, en face de la frontière belge, dans la région Malmédy, Eupen, Aix-la-Chapelle. L’intention d’envahir le Luxembourg et la Belgique était évidente. Le gros effort de nos adversaires allait se produire en Belgique, par les deux rives de la Meuse.

Le cas avait-été prévu dans notre plan de concentration. Nos 1re et 2e armées restèrent entre Pont-à-Mousson et Belfort pour faire face aux armées allemandes de Lorraine et d’Alsace. Tout notre dispositif de gauche fut reporté entre la Moselle et la Sambre, de Pont-à-Mousson à Hirson, l’armée anglaise couvrant notre extrême gauche, entre la Sambre et l’Escaut.

L’exécution de la variante du plan de transport destinée à opérer la nouvelle répartition de nos forces ne donna lieu à aucune difficulté, mais elle imposa à tous les réseaux, et en particulier à ceux de l’Est et du Nord, des charges nouvelles et un surcroit d’activité qui fut considérable, pendant toute la durée de l’opération.


BATAILLE DE LA ARNE

L’enveloppement de notre aile gauche aux environs de Charleroi détermina le repli de nos forces, de la Sambre vers la Marne. Le mouvement de retraite des forces Franco-britanniques amena dans les services des chemins de fer de sérieuses complications. Sur chaque ligne, un nombre de trains quotidien, variant de 120 à 170, débarrassa rapidement la zone arrière et facilita grandement nos mouvements, malgré la présence immédiate de l’ennemi en face de nos forces du première ligne.

Lorsque le maréchal Joffre eut décidé le renforcement de notre aile gauche en vue du retour offensif de la Marne, les chemins de fer transportèrent en quelques jours, de notre frontière de l’Est vers Paris, la valeur de trois corps d’armée. Les trains militaires répondant à ce transport improvisé empruntèrent en grande partie les itinéraires : Verdun, Sainte-Menehould, Bar-le-Duc et Neufchâteau, Chaumont, Troyes, Nogent-sur-Seine. Ils furent ensuite dirigés vers le Raincy et Nanteuil-le-Haudoin. Ces renforts puissants, amenés en temps utile, rejoignirent l’armée de Paris et tombèrent avec la 6e armée sur le flanc droit de l’adversaire, dans la région de L’Ourcq. Pendant ces transports, le rendement de nos voies ferrées atteignit jusqu’à 170 trains par jour, en arrière du front à renforcer. Les moindres lignes y furent employées, et le réseau de Grande Ceinture y joua un rôle important.

Les ressources des chemins de fer de la capitale et l’emploi intensif des convois et voitures automobiles ont grandement contribué au succès de la bataille de l’Ourcq, prélude de l’offensive de la Marne. Le concours des chemins de fer ne fera d’ailleurs que se développer, pendant les quatre dernières années de la guerre.


COURSE A LA MER

Après leur échec sur la Marne et leur établissement en arrière de l’Aisne, les Allemands, disposant constamment de forces nouvelles, ont renouvelé, à plusieurs reprises, mais sans succès, leur manœuvre d’enveloppement de notre aile gauche qui leur avait réussi à Charleroi. Des forces empruntées à notre aile droite, et transportées par voies ferrées, vinrent successivement prolonger notre front de l’Oise à la mer.

Les chemins de fer ont eu ainsi à exécuter la concentration de l’armée de Castelnau dans la région de Roye, celle de l’armée de Maud’huy dans la région d’Arras et celle de l’armée d’Urbal dans la région d’Ypres. Pendant le même temps, l’armée anglaise était remplacée sur l’Aisne par des forces françaises et acheminée également par voies ferrées sur l’Yser.

Ce fut certainement la période la plus mouvementée de l’emploi des chemins de fer et des convois automobiles. Les chemins de fer français y eurent à lutter de vitesse avec l’ennemi, qui, pour ses transports de guerre, bénéficiait de l’avantage du raccourci de la ligne intérieure. Sur des parcours étendus, variant de 65 à 400 kilomètres, nos voies ferrées ont eu à transporter près de 70 divisions, c’est-à-dire plus de 800 000 hommes, répartis en plus de 6 000 trains. On sait avec quel bonheur ils y sont parvenus. La marche régulière de ces trains et la vitesse imprimée aux transports ont permis d’amener, à pied d’œuvre, les forces britanniques ou françaises, dont la valeur et l’héroïsme ont enrayé définitivement la marche des Allemands sur Calais.

