Les Chemins de fer français en 1866 et leur influence sur la propriété du pays

Les Chemins de fer français en 1866 et leur influence sur la propriété du pays
Revue des Deux Mondes2e période, tome 61 (p. 5-40).
LES
CHEMINS DE FER FRANCAIS
EN 1866

Les chemins de fer peuvent être considérés comme l’œuvre la plus importante de notre siècle. Le rôle qu’ils remplissent dans la société moderne est immense et universel ; relations individuelles et internationales, commerce, industrie, finances, tout ce qui intéresse le bien-être, la prospérité, la grandeur des peuples, se rattache aujourd’hui à l’établissement de ces étroites bandes de métal sur lesquelles la vapeur fait glisser la locomotive remorquant les wagons. C’est l’instrument le plus utile qu’ait inventé jusqu’ici le génie de l’homme. Les premières voies ferrées datent de quarante ans à peine, et déjà les rails sillonnent toutes les parties du monde. Chaque année, le réseau primitif s’étend et se prolonge vers de nouvelles régions. En même temps que l’Europe et les États-Unis multiplient les lignes de chemins de fer, l’Asie et l’Afrique se mettent à l’œuvre. A en juger par ce que nous voyons, quels seront à la fin du siècle les effets de cet engin merveilleux, dont la découverte est due à notre génération ? Nul ne saurait le prédire, tant la perspective est vaste et défie tous les calculs !

Mais ce que l’on peut essayer plus sûrement et avec profit, c’est l’étude des résultats obtenus et des moyens par lesquels les chemins de fer ont franchi la première période de création pour arriver à leur développement actuel. De même que, dans une grande usine, le chef d’industrie qui a augmenté ou transformé son outillage, doit, à certains jours, se rendre compte des avantages et des économies que lui a procurés l’emploi d’instrumens nouveaux, de même il semble que le temps est venu d’examiner ce qu’ont produit les chemins de fer et de mesurer, autant que cela est possible, les services qu’ils ont déjà rendus dans l’organisation de ce grand atelier qui s’appelle la société. Nous voudrions dresser ainsi l’inventaire des chemins de fer pour ce qui concerne la France. Laissant de côté les questions techniques et les combinaisons financières, nous nous appliquerons à étudier les problèmes et les faits économiques qui naissent de l’existence des voies ferrées : problèmes difficiles qui, après de longs débats, ne sont pas encore résolus par la science ni par la législation ; faits multiples et divers, qui nous entourent pour ainsi dire et nous pressent de toutes parts, et auxquels nous ne prenons pas garde, parce qu’ils nous sont devenus habituels et familiers. En outre, s’il paraît utile d’examiner, ne serait-ce que pour ordre, le bilan des chemins de fer, il n’importe pas moins d’apprécier les critiques qui s’adressent à l’exploitation. Ces critiques sont-elles reconnues fondées ? Les procédés à l’aide desquels ont été établis les chemins de fer sont-ils condamnables ? Il faut y pourvoir sans retard et tirer des erreurs du passé un enseignement utile pour l’achèvement du réseau ; mais si les accusations sont fausses ou exagérées, si les procédés adoptés se justifient par l’expérience, il convient de le démontrer et de le proclamer bien haut, car, pour un travail aussi vaste, il est essentiel que les situations soient nettes, et que les entreprises de chemins de fer comme le public sachent décidément à quoi s’en tenir sur les conditions que l’avenir leur réserve. Ce sont là des questions délicates qui veulent être traitées sans passion, et qui, par leur importance, par l’universalité des intérêts qu’elles engagent, par leur influence sur la société tout entière, provoquent les plus sérieuses études de la science économique.


I

Comment est-on arrivé à préférer l’action de l’industrie privée à celle de l’état pour l’établissement du réseau français ? Dans quel intérêt les concessions de chemins de fer ont-elles été peu à peu révisées et concentrées entre les mains d’un petit nombre de compagnies ? Quel est le caractère de ces concessions ? — Tels sont les trois points qu’il importe d’éclaircir tout d’abord.

Lorsque en 1837 le gouvernement français se décidait à aborder le problème des chemins de fer, il avait sous les yeux l’exemple de la Grande-Bretagne, où tout était laissé à l’initiative de l’industrie privée, et l’exemple de la Belgique, où l’état s’était réservé la construction et l’exploitation. L’industrie particulière aurait-elle en France les capitaux et le crédit suffisans pour entreprendre l’œuvre immense qu’elle poursuivait en Angleterre avec tant d’énergie ? Bien que les projets et les demandes de concessions ne fissent pas défaut, cela paraissait douteux. En même temps on se demandait s’il serait prudent de livrer à l’industrie particulière la propriété et l’usage d’un nouveau moyen de transport qui était considéré comme un instrument de la puissance publique. Imbu de ses anciennes doctrines en matière de centralisation et secondé par les défiances d’un parti soi-disant démocratique, qui voyait dans les futures associations de capitalistes la création d’une aristocratie financière, le gouvernement pouvait croire qu’il était non-seulement de son droit et de son intérêt, mais encore de son devoir de se charger de l’entreprise des voies ferrées, et il inclinait vers l’exemple de la Belgique ; mais ce qui avait été exécuté en Belgique était-il praticable en France, sur un territoire beaucoup plus étendu et dans des proportions nécessairement beaucoup plus larges ? C’était par centaines de millions qu’il fallait compter pour se mettre sérieusement à l’œuvre, et, après avoir objecté l’insuffisance des ressources dont pouvait disposer l’industrie privée, on arrivait à reconnaître que le fardeau serait également très lourd pour le trésor. En outre, quoique l’on fût loin de soupçonner alors l’immense développement que prendraient dans l’avenir les voies ferrées, les esprits les plus réservés prévoyaient que les premiers millions dépensés ne tarderaient pas à en appeler d’autres, que le réseau primitif s’étendrait plus ou moins vite, qu’il y aurait des besoins impérieux, des exigences irrésistibles, et qu’un jour viendrait où le trésor lui-même serait obligé de se déclarer impuissant. Enfin, si l’on adoptait le système de l’exécution par l’état, par quelle ligne allait-on entamer le réseau ? Comment satisfaire à toutes les demandes, à toutes les impatiences ? Comment se défendre contre les rivalités et les jalousies qui devaient infailliblement se produire entre les différentes régions ? — NOUS n’avons pas à retracer ici l’historique des discussions et des incidens qui précédèrent l’enfantement si laborieux des chemins de fer en France. Disons seulement qu’après une longue lutte on s’arrêta au système mixte qui fut consacré par la loi de 1842. L’état supportait une part des frais d’établissement ; l’industrie particulière devait achever la construction, fournir le matériel, et elle obtenait en échange le droit d’exploitation pendant un certain nombre d’années. Ce n’était point le système anglais, puisque l’état, participant aux dépenses de construction, demeurait nu-propriétaire des voies ferrées, et que, pour l’exploitation, il se réservait la faculté de résilier le bail passé avec les compagnies. Ce n’était pas non plus le système belge, puisque l’état appelait pour la construction le concours de l’industrie particulière, et qu’il concédait à celle-ci le droit d’exploitation. C’était un système nouveau dont le mécanisme réalisait une transaction entre les deux modes contraires qui avaient été adoptés en Angleterre et en Belgique[1].

A la fin de 1841, le nombre de kilomètres exploités en France était de 569 ayant coûté 165 millions, tandis que l’ensemble du réseau européen comptait en exploitation 9,281 kilomètres. Ces chiffres indiquent à quel point la France se trouvait en arrière de la Grande-Bretagne et des principales nations du continent. La loi de 1842 donna l’impulsion : six ans après, en 1848, il y avait en exploitation, sur le réseau français, 2,222 kilomètres ayant coûté 797 millions, soit 110 millions dépensés par l’état et 687 millions par les compagnies. L’industrie privée fournissait ainsi l’éclatante démonstration de ses forces. Elle pouvait revendiquer la plus grande part de l’œuvre accomplie : l’état n’était en quelque sorte que son auxiliaire, et il ne l’assistait que dans une proportion assez restreinte. Survint la révolution de 1848, qui tarit toutes les sources du crédit. Les capitaux se cachaient, le trésor était vide, et il fallait recourir à des taxes extraordinaires pour assurer les services publics. Certes le moment était mal choisi pour imposer à l’état les dépenses de la construction et la responsabilité de l’exploitation des chemins de fer. Le gouvernement de 1848 en eut cependant la pensée, qui ne put aller au-delà de la préparation d’un projet de loi. Avec quels fonds, sous quelle forme acceptable l’état aurait-il racheté les concessions et remboursé les dépenses déjà faites ? Comment aurait-il continué le réseau ? Les compagnies, sur lesquelles venait de peser par surcroît la menace de cette expropriation onéreuse autant qu’illégitime, se voyaient elles-mêmes réduites à l’impuissance ; elles subissaient les effets de la crise qui paralysait toutes les affaires, et elles n’avaient plus le crédit nécessaire pour exécuter leurs engagemens. De 1848 à 1851, il n’y eut pas de concessions nouvelles, les travaux furent sensiblement ralentis, et le développement du réseau français sembla indéfiniment ajourné.

Le gouvernement issu du 2 décembre avait donc un grand devoir à remplir, et ce devoir s’accordait avec son intérêt, car il lui importait essentiellement non-seulement de reprendre l’œuvre interrompue par la république, mais encore de dépasser les progrès réalisés ou promis sous la monarchie constitutionnelle. Au surplus, la question des chemins de fer s’imposait d’elle-même et avant toute autre à la sollicitude du pouvoir nouveau ; elle tenait le premier rang dans les ardentes préoccupations du public, et il est permis de dire sans exagération qu’elle était alors, pour le gouvernement comme pour le pays, la question vitale. Toutefois, après le temps d’arrêt subi depuis 1848, elle rencontrait les plus graves difficultés. D’une part, il n’était point possible de mettre les dépenses de construction à la charge du trésor, qui ne se trouvait même pas en mesure d’achever les travaux laissés à son compte par les contrats de 1842 ; d’un autre côté, puisque l’on devait avoir recours à l’industrie privée, il fallait procurer à celle-ci les moyens d’attirer les capitaux et de les obtenir à des conditions convenables. Ce fut en augmentant la durée des concessions que l’on réussit à résoudre le problème. Avec un long avenir devant elles, les compagnies pouvaient se reconstituer et s’étendre, parce que les capitaux voyaient ainsi s’accroître les chances favorables de rémunération ; elles pouvaient emprunter à des conditions plus avantageuses, parce que l’éloignement du terme assigné pour le remboursement diminuait les charges annuelles des emprunts. En donnant du temps aux compagnies, dont les concessions étaient portées à quatre-vingt-dix-neuf ans, l’état leur donnait de l’argent sans bourse délier, et jamais peut-être le proverbe anglais ne se vérifia d’une façon plus évidente, car au moyen de cette monnaie prélevée sur l’avenir le gouvernement obtint du même coup la certitude que les chemins de fer antérieurement concédés seraient construits, la décharge à peu près complète des engagemens qu’il avait contractés pour la construction partielle du réseau primitif, et enfin l’augmentation notable de ce réseau par suite des lignes nouvelles que les compagnies devaient établir. En 1851, le nombre des kilomètres concédés était de 4,969 ; dès 1852, il s’élevait à 6,914 pour atteindre, en 1855, le chiffre de 11,496. Tels furent les motifs et les résultats des combinaisons consacrées par la législation de 1852.

