Les Chemins de fer et le budget (Colson)/03

Les Chemins de fer et le budget (Colson)
Revue des Deux Mondes4e période, tome 133 (p. 876-912).
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LES CHEMINS DE FER
ET LE BUDGET

III[1]
RECETTES ET ÉCONOMIES PROCURÉES A L’ÉTAT PAR LE RÉGIME DES CHEMINS DE FER

Nous avons étudié les charges que font peser, sur le Trésor public, le développement donné au réseau des chemins de fer français, et le régime établi pour leur exploitation ; nous avons reconnu que ces charges, y compris les intérêts des emprunts confondus dans la dette publique, atteignaient, pour l’année d’exploitation 1894, le chiffre énorme de 306 millions en ce qui concerne la France métropolitaine, et de 33 millions en ce qui concerne l’Algérie et les colonies. En regard des sacrifices imposés ainsi au budget, il faut placer les bénéfices qui en sont la contrepartie, et dont le chiffre, quoique moins important, constitue cependant une atténuation marquée du fardeau qui retombe sur les contribuables.

L’évaluation officielle de ces bénéfices était donnée, jusqu’ici, par un tableau figurant dans les statistiques du réseau d’intérêt général publiées par le ministre des travaux publics, tableau intitulé : Impôts payés par les compagnies de chemins de fer et évaluation, d’après ces compagnies, des économies que l’État réalise sur certains transports. Le dernier tableau paru, relatif à l’année 1893, énumérait, sous onze rubriques, les impôts dont le total atteignait 151 millions, et sous sept rubriques, les économies évaluées à 134 millions ; en arrivait ainsi à un total de 285 millions, tout en laissant de côté les chemins de fer d’intérêt local et ceux de l’Algérie et des colonies. Les bases adoptées pour la rédaction de cette statistique ont été critiquées avec beaucoup de raison ; leur révision a été décidée, et une commission où étaient représentés les divers services intéressés en a arrêté de nouvelles, qui ont été adoptées pour la statistique en préparation de l’année 1894. Ce sont celles dont nous nous servirons dans notre étude.

Le principe qui domine cette étude, c’est qu’on doit porter en compte exclusivement les bénéfices que l’État tire des chemins le fer par suite du régime légal adopté pour leur établissement et leur exploitation, car seuls ils sont la contre-partie des charges que ce régime impose au budget. Si l’on voulait porter à l’actif des chemins de fer tous les bénéfices que leur existence procure au Trésor public, il faudrait doubler ou tripler l’évaluation rappelée ci-dessus, car il faudrait y faire entrer tous les impôts payés par les industries qui n’existent que grâce au chemin de fer, et aussi la différence entre le coût actuel de tous les transports de personnel ou de matériel effectués pour le compte de l’État et le prix qu’il paierait s’il y employait îles chaises de poste, des diligences et des camions. C’est là un calcul que l’on n’a jamais eu l’idée de faire. Les chemins de fer ont largement contribue à la transformation économique que le monde civilisé a éprouvée dans ce siècle ; le budget en a tiré profit, comme en ont profité les fortunes particulières, et la majeure partie de ce profit est indépendante du régime financier adopte pour l’établissement des voies ferrées.

Mais il existe des impôts qui portent spécialement sur les chemins de fer ; il en est d’autres qui, tout en ayant l’apparence d’impôts de droit commun, ne grèvent les chemins de fer qu’en raison du régime légal qui leur est appliqué, et qui ne pèsent nullement dans les mêmes conditions sur les services empruntant les autres voies de communication ; enfin, il est de nombreux transports effectués pour le compte de l’État, et pour lesquels le Trésor profite, non seulement de l’abaissement général des prix, conséquence de la création des chemins de fer, mais encore de réductions ou même d’exemptions de taxes qui ont été stipulées dans les cahiers des charges imposés aux concessionnaires. Ce sont bien là des avantages spéciaux, qui entrent en ligne de compte dans les arrangemens financiers conclus entre l’État et les compagnies, qui sont pris en considération par le législateur, quand il décide l’exécution de lignes nouvelles, et qui sont payés, pour ainsi dire, par les charges budgétaires que nous avons passées en revue.

Les bénéfices de cette dernière catégorie sont les seuls que nous croyions devoir retenir. C’est pour cela que nous ne faisons pas entrer en compte les impôts payés par les chemins de fer exactement dans les mêmes conditions que par les autres services de transport, et qui figurent ensemble pour 13 à 14 millions dans les statistiques des dernières années. Nous excluons, de même, du tableau des économies celles qui résultent de traités librement débattus avec les administrations de la Guerre et des Finances, car il est naturel d’admettre que les avantages stipulés dans ces traités par les compagnies compensent les avantages qu’elles accordent à l’État.

En revanche, nous devons faire entrer en ligne les sommes que les compagnies versent au Trésor, en vertu du cahier des charges, pour couvrir les frais de contrôle et de surveillance des chemins de fer, et dont le montant a atteint 4 millions et demi en 1894. Ce versement ne constitue pas un bénéfice net pour l’État, qui dépense une somme à peu près égale pour rémunérer le personnel de toute nature employé au contrôle. Mais ayant porté le coût de ce personnel dans les dépenses budgétaires, nous devons tenir compte de la recette qui le couvre.

En dehors de cette redevance spéciale, nous avons à étudier quatre groupes de bénéfices que l’État retire des chemins de fer, savoir : produit net des lignes appartenant à l’État ; impôts sur les transports ; impôts sur les titres des compagnies ; économies sur les transports de 1’ État, résultant de clauses du cahier des charges.

Nous allons examiner l’importance de chacun de ces groupes et les causes qui l’ont fait varier dans les dix dernières années.


I. — PRODUIT NET DU RESEAU D’ETAT

Le produit net du réseau d’État, en 1894, a été de 9 330 000 francs. Il était de 4 millions seulement en 1884 ; il a augmenté régulièrement jusqu’à l’année 1892, où il avait dépassé 9 millions et demi. C’est surtout dans les premières années qui ont suivi les conventions, au moment où les recettes des compagnies étaient le plus atteintes par la crise, que celles du réseau d’État allaient en progressent, grâce au trafic qu’il enlevait aux réseaux voisins, à mesure que l’ouverture de nouvelles sections assurait la continuité de ses artères principales. Depuis que le réseau d’État a pris son assiette définitive, les variations de son produit net obéissent aux mêmes lois que celles du produit des grandes compagnies. En 1893, les causes d’augmentation des dépenses que nous avons signalées, en traitant de la garantie d’intérêts, ont ramené le produit net au-dessous de 9 millions. En 1894 et 1895, la progression des recettes a repris, bien que, pour mettre les réserves de la Caisse en rapport avec les engagemens pris envers le personnelles retraites, on ait dû porter à 7 1/2 pour 100 du montant des salaires, les versemens faits par l’administration à cette caisse, qui n’étaient auparavant que de 5 pour 100.

Cette augmentation a été reconnue encore insuffisante, et en 1896, les versement seront portés à 10 pour 100, ce qui augmentera les dépenses de 300 000 francs environ. En dehors de cette charge, on n’aperçoit rien qui doive entraver la progression du produit net dans les prochains exercices. On peut même voir des motifs spéciaux d’amélioration dans la reconstitution du vignoble des Charentes et dans le développement du nouveau port de la Palisse.

Les adversaires de l’exploitation des chemins de fer par l’État ont souvent prétendu tirer argument de la faiblesse du produit net, par rapport au capital d’établissement. Le capital à rémunérer s’élève en effet à 721 millions[2], et l’État n’en tire dès lors qu’un intérêt de 1.29 pour 100. Il est vrai que, si l’on voulait dresser un bilan spécial des recettes et des charges que ce réseau entraîne pour l’État, il faudrait ajouter au produit net de l’exploitation 3 millions d’impôts sur les transports et 4 millions d’économies procurées aux services des Postes et de la Guerre, qui porteraient le bénéfice réel du Trésor public à 2.25 pour 100 du capital. Même ainsi complété, ce revenu est évidemment très intérieur aux charges des emprunts contractés pour les lignes du réseau d’État, qui dépassent en moyenne 4 pour 100, amortissement compris. Mais cette insuffisance du revenu ne saurait être imputée à la gestion de l’administration des chemins de fer de l’État, pas plus que l’élévation du coefficient d’exploitation[3] qui atteint 77 pour 100, tandis qu’il est en moyenne de 53 pour 100 sur les réseaux des compagnies. Il est évident, en effet, que, quand l’État a racheté, non d’après leur revenu, mais d’après leur prix réel d’établissement, des lignes improductives, quand il en a construit d’autres, qui ne desservaient aucun grand courant de trafic nouveau, il devait s’attendre, quel que fût le mode d’exploitation adopté, à voir les dépenses annuelles absorber la majeure partie des recettes, et ne pouvait compter sur un produit net suffisant pour couvrir les charges du capital consacré volontairement à un emploi non rémunérateur.

En fait, tous ceux qui ont suivi de près la gestion de l’administration des chemins de fer de l’État, depuis qu’elle est sortie de la période des tâtonnemens, reconnaissent qu’au point de vue des dépenses, cette gestion ne le cède en rien, comme habileté et comme économie, à celle des grandes compagnies. Au point de vue des recettes, des abaissemens notables de tarifs ont été faits, au début, avec un peu de précipitation. Il est toujours difficile d’apprécier l’influence des modifications générales des tarifs sur les variations constatées ensuite dans les recettes ; la difficulté est d’autant plus grande, dans l’espèce, qu’en 1880 et 1881, quand les tarifs du réseau d’État ont été abaissés, ses lignes étaient enchevêtrées dans celles des compagnies, de telle sorte qu’il était impossible de discerner, dans les plus-values des recettes brutes, la part due à un développement réel du trafic, et celle qui venait de simples détournement opérés au détriment des réseaux voisins. Il semble, néanmoins, qu’en ce qui concerne les voyageurs, les réformes opérées à cette époque aient été plutôt lucratives qu’onéreuses. Pour les marchandises, au contraire, si certains abaissemens ont eu d’heureux résultats, d’autres ont incontestablement entraîné des pertes de recettes que n’a pas compensées l’impulsion donnée au trafic. Du moment où la situation budgétaire ne permet pas de faire profiter les populations de toute la France de tarifs aussi réduits, on doit reconnaître qu’il est injuste que les habitans de quelques départemens profitent, au détriment des contribuables, d’une situation privilégiée au point de vue du prix des transports. On peut admettre que, si la direction du réseau d’État n’avait pas, à ses débuts, mis un peu de hâte à se concilier la faveur des habitans de la région desservie et des théoriciens qui préconisent toutes les réductions de tarifs sans distinction, ce réseau rapporterait aujourd’hui un ou deux millions de plus au Trésor. Cela ne transformerait pas les résultats financiers de son exploitation, qui tiennent à sa constitution ; il serait tout à fait injuste de les imputer à une administration toujours zélée, et qui avait acquis, par une pratique déjà longue, l’expérience indispensable.


En dehors de son réseau, l’État possède quelques lignes affermées. Nous avons vu que celles de la Corse, loin de lui procurer un revenu, laissent chaque année un déficit à combler. La ligne de Saint-Georges-de-Commiers à la Mure donne un produit net d’une centaine de mille francs par an.


