Les Chasseurs d’or/XVI. Qui était l’homme fou


— Oui, oui, nous arrivons ! répondit Rod.

Et, se retournant vers Wabi :

— Il y en a, dit-il, un quart d’once.

Les deux amis étaient encore à scruter du regard la battée de Wabi, lorsque Mukoki vint les rejoindre.

— Tiens, regarde, Muki, dit Rod, en tendant la pépite au vieil Indien. Vois si nous avons bien travaillé… Je propose trois hourrahs ! Un pour ceci ; le second pour la vieille carte de bouleau, qui ne nous a point trompés ; le troisième et le meilleur, pour John Ball et pour son petit papier !

— Oui… répondit Wabi, et mets une sourdine à tes hourrahs. L’écho résonne ici, terriblement. Je parierais qu’il répercute à plus d’un mille le bruit de nos voix. Peut-être n’est-il pas autrement utile d’attirer sur nous l’attention de qui tu sais.

— Tu as raison…

Le campement avait été établi, par Mukoki, près de la vieille cabane, dans le boqueteau de cèdres qui l’avoisinait, et sous le couvert d’un grand rocher plat.

La petite pépite jaune avait été placée près du feu, sur une bûche mise debout, et elle scintillait aux reflets de la flamme. Elle était un admirable excitant de l’appétit.

— Cet or, songeait Rod, tout en dévorant sa tranche d’ours, toute fumante, nous le tenons ! L’or, dans notre civilisation, est la loi suprême et toute-puissante. Il est le feu brillant qui luit sur toutes les nations et vers lequel elles tendent sans cesse leur regard. Et cet or magique, je l’ai là, sous la main, en quantité innombrable ! La nature avait cru cacher ici sa richesse. Le charme est rompu. L’or est, dans ce ravin, partout autour de nous. Quel rêve nous vivons, tout éveillés ! En un mois, John Ball et ses associés avaient trouvé vingt-sept livres d’or, près de sept mille dollars en valeur marchande, toute une fortune !

Le déjeuner fut rapidement expédié et, après quelques instants de repos, qui suivirent un excellent café, Rod et Wabi, reprenant leurs battées, se hâtèrent de retourner au torrent. Mukoki, cette fois, fit comme eux.

Penchés sur leurs écuelles, qu’ils secouaient, les trois hommes ne disaient mot. Qui allait, le premier, pousser le cri triomphal d’une heureuse découverte ?

Un quart d’heure, une demi-heure, une heure passèrent, sans que personne soufflât mot. Vainement les battées succédaient aux battées. Mukoki s’était avancé dans le torrent, jusqu’à la ceinture, pour y puiser sable et gravier. Mais ses recherches n’avaient pas plus abouti que celles de Rod et de Wabi. Un grand désappointement, que personne n’osait formuler, commençait à poindre chez les trois hommes.

Enfin Mukoki annonça qu’il avait trouvé un petit morceau d’or, de la grosseur d’une tête d’épingle. Les courages défaillants en furent soudain ranimés, Rod et Wabi, enlevant leurs chaussures et relevant leurs pantalons, vinrent rejoindre le vieil Indien au milieu du torrent.

Leurs battées successives ne fournirent rien d’autre, cependant, et le découragement les reprit.

Il n’y avait plus à espérer de découvrir, d’un seul coup et tout d’une pièce, les belles piles jaunes du trésor escompté. Un labeur méthodique, fort long peut-être, y serait nécessaire.

— Il faudra chercher ailleurs, dit Wabi, plus loin dans le ravin, ou au-dessus de la chute d’eau.

— Je n’y comprends rien, déclara Rod. Là où se trouve une pépite, il doit fatalement s’en trouver d’autres. Sans doute n’avons-nous pas fouillé assez profondément. Cet or est ici, depuis des siècles et des siècles, et il s’est vraisemblablement déposé, par son propre poids, à plusieurs pieds au-dessous du lit superficiel du torrent.

— Tu crois ? interrogea Wabi, avec quelque scepticisme.

— J’en suis certain. John Ball et les deux Français ont trouvé leur vingt-sept livres au mois de juin, c’est-à-dire à une époque où le torrent doit être presque entièrement à sec. Les plus riches découvertes de gisements aurifères, en Alaska, dans la vallée du Yukon et de ses affluents, ont toujours eu lieu en été, à une profondeur de trois à douze pieds.