Cet accroissement du réseau était loin de suffire aux demandes qui se produisaient chaque jour et qui se montraient d’autant plus ardentes que chaque jour aussi les avantages procurés par l’établissement des chemins de fer étaient plus sensibles pour les régions traversées. Le gouvernement pouvait favoriser la formation de nouvelles compagnies ; mais ce procédé, qui à première vue semblait le plus simple, donnait prise à de sérieuses objections. Les compagnies nouvelles qui étaient prêtes à s’organiser comprenaient dans leurs demandes de concessions un certain nombre de lignes qui, sur une portion de leur parcours, auraient fait double emploi avec les lignes existantes, et dont la concurrence aurait compromis les anciennes compagnies ; or, après avoir reconnu la nécessité de soutenir les capitaux déjà engagés dans les chemins de fer, il était évidemment illogique de les menacer d’une concurrence qui aurait tout remis en question. D’ailleurs, à supposer que les compagnies nouvelles, si empressées à profiter de la faveur qui était revenue aux entreprises de voies ferrées, fussent réellement en mesure d’exécuter les concessions qu’elles sollicitaient, il y avait à craindre que les appels de fonds multipliés et simultanés ne portassent le trouble dans les affaires, en causant un grave préjudice non-seulement au crédit des compagnies, mais encore au crédit de l’état. En outre, les concessions demandées ne complétaient point le réseau général tel que le gouvernement l’avait conçu dans l’intérêt de toutes les parties du territoire : certaines régions auraient possédé plusieurs lignes, tandis que d’autres fussent demeurées complètement dépourvues de chemins de fer, parce que l’insuffisance présumée de leur trafic n’était point de nature à tenter les capitaux privés. Enfin, depuis que les premières branches du réseau commençaient à être exploitées, le public et l’état remarquaient les inconvéniens que présentait pour le service la multiplicité des compagnies : voyageurs et marchandises avaient à subir des embarras, des retards, des supplémens de prix, lorsque, pour faire un trajet quelque peu prolongé dans une même direction, ils devaient être transbordés d’une ligne sur l’autre, sans compter l’augmentation de frais généraux que cette dissémination de forces entraînait pour les compagnies, obligées d’avoir un personnel plus nombreux, un matériel plus considérable, des comptabilités distinctes, etc. Par ces divers motifs, le gouvernement jugea qu’il convenait de ne point recourir à des compagnies nouvelles, et il s’appliqua au contraire à réduire le nombre des compagnies existantes. De là le système des fusions, qui reçut en 1857 son application décisive et qui eut pour résultat de réunir entre les mains de six grandes compagnies la presque totalité du réseau français ; mais, si l’on préservait les compagnies des périls de la concurrence, on exigeait d’elles l’engagement d’entreprendre de nouvelles lignes, et l’on portait à plus de 16,000 kilomètres l’étendue des concessions. C’était, en deux ans, une augmentation de 5,000 kilomètres dont se chargeaient les compagnies, en échange de la sécurité qui leur était donnée. En même temps, tes travaux de construction marchaient avec activité : il y avait, à la fin de 1857, 7,453 kilomètres en exploitation, soit près de 2,000 kilomètres de plus qu’en 1855. Cependant, malgré ces efforts et ces progrès, la France demeurait encore de beaucoup en arrière de la Grande-Bretagne, où l’on comptait, à la même date, 20,000 kilomètres concédés et 14,000 exploités.

Il était donc urgent d’aviser. Malheureusement, après avoir déjà dépensé 3 milliards pour les chemins de fer et en face d’engagemens qui s’élevaient au moins à pareille somme, l’on se trouvait arrivé au point où il était plus facile de décréter un nouveau réseau que de le construire. Il devenait évident que les compagnies, même avec les ressources qu’elles puisaient dans leurs concessions quasi séculaires, dans l’appui moral de l’état, dans le système de fusion qui avait écarté les concurrences en améliorant, pour elles comme pour le public, les conditions de l’exploitation, n’obtiendraient point le crédit nécessaire pour mener à bonne fin l’œuvre vraiment gigantesque de l’achèvement du réseau. D’un autre côté, le fardeau qui menaçait d’écraser les compagnies n’aurait pas été davantage supporté par le trésor. Ce que ni les compagnies ni l’état n’auraient pu faire isolément, on le tenta en combinant leurs forces et leur crédit par le système de la garantie d’intérêt, système qui avait été partiellement essayé au début des chemins de fer, et qui fut généralement appliqué en vertu des conventions de 1859, révisées et complétées en 1863. D’après ce mode, l’état a garanti aux compagnies l’amortissement et un minimum d’intérêt pendant cinquante ans pour le capital destiné à l’établissement des lignes comprises dans le nouveau réseau, et pour prix de cette garantie il a pu tout à la fois hâter la construction des lignes décrétées antérieurement, rendre définitives des concessions qui n’avaient d’abord qu’un caractère éventuel, et prescrire l’exécution de chemins de fer nouveaux dans des régions qui, selon toute apparence, auraient attendu indéfiniment le passage d’une locomotive sur des rails. Grâce à ces mesures, l’ensemble des concessions comprend aujourd’hui 21,060 kilomètres, et il y a en exploitation 13,084 kilomètres, c’est-à-dire que depuis 1857 le réseau concéda s’est agrandi de 5,000 kilomètres, et le réseau exploité de près de 6,000. Si l’on tient compte des crises qui durant cette période ont à diverses reprises frappé le crédit, on doit reconnaître que ce résultat est très considérable. Il a été dépensé jusqu’ici une somme de 6 milliards 1/2, à laquelle l’état a contribué pour 970 millions seulement, le surplus ayant été fourni par les compagnies, et il reste à dépenser, pour l’exécution des lignes présentement concédées, 2 milliards 600 millions, soit 470 millions par l’état et 2 milliards 130 millions par les compagnies. En résumé donc, dans la dépense totale de 9 milliards 100 millions que coûteront les 21,060 kilomètres formant le réseau actuel, l’état n’aura eu à payer directement que 1 milliard 440 millions ; si l’on estime à 400 millions le capital qui représente la garantie d’intérêt stipulée par les conventions de 1859 et de 1863, on voit que la contribution de l’état pour l’établissement du réseau n’atteindra pas 1,900 millions, tandis que les compagnies auront dépensé plus de 7 milliards.

Il suffit d’énoncer cette somme de milliards pour montrer que l’état n’aurait pu sans péril l’ajouter au capital de la dette publique, et qu’il a sagement fait de livrer à l’industrie privée l’exécution du réseau. Il résulte également de l’exposé qui précède que les mesures successivement prises à l’égard des compagnies, — subventions directes, prolongation des concessions, suppression des concurrences au moyen de la concentration des entreprises, garantie d’un minimum d’intérêt sur une portion du capital, — n’avaient qu’un seul et unique objet, à savoir la construction prompte et ordonnée des chemins de fer suivant un plan d’ensemble dont le gouvernement avait tracé dès l’origine les grandes lignes, et qu’il développait à l’aide d’embranchemens destinés à rayonner sur toutes les parties du territoire. Sans doute chacune des mesures que nous venons d’énumérer constituait un avantage accordé aux compagnies ; mais celles-ci ne recevaient cet avantage qu’à la condition de construire toujours et toujours des chemins de fer, aux termes d’engagemens nouveaux qui risquaient d’épuiser leurs ressources de capital ainsi que leur crédit et d’amoindrir les bénéfices de l’exploitation. L’état n’était libéral envers les compagnies que pour exiger beaucoup d’elles dans l’intérêt public ; ce qu’il leur donnait en concours matériel ou moral devait être immédiatement employé au profit du réseau ; à chaque concession correspondait une charge, et plus d’une fois, après la signature de ces contrats, dans lesquels la responsabilité pécuniaire du trésor était soigneusement limitée, le gouvernement se voyait forcé de reconnaître ou qu’il n’avait pas assez accordé, ou qu’il avait demandé trop. Tel fut le système dont il convient de suivre exactement les combinaisons successives, si l’on veut se rendre bien compte du rôle des compagnies, de leurs engagemens envers l’état comme envers le public, de l’intention et du caractère des actes qui ont organisé en France les chemins de fer[2].

Ce système est-il conforme aux règles de l’économie politique ? Ne pourrait-on pas y relever une dérogation aux principes, en ce sens qu’il entraîne l’intervention constante de l’état dans les opérations de l’industrie privée, maintient entre deux intérêts qui devraient demeurer distincts une confusion plus ou moins arbitraire, et restreint pour les transports le champ de la concurrence ? Ces objections seraient très graves, s’il s’agissait de résoudre un problème scientifique ; mais ici toute la question est de savoir si, pour créer et développer les voies ferrées sur notre territoire, la science pure fournissait des moyens plus énergiques et plus prompts que ceux qui ont été employés. Or il n’est point téméraire de penser que, sous le régime de liberté absolue, recommandé par la doctrine, l’industrie particulière, indépendante de l’état, livrée à ses seules ressources, menacée par la concurrence, n’aurait point été en mesure de construire les 13,000 kilomètres exploités aujourd’hui, et l’on peut affirmer à coup sûr que ses efforts se seraient portés sur les grandes lignes, sur quelques tronçons privilégiés, au lieu de réaliser le plan d’ensemble qui établit une communication non interrompue entre les différentes régions du pays, et consacre pour ainsi dire l’égalité en matière de chemins de fer. Cette dernière considération justifie l’intervention de l’état dans l’accomplissement d’une œuvre qui exigeait tout à la fois une grande célérité et l’équitable répartition des moyens de transport.

Il nous reste à déterminer le caractère des concessions exploitées par les compagnies de chemins de fer. Nous entendons dire chaque jour que ces entreprises sont en possession d’un monopole dont elles usent et abusent à leur gré, que le public leur a été sacrifié, taillable et corvéable à merci, — que sous le régime actuel toute amélioration, tout progrès est entravé dans cette grande industrie des transports qui exerce une influence si décisive sur la prospérité générale. Ce sont là des exagérations évidentes que n’acceptent point les esprits sérieux ; mais telle est la puissance des mots, que cette expression de monopole, appliquée aux entreprises de chemins de fer, suffit pour égarer la discussion. Quel était le point de départ ? Il fallait créer des voies ferrées, les créer vite et en grand nombre, et dès lors il était indispensable d’offrir aux capitaux des conditions qui pussent les attirer vers ce nouvel emploi. Les capitaux seraient-ils venus, si l’état ne leur avait garanti la sécurité qu’ils exigeaient ? Pour critiquer avec quelque autorité le système qui a été suivi, on aurait à prouver que les conditions accordées au capital étaient ou inutiles ou excessives, et l’on devrait surtout indiquer par quel autre mode on serait parvenu à doter la France du réseau qu’elle possède aujourd’hui. Cette démonstration n’a point été faite, et elle se trouverait réfutée par l’attitude même du capital, qui, malgré les avantages qui lui ont été attribués pour l’exécution des chemins de fer, a manifesté des défiances et des défaillances que l’on a dû rassurer et relever presque à chaque étape au moyen de garanties nouvelles. Ce n’est point arbitrairement, c’est en vertu de la loi économique de l’offre et de la demande que l’état s’est vu amené à stipuler des conditions qui étaient commandées aussi bien par l’intérêt et l’urgence de l’entreprise que par le tempérament du capital et la situation du marché financier. Ainsi, quand même on aurait été réduit à consacrer par la loi le régime déplaisant qui s’appelle le monopole, on serait mal venu à s’en indigner alors que l’on profite si largement des travaux accomplis sous ce régime ; mais s’agit-il ici d’un monopole ? L’état demeure nu-propriétaire des voies ferrées, dont les concessionnaires n’ont que l’usufruit pendant une période déterminée ; il s’est réservé la faculté de racheter les concessions ; il n’a pris aucun engagement qui l’empêche de laisser construire d’autres voies ferrées en concurrence avec celles qui existent ; il a édicté un maximum de tarif pour chaque catégorie de transports ; il exerce sur les entreprises un contrôle incessant. Si les compagnies ont besoin de recourir au crédit, l’état limite leurs demandes, afin que le marché financier n’en soit pas affecté : toute mesure intéressant le public doit être homologuée par le gouvernement ; enfin, tandis que les compagnies demeurent seules passibles des pertes de l’exploitation, l’état, à une période qui n’est pas éloignée, aura le droit départager les bénéfices qui excéderaient un certain taux. Voilà en quoi consiste le monopole accordé aux concessionnaires de chemins de fer ! Il faut convenir qu’un tel monopole serait au moins très inoffensif. Quel est donc, au vrai, le caractère des concessions au moyen desquelles ont été construites et sont exploitées les voies ferrées ? Il y a là tout simplement une série de contrats qui ont été débattus de part et d’autre, que le gouvernement a acceptés, qu’il a même quelquefois imposés, contrats dont chacun a toujours le droit d’apprécier les clauses, mais qu’il n’est plus permis, en bonne justice, de reprocher aux concessionnaires, c’est-à-dire aux capitaux qui se sont engagés à les exécuter avec les garanties comme avec les restrictions qu’ils contiennent. Et quel est de fait le rôle actuel d’une compagnie de chemin de fer, sinon celui d’une grande régie qui exécute un service public à ses risques, périls et profits, sous la surveillance permanente de l’état, dont la responsabilité financière est soigneusement limitée ? Ajoutons que cette compagnie, purement usufruitière de la chose qu’elle a créée, est tenue de l’entretenir pour la livrer un jour à l’état et l’ajouter ainsi à la fortune publique. De là au monopole il y a loin.