II. — IMPOTS SUR LES TRANSPORTS

Ces impôts sont au nombre de deux : l’impôt sur les transports en grande vitesse, et le droit de timbre des récépissés. Ils sont payés par les voyageurs ou par les expéditeurs de marchandises, et rajoutent aux tarifs établis par les compagnies ou par l’administration des chemins de fer de l’État. Pour ceux qui les paient, ils se confondent dans les taxes du chemin de fer ; ils exercent donc, sur le trafic, la même influence qu’une augmentation de ces taxes, et constituent, au fond, une participation de l’Etat dans la recette brute totale réalisée sur le public. La perception est assurée par les compagnies, en même temps que celle du prix de transport, sans aucuns frais pour le fisc, et sans qu’aucune fraction de la matière imposable puisse échapper. Il existe, de ce point de vue, une différence complète entre les chemins de fer et les autres entreprises de transport, qui, n’étant soumises ni au même contrôle administratif, ni aux mêmes règles de fixité dans les prix, sont loin de présenter les mêmes facilités de perception, et qui, par suite, sont nécessairement placées sous un régime fiscal bien moins rigoureux.


L’impôt sur les transports en grande vitesse a donné, en 1894, une recette de 50 millions. Il porte sur les voyageurs, les bagages et les chiens : il est fixé à 12 pour 100 des taxes perçues par les compagnies sur les lignes d’intérêt général et à 3 pour 100 seulement sur les lignes d’intérêt local et les tramways. Les services de bateaux et de voitures paient, au lieu (le ce droit proportionnel, une taxe d’abonnement sensiblement moins lourde.

Depuis les conventions de 1883, cet impôt a subi une réduction qui, jointe à une diminution équivalente apportée dans les taxes des compagnies, a constitué une transformation radicale de la tarification de la grande vitesse. Cette transformation mérite une étude spéciale, car elle offre un excellent exemple des résultats que peut produire une réduction générale des prix dont les effets propres, sur le mouvement des transports, ne sont masqués ni par des causes étrangères, ni par des détournement de trafic, comme cela arrive trop souvent.

Avant cette réforme, l’impôt frappait non seulement les voyageurs et leurs bagages, mais encore tous les transports en grande vitesse, denrées ou messageries. Dans les nécessités financières qui suivirent les désastres de la guerre, on l’avait porté au chiffre énorme de 23,2 pour 100, en sorte qu’il constituait une entrave sérieuse au développement du trafic. Dans les conventions de 1883, l’État obtint des compagnies rengagement de réduire elles-mêmes sensiblement leurs tarifs, le jour où la surtaxe établie en 1871 serait supprimée.

En 1881, l’impôt sur la grande vitesse donnait un produit de 86 millions, inférieur de 3 millions à celui de 1883. La crise qui, dans les années suivantes, accentua dans une si large mesure le recul des recettes de la petite vitesse, ne fit que retarder la progression de celles de la grande vitesse. Elles reprirent bientôt leur marche ascendante et, en 1891, l’impôt donnait un produit de 96 millions. C’est alors que le dégrèvement fut résolu. Mais on ne se borna pas à supprimer la surtaxe établie après la guerre ; on abolit complètement l’impôt de la grande vitesse pour les messageries, denrées et bestiaux, en sorte qu’il ne frappe plus que les voyageurs et bagages, et encore avec le taux réduit que nous avons indiqué sur les lignes d’intérêt local. De leur côté, les compagnies, ne se bornèrent pas diminuer, comme elles s’y étaient engagées en 1883, le prix des billets simples à plein tarif, de 10 pour 100 en deuxième classe et de 20 pour 100 en troisième classe. Elles firent, pour les billets d’aller et retour, des réductions représentant, par rapport au prix quelles percevaient avant la réforme, 4 pour 100 pour la deuxième classe et 15 pour 100 pour la troisième. Elles établirent, pour les marchandises, des tarifs généraux communs, comportant des réductions considérables surtout pour les denrées. Au total, les sacrifices consentis, appliqués au trafic de l’année 1891, représentent environ 55 millions pour la part de l’État et 45 pour celle des compagnies.

Quelle a été l’influence, sur le trafic, de cette réduction de 100 millions, représentant au total 18 pour 100 des prix que payait le public, impôt compris ? Pour nous en rendre compte, il faut comparer la progression du trafic et des recettes, après la réforme, à ce qu’elle était avant. Le dégrèvement a été opéré le 1er avril 1892 ; l’année 1892, à cheval sur les deux régimes, ne peut donc pas fournir de résultats nets. Mais de 1891 à 1893, la réforme avait produit son entier effet, et le public avait eu le temps de s’y habituer. On peut donc utilement rapprocher la moitié de la progression réalisée par le trafic et les recettes, dans cet intervalle de deux ans, de la progression constatée en un an, avant la réforme, de 1890 à 1891.

De 1890 à 1891, le nombre de kilomètres parcourus par les voyageurs a augmenté de 343 millions ; c’est, à très peu près, la progression annuelle que nous retrouvons après la réforme, de 1893 à 1891. De 1891 à 1893, au contraire, on passe de 8 286 millions à 10 008 millions, avec une augmentation de 1 722 millions, dépassant d’un milliard la progression normale en deux ans ; ce milliard de kilomètres parcourus représente l’impulsion donnée au trafic par la réforme. Quant aux recettes des compagnies, de 1890 à 1891, elles avaient passé de 354 à 365 millions[4] progressant de 11 millions. De 1891 à 1893, la progression est de 22 millions, soit encore 11 millions par an ; de 1893 à 1894, elle est très légèrement supérieure et atteint 14 millions. On voit que la période qui comprend la réforme, comparée à celles qui l’ont précédée ou suivie, ne donne ni accélération, ni ralentissement dans la progression des recettes brutes. Comme, d’autre part, il n’a pas été possible de faire face au développement des quantités transportées sans un accroissement sensible dans le nombre des trains, la réforme se traduit, pour les compagnies, par une augmentation sérieuse de dépenses, sans modifications dans les recettes. Remarquons, à cette occasion, que si les conventions de 1883 ne les avaient pas autorisées à porter au compte d’établissement garanti les dépenses complémentaires résultant des agrandissement des gares et des augmentations de matériel nécessitées par l’accroissement du trafic, jamais les compagnies n’auraient prêté leur concours à l’abaissement des tarifs ; il n’aurait pu, en effet, se traduire pour elles que par des prélèvement sur le dividende, par suite de la nécessité où il les aurait mises de contracter des emprunts restant en dehors de la garantie.

Pour les accessoires de la grande vitesse, bagages, animaux, messageries, denrées, la statistique ne donne pas les quantités transportées. La recette, qui était de 86 millions en 1890, donne une progression de 6 millions de 1890 à 1891, juste égale à celle que nous retrouvons, une fois la réforme effectuée, de 1893 à 1894. De 1891 à 1893, l’augmentation est de 15 millions, dépassant de 3 millions la progression normale pour deux années. C’est là l’augmentation due au dégrèvement. Mais il faut remarquer que des transports de denrées assez importans, sur Paris, se font sous le régime de tarifs qui, avant la réforme, étaient appelés tarifs de petite vitesse accélérée, qui aujourd’hui rentrent dans le barème général de la grande vitesse, sans que ni les prix ni les délais aient été sensiblement modifiés. Une recette d’environ 3 millions a été ainsi transportée simplement, dans les écritures, de la petite vitesse à la grande, sans aucune modification effective. Déduction faite de cet élément, on trouve, pour les messageries comme pour les voyageurs, que la réforme n’a pas exercé d’influence appréciable sur les recettes des compagnies.

Son résultat financier est donc donné très exactement par la diminution du produit de l’impôt. Ce produit était de 96 millions en 1891 (lignes d’intérêt local comprises) et progressait d’environ trois millions par an. Il aurait donc dépassé 100 millions des 1893 ; or il en a donné 50 seulement en 1894. Ainsi, compensation faite des plus-values dues à l’augmentation du trafic, la perte aujourd’hui dépasse 50 millions.

Au total, si l’on prend l’ensemble des sommes encaissés par l’État et les compagnies, on voit que le coup de fouet donné au trafic par un dégrèvement atteignant 18 pour 100 des prix moyens, a permis de rattraper la moitié environ des recettes abandonnées. Les effets du dégrèvement ont bien répondu à l’intention du législateur, qui a été de réduire les charges du public, en faisant participer les compagnies à l’opération, de telle sorte que le dégrèvement d’impôt ne se traduise pas pour elles par un bénéfice ; il leur est même plutôt onéreux, par l’accroissement des dépenses. Il n’y a donc eu, dans l’opération, aucun mécompte. Mais il importe d’en rappeler les résultats, pour ne pas laisser citer, ainsi qu’on le fait souvent, la réforme de la grande vitesse comme un exemple à l’appui des doctrines qui représentent les abaissemens généraux de tarifs comme un moyen assuré d’accroître les recettes. Le public a profité largement de cette réforme, puisqu’il a pu voyager davantage avec une dépense moindre ; mais si elle n’a pas pesé lourdement sur les finances des compagnies, c’est que l’État a pris à son compte la perte, en supprimant la surtaxe véritablement abusive dont il avait chargé les transports, dans un moment de nécessité.


Le timbre des récépissés rapportait 28 millions en 1884 ; il en rapporte 33 en 1894. En principe, cet impôt frappe les transports de toute nature, et atteint la lettre de voiture d’un entrepreneur de camionnage comme le récépissé du chemin de fer ; mais en fait, il est perçu, sur les chemins de fer, dans des conditions qui en transforment complètement le caractère. En général, les citoyens sont libres de passer entre eux les contrats d’intérêt privé verbalement ou par écrit, et ce n’est que quand ils invoquent, devant l’autorité publique, un contrat écrit, que l’administration est en droit de vérifier s’il a été dressé sur papier timbré. Les compagnies de chemins de fer, au contraire, sont tenues, en vertu de la loi de finances du 13 mai 1863, de délivrer à l’expéditeur un récépissé sur timbre, même s’il ne le demande pas. Il y a donc la une taxe spéciale sur tous les transports par chemin de fer, qui vient s’ajouter aux frais d’enregistrement perçus par les compagnies, et qui leur est très supérieure.

Le tarif est, en effet, de 0 fr. 70 pour chaque expédition en petite vitesse, de 0 fr. 35 pour la grande vitesse, de 0 fr. 10 pour les colis postaux et aussi pour les expéditions de toute nature faites par les tramways. Ce tarif, surtout en petite vitesse, est absolument exorbitant pour les petites expéditions, qui sont extrêmement nombreuses, puisque les envois payant moins de 2 francs comme prix de transport représentent 43 pour 100 des expéditions par chemin de fer, colis postaux non compris. Depuis longtemps, on étudie la substitution, au tarif unique, d’un tarif gradué d’après l’importance de la taxe payée au chemin de fer. Plusieurs projets insuffisamment étudiés ont été votés, puis abandonnés. Le gouvernement en a présenté un nouveau, cette année, qui établit, pour la grande comme pour la petite vitesse, un tarif gradué, depuis 0 fr. 25 sur les transports d’un prix inférieur à 2 francs, jusqu’à 1 fr. 25 sur ceux dont le prix dépasse 50 francs. Ce tarif, qui donnerait un produit total presque égal à celui de l’impôt actuel, ferait disparaître un véritable abus. On pourrait l’améliorer et l’abaisser encore, sans perte pour le Trésor, si l’on étendait l’obligation du timbre aux bulletins de bagages ; on réaliserait ainsi une réforme utile et équitable, en déchargeant les transports commerciaux, sauf à grever un peu les bagages, que notre tarification traite avec une extrême faveur, puisque le voyageur qui n’en a pas payé le même prix que celui qui en fait transporter trente kilogrammes.