Après la bataille des Flandres, comme après celle de la Marne, nos forces et nos moyens matériels n’ont pas été suffisants pour chasser l’ennemi des positions qu’il occupait. Les armées sont restées en contact, se disputant, pied à pied, pendant de longs mois, les parties importantes du terrain occupé. Il a fallu alors amener constamment de l’arrière vers l’avant les ravitaillements, le matériel de tranchée, l’artillerie lourde, les munitions et le personnel de renfort.

Une grande partie des centres vitaux des réseaux du Nord et de l’Est étaient au pouvoir de l’ennemi ; d’autres étaient à portée du canon adverse. Les chemins de fer de campagne se mirent résolument à l’œuvre pour construire de nouveaux tronçons de voies ferrées et y établir des gares militaires, des centres d’approvisionnements, des dépôts de munitions et de matériel, des hôpitaux d’évacuation, des voies de raccordement, etc. L’histoire de cette partie de la campagne sera particulièrement intéressante à étudier, au point de vue des enseignements à en tirer, lorsque des documents précis permettront de la reconstituer dans toute son ampleur.


TRANSPORTS IMPROVISÉS

En dehors des efforts qui leur ont été dem9.ndés pour répondre aux besoins urgents des opérations, nos réseaux ont eu à assurer une série de transports improvisés au fur et à mesure de l’arrivée en France d’importants renforts venus d’Algérie, du Maroc et des colonies. Celles-ci nous ont envoyé un demi-million de combattants et 300 000 travailleurs. Les armées britanniques ont été renforcées de contingents considérables venus des Indes. Nous avons reçu de Russie et d’Italie un certain nombre d’unités et nous en avons envoyé de notre côté. Tous les mouvements qui en ont résulté sont venus, à l’improviste, s’intercaler dans le cadre général des transports militaires, a titre supplémentaire et dans une proportion notable.

Dès l’année 1914, le P.-L.-M. a fourni pour les troupes coloniales un nombre de 1 600 trains, à raison d’une moyenne de 45 par jour, pendant plus d’un mois. En 1915, le même réseau a convoyé 70 000 Sikhs et Gourkhas débarqués à Marseille par 52 paquebots venant de l’Inde, à destination des armées britanniques.

En 1915 également, le Paris-Orléans employait 400 trains au transport des troupes hindoues de Toulouse à Orléans. Le Midi, pendant la même année, a eu, à des titres divers, à transporter 600 000 hommes et 96 000 chevaux et mulets. Le Nord mettait en marche plus de 114 000 trains, soit une moyenne de 310 par jour. Le réseau d’Orléans avait à transporter 3 700 000 officiers et soldats, 582 000 chevaux ; au cours de l’année, il a mis en marche 30 000 trains. En 1917, il a eu à ramener à la Courtine et à les évacuer ensuite, 6 000 officiers et 50 000 soldats russes, qui exigèrent 70 trains, comprenant près de 3 500 wagons.

Tous ces chiffres, qui ne concernent que les transports de troupes, donnent une idée de l’importance de l’effort supplémentaire demandé aux Compagnies de chemins de fer, pour répondre à tous ces besoins.


OFFENSIVE ALLEMANDE CONTRE VERDUN

En février 1916, l’offensive allemande contre Verdun provoqua de nombreux déplacements de troupes et l’organisation d’importants convois de renfort. En quelques heures, sur la demande du Haut Commandement, les wagons chargés de marchandises dans les Compagnies furent libérés et contribuèrent à former de nombreux trains de troupes et de matériel. Tous ces trains furent amenés aux points de débarquement indiqués, dans le voisinage et souvent même sous le canon de l’ennemi ; cette tâche écrasante et dangereuse fut menée à bien et s’accomplit dans le plus grand ordre. Les à-coups et les encombrements lurent évités, aussi bien dans les gares que sur les voies de circulation, cependant déjà surchargées par les transports normaux.