Certes il eût mieux valu, pour l’honneur des principes, que l’on n’eût pas été obligé d’employer ces expédiens compliqués et contestés pour exécuter le réseau des chemins de fer, et que ce réseau fût sorti tout entier de l’initiative et des ressources de la liberté. Cependant il eût fallu d’abord convertir le capital ; or le capital, qui a par-dessus tout l’instinct de la conservation, se soucie médiocrement des principes et ne considère que l’intérêt. C’est donc comme une question pratique de capital et d’intérêt, et non comme une question de principes, qu’il faut envisager la grande affaire des voies ferrées, sans se laisser arrêter par des regrets rétrospectifs ni par des considérations théoriques qui ne peuvent rien sur le passé et qui risqueraient de retarder l’achèvement de l’œuvre. Contre ces critiques, vaines ou dangereuses, le gouvernement et les compagnies se défendent éloquemment en montrant ce qu’ils ont accompli de concert, et sauf quelques erreurs de détail, que l’expérience a révélées, nous n’apercevons pas qu’il eût été possible d’employer, pour l’établissement de 13,000 kilomètres aujourd’hui livrés à la circulation, un système plus expéditif que celui qui a été adopté. Nous devons maintenant, après avoir tracé l’historique et le caractère des concessions, aborder l’étude et apprécier les résultats de l’exploitation des chemins de fer.


II

Les chemins de fer français ont transporté, en 1864, 75 millions de voyageurs et 50 millions de tonnes de marchandises[3]. Le tarif kilométrique, qui est en moyenne de 5 centimes 1/2 par voyageur, de 6 centimes 1/4 par tonne de marchandise, réalise une réduction de moitié, souvent même des deux tiers, sur l’ancien tarif des transports par terre. La concurrence des chemins de fer a entraîné une baisse très sensible des tarifs antérieurement appliqués sur les routes, sur les fleuves et canaux, et pour le cabotage. Il faut remarquer de plus que les transports sur les routes ordinaires sont demeurés aussi actifs qu’ils l’étaient avant l’établissement des voies ferrées et que les transports par les voies navigables ont augmenté. On a essayé de chiffrer l’économie que les chemins de fer ont procurée, directement ou indirectement, pour le transport des voyageurs et des marchandises. Les évaluations les plus autorisées atteignent dès à présent 800 millions, c’est-à-dire que, si les chemins de fer n’avaient pas existé, les transports effectués en 1864 auraient coûté 800 millions de plus. L’économie, qui s’accroît d’année en année, serait déjà énorme et représenterait un intérêt très élevé du capital de 6 milliards 1/2, consacré jusqu’ici à la construction des chemins de fer ; mais là ne se borne pas le bénéfice. Sans les voies ferrées, ces immenses opérations de transport eussent été impossibles, et nous n’aurions pas vu l’essor prodigieux qu’ont pris toutes les branches de travail. En augmentant la circulation, en la créant sur certains points, les chemins de fer ont développé au plus haut degré l’industrie elle-même, en même temps qu’ils ont pourvu, dans la plus large mesure, aux besoins de la consommation.

Personne, au surplus, ne conteste ces avantages. La supériorité des chemins de fer est tellement manifeste que chacun veut avoir à sa portée ces merveilleux instrumens de la circulation ; mais, précisément à raison de l’importance extrême que l’on attache aux chemins de fer, on se demande si le régime actuel de l’exploitation est le plus favorable pour l’intérêt public, si l’administration des compagnies concessionnaires est intelligente et habile, si le contrôle de l’état se montre utile et efficace, — en un mot si le pays retire des voies ferrées tout le bénéfice qu’il est possible d’en retirer. Les critiques et les conseils abondent. Sans méconnaître les résultats acquis, on veut obtenir mieux encore. Les uns réclament des réformes destinées à améliorer tel ou tel des mille détails qui dépendent de l’exploitation ; les autres veulent une révolution radicale, qui supprimerait les compagnies et ferait passer les chemins de fer dans les attributions de l’état. Le champ de cette discussion est vraiment sans limites, et l’on risquerait de s’y égarer, s’il fallait en sonder tous les replis. Il vaut mieux s’en tenir aux points culminans, se borner aux questions simples et apprécier ce que l’organisation présente des chemins de fer donne au public au double point de vue de la célérité et de l’économie des transports. Cette étude est facilitée par les travaux de la commission d’enquête qui a été chargée, en 1861 et 1862, de recueillir les plaintes et les observations du public, d’entendre les explications des compagnies et de présenter ses conclusions[4]. Le rapport de la commission contient tous les élémens d’une appréciation équitable ; malheureusement il n’a reçu que la publicité restreinte que comportent les in-quarto officiels, et, s’il a éclairé le gouvernement, il n’a point pénétré assez avant dans l’opinion publique pour dissiper les erreurs, ni pour désarmer les injustes critiques, ni même pour encourager les vœux raisonnables que provoque l’exploitation des voies ferrées.

Occupons-nous d’abord des voyageurs. La vitesse des anciennes diligences était de 10 kilomètres à l’heure ; la vitesse moyenne par les chemins de fer étant de 40 kilomètres, il en résulte que les 75 millions de voyageurs ayant parcouru, en 1864, 3 milliards de kilomètres sur tout le réseau ont économisé 225 millions d’heures. Ce détail statistique, que nous empruntons à M. Perdonnet[5], traduit d’une manière saisissante le bénéfice que procurent les chemins de fer en ce qui concerne la vitesse. On ne s’arrête point cependant à cette comparaison rétrospective, et l’on demande une accélération générale, tant pour les trains express que pour les autres, en même temps que l’augmentation du nombre des trains ; on invoque l’exemple de l’Angleterre.

La vitesse moyenne des trains express anglais est de 60 kilomètres à l’heure, et celle des trains spéciaux qui transportent les malles atteint dans certains cas 70 kilomètres ; les trains ordinaires parcourent de 40 à 45, quelquefois même 50 kilomètres à l’heure. En France, si quelques trains express, notamment les trains de marée, sont aussi rapides qu’en Angleterre, la vitesse moyenne ne dépasse guère 50 kilomètres, et pour les trains ordinaires elle varié de 30 à 45 kilomètres. La différence quant à la vitesse des transports de voyageurs serait donc, on le voit, assez sensible ; mais la vitesse n’est pas le seul élément à comparer quand il s’agit d’opérations de transport. Il faut en même temps consulter les tarifs. Or le prix moyen du transport des voyageurs, en Angleterre, ressort à 9 centimes par kilomètre, tandis qu’en France il est descendu à 5 centimes 1/2. Les tarifs, qui en France s’appliquent indistinctement à tous les degrés de vitesse, sont augmentés en Angleterre pour les trains de malles, et même pour les express ordinaires. Ainsi, au point de vue de l’économie, l’avantage est acquis, dans une proportion très forte, au voyageur français.

Vitesse plus grande en Angleterre, tarifs plus bas en France, voilà les traits saillans des deux exploitations. Et cette différence ne saurait être attribuée à la volonté arbitraire des compagnies ; elle résulte de la dissemblance des conditions qui s’imposent au trafic et du contraste que présentent, là comme ailleurs, le caractère et les habitudes des deux peuples. Les compagnies anglaises ont reconnu que le premier besoin des populations qu’elles avaient à desservir était la rapidité du transport ; elles ont jugé qu’elles trouveraient dans ces populations denses, riches, habituées déjà aux déplacemens coûteux, une clientèle disposée à payer le prix de la vitesse ; elles se voyaient en outre, sur plusieurs lignes, en concurrence avec la navigation à vapeur du littoral, qu’elles ne pouvaient combattre que par la fréquence et la promptitude des trajets. Elles ont donc recherché premièrement la célérité de marche. Au contraire, les chemins de fer français, qui pénétraient au milieu de populations moins denses, moins riches, voyageant peu et ne voyageant qu’à courtes distances, avaient à procurer tout d’abord l’économie du transport. En Angleterre, malgré l’élévation du tarif, les voyageurs de première et de seconde classe figurent pour près de moitié dans l’ensemble, tandis qu’en France, malgré la modération relative du prix et malgré une différence très sensible de vitesse entre les trains express et les trains ordinaires, les voyageurs de première et seconde classe ne représentent que le quart. Cette comparaison montre bien quels sont de part et d’autre les besoins à satisfaire. Ajoutons que les compagnies anglaises, desservant des parcours peu étendus, complètement libres pour leur gestion, obtenant à bas prix une houille de qualité supérieure, peuvent réaliser la condition de vitesse plus facilement que les compagnies françaises. Sans insister sur ces dernières considérations, qui ont cependant leur importance, il nous suffit de répéter que, dans chacun des deux pays, l’exploitation des chemins de fer est d’accord avec les préférences et avec les habitudes nationales, c’est-à-dire qu’en Angleterre elle donne la vitesse aux dépens de l’économie, et en France l’économie aux dépens de la vitesse. Si l’on proposait aux Anglais de payer moins cher une vitesse moindre, ils refuseraient sans aucun doute le cadeau offert à leur bourse, et si l’on disait aux Français que pour les faire circuler plus vite on doit hausser le prix des places, la nouvelle serait à coup sur fort mal accueillie.

Il est vrai que des esprits impatiens n’hésitent pas à demander à la fois l’augmentation de la vitesse et la diminution du prix des places. Les uns, pénétrés de cette pensée malheureusement trop commune que les ressources d’une industrie privilégiée sont inépuisables et que l’état doit exiger tout des compagnies de chemins de fer, prétendent que ces compagnies pourraient, si elles le voulaient bien, donner satisfaction au double vœu du public, qu’elles s’attardent obstinément dans l’ornière du monopole, et qu’il suffirait au gouvernement d’user de fermeté et de décision pour les entraîner dans la voie des réformes. Les autres, sans partager ces passions jalouses, s’évertuent à démontrer que les compagnies méconnaissent leurs propres intérêts en n’organisant pas des services plus rapides avec des tarifs abaissés de manière à faciliter les longs voyages et à multiplier la clientèle, ce qui, suivant eux, ne tarderait pas à augmenter le produit net. Ils ne manquent pas de citer, comme exemple, le développement considérable que la diminution radicale de la taxe des lettres a imprimé aux revenus de la poste, et ils affirment qu’un résultat analogue ne tarderait pas à se produire pour le transport des voyageurs.