Les deux impôts que nous venons d’examiner ayant produit, en 1894, 83 millions, entrent ainsi pour un peu plus de 6 pour 100 dans le total des sommes payées par le public pour les transports par chemins de fer ; en 1884, cette proportion atteignait près de 10 pour 100. On voit que la part du fisc, dans le produit des transports, est loin d’être négligeable. A moins que de nouveaux dégrèvement ne soient votés par les pouvoirs publics, cette recette suivra, dans l’avenir, la même progression que le trafic.

L’impôt sur la grande vitesse n’existe pas en Algérie. Le timbre des récépissés y a produit 425 000 francs, en 1894.

III. — IMPOTS SUR LES TITRES

Les impôts qui pèsent sur les titres émis par les compagnies n’ont nullement le caractère d’une charge spéciale aux chemins de fer, et sont identiques à ceux qui frappent toutes les valeurs mobilières. Ils n’en constituent pas moins une recette budgétaire due au régime que la France a adopté pour réaliser la majeure partie du capital d’établissement de ses lignes, savoir : l’émission de titres par des sociétés anonymes. Si, comme en Allemagne, tous les chemins de fer étaient exploités par l’État, et si le capital avait été fourni par l’émission de rentes exemptes de tout impôt, cette recette n’apparaîtrait pas au budget. Si, comme pour les voies navigables et les routes, l’État avait assumé les dépenses d’établissement de la voie, en ne laissant à l’industrie que le soin de fournir le matériel roulant, le capital réalisé en actions et obligations eût été d’environ 2 milliards, au lieu de monter à près de 14 milliards, et les impôts donneraient un produit sept fois moindre. Il y a donc bien là une recette qui doit entrer en compte, dans l’étude des résultats financiers du régime des chemins de fer français.

La question de savoir à qui incombe définitivement la charge correspondante à chacune de ces taxes est assez complexe, comme toutes les questions d’incidence de l’impôt. Celui du timbre est dû par la société anonyme, en tant que personne morale, et figure dans ses dépenses annuelles, soit parmi les charges des capitaux, soit parmi les frais généraux de l’exploitation. Les autres impôts sur les titres sont dus par les porteurs, et la compagnie n’intervient que comme collecteur, pour le compte du fisc. Pour tous les titres émis depuis que ces impôts sont en vigueur, ceux-ci ont eu pour effet de déprimer le cours d’émission, car le particulier qui fait un placement ne paye le titre qu’en raison du revenu net qu’il en tirera ; les retenues faites sur les coupons, en raison de l’impôt, ont donc pour effet, en abaissant le cours, d’augmenter le nombre des titres à émettre pour réaliser un même capital, et accroissent d’autant les charges des emprunts. Pour les titres émis avant la création d’un impôt, cet impôt, le jour où il a été établi, a été une cause de dépréciation, par rapport aux capitaux mobiliers ou immobiliers dont le revenu n’était pas grevé simultanément d’une surcharge identique ; la valeur de chaque titre a diminué d’une somme correspondant à la réduction du revenu. De même, les relèvemens successifs du taux de l’impôt ont eu pour conséquence une réduction du capital possédé par ceux qui détenaient les titres, au moment où ces prélèvement nouveaux ont été institués.

Nous avons vu que, dans un grand nombre de cas, et notamment pour toutes les concessions faites en 1883, les subventions données par l’État, pour la construction des lignes neuves peu productives, sont réalisées par les compagnies, au moyen d’émissions d’obligations, dont les charges annuelles, intérêt, amortissement et frais accessoires, leur sont remboursées par l’État. Dans ce cas, le Trésor se paye à lui-même l’impôt, puisque, d’une part, il rembourse aux compagnies le droit de timbre, et que, d’autre part, il supporte les charges d’intérêt dont le taux résulte des cours d’émission déprimés par les retenues qui seront faites sur le coupon payé au porteur. Il y a là une compensation partielle, qui atténue d’autant les charges apparentes des annuités.

C’est même un point qu’il importe de ne pas oublier, quand on compare les charges des emprunts réalisés directement par l’État, et de ceux qu’il effectue par l’intermédiaire des compagnies. Ce qu’il faut comparer, c’est la charge effective, déduction faite des impôts que l’État paie d’une main et reçoit de l’autre. Le calcul nécessaire est fort compliqué ; il est même impossible à faire rigoureusement, car l’un des impôts, le droit de transmission, doit donner un rendement différent d’année en année, selon le cours des titres, sur lequel on ne peut faire que des hypothèses, et aussi selon la proportion des titres au porteur et des titres nominatifs, qui est encore plus difficile à prévoir. Néanmoins, les calculs faits, par des méthodes diverses, montrent tous qu’avant 1870, le crédit de l’État empruntant directement était nettement supérieur à celui des grandes compagnies. A la suite de la guerre, la situation a été un moment renversée. Après quelques oscillations, on est arrivé depuis plusieurs années à l’équilibre, et il n’existe plus aujourd’hui, dans un sens ou dans l’autre, de différence appréciable, entre le revenu de la rente 3 pour 100, et celui que donnent, net d’impôt, les obligations de chemin de fer, en tenant compte de la prime d’amortissement. Au contraire, les compagnies secondaires ont un crédit inférieur à celui de l’État. Quand l’État emprunte par leur intermédiaire, en leur allouant des garanties qui couvriront, jusqu’en fin de concession, la majeure partie du service des titres, il s’impose des charges effectives sensiblement plus élevées que s’il empruntait directement.


Le premier des impôts sur les titres est le timbre des actions et des obligations. Il incombe aux compagnies, qui le paient sous la forme d’un abonnement annuel de 0 fr. 06 par 100 francs de valeur nominale du titre. Il a produit, en 1894, 10 millions pour les compagnies françaises, et 400 000 francs pour les compagnies algériennes et coloniales.

Le second des impôts est le droit de transmission entre vifs. Il a été institué par la loi du 23 juin 1857, qui en avait fixé le taux à 0 fr. 20 par 100 francs sur la valeur négociée pour tout transfert de titres nominatifs ; les titres au porteur payaient un abonnement annuel de 0 fr. 12 par 100 francs, calculé d’après le cours moyen de l’année précédente. La loi du 29 juin 1872 a porté ces tarifs respectivement à 0 fr. 50 et 0 fr. 20, ce qui doublait l’impôt en moyenne. Le produit réalisé, en 1894, a été de 18 millions pour la France, et de 800 000 francs pour l’Algérie et les colonies. Les titres anciens et nouveaux paient en raison de leur valeur actuelle ; sur le montant total de cette valeur, un tiers environ est constitué par des titres émis avant l’établissement de l’impôt, et un tiers par des titres émis entre son établissement et l’époque où il a été doublé. On peut donc admettre que, sur le rendement actuel de l’impôt, un tiers plus un demi-tiers, soit la moitié, a frappé uniquement les porteurs des titres en circulation en 1857 ou en 1872, tandis que l’autre moitié a eu pour seule conséquence une aggravation des charges des emprunts contractés, depuis lors, en vue de l’extension du réseau.

Enfin nous arrivons à l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières et sur les primes de remboursement des titres, qui a été établi par la loi du 29 juin 1872 ; son taux était alors de 3 pour 100 ; il a été porté à 4 pour 100 par la loi du 26 décembre 1890. Il a produit, en 1894, 27 millions pour les compagnies françaises et 1 million pour les compagnies algériennes et coloniales. Dans cette somme entre, pour 17 millions, la part qui frappe les titres émis avant l’institution de l’impôt, pour 2 millions la surtaxe de 1 pour 100 établie sur les titres émis entre 1872 et 1890. Ainsi dans le produit total, 19 millions représentent un prélèvement sur le revenu de titres déjà en circulation, et 8 millions une charge qui a pesé sur des émissions nouvelles.


Dans l’ensemble, les titres de toutes les compagnies de chemins de fer représentent, au cours actuel, une valeur d’environ 20 milliards ; en 1894, le service des intérêts a absorbé 677 millions, et l’amortissement 107 millions, en y comprenant la prime de remboursement. Ces titres ont payé au fisc 57 millions d’impôts ; en 1884, la recette correspondante n’était que de 42 millions. Cette augmentation considérable est due : 1° au relèvement du taux de l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières, édicté en 1890 ; 2° à la hausse générale des cours, conséquence de la baisse du taux de l’intérêt ; 3° à l’accroissement du nombre des titres en circulation. On doit se demander dans quelle mesure les mêmes causes pourront agir dans l’avenir.

Il est peu probable que l’on relève l’impôt spécial sur le revenu des valeurs mobilières, dont le taux est déjà fort élevé pour un impôt de superposition, qui ne dispense les sociétés anonymes du paiement d’aucun des impôts directs ou indirects de droit commun. Si, dans l’avenir, une nouvelle taxe devait grever ces titres, ce serait sans doute sous la forme d’un impôt global sur les revenus de toute nature, y compris la rente, qui ne produirait nullement les mêmes effets, qui n’aurait aucun lien avec le régime de concession adopté pour nos chemins de fer, et ne devrait pas figurer dans les recettes dues à ce régime.

La hausse des cours, corrélative de la baisse du taux de l’intérêt, se continuera-t-elle ? Il semble qu’on doive le prévoir pour quelque temps au moins, sans toutefois pouvoir l’affirmer. En tout cas, la hausse des obligations est limitée par le taux de remboursement de 500 francs.

Le nombre des titres en circulation continuera à augmenter pendant quelques années : mais cette augmentation doit aller en se ralentissent. D’une part, les émissions diminuent à mesure que le réseau se complète, et que les travaux neufs diminuent d’activité ; d’autre part, à mesure qu’on se rapproche de la fin de la concession, l’amortissement prend de plus en plus d’importance. En 1894, les compagnies ont émis environ 420 000 titres, et en ont remboursé à peu près moitié autant ; dans vingt ans, le nombre des titres remboursés chaque année aura plus que doublé ; les émissions auront sensiblement diminué, à moins que quelque nouvelle invention n’oblige à transformer l’outillage de nos voies ferrées. Ainsi, il y a tout lieu de penser que le nombre des titres en circulation atteindra bientôt son maximum, pour commencer ensuite à décroître.

On peut donc attendre encore une légère augmentation du produit des impôts que nous venons d’examiner ; mais il n’y a pas lieu de leur attribuer, comme aux impôts sur les transports, une faculté de plus-values dont on n’aperçoive pas la limite.


IV. — ÉCONOMIES SUR LES TRANSPORTS DE L’ÈTAT

C’est sous cette rubrique que figurent, dans les statistiques, les évaluations tout à fait exagérées qu’on a critiquées à si bon droit. Leur exagération était devenue surtout manifeste, après la réforme des tarifs de grande vitesse, qui a atténué l’écart entre les prix payés par le public et les prix spéciaux dont jouissent certains services de l’État, en vertu du cahier des charges. Les bases nouvelles d’évaluation, arrêtées par une commission composée de représentans des ministères intéressés, en tenant compte de ces réductions, sont au contraire très modérées. Bien que les compagnies aient protesté contre certaines diminutions, qu’elles jugent excessives, nous les adoptons dans notre travail, convaincu que nous donnerons ainsi une juste appréciation des faits.