La situation, au point de vue des voies ferrées utilisables, fut au début assez critique. La ligne de Verdun à Sainte-Menehould était directement menacée ; l’occupation de Saint-Mihiel par les Allemands interceptait les communications de Verdun avec Lérouville. Il ne restait que la petite ligne à voie étroite de la Meuse qui continua à fonctionner, à plein, entre Révigny et Souilly. Des convois puissants de tracteurs automobiles furent rapidement organisés et les routes soigneusement entretenues devinrent, par ce moyen, des lignes de communication à la fois sûres et rapides. Les renforts continuèrent d’affluer à Verdun et, avec le temps, les admirables troupes de la défense de la place purent reprendre l’offensive, au moment même où les troupes Franco-britanniques entamaient leur action offensive sur la Somme.


OFFENSIVE FRANCO-BRITANNIQUE DE LA SOMME

L’offensive de la Somme débuta le 1er juillet 1916. Elle fut longuement préparée. Les chemins de fer contribuèrent largement à cette préparation, comme aux opérations elles-mêmes. Les réseaux de l’intérieur apportèrent constamment au réseau militaire de l’avant le personnel, le matériel, les munitions et les approvisionnements nécessaires. Au fur et à mesure de l’avance des Alliés, les lignes se complétèrent, suivant pas à pas les progrès des troupes. Il en fut ainsi jusqu’au milieu de février 1917. Nos adversaires constamment battus sur la Somme, où nous avions pris Bouchavesnes et Sailly-Saillisel et à Verdun où les forts de Douaumont et de Vaux étaient en notre pouvoir, ainsi que la ligne de Louvemont à Bezonvaux, se décidèrent à abandonner le saillant de Noyon et à se reporter entre Arras et Vailly-sur-Aisne.

En se retirant, l’ennemi détruisit tout : les routes, les ponts, les villages, les arbres fruitiers. Les troupes Franco-britanniques se trouvèrent subitement devant le vide absolu, créé avec une méthode et une férocité bien allemandes. Mais elles étaient rendues à la guerre de mouvement ; elles se sentaient victorieuses ; elles avaient pris sur l’ennemi la supériorité morale ; elles l’avaient enfin obligé à reculer devant elles. Les dévastations inutiles ne firent qu’augmenter la force de leur élan. Les routes et les chemins de fer furent mis en état. Au bout de quelques jours, les relations normales avec l’arrière étaient rétablies.

Un nouveau facteur, de la plus haute importance, allait d’ailleurs changer la face de la guerre. Les États-Unis se déclaraient en état de guerre avec l’Allemagne et prenaient immédiatement les mesures nécessaires pour entrer en ligne au milieu des troupes de l’Entente.


DÉBARQUEMENTS DES TROUPES AMÉRICAINES

L’arrivée des troupes américaines devait amener dans le service des chemins de fer une nouvelle intensité de mouvements. Dans le milieu de 1917, les débarquements américains en France commençaient. Les troupes de nos alliés devaient être réparties sur différentes parties de notre territoire, dans le centre et dans l’Est et dirigées tout d’abord sur les camps d’entrainement où elles perfectionneraient rapidement leur instruction en vue de la guerre actuelle.

Dans le deuxième semestre, la Compagnie d’Orléans embarquait à Saint-Nazaire 12 000 officiers américains, 46 000 hommes de troupe, 22 000 chevaux, 200 voitures et 25 000 tonnes de matériel. Le 27 octobre, un premier communiqué du général Pershing annonçait la présence, dans les tranchées de première ligne d’un secteur calme, de quelques bataillons américains opérant en commun avec les bataillons français. « Nos troupes, disait le général en chef américain, sont appuyées par quelques-unes de nos batteries, en commun avec les batteries françaises. » Tel fut le début de l’intervention effective de nos alliés.