Malheureusement ces exigences et ces conseils ne paraissent point s’accorder avec les simples notions d’arithmétique, auxquelles les compagnies de chemins de fer, tout comme les autres industriels, sont tenues de subordonner leurs opérations. Il est reconnu que les frais de traction et de matériel croissent plus rapidement que les vitesses, et cet accroissement de dépenses est tellement considérable que l’ingénieur en chef d’un chemin de fer anglais, consulté sur ce point, a cru pouvoir évaluer à 30 pour 100 le supplément nécessaire pour porter de 48 ou 56 kilomètres à 64 ou 67 kilomètres la marche d’un train express. Il y a donc entre ces deux termes, augmentation de vitesse et diminution des tarifs, une contradiction absolue. Quant à l’énorme développement que l’on promet au trafic des voyageurs au moyen de l’abaissement radical du prix des places, on. invoque à faux en cette matière la loi économique selon laquelle la consommation d’un produit s’accroît en proportion de la baisse du prix de vente. Pour que cette loi devienne applicable sans ruiner l’industriel, il faut premièrement que le produit comporte une augmentation de consommateurs en rapport avec le supplément de capital qui aura été consacré à l’accroissement de la production ; il faut, en second lieu, que l’industriel puisse, avec une production plus abondante, réaliser une économie très sensible sur les frais. Voici, par exemple, un fabricant de tissus, un extracteur de houilles : la consommation des produits que l’un et l’autre présentent sur le marché est d’une élasticité telle que la baisse du prix de vente est assurée de provoquer un accroissement continu d’acheteurs. En outre il est certain que pour ces industries les dépenses de fabrication ou d’extraction sont loin de s’élever en proportion de la quantité des produits. De même pour la poste : on a pu hardiment diminuer, par une réforme soudaine, la taxe des lettres, parce que cette réduction, opérée sur un tarif très onéreux, intéressait non-seulement la population tout entière, mais encore tout un monde d’affaires, et aussi parce que les frais de transport des correspondances, grâce à l’amélioration des voies de communication et à l’emploi économique des chemins de fer, devenaient absolument et proportionnellement beaucoup moindres. Et cependant, malgré ces conditions favorables, ce n’est qu’après une période de plusieurs années que l’état a retrouvé l’ancien produit net. — En serait-il de même pour les chemins de fer ? Pense-t-on que le besoin ou le goût des voyages soit de nature à se développer, quant à présent, dans des proportions suffisantes pour donner un produit égal avec des tarifs beaucoup plus bas ? Il faut songer que la population s’accroît lentement et qu’au sein de cette population il est de nombreuses catégories que la gratuité même des transports n’engagerait pas à se déplacer. On se berce d’illusions quand on imagine qu’avec de très larges diminutions de prix la France entière se mettrait en route. D’un autre côté, s’il est exact que les trains ont encore des places vides et qu’ils pourraient, sans augmentation de frais, transporter un plus grand nombre de voyageurs, ce raisonnement n’aurait plus aucune valeur dans l’hypothèse où l’on se place, c’est-à-dire si le trafic prenait les proportions immenses que certains esprits croient pouvoir attendre d’un dégrèvement de tarifs. Une partie des frais généraux, surtout les frais de traction, s’élèveraient très sensiblement avec des trains plus multipliés, qui exigeraient une augmentation correspondante de matériel et, sans mentionner les autres détails, des emplacemens plus coûteux. En un mot, le voyageur, considéré comme aliment de transport, ne peut pas être comparé avec ces marchandises de production presque inépuisable et de vente presque indéfinie que nous citions tout à l’heure. C’est à quoi n’ont pas réfléchi les réformateurs des tarifs en parant leurs chimères d’un faux appareil de science économique. Il n’y a là qu’un simple calcul industriel dont les compagnies, en France comme en Angleterre, ont dû respecter les lois rigoureuses. Autrement, comment verrait-on les chemins de fer anglais maintenir leurs tarifs, plus élevés que les nôtres ? Ils se seraient donc, eux aussi, grossièrement trompés, et bien plus que nous ! Cette supposition ne saurait être admise par aucun esprit sensé. Les compagnies anglaises font payer plus cher le transport parce qu’elles donnent plus de vitesse, et elles n’ont jamais pensé qu’une baisse radicale de tarifs pût avoir la vertu d’augmenter leurs produits nets par l’extension illimitée du trafic des voyageurs.

Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à faire ? Non certes. Nous ne combattons ici que les impatiences irréfléchies et les illusions vaines : nous cherchons à démontrer l’étrange erreur dans laquelle on tombe lorsque l’on exige des chemins de fer, tant en France qu’ailleurs, des conditions de vitesse et de tarif qui rendraient le prix de transport inférieur au prix de revient ; mais, après avoir signalé des exagérations qui sont dangereuses parce qu’elles frappent tout à la fois une grande industrie et un grand service public, nous pouvons admettre que, pour la vitesse comme pour le prix des places, les compagnies de chemins de fer doivent réaliser de nouveaux progrès. Le passé est garant de l’avenir. Relativement à la vitesse, il est incontestable que l’exploitation des grandes lignes est aujourd’hui mieux organisée qu’elle ne l’était il y a dix ans, et l’enquête de 1862 a été suivie de diverses mesures de détail qui ont profité particulièrement au mouvement des trains-omnibus et au service des trains de correspondance. Quant au tarif, s’il est vrai qu’il n’a point encore été abaissé pour les mouvemens du service ordinaire, on ne saurait méconnaître l’influence que l’organisation d’un plus grand nombre de trains à prix réduit, même pour de longues distances, a exercée sur l’économie générale des transports. Il suffit de rappeler qu’en 1864 le prix moyen par voyageur kilométrique, avec l’addition de l’impôt du dixième perçu au profit du trésor, n’a point dépassé 5 centimes 1/2. Les compagnies se sont ingéniées à multiplier les trains d’excursions, les billets d’aller et de retour, les billets circulaires, etc. ; elles connaissent mieux chaque jour les besoins et les goûts des populations qu’elles desservent ; nous les voyons porter leurs combinaisons jusque sur les territoires étrangers, où elles propagent la facilité des voyages. Elles prouvent donc par leur initiative qu’elles se sentent intéressées à poursuivre ce système de dégrèvement, qui leur deviendra plus aisé et plus profitable à mesure que la science perfectionnera les instrumens de la traction. C’est ainsi que procèdent les améliorations sérieuses ; on doit se garder de les compromettre par trop de hâte et de les décourager par des exigences déraisonnables.

Nous arrivons au transport des marchandises. Au début des chemins de fer, on était convaincu que ces voies rapides seraient utilisées à peu près exclusivement pour le transport des personnes, et que celui des marchandises n’en profiterait que dans une faible proportion. C’était là une fausse prévision, et, ajoutons-le, une heureuse erreur. Préférées par les voyageurs au point de faire disparaître tous les autres modes de locomotion, les voies ferrées n’ont pas tardé à attirer les marchandises, au point de ruiner le roulage et de soutenir la concurrence des voies fluviales et des canaux. Depuis 1853, la recette brute provenant du transport des marchandises dépasse la recette des transports de voyageurs, et chaque année l’écart augmente. Cet accroissement énorme de trafic est aussi merveilleux qu’il était inattendu. Un résultat analogue s’est manifesté dans les autres pays. Les chemins de fer sont appelés à exercer sur les destinées de la production et de la consommation une influence prépondérante ; ils portent sur leurs rails la plus grande partie de la fortune publique ; par la force des choses, le capital et le travail sont devenus presque leurs tributaires. Leur bonne ou mauvaise exploitation réagit directement sur tous les intérêts. Aussi la question du transport des marchandises par les chemins de fer a-t-elle éveillé la plus vive sollicitude de la commission d’enquête de 1862, et nous la voyons reparaître chaque année dans les débats législatifs.

Pour les marchandises comme pour les voyageurs, c’est avec l’exploitation des chemins de fer anglais que s’établit d’ordinaire la comparaison, et là encore se rencontrent les traits distinctifs qui ont été observés dans le transport des personnes tel qu’il se fait en France et en Angleterre. La rapidité du service est incontestablement supérieure chez nos voisins, et les tarifs français sont plus bas : la moyenne du prix perçu est pour nous de 6 ou 7 centimes par tonne et par kilomètre, tandis qu’en Angleterre elle dépasse 9 centimes. La différence de prix suffirait à justifier la différence de célérité ; mais il y a d’autres raisons qui expliquent l’avantage dont, jouissent sous ce dernier rapport les chemins anglais.

Le trafic sur les lignes anglaises est plus régulier, plus également réparti que sur les lignes françaises. En France, le mouvement des affaires comme celui des voyageurs se concentre à Paris et dans un très petit nombre de villes, où les compagnies doivent entretenir sans cesse une énorme accumulation de matériel ; en Angleterre, il s’étend à beaucoup de localités que l’industrie a peu à peu érigées en cités populeuses et qui prennent une part notable aux transports. Dès lors le travail d’expédition et de réception des marchandises s’y fait plus vite, par cela même qu’il est plus divisé. Il faut en outre remarquer que les principales villes anglaises, particulièrement Londres et Liverpool, peuvent recevoir directement par mer une partie des approvisionnemens et des marchandises brutes qui leur sont destinées, ce qui dégage d’autant la circulation encombrante sur les chemins de fer, et permet d’organiser, dans les deux sens de l’aller et du retour, un mouvement à peu près égal de transports : condition qui est très avantageuse pour le service et qui n’existe pas au même degré en France. A Paris, les gares voient arriver, en produits bruts, un tonnage incomparablement plus fort que celui qu’elles expédient en articles manufacturés. Rappelons d’ailleurs qu’en Angleterre les gros transports de matières minérales se font de préférence par les wagons des expéditeurs, les compagnies n’ayant à exécuter que la traction, qui est la partie la moins compliquée du service ; il y a donc là toute une catégorie de transports pour laquelle les compagnies sont délivrées des formalités d’écriture, de chargement, de déchargement, du camionnage, qui contribuent le plus à allonger les délais. En résumé, les chemins de fer anglais ont sur les chemins de fer français l’avantage d’un trafic plus régulier : les compagnies anglaises ont un service plus facile ; on s’expliquerait donc que, même à prix égal, le transport des marchandises s’accomplît avec plus de célérité en Angleterre qu’en France.

Ce n’est pas tout : les compagnies anglaises jouissent d’une complète liberté d’action pour leur service, tandis que les compagnies françaises sont pour, chaque détail soumises à la plus stricte réglementation. C’est ici que l’on observe combien l’organisation des chemins de fer est différente dans les deux pays. En Angleterre, les compagnies peuvent se dispenser d’exécuter les transports, leur charte de concession ne les obligeant qu’à établir les voies ferrées et à livrer passage sur leurs rails à quiconque veut en user moyennant un droit de péage. Si elles consentent à faire l’opération du transport, elles ne sont tenues de l’accomplir que dans un délai raisonnable, terme vague qui se prête à toutes les interprétations ; quant au prix, elles peuvent dépasser le maximum officiel par l’addition de certaines taxes que la loi autorise, sans en fixer le chiffre, pour la manutention des marchandises. Il leur est loisible de passer tous traités de transport, de modifier leurs tarifs à quelque époque qu’elles le jugent convenable, sans être astreintes à aucune formalité d’autorisation administrative, ni à aucun délai. En France au contraire, les compagnies ont l’obligation absolue de recevoir toutes les marchandises qui leur sont remises, de les transporter dans un délai déterminé et moyennant un tarif qui n’admet aucune addition. Elles ne peuvent relever les tarifs, même en demeurant en-deçà des limites du maximum légal, qu’après le délai d’un an ; certains traités leur sont interdits, et elles doivent solliciter l’autorisation ou) tout au moins l’homologation administrative pour chacune des mesures qui se rattachent à leurs relations avec le public. Quelle est, au point de vue de la célérité du transport, la conséquence de ces deux systèmes ? C’est qu’en Angleterre les compagnies, dégagées, ou à peu près, de toute obligation légale quant aux délais et maîtresses de traiter comme elles l’entendent avec les expéditeurs, peuvent combiner plus sûrement leur service, de manière à le rendre plus régulier et plus rapide ; en France, les compagnies, obligées d’effectuer tous les transports, incessamment exposées à des actions en responsabilité pour les moindres retards, privées des expédiens que leur procureraient les contrats particuliers passés avec les principaux expéditeurs, doivent être en mesure d’agir avec la même activité sur tous les points de leurs lignes, de telle sorte qu’elles disséminent forcément leurs moyens de manutention et de transport, et que le public se trouve moins promptement servi.