La plus importante des économies en question est celle qui est réalisée par le service des postes. Les compagnies sont tenues de transporter gratuitement, dans chaque train, un bureau ambulant, si l’administration des postes le requiert ; quand ce bureau n’est pas nécessaire, un ou deux compartimens de 2e classe sont mis, toujours gratuitement, à la disposition du service postal. On évaluait, jusqu’ici, le transport du bureau ambulant à 1 franc par kilomètre, prix payé pour les wagons-salons des particuliers, et l’occupation d’un compartiment de 2e classe à 0 fr. 50, prix voisin de 7 places à plein tarif. Dans les statistiques futures, ces chiffres seront réduits de moitié. Dans ces conditions, les économies réalisées par le service postal, en 1894, doivent être évaluées à 38 millions. Il faut remarquer qu’on ne fait pas entrer en compte la faculté, qui appartient à l’administration des postes, de fixer l’horaire d’un train de chaque sens sur chaque ligne ; il est impossible, en effet, de chiffrer la gêne qui en résulte pour les compagnies. Mais il n’est pas douteux que, sur les lignes secondaires, les compagnies sont ainsi astreintes à mettre parfois des trains en marche, à des heures où la recette qu’ils font est à peu près nulle, et même à organiser des services de nuit qui, sans cela, ne seraient pas nécessaires. Il y a là une sujétion et un surcroît de charges, dont il faut tenir un certain compte ; c’est une raison pour ne pas réduire outre mesure les prix unitaires qui servent de base à notre calcul, et qui sont déjà faibles.

Le service télégraphique a droit à des facilités, notamment pour l’installation de ses bureaux dans les gares, que les compagnies évaluaient entre 6 et 7 millions par an. Établissant une compensation entre les économies que se procurent réciproquement, dans les services communs, l’administration des télégraphes et les compagnies, l’administration n’admet plus, comme une charge réelle pour celles-ci, que les réductions de prix dont profitent les transports du matériel et du personnel télégraphique ; ces réductions représentent près de 4 millions par an.

Les cartes de libre circulation, dont profitent les agens des douanes et des contributions indirectes, représentent une économie d’un peu plus d’un million.

Les militaires et marins sont transportés, en vertu du cahier des charges, moyennant le quart du tarif maximum dont la perception est autorisée par l’acte de concession. Autrefois, les prix payés effectivement par le public étaient rarement inférieurs à ce maximum ; on pouvait admettre que l’économie réalisée représentait trois fois le prix payé pour les transports à quart de place, et c’était sur cette base que les statistiques étaient dressées. Mais le développement des billets d’aller et retour et des réductions de toute nature, puis surtout la réforme de 1892, ont singulièrement abaissé le prix moyen. En 1894, la taxe moyenne, pour les voyageurs civils, a été de 4 c.09 par kilomètre ; pour les voyageurs militaires, elle est de 1 c.59. La comparaison de ces deux bases fait ressortir l’économie réelle à deux centimes et demi, en moyenne, par kilomètre parcouru. C’est d’après ce chiffre que l’on évalue à 26 millions le bénéfice réel procuré à l’État par les stipulations du cahier des charges.

Le traité passé entre le ministère de la guerre et les compagnies, pour les transports de matériel, ferait, d’après la commission spéciale, ressortir une économie de 20 pour 100 sur les prix du commerce, qui se chiffrerait par 2 à 3 millions par an. Mais comme il s’agit d’un arrangement amiable, nous devons admettre que les compagnies trouvent une compensation dans les avantages stipulés à leur profit, et ne pas faire état de cet élément. Nous excluons, par la même raison, les économies provenant du traité relatif aux transports de l’administration des finances. Quant aux réductions inscrites dans le cahier des charges, pour le transport des prisonniers, elles n’ont pas paru assez marquées pour entrer en compte.

Au total, une évaluation extrêmement modérée nous conduit à chiffrer par 69 millions, en 1894, les économies que l’État retire des stipulations insérées dans les cahiers des charges, en vertu de remises qui constituent une compensation partielle aux sacrifices budgétaires faits pour les chemins de fer, et qui sont aussi l’une des causes de l’appel fait par les compagnies à la garantie d’intérêts. La statistique de 1884 donnait, pour le chiffre correspondant, 103 millions ; en substituant aux bases de cette statistique les bases nouvelles, nous trouverions 51 millions seulement. L’augmentation qui s’est produite dans les transports de l’État, au cours de cette période, paraît devoir se continuer, en raison notamment de la progression continue des services postaux.

Les statistiques ne donnent pas les résultats analogues pour l’Algérie. Les stipulations des cahiers des charges y sont moins rigoureuses pour les compagnies. Le transport des dépêches est gratuit, comme en France, mais l’administration des postes ne peut utiliser, sans payer, que les trains circulant aux heures ordinaires de l’exploitation. Les militaires et marins ne jouissent que d’une réduction de moitié sur le tarif légal. D’après la statistique de la marche des trains et des transports militaires, ces avantages paraissent pouvoir être évalués, le premier à un million, le second à un demi-million, pour 1894.


Résumons l’étude que nous venons de faire des bénéfices que l’État tire du régime des chemins de fer, comme nous l’avons fait pour ses charges, par un tableau donnant la comparaison des chiffres afférens aux années 1884 et 1894, en millions de francs. Nous rappelons, à côté du total, les chiffres trouvés antérieurement, pour les dépenses assumées par l’État dans la constitution de notre réseau.

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France métropolitaine. « Algérie et Colonies. «
1884 1894 1884 1894
Remboursement des frais de contrôle. 3 4 0,2 0,3
Produit net du réseau d’État 4 9 « «
Impôts sur les transports 114 83 0,3 0,4
Impôts sur les titres 41 55 1,4 2,1
Économies des services publics 51 69 1 1,5
Totaux 213 220 2,9 4,3
Dépenses 277 306 25,7 33,3


On voit que, depuis dix ans, les bénéfices tirés par l’État du régime des chemins de fer ont fort peu augmenté, tandis que la dépense annuelle augmentait de 29 millions pour la France, de 8 millions pour l’Algérie et les colonies. Mais il ne faut pas oublier que, dans l’intervalle, le public a profité de plus de 50 millions de dégrèvement d’impôts sur les transports, sans parler de la réduction égale faite par les compagnies, qui a été compensée par l’impulsion donnée au trafic. L’augmentation de 1 pour 100 que la loi de 1890 a apportée à l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières, et qui entre pour 7 millions dans les produits de l’année 1894, n’a pu qu’atténuer légèrement les effets de ce dégrèvement. Si de nouvelles modifications législatives ne viennent pas transformer le régime fiscal des chemins de fer, les bénéfices que l’État en tire continueront sans doute à progresser, avec le trafic, dans une mesure qu’il est difficile d’évaluer à moins de 3 millions par an.

V. — CONCLUSIONS GÉNÉRALES

Le dépouillement minutieux auquel nous avons procédé montre que, pour l’année d’exploitation 1894, les dépenses retombant à la charge de l’État, par l’effet du régime financier de nos chemins de fer, excèdent les recettes et bénéfices dus à ce régime, de 86 millions pour la France métropolitaine, de 29 millions pour l’Algérie et les colonies. Comme nous l’avons déjà dit, ces deux chiffres ne nous paraissent pas devoir être totalisés, non seulement parce que les réseaux auxquels ils se rapportent n’ont aucun lien entre eux, mais surtout parce que les motifs qui conduisent les pouvoirs publics à assumer ces charges sont absolument différens. La mise en valeur des pays neufs est une opération légalement et économiquement indépendante des facilités de circulation nécessaires à la France.

Il est regrettable de ne pas pouvoir établir un compte à part pour les dépenses faites dans un intérêt militaire, qui, par leur nature même, seraient des dépenses d’État sous quelque régime que ce fût. Sans doute, les services que les chemins de fer, construits en vue des besoins généraux du pays, rendent aux transports militaires, rentrent dans l’ensemble des avantages qui découlent de leur création, et ne justifieraient pas l’établissement d’un compte spécial ; à l’inverse, les installations ou les engins destinés exclusivement au service militaire, et qui ne peuvent pas être utilisés dans le service commercial, sont payés sur le budget du ministère de la guerre, et sont, par suite, restés en dehors des comptes que nous avons établis. Mais, entre ces deux cas bien tranchés, il en existe de très nombreux, où des travaux qui rentrent dans les types ordinaires des chemins de fer d’intérêt commercial, et sont rattachés aux comptes des travaux publics, sont faits exclusivement ou presque exclusivement dans un but militaire. Ainsi, parmi les annuités inscrites au budget, figurent pour plus de 5 millions des dépenses afférentes à la pose de la double voie sur des lignes où ce doublement a été réalisé uniquement en vue des besoins de la mobilisation de l’armée. La plupart des lignes faites dans l’Est, dans les Alpes, depuis vingt ans, offrent surtout un intérêt stratégique ; dans l’Est notamment, ce sont des considérations militaires qui ont fait construire des lignes à double voie et à profil excellent, coûtant cinq ou six cent mille francs par kilomètre, dans beaucoup de régions où une ligne secondaire, coûtant quatre fois moins, aurait largement suffi à desservir les besoins civils. Il est impossible de chiffrer la fraction des dépenses incombant à l’État, du chef des chemins de fer, qui doit être considérée comme faite exclusivement dans l’intérêt de la défense nationale. Mais il n’est pas douteux que, dans les charges annuelles que nous avons énumérées, 20 ou 30 millions au moins rentrent dans cet objet, sans parler, bien entendu, des lignes prétendues stratégiques, auxquelles ce titre n’a été donné que parce qu’il était impossible de motiver autrement les dépenses qu’elles entraînaient.

Parmi les lignes établies dans l’intérêt du public, ce sont les lignes secondaires, surtout celles qui traversent des pays difficiles, qui seules donnent des déficits. Il est tout à fait inexact de dire, comme on le fait trop souvent, que les pays pauvres, où le service est moins complet, les tarifs parfois moins abaissés que sur les grandes lignes, sont injustement traités, parce qu’ils supportent les charges générales du réseau comme les pays riches, pour être moins bien desservis ; la vérité, c’est que ce sont les pays riches qui paient pour les pauvres. Prenons pour exemple la ligne de Paris à Marseille. L’État a contribué à son établissement pour une somme de 150 millions, dont l’intérêt est couvert deux fois au moins par les impôts et les bénéfices qu’elle lui procure. La compagnie, de son côté, en tire 102 millions de produit net, tandis que les charges des capitaux qu’elle y a dépensés n’atteignent que 34 millions ; admettons, comme cela est juste, que les 27 millions distribués aux actionnaires, en sus de l’intérêt de leurs versement au taux légal, soient prélevés uniquement sur le produit de cette ligne ; il n’en reste pas moins 41 millions qu’elle déverse sur le reste du réseau, en atténuation de la garantie. On trouverait, pour chaque compagnie, des exemples, sinon aussi topiques, du moins analogues. Les 6 000 kilomètres qui constituent les grandes artères donnent des excédens de recettes considérables ; les autres lignes concédées avant 1859 n’ont que des déficits modérés ; ce sont les concessions faites aux grandes compagnies depuis l’institution de la garantie, en 1863, en 1868, en 1873, en 1875, en 1883, et les lignes rachetées ou concédées aux compagnies secondaires, qui causent les charges du Trésor. Sans doute, si ces affluens n’existaient pas, les grandes artères n’auraient jamais atteint leur trafic actuel ; il n’en est pas moins vrai que les régions desservies par ces dernières, loin d’être favorisées aux frais des contribuables, paient des taxes très supérieures au prix de revient des transports qui s’y effectuent, amortissement du capital compris, et cela pour subvenir en partie aux déficits des lignes secondaires. Il faut remarquer aussi que les sacrifices de l’État n’ont pas seulement pour effet, comme la plupart des dépenses budgétaires, de subvenir aux besoins et aux charges de l’année. Ils constituent, dans une certaine mesure, un placement pour l’avenir et un amortissement des dettes du passé.