« Et, lorsqu’un prospecteur trouve, à la surface du sable, seulement quelques traces d’or, il peut être assuré que le sous-sol est riche en jaune métal. L’endroit est bon, j’en ai l’absolue conviction. Nous attendrons tout le temps nécessaire.

— Les eaux, dit Wabi, ne peuvent tarder à baisser. Les dernières neiges sont maintenant fondues aux flancs des montagnes, et aucun lac ne me paraît alimenter le torrent. Ou je me trompe fort, ou sa décroissance sera rapide et, dans huit jours peut-être, n’y demeurera-t-il que quelques pouces d’eau.

— Alors tout ira bien ! Patientons un peu jusque-là, tout en poursuivant nos recherches.

La journée tirait à sa fin. Dans le ravin, les ombres devenaient plus longues et plus profondes. Au-dessus des trois hommes, le dais épais des pins rouges interceptait les dernières lueurs du soleil couchant. L’obscurité, qui s’amassait peu à peu entre les hautes murailles rocheuses, annonçait que dans ce coin de monde mystérieux, où s’estompait vaguement la vieille cabane, la nuit ténébreuse était proche.

Trempés jusqu’à la ceinture, éreintés, et leur beau rêve du matin un peu ébréché, les trois amis vinrent rejoindre leur campement, dans le boqueteau de cèdres.

Une pensée, malgré la confiance qu’il affectait, tourmentait Rod. Les anciens aventuriers n’avaient-ils pas découvert ce qu’on appelait une « poche d’or », c’est-à-dire un gisement isolé, qu’ils avaient complètement épuisé ? Le fait n’était pas impossible. Mais Rod jugea préférable de garder pour lui ses appréhensions.

Mukoki semblait le moins affecté. L’or, en réalité, n’avait à ses yeux qu’une valeur trompeuse et fugitive, et le plaisir de percer une énigme irritante avait pour lui plus d’attrait que le prix même de ses efforts.

À la lueur de la flamme le vieux papier, bruni par l’âge, trouvé dans la cabane, dans la petite boîte de fer rouillé, fut à nouveau déplié par Rod.

Il était la vénérable relique d’un obscur et romanesque passé, le lien qui réunissait au présent un temps lointain, le témoin de la tragédie farouche qui s’était déroulée entre les noires murailles du ravin. Drame obscur qui, sans doute, garderait à jamais son secret.

— Vingt-sept livres ! ne cessait de répéter Rod. Et un tel résultat pour un mois de travail !

— Presque une livre par jour ! commentait Wabi, émerveillé, quoiqu’il en eût.

— Je me demande, poursuivait Rod, pourquoi la part de John Ball fut deux fois plus forte que celle de ses associés. Ce fut, à mon sens, parce que, le premier sans doute, il avait découvert la mine d’or.

— C’est probable. Et ce fut, là aussi, la cause apparente de sa mort. Les Français s’estimèrent lésés et le tuèrent, pour récupérer son or.

— 1859, reprit Rod, en parcourant des yeux le papier. Il y a donc quarante-neuf ans que ces événements se sont déroulés. Quarante-neuf ans ! Ce n’est pas, relativement, très éloigné. Et pourtant ce chiffre nous apparaît, en ce désert, avec un recul énorme.

Longtemps après que les deux jeunes gens se furent enroulés dans leurs couvertures et endormis, Mukoki demeura éveillé.

Les mains agrippées à son fusil, qui était posé sur ses genoux, il était assis près du feu, la tête légèrement inclinée sur sa poitrine, immobile dans une de ces attitudes sculpturales, si caractéristiques, qui sont fréquentes chez l’Indien.

Il semblait absorbé dans ce passé, évoqué tout à l’heure devant lui, et se reportait au temps contemporain de sa jeunesse.

Il n’avait pas encore rencontré la jolie petite Indienne qu’il épousa par la suite, et qui fut si tragiquement dévorée par les loups, avec son enfant.

Il possédait alors un chien, qui était son plus cher trésor. Un hiver, il l’emmena avec lui, durant toute une lune, aux régions de chasse du Nord lointain. En cours de route, il perdit, un jour, son fidèle compagnon, et il s’en trouva inconsolable.

L’affection d’un Indien, même pour une bête, est quelque chose de solide et de durable, que le temps ne saurait émousser. Il se désolait, lorsque Wholdaïa, la bête aimée, reparut soudain.

Elle avait, à la longue, retrouvé son chemin, et était venue le rejoindre. Elle aboyait, et bondissait de joie, autour de lui, sur trois pattes.