S’il était nécessaire d’entrer plus avant dans les détails, nous pourrions ajouter que les gares des chemins de fer anglais sont en général moins encombrées que celles des chemins français, parce que toutes les grandes villes d’Angleterre sont pourvues d’entrepôts et de magasins où les marchandises sont reçues à des prix très modérés, tandis que dans la plupart des villes de France c’est la gare même qui sert de magasin où les destinataires conservent les produits qui leur sont expédiés, occupant ainsi des emplacemens qui ne devraient être utilisés que pour l’opération du transport, et immobilisant un matériel qui devrait au contraire demeurer toujours disponible pour une circulation immédiate. Nous pourrions dire encore que les formalités de l’octroi retardent souvent en France le mouvement des marchandises, et amènent des embarras et des frais qui sont inconnus en Angleterre. Plus on pénètre dans cette question, plus on reconnaît que la situation des compagnies françaises ne permet point à celles-ci de procurer aux transports une célérité égale à celle qui est pratiquée par les compagnies anglaises. L’impossibilité résulte non pas du mauvais vouloir de nos compagnies, dont le premier intérêt est de satisfaire le public, non pas de la faiblesse du gouvernement, qui ne saurait point exercer son droit de contrôle, mais bien de conditions géographiques et d’habitudes commerciales qui sont différentes, d’un régime légal et d’une organisation économique qui, pour assurer à l’ensemble des transports d’autres avantages que l’on ne devrait pas négliger dans la balance d’une juste comparaison, lui retirent nécessairement un degré plus ou moins sensible de vitesse.

Le parallèle que nous avons essayé d’établir entre la France et l’Angleterre pour le transport des marchandises aboutit aux mêmes conclusions que pour le transport des voyageurs, et puisque, dans l’un comme dans l’autre cas, la vitesse est une marchandise qui doit se payer proportionnellement, il ne reste plus qu’à demander au producteur et au consommateur français : Voulez-vous avoir plus de vitesse et payer plus cher ? ou préférez-vous un régime qui, pour une vitesse moindre, vous demande 2 centimes de moins en moyenne par tonne kilométrique (80 millions en moins par an pour un transport de 4 milliards de tonnes) ? — C’est toujours là qu’il faut en venir, car nous ne saurions engager une discussion sérieuse avec les personnes qui prétendent obtenir à la fois augmentation de vitesse et réduction de prix. Posée dans les termes où elle doit être posée, c’est-à-dire avec l’alternative qu’indiquent les notions les plus élémentaires du calcul et du bon sens, la question serait inévitablement résolue en faveur du régime français.

On peut même dire dès à présent qu’elle est résolue, et que le commerce, par sa pratique journalière, se charge de la réponse. Pour faciliter le trafic et en même temps pour multiplier les transports, les compagnies françaises ont imaginé des tarifs spéciaux qui sont inférieurs aux tarifs officiels, mais qui stipulent un certain allongement du délai réglementaire pour la livraison des marchandises. Eh bien ! qu’arrive-t-il ? Nous laisserons parler ici M. le directeur général des chemins de fer, qui, dans la dernière session, a traité devant le corps législatif avec autant de talent que d’autorité, cette grave question. « Toujours, dit-il, à côté d’un tarif spécial avec délai allongé, on trouve un tarif général avec un prix plus élevé et le délai réglementaire. Or il est à peu près sans exemple qu’un expéditeur choisisse les tarifs les plus élevés avec un délai moindre. On choisit toujours, presque sans exception, les tarifs les plus bas avec des délais plus longs. Donc on veut bien de la vitesse, mais l’on ne veut pas la payer. Voilà le fait véritable[6]. »

Le transport à bas prix, tel est l’objet essentiel ; c’est vers ce but que doivent tendre incessamment les efforts des compagnies de chemins de fer, et c’est particulièrement sur ce point qu’il convient de leur demander compte de leur gestion. En 1841, le prix moyen perçu par tonne kilométrique était de 12 centimes ; en 1854, il est descendu à 7 centimes 1/2, et en 1864 à 6 centimes 1/4. Nous n’avons plus à rappeler ce que représentent en millions ces dégrève-mens de centimes, se multipliant par les milliards de tonnes qui sont aujourd’hui transportées. Bornons-nous à signaler ces diminutions successives, qui se traduisent chaque année par une économie nouvelle au profit du producteur et du consommateur, et que les compagnies accordent spontanément, puisque leurs cahiers des charges les autoriseraient à maintenir des taxes beaucoup plus élevées. Il est vrai qu’elles consultent leur propre intérêt et qu’elles gagnent elles-mêmes à ces modérations de tarifs, qui accroissent leur clientèle ; mais s’il est permis de ne pas leur témoigner une trop vive gratitude, du moins faut-il reconnaître qu’elles ne demeurent pas inertes dans l’exécution passive de leurs contrats, qu’elles suivent le progrès, qu’elles se montrent pénétrées de l’intérêt qui s’attache au bas prix du transport.

Il serait vraiment superflu de fouiller dans les statistiques générales ou locales pour en extraire la preuve chiffrée du mouvement que la baisse des tarifs par chemins de fer a imprimé à la production et au commerce. Il suffit de considérer le total des quantités transportées pour apercevoir tout de suite combien d’industries, et avec elles combien d’élémens de travail, de bien-être, de richesse, se sont développés grâce à l’intelligence libérale avec laquelle les compagnies ont successivement réduit leurs taxes : ceux-là mêmes qui se refusent à reconnaître la cause sont bien obligés d’avouer et de saluer l’effet. Nous rencontrons cependant, parmi les nombreux documens que nous avons dû consulter, deux notes qui ont été publiées dans le Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale[7], et qui démontrent d’une manière trop décisive les services rendus par les chemins de fer à l’agriculture pour que nous ne leur empruntions pas quelques renseignemens. Il s’agit du transport des céréales et des bestiaux.

Les céréales sont comprises dans la deuxième classe du tarif des chemins de fer et passibles, suivant les cahiers des charges, de la taxe de 14 centimes par tonne et par kilomètre. Une disposition récente stipule en outre que, dans le cas où le prix de l’hectolitre de blé s’élèverait, sur le marché régulateur de Paris, à 20 francs et au-dessus, le gouvernement aura le droit d’exiger des compagnies que le prix de transport ne dépasse pas 7 centimes. Or aucune compagnie n’applique, pas même en temps normal, le tarif plein que les cahiers des charges accordent pour les expéditions qui doivent être faites dans les délais réglementaires ; le prix réel est inférieur du tiers, quelquefois même de moitié au prix légal. Bien plus il y a, sur tous les chemins de fer, des tarifs spéciaux qui, pour un transport plus lent, fixent des prix qui varient de 6 à 2 centimes 1/2 par tonne (la tonne contient 12 hectolitres). La totalité des transports s’effectue aux conditions de ces tarifs spéciaux, de telle sorte que le prix moyen perçu par les compagnies pour les céréales est inférieur de moitié environ au prix exceptionnel que le gouvernement s’est réservé la faculté de prescrire pendant les périodes de disette. Veut-on savoir ce que représente l’économie résultant de ces abaissemens de taxes ? En 1847, la ville de Vesoul fit à Marseille des achats de blé dont le transport, sur un parcours de 670 kilomètres et aux prix du tarif alors en vigueur, ne coûta pas moins de 174 francs par tonne, soit 14 francs 75 centimes par hectolitre. La même opération, avec les tarifs actuellement appliqués sur les réseaux de la Méditerranée et de l’Est, ne coûterait plus que 33 francs 55 centimes par tonne, ou 2 francs 79 cent, par hectolitre, c’est-à-dire moins du cinquième du prix de 1847. Aussi voyons-nous par les statistiques des compagnies que les transports de céréales ont atteint des chiffres très élevés. De 1861 à 1864, ils comprennent, année moyenne, 30 millions d’hectolitres. C’est près du tiers de la consommation totale de la France. Grâce aux chemins de fer et à leurs tarifs, les effets des disettes peuvent être le plus souvent conjurés ; l’égalité du prix du blé s’établit entre toutes les régions du territoire ; l’importation de l’étranger est devenue facile et presque instantanée, de même que pendant les années d’abondance l’exportation peut, au premier signe du télégraphe, entraîner vers les contrées voisines une partie de l’excédant de la production, arrêter l’avilissement des cours ou du moins le rendre moins brusque et moins pénible pour l’agriculture.

De même pour les bestiaux. Malgré l’encombrement et les difficultés particulières que présente cette catégorie de transports, les compagnies n’ont pas hésité à entrer largement dans la voie des réductions de taxes en combinant des tarifs spéciaux, variables selon la distance parcourue, selon le mode de chargement et selon l’importance des expéditions. Qu’il nous suffise d’énoncer, sans multiplier les chiffres, que dans bien des cas les taxes perçues descendent au quart du tarif légal, et que les transports ont été organisés dans des conditions de vitesse exceptionnelle, notamment pour l’approvisionnement de Paris. Il a été ainsi transporté en 1863 plus de 4 millions de têtes de bétail sur les lignes exploitées par les six grandes compagnies, et sur ce nombre on compte environ 1,500,000 têtes qui ont été amenées sur le marché parisien. Nous ne parlons pas des viandes fraîches ni du gibier, qui figurent dans les relevés statistiques pour des quantités considérables. Quelle ressource pour l’agriculture que ce débouché tout récemment ouvert à l’un de ses principaux produits ! quelle économie de frais de transport pour une denrée qui était antérieurement d’une circulation si difficile et si lente, et qui perdait en route une partie de sa valeur ! quel profit pour le consommateur, à qui les chemins de fer procurent non-seulement un approvisionnement régulier, provenant de la culture nationale, mais aussi les bestiaux et les viandes achetés à l’étranger, jusqu’en Hongrie !

Il serait aisé de multiplier les exemples en montrant à quels prix, inférieurs à ceux des tarifs anglais, les compagnies françaises transportent la houille, la marne, les engrais, et en signalant à chaque point du territoire l’influence féconde que les chemins de fer exercent sur la richesse publique. Quelle conclusion doit-on tirer de cet état de choses ? C’est que les compagnies, loin de s’en tenir purement et simplement aux termes de leurs contrats, n’ont jamais cessé de faire des concessions de tarif en vue d’accroître les transports ; c’est qu’elles ont étudié avec persévérance les combinaisons les plus propres à réaliser l’économie d’abord, puis, autant que leurs moyens d’action le permettaient, la célérité de la circulation mercantile ; c’est, en un mot, que sous le régime qui leur a livré le soin d’exploiter les voies ferrées, le progrès a été constant et rapide. Il y aurait autant d’aveuglement que d’injustice à opposer la critique et le dénigrement à des résultats qui sautent aux yeux, et que ne sauraient infirmer quelques imperfections de détail.

Il vaut mieux assurément rechercher s’il ne serait pas possible d’accélérer ce mouvement de progrès et de faciliter davantage la baisse des tarifs. Sur ce point, nous observons dans le système actuel deux dispositions qui nous semblent absolument contraires au but que l’on doit se proposer. Il s’agit, en premier lieu, de l’interdiction qui est faite aux compagnies de relever, avant le délai d’un an, les tarifs qui ont été abaissés. La commission d’enquête de 1862, après avoir entendu les opinions contradictoires, s’est prononcée pour la diminution de ce délai, qui est excessif. On veut, dit-on, empêcher par ce moyen les compagnies de réduire leurs taxes dans la seule pensée de ruiner une concurrence, sauf à les relever ensuite, et plus haut encore, lorsque la concurrence, écrasée par une force supérieure, aura succombé. Ce sont les canaux que l’on prétend défendre contre les chemins de fer, et quand on parle ainsi de concurrence, on oublie que le gouvernement a tout fait au contraire pour susciter contre les voies ferrées la concurrence des canaux, dont il a racheté une partie pour réduire presque à néant les péages que les anciens concessionnaires auraient maintenus. Nous ne croyons donc pas qu’il convienne de se rendre à l’objection, surtout quand on traite avec de grandes compagnies qui ont un intérêt moral à sauvegarder, qui n’iraient certainement pas risquer leur considération dans une lutte de concurrence déloyale, et qui pourraient même compromettre leurs intérêts de la manière la plus grave, si elles méritaient de la part du gouvernement, qui les contrôle, et de l’opinion publique, qui les juge, un blâme de cette nature. Ce qu’il faut voir dans l’interdiction que nous signalons, c’est un obstacle sérieux à des essais de réduction de tarifs dont profiterait le public, essais auxquels les compagnies ne peuvent se livrer que très timidement, dans la crainte qu’une simple erreur de calcul, qu’une prévision inexacte ne les condamne à des sacrifices trop prolongés.