Ce caractère de placement rencontre dans les travaux neufs, qui entrent pour 11 millions dans la dépense totale de 1894. Il ne saurait être contesté à la partie de cette somme qui est absorbée par les travaux complémentaires du réseau d’État, puisque ces travaux sont motivés par le développement du trafic et des recettes. La question est plus douteuse, pour la partie consacrée à la construction de lignes neuves, qui ne rémunèreront pas leur capital d’établissement. Cependant, il est certain que ces lignes constitueront un legs utile de la génération présente aux générations futures. S’il est contestable qu’on enrichisse ces générations, en les grevant de l’intérêt d’emprunts contractés pour des travaux non rémunérateurs, il est certain qu’on travaille pour elles, quand on prélève sur les ressources du présent de quoi améliorer l’outillage national, même si l’amélioration n’offre pas une utilité répondant entièrement à la dépense qu’elle entraîne. Les travaux faits sur le budget ordinaire constitueraient donc bien un placement, si ce budget était réellement alimente par les ressources normales de l’exercice.

Ce qui est un placement incontestable, c’est la partie des annuités et des garanties d’intérêts affectée à l’amortissement du capital des chemins de fer. Grâce à cet amortissement, entre 1950 et 1960, tous les grands réseaux feront successivement retour à l’Etat, sans que celui-ci ait d’autre dépense à faire que de payer le matériel roulant de celles des compagnies dont il ne serait pas créancier pour une valeur au moins égale, en raison des avances de garantie. On peut donc dire que, par l’effet du régime légal de nos chemins de fer, toutes les sommes affectées, chaque année, au remboursement des titres émis pour leur construction, sont consacrées à acquérir, peu à peu, à l’Etat, ce magnifique domaine.

En 1894, les compagnies, grandes et petites, ont consacré 105 millions au remboursement de leurs titres ; le Trésor public, d’autre part, a consacré 25 millions au remboursement de la dette 3 pour 100 amortissable, dont la moitié environ a été émise pour faire face aux rachats et travaux de chemins de fer effectués par l’Etat. Cela fait 120 millions affectés à l’extinction du capital des chemins de fer. Cette somme n’a pas intégralement le caractère d’un amortissement ; elle comprend, en effet, la prime de remboursement, qui a plutôt le caractère d’un supplément d’intérêts, et dont l’importance relative varie avec le prix d’émission des obligations. Un calcul approché permet d’évaluer au tiers des sommes absorbées par le remboursement de la dette, la part afférente à la prime ; le surplus représente, sans aucun doute, un amortissement réel.

Non seulement on amortit progressivement le capital qui a servi à créer le réseau de nos chemins de fer, mais encore on retranche immédiatement de ce capital, en les faisant rembourser par le compte de l’entretien, toutes les dépenses faites pour du matériel qui cesse d’être utilisé, pour des installations que l’on supprime, en les remplaçant par d’autres, etc. C’est là une des causes qui ont grevé lourdement le compte d’exploitation, dans les derniers exercices, au cours desquels on a dû transformer les gares de Paris, remplacer les anciens viaducs de la Seine, etc. Les compagnies ont souvent demandé l’autorisation d’alléger leurs charges immédiates, en laissant figurer au compte d’établissement les dépenses qui y ont été régulièrement inscrites dans le passé, même quand les travaux faits sont détruits ; le gouvernement, de son côté a été parfois tenté d’accepter ce moyen pour soulager les garanties, en considérant comme excessifs, eu égard à la situation financière, les sacrifices faits pour l’amortissement des capitaux dépensés pour les chemins de fer.

C’est avec grande raison qu’on a résisté à cette tentation. Loin de considérer l’amortissement actuel comme excessif, nous inclinerions à trouver bien long le délai à courir d’ici à ce qu’il soit terminé. Dans un siècle de découvertes industrielles comme le nôtre, les progrès de la science peuvent, à chaque instant, amener des inventions qui obligent à des transformations radicales et très onéreuses de nos voies actuelles ; on ne saurait donc les amortir trop rapidement. Sans doute, quand le délai restant à courir sur les concessions sera tellement réduit que l’amortissement entrerait pour moitié dans les charges des emprunts nouveaux, il faudra bien adopter une nouvelle échéance, pour ne pas rendre tout travail neuf impossible ; le fait se produirait, pour des emprunts contractés aux environs de 3 pour 100, vingt ou vingt-cinq ans avant la fin de la concession. D’ici là, il est sage de ne rien faire qui ralentisse l’amortissement. Mais tout en reconnaissant le caractère aléatoire de la valeur que présentera notre réseau dans plus d’un demi-siècle, on ne peut contester que son retour gratuit à l’État, obtenu grâce à l’amortissement automatique du capital, constitue une compensation des sacrifices budgétaires actuels, dont il importe de tenir compte. Même en tenant compte de toutes ces considérations, il faut reconnaître que les sacrifices que notre réseau impose à l’État sont singulièrement lourds. Ils deviendraient tout à fait excessifs, s’ils devaient se grossir sans compensation : 1° des 40 millions qui viendront s’ajouter, en quinze ou dix-huit ans, aux annuités déjà dues pour la construction des lignes concédées en 1883 ; 2° de quelques centaines de mille francs, chaque année, pour les lignes d’intérêt local ; 3° de quelques millions, pour l’achèvement des réseaux secondaires, pour les pénétrations nouvelles en Algérie, etc. Heureusement, la réduction de la garantie des grands réseaux peut atténuer singulièrement ces charges. Si nous comparons l’année d’exploitation 1894 à celles qui l’ont précédée et suivie, nous voyons que, malgré l’augmentation automatique d’environ 3 millions par an due aux causes que nous venons d’énumérer, les charges totales de l’État ont diminué de 17 millions de 1893 à 1894, et de 15 millions de 1894 à 1895. Cela fait, en deux ans, 32 millions de réduction dans les charges que les chemins de fer métropolitains imposent au budget. En même temps, les recettes et bénéfices augmentaient de 4 millions par an, et les charges des lignes algériennes diminuaient de 2 millions.

Suns compter sur une amélioration aussi grande chaque année, on peut espérer que le progrès se continuera. Il peut s’accélérer singulièrement, si la baisse du taux de l’intérêt se poursuit pendant quelques années encore, par la conversion de la dette de l’Etat ou de celle des compagnies.

Dans les 306 millions de charges afférentes à l’année 1894, nous avons compté pour 130 millions les charges des emprunts directement contractés par l’Etat pour le rachat ou la construction de chemins de fer. Ces 130 millions comprennent 60 millions de rente 3 pour 100 perpétuelle. Une conversion réduisant de un quart pour 100 seulement l’intérêt de cette dette diminuerait donc de 5 millions celles des charges de l’État qui proviennent des chemins de fer.

La conversion de la dette des grandes compagnies serait encore plus profitable au Trésor public. La question de savoir si cette conversion est légalement possible a été discutée ; elle est actuellement pendante devant la Cour de cassation, pour un emprunt ancien de la compagnie de l’Est, contracté en titres rapportant 25 francs d’intérêt et remboursables à 650 francs, Nous croyons pouvoir espérer que la Cour suprême ne confirmera pas les décisions déjà rendues, qui tendent à déclarer inapplicables à tous les emprunts amortissables par annuités, même avec prime de remboursement, la disposition du code civil en vertu de laquelle le terme est présumé stipulé en faveur du débiteur. Mais, quelle que soit l’issue du procès en cours, la faculté de conversion, rappelée sur le titre même, ne peut pas être contestée pour la dette des compagnies de Lyon et d’Orléans.

Cette conversion, sous le régime des conventions anciennes, eût profité exclusivement aux actionnaires ; en effet, l’intérêt garanti ou le revenu réservé était calculé d’après un taux forfaitaire, et l’écart, en plus ou en moins, entre la garantie établie d’après ce taux et les charges réelles des emprunts, ne faisait que diminuer ou accroître le dividende, sans réagir sur les charges de l’État. Les conventions de 1883 ont fixé le dividende garanti ne varietur, et aujourd’hui les avances de l’État, comme les annuités de toute nature, se calculent d’après les charges réelles des emprunts ; si donc une conversion vient réduire ces charges, c’est autant de gagné pour le budget. L’attention ne s’était pas portée sur ce point dans les négociations, car en 1883 on ne songeait guère à une conversion des obligations ; le seul but poursuivi, dans la nouvelle rédaction, était un but de simplification. Il y a là une de ces conséquences imprévues qu’entraîne tout contrat à longue échéance ; celle-là peut être fort avantageuse à l’État. Mais le texte est précis ; elle ne saurait être contestée.

L’État est même plus intéressé que les compagnies dans les conversions, car celles-ci réduiraient beaucoup plus les charges des prochains exercices, que celles des dernières années de la concession ; en effet, dans l’annuité fixe qui constitue les charges de chaque emprunt, la part afférente à l’intérêt, qui est seule réductible par voie de conversion, va en décroissant d’année en année, tandis que l’amortissement, qui est irréductible, va en augmentant. C’est donc dans les années prochaines, celles où la garantie aura encore le plus d’importance, que la conversion aurait l’effet le plus considérable.

Les obligations du type ordinaire ne donnent pas aux porteurs un revenu net montant à 3 pour 100 du capital nominal ; il en faut déduire l’impôt sur le revenu, et le droit de transmission, qui ne peut pas être calculé exactement, puisqu’il ne frappe pas également les titres au porteur et les titres nominatifs, mais qui donne un rendement égal aux trois cinquièmes de l’impôt sur le revenu. Les obligations de chemins de fer peuvent, par suite, être assimilées à de la rente 2,80 pour 100. Cette assimilation donnerait le cours de 467 francs, quand la rente 3 pour 100 est au pair, ce qui répond en effet assez bien à la cote de la Bourse.

La conversion des obligations ne serait donc réalisable qu’avec une baisse du taux de l’intérêt un peu plus accentuée que celle qui rendrait possible la conversion de la rente 3 pour 100 ; elle ne serait réellement fructueuse que le jour où une rente d’État du type deux et demi pour 100 approcherait du pair. Il est très possible que cette situation se présente avant longtemps. La compagnie d’Orléans vient de mettre en circulation un nouveau-type d’obligations deux et demi pour 100, qui, bien que grevées de l’impôt sur le revenu et du droit de transmission, sont déjà cotées 440 francs, alors que le cours donnant la parité avec celui des obligations 3 pour 100 serait 420 francs. Ce fait montre dans quelles conditions favorables pourrait déjà s’opérer l’échange des titres en circulation contre des types plus éloignés du pair. Il permet d’entrevoir la possibilité de conversions facultatives, Pour les obligations qui seraient jugées non remboursables d’office par anticipation. La possibilité du remboursement à chaque tirage devant toujours empêcher ces titres de dépasser notablement le pair, il serait sans doute possible, quand ils y arriveront, de les échanger avantageusement contre des titres offrant l’attrait d’une possibilité de hausse et d’une prime de remboursement. Une mesure analogue pourra être étudiée pour la rente 3 p. 100 amortissable qui n’est pas convertissable d’office d’après les indications données dans l’exposé des motifs de la loi qui l’a créée, et dont les intérêts figurent pour 59 millions dans les charges des emprunts contractés directement par l’État pour les chemins de fer.

Une réduction d’un quart de point seulement, dans les intérêts des obligations, réduirait de près de 3 millions les annuités dues par l’État, pour les emprunts émis par les compagnies de Lyon et d’Orléans en représentation de ses subventions ; la Compagnie de Lyon entrerait dans la période de remboursement, et celle d’Orléans cesserait presque de faire appel à la garantie. Si la même opération. ou une conversion facultative équivalente, était réalisable pour les trois autres compagnies, il en résulterait une réduction égale pour les annuités, une réduction de 13 millions dans les avances de garantie. Même en tenant compte de l’augmentation des versemens à faire pour les caisses le retraites, et de la réduction du produit de l’impôt sur le revenu, l’opération totale se traduirait pour l’État par une trentaine de millions de bénéfices. Une seconde réduction d’un quart de point doublerait ce chiffre.