On sait le développement exceptionnel donné par l’Amérique au transport de ses troupes, à leurs débarquements, à l’organisation militaire et à la préparation à la guerre de ses unités du combat, dès la fin de 1917 et pendant l’année suivante. Nos chemins de fer, réduits par lus nécessités des opérations en cours à un personnel et à un matériel restreints, ont eu, au début, quelque peine à satisfaire à toutes les demandes américaines, mais leur personnel d( ! tout ordre apporta un tel dévouement à la cause commune que les trains se multiplièrent au fur et à mesure des besoins, jusqu’à ce que la constitution des services américains eût atteint son complet développement.


OFFENSIVE AUSTRO-ALLEMANDE EN Italie

Notre intervention on Italie, au moment de l’offensive austro-allemande en Vénétie, donna à la Compagnie P.-L.-M. l’occasion d’accomplir un magistral effort, exemple de la souplesse et de la puissance que peuvent atteindre nos lignes de chemins de fer.

Le 23 octobre 1917, lE jour même où les Allemands pénétraient au sud de Plezzo, la Compagnie était invitée par l’autorité militaire à réunir en vingt-quatre heures le personnel et les wagons nécessaires pour transporter, d’urgence, au delà des Alpes, 120 000 hommes de troupes britanniques ou françaises, avec l’artillerie et le matériel de guerre correspondants. Ce prodige fut accompli. Moins de 24 heures après la réception de l’ordre envoyé par le Comité de guerre, 500 locomotives et 12 000 wagons partaient de tous les points du réseau vers la zone des embarquements. Un jour plus tard, les trains formés étaient prêts à assurer les transports demandés.

Le 28, les 12 000 wagons se mirent en route et firent, pendant quatre jours, la navette entre le front français et la région du Trentin. Le 8 novembre, les Italiens, après avoir achevé leur mouvement de repli, pouvaient s’arrêter en toute sécurité sur la Piave, assurés du concours immédiat des forces Franco-britanniques.

Quand le mouvement des troupes et du matériel fut terminé, le réseau P. L. M. eut encore à pourvoir à l’apport des munitions et des vivres de ravitaillement. Il affecta près de 200 locomotives et de 5 000 wagons à ce service spécial.

Les lignes ferrées, comme on vient de le voir par cet exemple concluant, s’affirment comme un admirable instrument de défensive ou d’offensive stratégique, entre les mains du Haut Commandement. Elles permettent de prévoir avec précision le jour où des groupements considérables, venus de très loin, pourront faire sentir leur action sur un nouveau front, où leur intervention peut être décisive.

Nos adversaires ont profité de ces possibilités de déplacement rapide pour amener du front oriental en France les armées rendues disponibles par la défection des armées russes, espérant mettre hors de cause les forces Franco-britanniques, avant l’entrée en action des troupes américaines.


OFFENSIVES ALLEMANDES DU PRINTEMPS DE 1918

Les offensives allemandes qui se sont succédé à partir du 21 mars 1918 ont eu des conséquences formidables au point de vue des transports par chemins de fer. Des lignes entières devinrent inutilisables, notamment celles d’Amiens à Arras, de Paris à Amiens par Creil, puis de Paris à Châlons par Château-Thierry. Paris est le nœud central de tous nos chemins de fer : c’est grâce à cette situation que nos réseaux ont pu, dans les circonstances les plus critiques, concentrer leur matériel et grouper leurs efforts en vue du succès des opérations.

La situation difficile des chemins de fer pendant la période des offensives allemandes a été exposée par M. Claveille, le 17 septembre 1918, à la Chambre des députés.

« Les événements militaires ont eu pour conséquence de nous priver d’artères essentielles, ayant les meilleurs profils et permettant les transports les plus faciles. En outre, ils nous ont obligés à faire des évacuations, non seulement pour les parcs d’approvisionnement, mais encore pour les gares régulatrices, les stations-magasins, les usines de toute nature dans les régions menacées. Parmi ces évacuations, quelques-unes furent aussi importantes que difficiles. Il y avait à Amiens et à Epernay, par exemple, de grands ateliers, appartenant aux réseaux du Nord et de l’Est, qui sont aujourd’hui partiellement détruits. Nous avons pris la précaution de les déménager, — le mot n’est pas trop fort, — de tout ce qu’ils contenaient. Nous avons aussi transporté des milliers de wagons de machines-outils, de matériel. Cette situation a heureusement pris fin, ou du moins elle a changé de face, grâce à la vaillance de nos soldats et de leurs chefs incomparables ; toutefois, sans rien enlever du mérite de nos poilus, ni revendiquer quoi que ce soit pour les chemins de fer, je puis dire que si les opérations que nous apprenons, avec tant d’émotion et de joie, par les communiqués, sont conduites si brillamment et si heureusement, les efforts considérables des chemins de fer n’y sont pas étrangers. »

C’est la vérité.