La seconde disposition qui nous paraît sujette à critique dans le régime actuel, c’est la proscription de ce qu’on appelle les traités particuliers. Ces traités, qui étaient fort en usage de 1850 à 1857, et sous l’empire desquels la taxe moyenne kilométrique avait subi une réduction très sensible, ont été supprimés parce que, disait-on, ils créaient des inégalités entre les expéditeurs, stipulaient des conditions que tous les négocians ne pouvaient remplir, et sacrifiaient l’intérêt du plus faible à celui du plus fort. On se souvient des vives discussions qui s’engagèrent à ce sujet. C’était l’époque où l’on demandait en même temps la radiation de toutes conventions s’écartant plus ou moins de la taxe kilométrique, sous le prétexte que les chemins de fer doivent respecter les situations existantes et ne point rapprocher artificiellement les régions que la géographie a séparées. La plupart de ces prétentions étaient vraiment déraisonnables, mais devant un appel à l’égalité, argument irrésistible dans notre pays, on crut devoir donner une satisfaction en sacrifiant les traités particuliers. En est-il résulté quelque avantage ? Devant la commission d’enquête plusieurs chambres de commerce ont exprimé leurs vieilles répulsions contre ces traités : la chambre de commerce de Paris a demandé au contraire qu’ils fussent rétablis. La plupart des compagnies de chemins de fer ont déclaré que plus d’une fois l’interdiction décidée depuis 1857 les avait empêchées de concéder à de grands centres d’industrie des abaissemens de tarif qui auraient été très désirables. La commission d’enquête n’a point émis d’opinion bien nette pour le présent ; au fond cependant elle n’est point défavorable aux traités particuliers. « Il se peut, dit-elle dans son rapport, que plus tard, grâce à la multiplication des rapports internationaux, l’exemple de ce qui se passe chez nos voisins influe sur les esprits ; il se peut qu’on cesse d’invoquer, dans une question où il n’est peut-être pas bien à sa place, le principe de l’égalité au nom duquel a été prononcée la condamnation des traités particuliers. Alors l’expérience pourra être reprise sans que le gouvernement assume une trop grande responsabilité et heurte le sentiment public. » Il n’y a donc plus là, pour la commission, qu’une question d’opportunité. — Est-ce que l’inégalité des conditions n’est pas la loi du commerce, comme elle est la loi de la société ? Est-ce que, dans des circonstances bien autrement graves, par exemple lorsqu’il s’agit d’un traité qui supprime des droits de douane ou de navigation, le gouvernement ne se trouve pas en présence d’intérêts faibles qui se prétendent lésés, qui sont lésés réellement ? Est-ce que nous ne voyons pas sans cesse et aujourd’hui plus que jamais les petits capitaux dominés par les gros capitaux, qui s’associent pour la grande production ou pour le grand commerce ? Ces doléances particulières, dignes assurément d’intérêt, empêchent-elles cependant que force reste à l’intérêt général ? car c’est l’intérêt général qu’il faut considérer avant tout. C’est le progrès qui l’emporte, et il est si puissant qu’il arrive toujours à relever les ruines qu’il a pu laisser derrière lui et à panser les plaies qu’il a pu faire dans sa marche trop rapide. S’il est vrai que, par le moyen des traités particuliers, on obtiendra une réduction nouvelle des tarifs, il ne faut point hésiter à revenir sur la décision de 1857, et l’on ne doit pas craindre de heurter le sentiment public en favorisant un intérêt aussi essentiel, alors surtout que la lice de la concurrence universelle est ouverte, et que l’économie des frais de transport est regardée à juste titre comme l’une des armes les plus puissantes de la concurrence internationale. Au surplus, il n’est pas besoin d’autoriser expressément telle ou telle espèce de conventions : on n’a qu’à demeurer dans le droit commun. Les compagnies de chemins de fer sont obligées par leurs contrats d’observer un maximum dans la fixation de leurs tarifs ; qu’au-dessous de ce maximum elles soient maîtresses de combiner leurs taxes, de passer des traités et des conventions, sauf à respecter les lois générales qui régissent les transactions entre commerçans. Un tel régime serait parfaitement licite et rationnel. L’argument tiré du prétendu monopole des compagnies ne saurait être sérieusement invoqué. Le seul contrat applicable, c’est le cahier des charges ; or celui-ci ne contient aucune disposition qui enlève aux compagnies la faculté de se mouvoir dans les bornes de leurs tarifs, et l’intérêt général ne demande certainement pas qu’on limite un droit qui ne s’exerce jamais que sous la forme d’une diminution des frais de transport.

Les mesures que nous nous permettons de recommander, en nous abritant sous l’autorité de la commission d’enquête, n’exigent aucun changement fondamental dans le régime qui a été adopté pour l’exploitation des chemins de fer. Ce régime, en définitive, se prête à tous les progrès ; s’il repose sur le privilège, il faut rappeler non-seulement que le privilège était le seul moyen pratique de procurer à la France son réseau de voies ferrées, mais encore qu’il a réalisé des améliorations considérables que les autres nations nous envient. Que l’on mette en regard le service rendu et le prix payé, tout esprit impartial reconnaîtra que les chemins de fer français sont exploités dans des conditions de régularité, de sécurité et d’économie qui n’existent pas ailleurs au même degré. Le public serait-il mieux servi, si l’exploitation était remise aux mains de l’état ? La question n’offre aujourd’hui qu’un intérêt spéculatif, puisque l’époque du rachat éventuel des concessions est encore éloignée, et il n’est vraiment pas utile de la discuter dans tous ses détails ; mais à première vue n’aperçoit-on pas qu’en se chargeant ainsi de l’entreprise générale des transporte, l’état usurperait un rôle qui n’est pas le sien, qu’il assumerait une responsabilité qui répugne à sa nature même, et qu’il se trouverait mal à propos jeté dans l’ardente mêlée des compétitions mercantiles ? Et puis les monopoles d’état sont-ils donc si tendres qu’il paraisse désirable de les multiplier ? Nous nous demandons ce que le public gagnerait à ne plus rencontrer, dans ses rapports avec les chemins de fer, que des fonctionnaires et des agens de l’autorité. On se plaint de ce que les compagnies sont trop puissantes : l’état, s’il était à leur place, serait écrasant. Enfin quelle serait l’attitude du gouvernement devant les exigences innombrables et formidables, devant les rivalités et les jalousies qui l’assiégeraient sans relâche, et qui mettraient chaque jour en cause sa popularité et son prestige ? Non, il n’est à souhaiter, ni pour le public, ni pour l’état, que le système d’exploitation soit modifié, et nous n’avons aucun doute sur la solution que l’avenir réserve à cette question.


III

Après avoir justifié le système qui a été appliqué à l’établissement comme à l’exploitation du réseau français, nous avons à présenter l’énumération des avantages financiers, économiques, politiques et sociaux que le pays retire du développement de ses voies ferrées. Cette étude sera moins aride. Si quelques chiffres se dressent sur le seuil, nous les franchirons rapidement pour arrêter ensuite nos regards sur les perspectives si variées que l’intervention des chemins de fer a ouvertes aux destinées de notre temps.

En consultant le budget des recettes et en évaluant par des chiffres les clauses onéreuses du cahier des charges, on trouve que dès à présent les chemins de fer procurent à l’état un revenu annuel de 92 millions. Ce revenu est produit soit par les contributions foncières, droits de patente, droit du dixième sur les recettes des voyageurs et des marchandises de grande vitesse, droits de timbre, etc., soit par l’exécution gratuite ou à prix très réduit des services auxquels sont obligées les compagnies, et parmi lesquels figurent en première ligne les transports de la poste et les transports militaires. On a calculé que, lorsque le réseau des 21,000 kilomètres aujourd’hui concédés sera en exploitation, la somme de ces produits directs et indirects s’élèvera à 135 millions, ce qui représentera un intérêt de plus de 7 pour 100 du capital de subvention que l’état aura consacré à la construction des voies ferrées (environ 1 milliard 900 millions). Que l’on déduise de ce bénéfice une certaine part d’impôt que l’état aurait obtenue du développement normal des anciens modes de transport, et qui dès lors ne doit pas être inscrite au crédit des chemins de fer : il restera encore une somme de plus de 100 millions provenant exclusivement de l’emploi du nouveau système de communication, c’est-à-dire un intérêt de 5 1/2 pour 100 du capital dépensé.

Ce n’est pas tout : à l’expiration des concessions, l’état entrera en jouissance pleine et entière des voies ferrées, et il pourra disposer d’une valeur immobilière dont l’établissement aura coûté 9 milliards. On a dit plus d’une fois que la propriété des chemins de fer suffira pour éteindre la dette publique. Ne nous chargeons pas de rédiger si longtemps à l’avance les budgets de nos descendans, alors que nous avons tant de peine à équilibrer les nôtres. L’heureuse génération qui saluera la quatre-vingt-dix-neuvième année des concessions actuelles fera de cette richesse l’emploi qu’elle jugera convenable. Quant à nous, voici la situation que nous avons créée : en premier lieu, le trésor n’est engagé que pour une somme relativement faible dans la construction des chemins de fer, puis il obtient de ce capital un intérêt très rémunérateur ; enfin les arrangemens sont combinés de telle sorte que l’état retrouvera un jour toutes les avances qu’il aura faites et se verra seul et unique propriétaire de la totalité du capital immobilisé dans les chemins de fer. Certes, si tous nos impôts recevaient une destination aussi fructueuse, les contribuables n’hésiteraient plus à proclamer, d’accord avec certains publicistes, que l’impôt est le meilleur des placemens.

Mais à ces profits directs viennent s’ajouter pour l’état les profits indirects, qui se traduisent par le progrès si rapide que les chemins de fer déterminent dans les différentes branches du travail. Tous les revenus sans exception se ressentent de l’influence des voies ferrées, et il est évident que la fortune publique ne s’accroît qu’en raison de l’augmentation de la fortune privée. La statistique, quelle que soit son habileté, ne pourrait chiffrer le développement agricole, industriel et commercial dont nous sommes témoins depuis dix ans. Le regard le plus superficiel suffit d’ailleurs pour observer la révolution presque instantanée qui se produit dans les régions où pénètrent successivement les chemins de fer. On peut cependant, si l’on tient à s’en former par analogie une idée approximative, consulter les. états du commerce extérieur, qui surpassent en exactitude et en précision les autres documens statistiques. Pendant la période décennale de 1827 à 1836, le mouvement général du commerce extérieur était en moyenne de 1,365 millions de francs par an ; il s’est élevé à 2,112 millions pour la période de 1837 à 1846, et à 3,136 millions pour la période de 1847 à 1856. On ne comptait en exploitation, à cette dernière date, que 6,500 kilomètres de chemins de fer. En 1864, avec un réseau exploité de 13,000 kilomètres, le commerce extérieur a représenté une valeur de 7,329 millions. Complétons cette démonstration par l’étude des mouvemens du transit, car ce genre d’opérations est celui qui profite le plus des facilités données aux grands transports. De 1837 à 1846, la valeur moyenne annuelle des marchandises de transit n’était que de 194 millions de francs ; elle s’est élevée à 306 millions pour la période de 1847 à 1856, et elle a, en 1864, atteint la somme de 723 millions, à laquelle il faut ajouter 200 millions, si l’on tient compte du mouvement spécial des marchandises importées sous le régime des admissions temporaires : c’est donc en réalité une valeur de plus de 900 millions qui représente le commerce du transit. En aucun pays, pas même en Angleterre, on n’a constaté un accroissement aussi rapide, et ce que l’on peut établir sûrement pour les opérations du commerce extérieur, il est permis de le conjecturer, dans des proportions au moins égales, pour le commerce intérieur, dont les transactions échappent, par leur multiplicité même et par l’infinie variété de leurs directions, aux calculs de la statistique.