On voit combien l’État est intéressé à ce que le crédit des compagnies reste un crédit de premier ordre. Même si l’éventualité des grandes conversions ne devait pas se réaliser, cet intérêt serait considérable, puisque chaque année, les compagnies empruntent 60 ou 80 millions qui viennent s’ajouter au capital garanti, puisque, en outre, elles ont encore à emprunter, pour le compte de l’État, un milliard dont les intérêts viendront grossir le compte des annuités. Tout ce qui tend à réduire le taux auquel seront contractés ces emprunts est un avantage direct pour l’État ; tout ce qui tend à l’élever lui est onéreux.

Ces observations montrent combien sont peu conformes à l’intérêt réel du Trésor les attaques de nature à ébranler le crédit des compagnies. A la suite du procès entre l’Etat et les compagnies d’Orléans et du Midi sur la durée des garanties, on a beaucoup parlé d’intenter une action en nullité des conventions. En supposant que cette nullité pût être prononcée, il est fort douteux qu’elle fût avantageuse à l’État, puisqu’elle lui ferait perdre tous les bénéfices du concours apporté par les compagnies à l’extension du réseau. Ce qui est certain, c’est que la liquidation serait fort longue, et presque inextricable ; rechercher ce que serait la situation, si les conventions n’avaient pas eu lieu, c’est se poser un problème à peu près insoluble, car tout ce qui s’est fait depuis dix ans, en matière de construction et d’exploitation, eût été fait dans un esprit tout différent. Les lignes construites eussent été autrement tracées, la répartition du trafic entre elles ne serait pas la même, les tarifs auraient été moins réduits, les acquisitions de matériel nécessitées par la réforme de la grande vitesse eussent été inutiles, les travaux complémentaires moins étendus. Rechercher les conséquences pécuniaires de l’annulation des contrats qui ont substitué l’état de choses existant à un état de choses tout hypothétique, serait une tâche sans issue ; mais tandis que l’on s’y livrerait, l’ébranlement qui en résulterait dans le crédit des compagnies se traduirait par un surcroît de charges qui n’aurait rien d’hypothétique, et ferait perdre les chances heureuses que peut ouvrir la conversion de leurs emprunts.


Si l’État est intéressé à conserver le crédit des compagnies, il ne l’est pas moins à développer leurs recettes. Il peut exercer, à cet égard, une influence considérable, puisque l’homologation du ministre est nécessaire pour toute modification dans les tarifs. Qu’il faille, en exerçant ce pouvoir dans l’intérêt public, tenir compte des deux aspects également respectables que présente cet intérêt, selon que l’on envisage le public comme client des chemins de fer ou comme contribuable, cela n’est pas contesté. Nous ne saurions, sans nous étendre outre mesure, entrer dans les détails d’une étude sur la manière de concilier ces deux points de vue. Mais il est une question qui s’y rattache, et sur laquelle nous croyons nécessaire de nous arrêter un moment, c’est la question de la concurrence entre les diverses entreprises de transport.

La question de la concurrence entre voies ferrées est aujourd’hui jugée, et tous les hommes compétens reconnaissent qu’elle constitue le plus onéreux et le moins efficace, parmi tous les procédés qui tendent à procurer au public un bon service à bon marché. Les lignes secondaires, que l’on établit aujourd’hui, ont généralement pour but de relier, aux grandes lignes, les centres de population éloignés du chemin de fer, et ont surtout le caractère d’affluens. Mais quand elles pénètrent jusque dans les grands centres, en doublant les sections les plus productives des artères principales, ou quand elles aboutissent, par leurs deux extrémités, à des villes déjà reliées entre elles par une autre voie, il en peut résulter des concurrences d’autant plus dangereuses, que les petits réseaux peuvent subordonner tous leurs prix aux intérêts de cette concurrence, et ne sont pas obligés, comme les grandes compagnies, de tenir compte de l’influence qu’un abaissement local peut exercer sur les prix payés par d’autres transports. La crainte des pertes qui peuvent en résulter ne doit pas empêcher d’établir les lignes nécessaires pour desservir les localités qui ne sont pas desservies actuellement ; mais il est bon de prendre quelques précautions, au moment où l’on accorde la concession de ces lignes. À ce moment, les demandeurs déclarent toujours qu’ils n’ont aucune vue de concurrence ; il est bon de prendre acte de ces engagemens, pour ne pas voir renaître les tentatives de lutte qui ont amené autrefois la ruine de tant de petites compagnies, non sans entraîner, pour les grandes, des pertes assez sérieuses. Ces dernières peuvent d’ailleurs aider beaucoup à l’efficacité de ces précautions, en prêtant aux compagnies secondaires un concours, en échange duquel celles-ci consentent volontiers à donner des garanties contre toute tentative de guerre. Il est bon que le gouvernement encourage ces accords, aussi favorables à l’amélioration des services qu’aux intérêts du Trésor.

Mais la véritable concurrence à craindre, c’est celle des voies navigables. Le développement de la navigation intérieure est peut-être la plus importante, parmi les causes qui entravent la progression des recettes des réseaux garantis. Ce développement a commencé à se produire, après une longue stagnation, au moment de la grande prospérité des chemins de fer ; mais la crise qui faisait reperdre à ceux-ci tout ce qu’ils avaient gagné ralentissait à peine les progrès de l’industrie rivale. C’est en 1881 que le ministère des travaux publics a commencé à tenir les statistiques dans les formes actuelles ; depuis cette année jusqu’à 1894, le nombre de tonnes transportées par eau à 1 kilomètre a augmenté de 1 738 millions, ou de 80 pour 100 du tonnage initial, tandis que, sur les chemins de fer, l’augmentation était de 1 729 millions de tonnes kilométriques, sensiblement égale en valeur absolue, mais représentant seulement 16 p. 100 du tonnage primitif.

Ainsi le trafic des voies ferrées est loin d’augmenter aussi rapidement que celui des voies de transport avec lesquelles elles sont en concurrence ; et cela est tout naturel, puisque ces dernières sont construites et entretenues par l’État, sans que les usagers paient aucune partie de l’intérêt du capital, ni des frais annuels d’administration et d’entretien. Si ce régime pouvait être appliqué à toutes les voies qui desservent les transports à grande distance, comme il l’est à celles qui desservent les relations locales, il aurait certainement de grands avantages. On a, depuis longtemps, reconnu l’utilité de ranger, parmi les charges générales des contribuables, l’amélioration et l’entretien de l’immense réseau de routes et de chemins qui couvre tout le territoire, et de le livrer gratuitement aux usagers. Ce régime sera sans doute celui des chemins de fer, quand leur capital sera amorti. Mais personne ne peut songer à remplacer, actuellement, par des impôts, les 543 millions de produit net qui rémunèrent la majeure partie de ce capital ; et l’on a tort de s’étonner que ce produit net croisse moins vite que les charges du capital, quand, par une faveur exceptionnelle faite à certaines régions, on y double d’une voie navigable où les transports sont exemptés de tout péage. le réseau ferré à péages, que les populations de la plus grande partie du territoire peuvent seul employer pour les transports similaires.

C’est un lieu commun généralement admis, de dire que la navigation intérieure et le chemin de ter se complètent l’un l’autre. À l’une, dit-on, appartiennent les marchandises pondéreuses, à l’autre, les produits de plus de valeur ; si on les juxtapose, le trafic se partagera de lui-même dans ces conditions, et le bas prix des gros transports assurera à l’industrie et à l’agriculture une prospérité, dont le chemin de fer même ressentira les heureux effets. Cela serait fort bien, si la navigation ne faisait, en fait, concurrence au chemin de fer que pour les marchandises pondéreuses, houilles, pierres, minerais, amendement, etc. Pour ces marchandises à bas prix, le coût des transports joue un rôle capital dans les conditions de vente. Comme elles sont l’instrument nécessaire de tout progrès industriel et agricole, on conçoit que l’État s’impose des sacrifices pour étendre leur champ d’expansion ; on doit se demander, seulement, si la création de voies navigables est bien le moyen le plus économique et le plus rationnel d’y arriver. On peut discuter longuement la question de savoir lequel, de la navigation ou du chemin de fer, donne le prix de revient le plus bas ; ce qui n’est pas douteux, c’est que, pour des transports comparables, faits par bateaux ou par trains complets, sur des voies à très bon profil, avec des délais assez longs. le coût du transport proprement dit, par les deux voies, ne diffère guère ; l’écart des prix tient presque exclusivement à l’élément péage, ou rémunération du capital d’établissement, qui entre dans les tarifs de chemins de fer, et qui n’existe pas sur les voies navigables. Si, donc, les pouvoirs publics reconnaissent l’utilité d’abaisser exceptionnellement, sur une direction privilégiée, le coût du transport des houilles, par exemple, il coûterait moins cher de s’entendre avec les chemins de fer, pour exempter ce transport de tout péage, que de doubler la voie existante d’une voie nouvelle.

Mais, en fait, quand on crée de nouvelles voies navigables, c’est plus encore le trafic des marchandises de valeur moyenne, que celui des marchandises pondéreuses, qui en est atteint, et cela se conçoit facilement. Dans les tarifs du chemin de fer, l’élément péage ne constitue qu’une fraction minime pour les marchandises lourdes, rangées dans les dernières séries de la classification générale ; il représente moitié ou deux tiers du prix total, pour les marchandises de valeur moyenne, blés, vins, fils, etc. ; il en représente les quatre cinquièmes, pour les marchandises de grande valeur. L’avantage offert par sa suppression, sur la voie navigable, est donc d’autant plus grand, qu’il s’agit d’une marchandise rangée dans une classe plus élevée. Si cet avantage ne suffit pas à détourner les produits très chers, pour lesquels le prix de transport n’importe guère, et qui prennent toujours la voie la plus rapide, il n’en est pas de même des marchandises intermédiaires, qui empruntent la voie navigable, dès qu’elle peut offrir des conditions de transport suffisamment régulières.

Ce fait ne se produit guère sur les canaux du Nord, trop encombrés pour laisser place à des services réguliers très accélérés. Mais la Seine, le Rhône, dont les conditions de navigabilité ont été transformées à grands frais, transportent bien plus de vins, de blés, de fils, de papiers. de sucres, que de bouille ou de pierres. La statistique de la navigation met en relief l’action que cette situation a dû exercer sur la garantie d’intérêts. Dans les dix groupes entre lesquels elle répartit les marchandises, on peut former deux grandes catégories : d’un côté, les houilles, bois, minéraux, matériaux de construction ; de l’autre, les produits métallurgiques, industriels. agricoles et alimentaires. De 1881 à 1894, les transports de la première catégorie ont augmenté de 70 p. 100, ceux de la seconde, de 107 p. 100. Mais, tandis que, sur les voies navigables de la région du Nord, l’augmentation était, pour les marchandises pondéreuses, de 612 millions de tonnes kilométriques, et pour les autres marchandises de 179 millions seulement, sur les voies navigables du surplus du territoire, elle était de 458 millions de tonnes kilométriques seulement pour la première catégorie, et de 488 millions pour la seconde. Un voit dans quelle large mesure le trafic des réseaux garantis est atteint, en dehors des transports que la navigation revendique comme son bien propre.