En effet, toutes les difficultés pratiques auxquelles faisait allusion M. Claveille survenaient au moment où, pour enrayer à tout prix l’avance de l’ennemi, le Haut Commandement réclamait des transports de troupes continuels, nécessités par la nature et l’importance des opérations. Ces deux tâches ont été vaillamment remplies par le service des chemins de fer. Rien ne démontre mieux la valeur des lignes de communication par voies ferrées et la nécessité de les couvrir à grande distance. L’offensive commencée le 18 juillet par le maréchal Foch nous a rendu, ainsi qu’aux chemins de fer, la liberté de manœuvre qui nous avait été momentanément enlevée et elle nous a menés au triomphe définitif, en quelques mois.


OFFENSIVES DU MARÉCHAL FOCH, DU 18 JUILLET AU 11 NOVEMBRE 1918

Pendant cinq mois, de février à juillet 1918, les troupes alliées opérant entre la mer et Verdun avaient eu à subir les plus durs assauts des Allemands, supérieurs en nombre, en Picardie, en Artois, sur la Lys, en Flandre, sur l’Oise et l’Aisne et enfin en Champagne. Nos ennemis avaient même pénétré jusqu’à la Marne qui, pour la seconde fois, devait leur être funeste. Dès qu’il eut le commandement supérieur des forces interalliées, le maréchal Foch, pendant que, de toutes parts, il arrêtait les progrès de l’ennemi, était préoccupé de regrouper ses forces, de reconstituer des réserves et de renforcer successivement toutes les parties du front, de manière à leur donner la force offensive nécessaire pour lui permettre de reprendre l’initiative des opérations et l’ascendant moral et d’imposer jusqu’au bout sa volonté à son adversaire.

Il eut ainsi à procéder, au cours même des événements et en présence de l’ennemi, à de nouvelles concentrations en arrière du front sur lequel ses troupes étaient engagées. Au lieu de rompre le combat, comme Hindenburg l’avait fait l’année précédente, il en a nourri toutes les phases, opposant constamment à l’adversaire des forces suffisantes et préparant en secret, derrière cette couverture agissante, les grandes lignes de l’offensive générale, qui devait terminer la lutte.

Dans cette longue période de préparations et d’actions continues, les chemins de fer ont également eu un rôle important. Jamais, en effet, ils n’ont eu à résoudre de problèmes plus complexes, souvent avec des moyens précaires. Il leur a fallu, surtout pendant les quelques mois qui ont précédé nos retours offensifs, faire face aux difficultés les plus ardues, avec une activité et une ténacité vraiment remarquables. Les deux partis se disputaient avec le même acharnement les moindres tronçons de voies ferrées indispensables aux mouvements intensifs exigés par les opérations en cours.

Aussi, quand le succès de l’offensive du 18 juillet nous a portés vers Soissons, dans la direction de Fère-en-Tardenois et au delà de Château-Thierry, l’ennemi n’a-t-il pu songer à évacuer l’énorme matériel de guerre accumulé dans les régions menacées. Il dut nous y opposer une résistance prolongée sur l’Aisne et sur la Veste, et cette obligation l’a mis dans l’impossibilité d’échapper à l’emprise des forces alliées victorieuses. Il a employé une grande partie de ses réserves à conserver des positions qui n’avaient plus de valeur au point de vue de l’ensemble des opérations. Le maréchal Foch en a habilement profité pour les déborder et les manœuvrer successivement en Picardie, en Flandre et dans l’Argonne, et à contraindre ses adversaires épuisés et vaincus à demander l’armistice et l’ouverture de négociations en vue de la paix.


GÉNÉRAL DE LACROIX.