Sans doute cet accroissement doit être attribué en partie aux réformes qui ont été introduites dans la législation commerciale et qui ont ouvert plus largement nos frontières aux échanges avec l’étranger ; mais ces réformes elles-mêmes n’ont été que l’effet de l’établissement des chemins de fer. Si les voies ferrées, circulant à travers le pays comme les artères qui vivifient le corps humain, n’avaient point été là pour améliorer nos moyens de production, pour mettre les matières premières à la portée des usines où elles s’emploient, pour assurer les communications entre les fabriques et les marchés, et surtout pour abaisser le prix des transports, peut-être les conseillers les plus ardens de la réforme auraient-ils hésité à exposer l’industrie française aux hasards d’une concurrence où elle aurait eu à lutter contre les Anglais, les Allemands, les Belges, pourvus depuis longtemps déjà de l’outil le plus puissant que le génie moderne ait mis entre les mains du travail. Si notre territoire n’avait pas été, lui aussi, bardé de rails, du nord au sud, de l’est à l’ouest, la réforme, quelque légitime qu’elle fût en principe, aurait pu sembler périlleuse, ou du moins elle n’aurait point produit les effets souverains et immédiats qui ont dépassé toutes les prévisions. Ce n’est donc que justice de porter au crédit des chemins de fer l’application récente de la liberté commerciale et l’impulsion qu’elle a imprimée aux échanges.

La grande industrie ne s’est réellement développée en France que depuis l’établissement des voies ferrées. Jusque-là, tout en conservant un rang élevé, souvent même le premier rang quant à l’élégance et à la perfection des produits, l’industrie française demeurait organisée sur une petite échelle ; les capitaux lui manquaient ; elle était mal outillée, elle éprouvait de graves difficultés à se procurer les matières et la main-d’œuvre ; elle produisait peu et chèrement, bien différente en cela de l’industrie anglaise, dont la fabrication, montée en grand, obtenait par la multiplicité des relations et par l’économie des transports un approvisionnement assuré de matières premières, de capitaux et de bras. Du jour où nos manufactures ont pu disposer des mêmes moyens de communication, elles ont commencé à s’agrandir et à s’organiser en vue d’une production plus abondante et moins coûteuse. Elles ont profité de l’éveil donné aux petits capitaux, qui, rassurés par l’exemple que leur offraient les compagnies de chemins de fer, n’ont plus hésité à s’engager dans les grandes entreprises industrielles. Leur outillage s’est perfectionné, il s’est même renouvelé presque entièrement, grâce aux progrès que l’exploitation des voies ferrées a réalisés dans la construction des machines, dans le travail des métaux et dans l’emploi du combustible. Désormais nos manufactures peuvent faire venir à peu de frais leurs matières premières, comme elles étendent le rayon de leurs marchés de vente ; elles n’ont plus à redouter au même degré la rareté ni les intermittences de la main-d’œuvre. Ce sont là les conditions nécessaires de la grande industrie, et si certains esprits, trop frappés de quelques inconvéniens que semble présenter au premier abord cette transformation des ateliers, méconnaissent les avantages du nouveau régime, un examen plus attentif et l’expérience devront les convaincre tôt ou tard que la révolution qui s’opère sous nos yeux était inévitable, que la concurrence exigeait impérieusement la concentration des forces productives, que les erremens de l’ancien système étaient devenus incompatibles avec les intérêts du travail et avec les besoins incessans de la consommation, et que la France, sous peine de se laisser distancer à jamais par les nations rivales, ne pouvait ajourner plus longtemps la réforme industrielle que les chemins de fer ont accomplie.

On objecte, il est vrai, que, malgré cet outillage plus économique et en dépit de cette fabrication plus étendue, le prix des choses va sans cesse croissant, et que le consommateur paie les produits plus cher ; on observe que, partout où le rail apparaît, l’enchérissement le suit ; on signale avec un véritable effroi les déplacemens de population qui enlèvent des bras aux campagnes et qui encombrent les villes. Bien souvent ces objections et ces craintes ont été exprimées et combattues. L’enchérissement dont on se plaint en l’exagérant, qu’est-ce donc, sinon la preuve certaine que la nation s’enrichit plus vite, que les denrées et les produits sont demandés par un plus grand nombre, et que les moyens de paiement se sont accrus plus rapidement que la production elle-même ? S’il ne s’agissait que d’une cherté momentanée, intermittente, on pourrait l’attribuer à un état anormal et douloureux qui aboutirait à une crise pendant laquelle tous les objets de consommation subiraient nécessairement une forte baisse, parce que les acheteurs, épuisés et ruinés, feraient défaut ; mais il n’y a ici rien de semblable. La cherté est permanente, ou, pour parler le langage commercial, les prix se soutiennent. Or, pour qu’il en soit ainsi, il faut que la nation soit devenue plus riche, et l’on peut affirmer sans statistique, sans chiffres, par la simple observation des faits, que c’est l’unique raison du phénomène qui donne lieu à tant de regrets. Si l’on décompose les élémens du prix de revient des produits, on remarque que, sauf de rares exceptions, les matières premières sont moins coûteuses que par le passé, que les procédés de fabrication, par suite de l’emploi de la vapeur et d’un outillage plus perfectionné, sont plus économiques, que le capital s’obtient plus facilement, et surtout que les frais de transport, tant pour les matières premières que pour les produits fabriqués, sont beaucoup moins élevés. Pourquoi donc l’augmentation du prix de revient dans certains cas et celle du prix vénal presque partout ? C’est que les salaires et les profits ont haussé, et cette hausse simultanée des profits et des salaires a naturellement fourni à un plus grand nombre de consommateurs les moyens d’acheter et de payer plus cher. Ce qui a été économisé sur les principaux élémens du prix de revient, et particulièrement sur les frais de transport, a tourné en accroissement de salaires et de bénéfices, c’est-à-dire en rémunération de travail. La matière s’efface devant l’intelligence, la machine marche et tourne au profit de l’homme. Voilà le motif, il n’y en a point d’autre, de l’enchérissement général, et si les chemins de fer y ont contribué, cette influence doit leur être comptée parmi les plus grands services qu’ils aient rendus à notre génération.

Quant à la dépopulation des campagnes (nous nous servons du terme consacré), il est vraiment bien difficile d’y trouver un motif de critique contre les chemins de fer. Ici encore on perd de vue les avantages sans nombre que les voies ferrées procurent à la propriété rurale, et on se laisse effrayer par un inconvénient qui, selon toute apparence, ne sera que passager, qui se corrigera de lui-même, soit parce que le trop-plein des villes ramènera les citadins aux champs, soit parce que les procédés industriels, s’emparant à leur tour de certaines portions du travail rural, rendront moins sensible l’effet de la diminution des bras. Est-ce qu’en Angleterre, où les chemins de fer couvrent toutes les régions du territoire, où l’on compte un grand nombre de cités manufacturières très populeuses, les campagnes ont longtemps souffert de ce déplacement de travailleurs ? Au surplus, il nous paraît tout à fait étrange que l’on fasse un crime aux chemins de fer de donner aux habitans des campagnes les moyens de se transporter où ils le jugent convenable pour leurs intérêts. Nous ne sommes plus au temps où des serfs étaient attachés à la glèbe. Laissons donc là les regrets féodaux, et proclamons au contraire qu’en ouvrant à tous la faculté de circulation, qui était précédemment le privilège d’un petit nombre, les chemins de fer remplissent une fonction très utile dont la société tout entière doit leur être reconnaissante.

Si nous voulions examiner dans ses détails multiples l’influence que les chemins de fer exercent sur les intérêts matériels, il serait aisé de prouver qu’ils réagissent sur tous les rouages du mécanisme administratif en leur donnant une impulsion qui augmente singulièrement leur puissance. Mentionnons seulement les services de la poste et du télégraphe, qui sont si intimement liés à l’existence des voies ferrées. En même temps, que de formalités inutiles et vexatoires, à commencer par les passe-ports, la locomotive n’a-t-elle pas supprimées ! Elle a déjà brisé, ou peu s’en faut, les lourdes chaînes que la douane tendait à l’entour de nos frontières ; à l’intérieur, nous la verrons quelque jour heurter l’octroi et se frayer une route libre et affranchie à travers les barrières du fisc, comme elle a percé les remparts épais des places fortes. Dès qu’elle siffle, elle veut que tout s’écarte devant elle ; plus de retardemens, plus d’obstacle qui ne soit vaincu ! Elle déraillera peut-être au choc d’un caillou que le hasard ou la main d’un enfant aura placé sous sa roue de fer ; mais qu’elle se lance contre les plus solides redoutes où se retranchent encore les institutions parasites d’un autre âge avec leur attirail de règlemens, de restrictions, d’antiques veto, elle les aura bien vite réduites en poudre. C’est l’engin le plus formidable et le plus bienfaisant de la révolution économique qui s’accomplit sous nos yeux avec une rapidité si merveilleuse et un tour si naturel que nous devons presque réfléchir pour la reconnaître et la comprendre. Il n’y a peut-être pas une seule condition de notre existence matérielle qui n’ait été modifiée, améliorée et surtout accélérée par l’intervention des chemins de fer.

Comment oublier dans cette énumération les travaux vraiment gigantesques auxquels a donné lieu l’établissement des chemins de fer et que l’on a nommés si justement travaux d’art ? Soit qu’on aplanisse des collines en leur enlevant d’énormes tranches de terre, soit que l’on creuse des tunnels au travers des plus hautes montagnes, soit que l’on plante des ponts sur les plus grands fleuves, soit enfin que l’on érige les immenses bâtimens des gares, ces œuvres si diverses attestent les progrès qu’a réalisés l’art de l’ingénieur et suscitent chaque jour des procédés nouveaux, qui sont utilisés immédiatement dans les chantiers. Les architectes, les entrepreneurs, et, dans un ordre plus élevé, les savans eux-mêmes, pourraient dire ce qu’ils doivent d’enseignemens et de découvertes aux ingénieurs qui ont construit les voies ferrées. La France ne le cède pas à l’Angleterre pour l’exécution de ces travaux si hardis qui étonnent et charment les regards. En Europe, en Italie, en Autriche, nos ingénieurs sont appelés à tracer les chemins de fer ; partout, à l’étranger comme en France, on leur rend hommage ; la juste célébrité qui s’attache aux noms des plus éminens rejaillit sur le corps tout entier et honore grandement notre pays.