Il l’est d’autant plus que le contrôle administratif, sous la pression de l’opinion publique, s’exerce généralement pour empêcher les chemins de fer de retenir, au moyen de réductions de tarifs, le trafic concurrencé. Par le fait même que la France importe surtout des marchandises de valeur moyenne, et exporte des produits de très grande valeur sous un petit poids, qui appartiennent toujours aux chemins de fer, les voies navigables sont très souvent des voies d’importation. On a dépensé 74 millions pour obtenir sur la Seine, entre Paris et Rouen, une augmentation de mouillage dont le premier et le principal effet a été d’abaisser sensiblement le prix du transport des vins d’Espagne et d’Italie sur Bercy, et des blés d’Amérique sur Corbeil. Lorsque les compagnies ont présenté des prix réduits, pour retenir ce trafic, on les a accusées d’établir des tarifs de pénétration. Lors même que des enquêtes répétées avaient montré que les prix fermes du chemin de fer restaient supérieurs à ceux de la voie concurrente, dans une mesure suffisante pour compenser largement ses avantages de rapidité et de régularité, on demandait instamment la suppression de ces prix. La dénonciation des tarifs internationaux destinés à retenir les transports attirés par la Seine, a fait perdre à nos compagnies d’Orléans et du Midi tout le trafic des vins d’Espagne, qui s’est concentré sur Rouen ; elle a amené, à titre de réciprocité, la dénonciation des tarifs grâce auxquels nous exportions en Espagne des houilles qui y ont été remplacées par des houilles anglaises. C’est ainsi que les charges, considérables par elles-mêmes, assumées par l’État pour l’amélioration de la Seine, ont contribué à aggraver les garanties, non seulement de la compagnie de l’Ouest, mais de celles d’Orléans et du Midi.

Même quand la question de protection n’est pas en jeu, toutes les fois que le chemin de fer cherche, par une diminution de tarifs, à retenir un trafic concurrencé, les entrepreneurs de transports par eau traitent de faveurs arbitraires les réductions consenties sur les lignes parallèles aux voies navigables. Trop souvent, alors, l’administration les repousse, ou en subordonne l’homologation à l’application de réductions identiques sur les autres lignes non concurrencées. Elle interdit, ainsi, aux compagnies, de modeler leurs tarifs sur la situation créée par les pouvoirs publics, qui ont volontairement réduit le prix des transports dans certaines directions, en y créant des voies dont toutes les charges sont supportées par les contribuables, mais qui n’ont jamais eu l’intention de généraliser l’application de ce régime, incompatible avec la situation actuelle des finances publiques.

Les voies navigables nuisent donc aux recettes des chemins de fer : 1° parce qu’elles constituent une concurrence dotée par le législateur d’avantages tout exceptionnels, exploitée par des entreprises entièrement maîtresses de leurs actions, libres de faire varier leurs prix selon les saisons, la situation particulière des lieux d’embarquement ou de débarquement, etc. ; 2° parce que le chemin de fer est entravé, dans les tentatives qu’il fait pour retenir le trafic disputé en établissant, là où cela est nécessaire, des prix qui, bien que trop bas pour pouvoir être généralisés par des entreprises obligées de rémunérer leur capital, laisseraient encore un petit bénéfice susceptible d’atténuer la garantie. Il semble que ce dernier inconvénient pourrait être facilement corrigé, puisque l’homologation des tarifs est entre les mains du gouvernement, qui considère à si juste titre la diminution des garanties comme un intérêt de premier ordre. Malheureusement, dans chaque affaire particulière, l’intérêt du Trésor se trouve en conflit avec des intérêts privés, qui parlent plus haut que lui, et avec des préjugés que l’on n’ose guère combattre. Il appartient au Comité consultatif, auquel ces affaires sont soumises, de savoir résister aux uns et aux autres.

Au point de vue de l’étendue des voies navigables, les difficultés budgétaires, plutôt qu’une sage prudence, ont arrêté les progrès de la concurrence ; il se peut donc que cet arrêt ne soit que momentané. Dans l’Est, deux canaux sont en construction depuis dix ans, sans que l’on ait ni les moyens de les terminer, ni le courage de les abandonner ; leur achèvement coûterait à l’État 50 millions en capital, et probablement plusieurs millions d’augmentation annuelle de la garantie. Un projet de loi est soumis aux Chambres, pour construire un canal de Marseille au Rhône. On dit, il est vrai, que la majeure partie de la dépense sera couverte par des péages ; mais on s’est bien gardé de faire porter ce péage, comme cela serait juste, sur les services de navigation intérieure à qui on ouvrira l’accès de Marseille. On le fait porter sur toute la clientèle du port, en sorte que les marchandises transportées par le chemin de fer entre ce port et Lyon ou Paris, qui paient déjà l’intérêt d’abord de tous les capitaux dépensés sur ce chemin de fer, puis d’une bonne partie de ceux qu’ont absorbés les lignes affluentes, devraient encore, sous forme de droits de port, contribuer à la dépense du canal, autant que celles qui utiliseraient ce canal. Devrait-on s’étonner, ensuite, de voir une concurrence si favorisée entamer fortement le trafic du chemin de fer, au grand préjudice de l’État ?

D’un autre côté, le bail d’affermage, en vertu duquel la compagnie du chemin de fer du Midi a aujourd’hui le droit de maintenir les péages sur le canal du Midi, expire le 30 juin 1898. Il sera bien difficile, pour l’État, de ne pas procéder, à ce moment. au rachat du canal et à la suppression des péages qui y sont aujourd’hui perçus, car si peu rationnelle que soit l’exemption, du moment où elle est le droit commun des canaux en France, la région du Midi est assez fondée à en réclamer le bénéfice. Il en résultera, pour la garantie, une augmentation que le Comité consultatif des chemins de fer a évaluée à 3 ou 4 millions.

Il y a la des menaces sérieuses pour l’avenir financier. Si elles venaient à se réaliser, sans que les effets en fussent atténués par un développement rapide des affaires et de la prospérité publique, il serait difficile d’échapper à la nécessité de rétablir l’égalité entre les deux réseaux qui desservent les communications à grande distance, par l’institution de péages sur les voies navigables. Ces péages ne devraient pas atteindre les houilles, les minéraux, les amendement, qu’il serait désirable de voir transporter au prix de revient, même sur les chemins de fer ; mais ils devraient frapper les produits d’une valeur plus élevée de taxes, sinon égales. du moins comparables à la part que représente le péage dans les tarifs de chemin de fer. On rétablirait ainsi l’égalité entre les parties du territoire qui sont dépourvues de voies navigables, et celles qui en sont largement dotées. On ramènerait sur les chemins de fer le trafic qui, d’après les défenseurs les plus autorisés de la navigation, devrait toujours lui appartenir, celui des marchandises d’une valeur moyenne ou élevée, auxquelles il n’est pas juste d’offrir gratuitement des voies payées par les contribuables.

Une pareille modification de régime serait évidemment inacceptable, quelles que fussent les nécessités financières, si elle devait, dans une mesure quelconque, profiter aux actionnaires des compagnies. Le seul fait qu’en apparence elle serait prise au profit des concessionnaires la rendrait irréalisable. Si donc on y était jamais acculé, nous sommes convaincu qu’elle devrait être précédée du rachat général des concessions.


Avant de nous arrêter à cette hypothèse du rachat, nous devons insister un peu sur la manière dont s’exerce l’action administrative, au point de vue des dépenses des compagnies, comme nous venons de le faire, au point de vue des recettes. Nous avons déjà montré, en étudiant les variations de ces dépenses depuis 1884, comment les pouvoirs de police qui appartiennent à l’administration, le droit de fixer la marche des trains, de réglementer le service dans l’intérêt de la sécurité, peuvent devenir une cause d’augmentation effrayante dans les frais d’exploitation, si le contrôle ne recherche pas soigneusement, de concert avec les compagnies, tous les procédés qui permettent d’assurer convenablement le service public sans frais excessifs.

Il y a une école, assez en faveur, qui croit que le véritable moyen de réduire les dépenses et les garanties, c’est d’intervenir activement dans l’administration intérieure des compagnies, en multipliant les contrôles et les vérifications. Certes, il importe que des comptes aussi importans pour le budget que ceux des compagnies soient dûment vérifiés. Cette vérification est organisée depuis longtemps ; son efficacité est mieux assurée par un petit nombre de fonctionnaires capables d’apprécier si tous les comptes sont bien dressés conformément aux clauses souvent très délicates des conventions, que par une armée d’agens dont chacun ne peut voir que quelques détails ; ce qui est a craindre, en effet, ce n’est pas que les compagnies falsifient systématiquement les pièces élémentaires de dépenses, à l’établissement desquelles participe un personnel très nombreux ; c’est que, dans leurs écritures centrales, elles adoptent des imputations désavantageuses à l’État. En superposant les contrôles sans nécessité, on oblige les compagnies, toutes les fois que l’État crée un nouvel agent, à créer deux ou trois agens pour fournir au premier les renseignemens qu’il demande : le Trésor paye le premier directement, les autres indirectement par l’augmentation de la garantie ; et c’est souvent le résultat le plus clair que l’on obtienne.

Au point de vue de l’organisation des services, le contrôle peut bien réprimer les abus crians qui se produiraient ; quant à compter sur lui, pour réaliser des modifications d’organisation économiques, c’est une grave illusion. Très bien placé pour imposer des dépenses aux compagnies, il l’est fort mal pour leur imposer des économies, car il est infiniment difficile à l’administration de substituer sa responsabilité à celle de l’exploitant, quand celui-ci se déclare hors d’état d’assurer le service dans certaines conditions, ou quand il reconnaît le bien fondé des demandes du public ou du personnel. La véritable source d’économies, dans l’exploitation des chemins de fer, c’est l’intérêt qu’ont les compagnies à réduire leurs dépenses. Il n’est pas de contrôle extérieur qui puisse exercer une action comparable à celle des chefs préposés à l’organisation des services, au choix et à l’avancement de tout le personnel, lorsque ces chefs sont dévoués à leur tâche et capables de la remplir ; il n’en est pas qui puisse suppléer à cette action, le jour où elle cesserait de s’exercer.

Ce jour-là est-il venu ? On le dit quelquefois, et ce qui est singulier, c’est que ce sont les mêmes adversaires qui tantôt reprochent aux compagnies de s’endormir sur l’oreiller de la garantie, tantôt critiquent leur âpreté au gain et leurs exigences vis-à-vis de leur clientèle ou de leur personnel. En pratique, le contact quotidien des chefs de service des compagnies ne permet pas de douter de ce fait, que la préoccupation de réduire leurs dépenses est chez eux générale. L’administration n’a que rarement à les y pousser ; tout ce qu’il faut, c’est qu’elle ne les en empêche que dans les cas où un intérêt public l’exige. A cet égard, l’orientation donnée aux services de contrôle est fort importante. Trop souvent, elle a tendu uniquement à rechercher quelles améliorations on pourrait imposer aux compagnies, sans grand souci de la dépense. Aujourd’hui, on doit envisager toute dépense des concessionnaires de nos grands réseaux comme une dépense budgétaire, et n’inciter, par suite, les compagnies à faire, pour le public comme pour leurs agens, que ce que l’on proposerait de faire, s’il s’agissait d’un service alimenté directement par les deniers de l’État. Que les pouvoirs publics ne poussent pas à la dépense ; on peut compter sur l’intérêt des compagnies pour pousser à l’économie.

Notre organisation offre d’ailleurs, à ce point de vue, ce grand avantage, que la plupart des chefs de service des compagnies sont recrutés dans des corps de fonctionnaires habitués, par leur origine et leur éducation, a ne point considérer l’intérêt de l’État et du budget comme un intérêt étranger. Cela seul peut expliquer que, si souvent, on les voie lutter avec énergie pour prévenir le gaspillage des deniers publics, dans des cas où, par le mécanisme des conventions, le Trésor public est infiniment plus intéressé que leur compagnie à éviter une dépense inutile.