Il serait plus difficile de préciser l’influence politique des chemins de fer. Incontestablement la France est plus compacte, plus unie, par conséquent plus forte, depuis que toutes les régions qui la composent sont rapprochées l’une de l’autre par un système de communications plus faciles et plus rapides. Si elle était attaquée du dehors, elle trouverait dans l’organisation du réseau d’énergiques moyens de défense, puisqu’elle pourrait en très peu de temps diriger ses forces vers les points menacés. Il est facile d’en juger d’après ce qui s’est passé en 1859, lors de la guerre d’Italie. Il a suffi de quarante jours pour transporter jusqu’aux Alpes une armée de près de deux cent mille hommes et de trente mille chevaux ! Il semble donc que l’achèvement du réseau doit avoir pour conséquence la réduction de l’effectif militaire, la plus grande mobilité de l’armée pouvant, dans une certaine mesure, suppléer au nombre. Jusqu’ici cette conséquence ne s’est pas produite. L’établissement militaire de la France a conservé ses anciennes proportions, et le chiffre du contingent annuel n’a pas été diminué. Il serait également permis de supposer, que l’existence des chemins de fer, en modifiant les distances et en déplaçant les étapes de passage comme les centres d’activité, pourrait amener le remaniement de plusieurs circonscriptions politiques et administratives, la suppression de sous-préfectures, de tribunaux, de services locaux, qui n’ont plus de raison d’être et dont l’entretien est inutilement coûteux. Ce travail ne s’est pas fait, et aucun symptôme n’indique qu’on y songe. Il est vrai qu’il soulève les questions les plus délicates, qu’il exige de grands ménagemens, et qu’il est de nature à mettre en émoi tous les clochers du pays le jour où il s’agira de l’entreprendre. Il faudra bien cependant qu’on s’y décide, car le tracé des chemins de fer a changé la carte de la France, et il est logique qu’une organisation nouvelle soit appropriée à des besoins et à des intérêts qui diffèrent très sensiblement des conditions de l’ancien régime. Quoi qu’il en soit, les voies ferrées peuvent, sous ce rapport, procurer à l’état une économie réelle ainsi qu’un meilleur agencement du mécanisme administratif.

On s’est demandé si l’extension des chemins de fer sera favorable à l’action du pouvoir ou au principe de liberté. Les chemins de fer constituent un grand instrument de gouvernement, et cet instrument, placé entre les mains des compagnies, se trouve de fait à la disposition presque entière du pouvoir. Si le raisonnement s’arrêtait à ce point, le pouvoir aurait à sa disposition une arme nouvelle et une arme très puissante dont pourraient s’effrayer les amis de la liberté ; mais il convient d’aller plus avant. L’antagonisme qui se produit trop souvent entre l’autorité et la liberté n’est point un antagonisme fondamental ni nécessaire. Lorsque malheureusement il existe, on doit l’attribuer soit à ce que le pouvoir, servi par de mauvais agens, trompé par de faux rapports, gouverne et administre mal, soit à ce que la liberté, mal éclairée sur les intentions du pouvoir, égarée par de fausses impressions, proteste et s’insurge. La guerre qui se déclare alors par suite d’erreurs et de torts réciproques n’est le plus souvent que l’effet d’un malentendu qu’ont envenimé les circonstances et les passions des hommes, et qui aboutit un jour ou l’autre à la tyrannie ou à la révolution. Si donc on fournit au pouvoir un moyen de mieux surveiller ses agens, de connaître plus directement les vœux et les doléances de la nation, d’observer avec plus de sûreté le véritable courant de l’opinion publique, si en même temps on donne à la liberté un moyen de contrôler et d’apprécier plus exactement les intentions et les actes du pouvoir, il semble que l’antagonisme risquera moins de se produire et que la réconciliation sera plus prompte. Les chemins de fer offrent précisément ce moyen ; ils établissent entre le gouvernement et les gouvernés des relations plus fréquentes qui sont destinées à calmer tout à la fois les défiances instinctives du pouvoir et les ardeurs excessives de la liberté. Portons nos regards sur l’ensemble de l’Europe. Il est impossible de ne point remarquer que, depuis l’extension des voies ferrées, les principes de liberté sont en progrès parmi les peuples, sans que l’autorité ait rien perdu de sa force. Les nations sont assurément mieux administrées, et les gouvernemens de leur côté, en jugeant de plus près les idées, les choses et les hommes, sont moins timides à se démunir des garanties, souvent oppressives, qui, à une époque où l’éloignement augmentait les défiances, pouvaient leur paraître nécessaires. En un mot, les chemins de fer, considérés au point de vue politique, représentent un lien et non pas une arme ; ils servent tout à la fois le pouvoir et le principe de liberté ; ils contribuent à la bonne administration du pays et à l’harmonie générale.

S’il en est ainsi pour la politique intérieure, l’influence féconde des chemins de fer apparaît plus manifeste encore pour les relations de la politique internationale. Supposons que la France en fût encore réduite à ses anciennes voies de communication, le commerce avec l’étranger, dont nous avons plus haut signalé le prodigieux développement, cheminerait à petites journées sur les routes ou sur les canaux, avec cette augmentation moyenne annuelle de quelques millions qui figurait naguère dans la statistique officielle comme un indice de ce qu’on appelait alors la prospérité croissante. Aujourd’hui c’est par bonds de centaines de millions que se traduit l’augmentation des échanges. Sans les chemins de fer, les expositions universelles, ces grandes fêtes internationales auxquelles il a été donné à la France de prendre une part si brillante, si honorable et si utile pour elle, auraient été impossibles à organiser. On ne verrait point ces réunions fréquentes d’hommes et d’idées qui forment en quelque sorte le congrès permanent des peuples, et qui resserrent de plus en plus les liens de la solidarité européenne. Comment calculer ce que la France a gagné et gagne tous les jours, non-seulement en profits matériels, mais encore en profits intellectuels, en progrès moral, en influence politique, à la multiplication de ses rapports avec l’étranger ? Traités de commerce, conventions postales et télégraphiques, actes consacrant la propriété intellectuelle ainsi que la liberté religieuse, arrangemens de toute nature protégeant les intérêts français sur le sol étranger aussi efficacement que sur le territoire national, voilà les formes extérieures et authentiques du régime nouveau ; mais au-dessus de tout cela plane une idée souveraine, c’est-à-dire l’idée de paix, sous l’égide de laquelle se propagent universellement les notions de la liberté et du travail. Avec les intérêts ainsi amalgamés et enchevêtrés, avec les affections créées par le contact, avec les sentimens réciproques d’estime et même de crainte qui circulent librement à travers toute l’Europe, la guerre n’est plus à la discrétion d’un accident qu’amène le hasard, ni du caprice ou de l’ambition des souverains. C’est l’idée de paix qui règne, à ce point que, même au lendemain du combat et dans toute l’ardeur du triomphe, elle arrête la marche du victorieux. Le mérite de cette transformation générale dans les sentimens des peuples appartient en grande partie aux voies ferrées.

Tels sont les services que nous rendent les chemins de fer, tels sont les avantages qu’ils apportent à notre génération et qu’ils promettent aux générations qui viendront après nous ; voilà leur bilan. Ils donnent le progrès en toutes choses, ils le prodiguent avec une largesse que les imaginations les plus enthousiastes ne pouvaient prévoir et que les statistiques les plus habiles seraient incapables de mesurer. Aussi s’explique-t-on la place qu’ils occupent dans nos désirs et dans nos espérances, ainsi que la vivacité des discussions qui s’agitent à leur sujet. La France est arrivée à posséder 13,000 kilomètres en pleine exploitation ; elle en aura bientôt 21,000, sans compter les chemins de fer d’intérêt local qui apparaissent à l’horizon[8]. Cette grande entreprise a-t-elle été sagement conçue et habilement menée ? Aurait-on pu avec d’autres procédés l’exécuter plus économiquement et plus vite ? Les compagnies chargées de la construction et de l’exploitation ont-elles répondu à la confiance du gouvernement et à l’attente du public ? Nous avons examiné ces différens points en exposant le système des concessions, en comparant l’exploitation du réseau français avec celle du réseau anglais, et en présentant le tableau des résultats obtenus. Nous croyons sincèrement que les milliards consacrés aux chemins de fer ont été employés avec une rare intelligence et avec d’immenses profits pour la nation. Les améliorations réalisées depuis l’origine de l’exploitation sont considérables et continues ; l’avenir doit en procurer de nouvelles. Que notre impatience soit toujours en avant de ces progrès, qu’elle les provoque, qu’elle les stimule, en exerçant un contrôle incessant et rigoureux sur les compagnies, cela est naturel et légitime, car nous y sommes tous intéressés ; mais il faut que parfois cette impatience sache se modérer, que le contrôle soit équitable, que la critique invoque de bonnes raisons et qu’elle écoute les réponses. Il n’y a peut-être pas de question qui ait été plus souvent examinée et débattue que celle de l’exploitation des chemins de fer. Indépendamment des discussions législatives et de la surveillance exercée par les fonctionnaires de l’état, il y a eu, on peut le dire, enquêtes sur enquêtes. Tout a été observé, analysé dans les moindres détails. Qu’est-il arrivé ? C’est que le gouvernement, tuteur naturel de l’intérêt public, n’a pu s’empêcher de rendre justice à la gestion des compagnies quant à l’opération des transports, et qu’il s’est placé ouvertement en travers des attaques dirigées contre elles. Et enfin comment penserait-on obtenir plus de garanties pour la direction de ces grandes entreprises ? La plupart des services d’exploitation sont confiés à des ingénieurs dont le mérite est universellement reconnu. De plus, par une heureuse fortune, les conseils d’administration ont pu recueillir dans leur sein, à la suite de nos révolutions politiques, des hommes éminens qui, après avoir occupé le premier rang dans l’état, sont venus leur apporter le plus utile concours. Nous voyons également figurer dans ces conseils des noms d’une illustration politique plus récente. S’imagine-t-on que ces ingénieurs, ces anciens ministres, conseillers d’état, magistrats, qui, pendant la plus grande partie de leur carrière, ont été habitués à traiter les questions de haut, sous l’inspiration et à la seule lumière de l’intérêt public, ont tout d’un coup changé leurs habitudes de travail, et qu’ils sont arrivés là, comme s’ils se fussent assis à un comptoir, pour vendre du transport au plus haut prix ? Non, ils ont vu dans les chemins de fer une grande œuvre nationale à laquelle ils pouvaient dignement s’employer ; ils savent, par leur ancienne expérience, que les intérêts des actionnaires dans les entreprises de cette nature sont d’autant mieux sauvegardés qu’il est donné une satisfaction plus grande à l’intérêt général ; leur responsabilité devant le gouvernement et à l’égard du capital qu’ils représentent s’accorde avec leur propre dignité pour les maintenir dans les erremens d’une administration libérale et soucieuse de la prospérité publique. De cette façon, ils continuent à servir le pays, ce qui est, disons-le incidemment, l’irrésistible penchant de tous ceux qui, à un degré quelconque, ont eu l’honneur d’exercer des fonctions politiques ou administratives. Voilà les garanties que les compagnies peuvent invoquer pour la défense de leur gestion, garanties personnelles et morales qui commandent la confiance. N’ayons donc pas d’inquiétude sur l’exploitation des chemins de fer. Elle est en de bonnes mains, et elle assure au pays tous les bénéfices qu’il doit en attendre.


C. LAVOLLEE.

  1. L’historique des débats relatifs au régime des concessions a été exposé avec une grande clarté par M. A. Audiganne (les Chemins de fer aujourd’hui et dans cent ans).
  2. Voyez, pour la série des concessions, le Répertoire méthodique de la législation des chemins de fer, 1864.
  3. Le parcours moyen d’un voyageur est de 40 kilomètres, et celui d’une tonne de marchandises de 140 kilomètres environ, de telle sorte que le nombre de voyageurs kilométriques (c’est-à-dire transportés à un kilomètre) a été en 1864 de 3 milliards, et celui des tonnes kilométriques, de 4 milliard ».
  4. Enquête sur la construction et l’exploitation des chemins de fer, publiée par ordre du ministre des travaux publics, 1863. — On peut aussi consulter les chemins de fer en 1862 et 1863, par M. Eugène Flachat, et l’article chemins de fer, de M. Elphège Baude, dans le Dictionnaire des Arts et Manufactures.
  5. Traité élémentaire des chemins de fer, par M. A. Perdonnet, 4 vol. in-8o, 1865.
  6. Discours de M. de Franqueville dans la séance du corps législatif du 27 juin 1865.
  7. Bulletin de la Société d’Encouragement, n° d’avril et de septembre 1865.
  8. Voyez le rapport sur le projet de loi relatif aux chemins de fer d’intérêt local, par M. le comte Le Hon, député ; 1865.