Il n’en est pas moins vrai que le véritable danger, avec notre régime de garantie, serait d’arriver à une situation telle qu’une compagnie, certaine de ne pas voir son dividende tomber au-dessous du chiffre garanti, certaine aussi de ne jamais arriver à l’extinction de sa dette, qui seule lui permettrait d’accroître le revenu de ses actionnaires, n’en vienne à se désintéresser des résultats de son exploitation. Nous n’en sommes pas là ; il ne faut pas se dissimuler qu’on pourrait facilement y arriver.

La situation des compagnies leur permet à toutes d’espérer qu’elles pourront un jour cesser de faire appel à la garantie. Pour S’en rendre compte, il faut rapprocher, du produit net actuel, le déficit total de chaque compagnie. c’est-à-dire le total des avances demandées à la garantie, et des insuffisances capitalisées au compte d’exploitation partielle. Le résultat des comtes de 1894 et des comptes approximatifs de 1895 montre que l’importance relative des déficits est la suivante :

¬¬¬

P. L. M. 9 pour 100 du revenu net en 1894 et 3 pour cent en 1895
Orléans 22 18
Midi 27 22
Est 29 25
Ouest 33 autant en 1895[5]


Pour que l’appel à la garantie prenne fin, il faut que les plus- values du produit net de l’exploitation de chaque réseau suffisent à couvrir, outre le déficit actuel les intérêts des capitaux qui seront dépensés pour les travaux complémentaires et pour l’achèvement des ligues neuves. Mais avec une gestion raisonnable, les intérêts des travaux complémentaires doivent tout au plus absorber le cinquième des plus-values annuelles. Quant aux travaux neufs, ils représentent maintenant peu de chose, sauf pour les compagnies de l’Est et surtout de l’Ouest qui n’ont pas terminé le remboursement de leur dette : même pour cette dernière, l’intérêt des capitaux à dépenser de ce chef n’atteindra pas 4 millions, et n’augmentera pas d’un cinquième les déficits à combler.

Quand on constate l’amélioration obtenue de 1894 à 1895, intérieure cependant. À celle qui avait été réalisée de 1893 à 1894, quand on songe qu’elle s’est produite dans une situation économique n’ayant rien exceptionnellement favorable, on doit reconnaître que le progrès à réaliser, pour que l’appel à la garantie cesse, n’est pas excessif ; même les deux dernières compagnies peuvent y arriver bien avant les vingt dernières années de leurs concessions lesquelles elles exploiteront à leurs risques et périls, la garantie devant incontestablement prendre fin auparavant. Mais le remboursement de la dette est tout autre chose. Déjà cette dette atteint, en principal et non compris les intérêts, de 120 à 140 millions selon les compagnies. Quand l’appel à la garantie cessera, elle atteindra au moins 150 à 200 millions pour les compagnies les moins endettées, le double pour les autres. Rien que pour payer l’intérêt annuel au taux de 4 pour 100, inscrit dans les conventions, et pour cesser de voir grossir leur dette, il faudrait que les compagnies pussent verser chaque année, au Trésor, des excédens atteignant 6 à 8 millions pour les unes, 12 à 15 millions pour les autres. Ce n’est que quand ce chiffre sera dépassé. que l’excédent viendra en déduction, d’abord des intérêts arriérés, et ensuite seulement du capital. Dans de pareilles conditions, le remboursement intégral de la dette peut être considéré comme probable pour la compagnie de Lyon, comme très possible pour celle d’Orléans ; il est d’ores et déjà peu vraisemblable pour les trois autres. Il pourrait être considéré comme impossible, si l’on ne tenait pas compte de l’éventualité des conversions obligatoires ou facultatives, et des disponibilités que laissera, dans les dernières années des concessions, l’amortissement complet de certaines séries d’obligations, disponibilités qui montent à 155 millions pour l’Est et le Midi, et à 313 millions pour l’ouest.

Un intérêt public de premier ordre s’attache à ce que le remboursement, déjà fort douteux, ne devienne pas impossible, car la situation d’une compagnie dont tous les bénéfices seraient affectés à atténuer sa dette envers l’État, sans aucun espoir de l’acquitter, serait singulièrement défavorable. Si l’on veut que les compagnies travaillent avec zèle pour le Trésor, il faut qu’elles travaillent en même temps pour elles-mêmes, dans une certaine mesure. S’il venait à être démontré qu’avec les contrats actuels, l’insolvabilité des compagnies est inévitable, la révision de ces contrats s’imposerait.

Cette révision est fort difficile, parce qu’aujourd’hui les actions des compagnies se classent comme des valeurs à revenu fixe, et les actionnaires attachent bien plus de prix à ne rien compromettre de leur dividende actuel qu’à obtenir l’espoir de l’augmenter. Il nous semblerait néanmoins possible, quand une compagnie entrevoit le moment où elle cessera d’avoir recours aux avances de l’État, d’obtenir qu’elle renonce, jusque-là, à la faculté de recourir à ces avances pour une fraction des déficits annuels, à la condition que, quand il y aura des excédens, une fraction égale lui appartiendra, le surplus étant seul affecté au remboursement de l’État. Pour les grandes comme pour les petites compagnies, la révision des contrats ne pourra jamais atténuer directement, dans une très large mesure, les sacrifices du Trésor, parce qu’une fois les dépenses faites et les titres émis et classés en raison du revenu qui leur est garanti, il est impossible de leur retirer les avantages résultant de contrats approuvés par les Chambres ; si l’on a eu tort de secourir les grandes compagnies aux frais des contribuables en 1859, comme de racheter les petites à un prix excessif en 1878. c’est aujourd’hui un fait accompli. Mais on peut associer davantage les compagnies existantes à l’aléa de exploitation, en gain ou en perte. Les compagnies ne se prêtent pas volontiers à des modifications de cette nature, parce quelles apprécient avant tout la stabilité du revenu. Cependant, en saisissant les occasions, L’Etat peut faire aboutir des conventions conçues dans cet ordre d’idées, pourvu qu’il soit décidé à faire des concessions équivalentes à celles qu’il veut obtenir. Ces concessions ne constitueront un sacrifice qu’en apparence, si elles préviennent ce qu’il y aurait de plus onéreux pour l’Etat, la transformation des compagnies en régies désintéressées, exploitant uniquement pour le compte du Trésor public.

Même sans modifier les contrats actuels, cette déplorable situation parait encore pouvoir être évitée. si les pouvoirs publics et l’administration sont bien pénétrés de l’intérêt capital qui s’attache à ce que les compagnies ne deviennent pas insolvables. si les représentans de l’Etat ont le courage d’orienter résolument leur action dans ce sens. Nous l’avons dit au début de ces études nous le répétons en les terminant : la véritable difficulté de la situation se trouve dans ce fait, que l’impopularité encourue naturellement par quiconque se voue à la défense des intérêts budgétaires. est doublée quand ces intérêts sont liés à ceux des compagnies. Si, dans ces conditions, les représentans de l’Etat, oublieux de leur devoir, se laissaient aller à trahir ses intérêts. faute d’oser les défendre, dans tous les cas où la loi les a associés à ceux de sociétés privées. le rachat général resterait la seule solution de la question des chemins de fer.

Ce rachat serait sans doute une mesure d’une grande gravite. Nous croyons cependant qu’il serait préférable au régime de exploitation par des compagnies garanties. si l’état d’hostilité sourde des pouvoirs publics contre celles-ci devait se prolonger et s’accentuer. et s’il devait. en ébranlant le crédit de ces compagnies, en entravant le développement de leurs recettes, en augmentant leurs dépenses, les amener à la situation d’insolvabilité vis-à-vis du Trésor public.

Le rachat ne serait pas sans entraîner de grosses difficultés contentieuses. Nous n’avons pas à les discuter ici. Mais nous considérons comme à peu près certain que, pour quatre compagnies, l’État arriverait à reprendre possession des réseaux, en assurant simplement, jusqu’en fin de concession, le service des titres dans les conditions résultant de la garantie actuelle. Pour le Lyon et surtout pour le Nord, il faudrait ajouter un certain sacrifice, qui, croyons-nous, ne serait pas bien considérable. Au total, l’État pourrait, par une négociation bien conduite, rentrer en possession des chemins de fer, sans ajouter à ses charges actuelles une somme relativement importante.

Nous ne croyons pas non plus qu’il soit a priori impropre à diriger une bonne exploitation. Compagnies ou réseau d’État sont, au fond, administrés par des agens salariés, et le sentiment du devoir, le dévouement à leur service, n’est certes pas moindre chez les fonctionnaires que chez les employés de l’industrie. Ce qu’on peut se demander, c’est si la direction d’un réseau d’État présenterait toujours la continuité et la suite sans lesquelles il n’y a pas de bonne gestion ; il est permis d’en douter. D’autre part, en supprimant les compagnies, on supprimerait un point d’appui précieux, pour résister aux demandes non justifiées de réductions de tarifs, ou de dépenses nouvelles dans l’organisation des services ou du personnel, pour éviter l’ingérence d’influences extérieures dans le recrutement et l’avancement des agens. Il n’est pas un ancien ministre des travaux publics qui ne sache combien de fois il a été heureux de laisser une compagnie prendre la responsabilité de refus aussi impopulaires qu’indispensables aux finances publiques. Mais si ce qui était un point d’appui devient une cause de faiblesse, s’il suffit que l’intérêt de l’État soit d’accord avec celui des compagnies pour que personne n’ose plus le défendre, mieux vaut cent fois le rachat.

Nous n’hésitons donc pas à dire, en concluant, que les charges assumées par l’État, pour le service des chemins de fer, loin d’être soumises à une loi de progression incessante, présentent de sérieuses chances de réduction. Mais pour obtenir cette réduction, une gestion infiniment prudente et économe est indispensable, et elle ne peut être obtenue que de deux manières : ou bien en traitant franchement les compagnies comme les associés et les collaborateurs de l’État, ou bien en reprenant possession de tout le réseau, sans reculer devant le coût et les responsabilités d’une opération incontestablement moins onéreuse qu’un régime où l’État traiterait en ennemies les entreprises chargées de gérer ses intérêts


C. COLSON.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1895 et du 15 janvier 1896.
  2. Ce capital se compose de 620 millions dépenses directement par le Trésor en subventions aux anciennes compagnies, prix de rachat, travaux neufs et complémentaires et matériel roulant, et de 101 millions dépensés par la compagnie d’Orléans sur les lignes qu’elle a cédées par voie d’échange. On ne saurait, sans double emploi, y ajouter, comme on l’a fait parfois, le capital correspondant à l’annuité que l’État paye à la compagnie d’Orléans à titre de soulte de change, puisque cette soulte constitue précisément, avec le produit net des lignes appartenant jadis à l’État et cédées à la compagnie, le revenu tiré par celle-ci des 101 millions qu’elle a dépensées. Mais il faut remarquer que les dépenses comptées par l’État, pour les soultes neuves, ne comprennent ni frais généraux, ni intérêts pendant la construction.
  3. Fraction des recettes brutes qui est absorbée par les dépenses d’exploitation.
  4. Ces chiffres diffèrent un peu de ceux des statistiques. Celles-ci, avant 1892, comprenaient dans les accessoires de la grande vitesse les recettes supplémentaires résultant de perceptions faites en cours de route sur les voyageurs, recettes qui, depuis 1892, figurent dans celles du trafic voyageurs ; nous avons dû faire la correction pour les exercices antérieurs à 1892, afin de rendre les chiffres comparables.
  5. Cet exercice a été exceptionnellement grevé par divers accidens.