La patte qui manquait disait que l’animal avait été attaqué, sans doute, par quelque bête sauvage, un lynx ou un loup, et, blessée dans la bataille, n’avait pu, le soir, revenir vers son maître.

Deux ans comptent dans la vie d’un chien, et des poils gris, qui se mêlaient au pelage de Wholdaïa, témoignaient de sa vieillesse prématurée et de ses souffrances.

Et, par comparaison, la pensée de Mukoki se reportait, de son ancien compagnon, au chasseur fou, que la souffrance avait rendu mauvais chien, qui tirait des balles d’or sur les gens qu’il rencontrait, et hurlait comme un lynx. Quel pouvait bien être le passé de cet homme, qui avait, soudain, resurgi devant eux ? Si c’était… Oui, si c’était…

Mukoki n’acheva pas de se formuler à lui-même sa pensée et, gagnant son lit de feuillage, s’endormit à son tour.

Le lendemain matin (la jeunesse est aussi prompte à recouvrer l’espoir qu’à le perdre), Rod et Wabi avaient repris toute leur bonne humeur.

Wabi avait commencé par faire culbuter Roderick d’un gros rocher, sur lequel celui-ci était grimpé, en déclarant gaiement :

— Nous nous sommes montrés hier, il faut l’avouer, des gens terriblement pressés. Nous avons tout le printemps devant nous, et tout l’été. Et, si nous n’avons rien trouvé, quand mourront les mouches, eh bien ! nous reviendrons l’année prochaine, et recommencerons. Rod, qu’en dis-tu ?

— Tu parles… d’or ! riposta Roderick, qui s’était remis sur ses pieds. Et nous amènerons avec nous Minnetaki ! Cela me plaît, pardieu !

Et il fit en l’air un grand saut, en claquant ses talons l’un contre l’autre.

Wabi en profita pour lui lancer dans les côtes une bonne bourrade. La minute d’après, les deux amis, riant aux éclats, haletaient dans une de ces luttes pleines d’entrain, où ils se complaisaient, et où la souplesse féline de Wabi, le demi-sang, laissait volontairement la victoire au jeune Blanc.

Après quoi, Mukoki, qui avait, avec amusement, regardé les gais ébats de ses deux compagnons, déclara qu’il prenait son fusil et allait descendre le ravin, afin de tirer, si possible, quelque gibier frais pour le déjeuner.

Pendant ce temps, Rod et Wabi reprendraient, à la base même de la cascade, l’exploration du torrent, chacun longeant lentement une de ses rives et y prélevant des échantillons successifs de sable et de gravier.

À midi, lorsque revint Mukoki, avec deux ou trois perdrix qu’il avait tuées, Rod n’avait découvert qu’un petit débris d’or, qui pouvait valoir un dollar tout au plus. Wabi, dans d’innombrables battées, scrupuleusement lavées, n’avait rien trouvé du tout.

Roderick émit sa crainte secrète d’une unique poche d’or, complètement épuisée lorsque John Ball et ses deux associés se partagèrent leur butin.

— C’est impossible ! s’écria aussitôt Wabi. Car alors, où le chasseur fou se procurerait-il ses balles ? Il y a de l’or, quelque part par ici, et, si nous ignorons où, il le sait, lui !

— Oui, grogna Mukoki. Lui savoir où est or. Lui revenir bientôt, nous le surveiller et trouver or.

Il se tut soudain et tendit l’oreille, son oreille exercée, depuis l’enfance, à saisir dans les solitudes du Nord le moindre bruit, imperceptible à d’autres.

— Écouter… dit-il, en tendant le bras.

Une rumeur, encore lointaine, mais qui s’avançait rapidement, roulait dans la partie supérieure du ravin, qui précédait la cataracte. Elle s’enflait et tonitruait, puis chevrotait et s’éteignait, pour reprendre bientôt, plus sonore. C’était la clameur du fou !

Mukoki était demeuré figé, le bras toujours tendu, ses yeux noirs dardant des flammes sombres. Rod et Wabi n’étaient pas moins émus et pétrifiés. L’ancienne et inexprimable terreur était derechef en eux.

Sous sa peau bronzée, Wabi avait pâli. Tout son être semblait tendu à se briser. Il voulait parler, et les mots lui demeuraient au gosier.

— Rod… dit-il enfin, en un suprême effort pour matérialiser sa pensée. Rod… Écoute-le… C’est John Ball qui revient vers son or !

La chose, oui, oui, semblait raisonnablement impossible. Mais cette pensée, qui depuis la veille le hantait, avait, de son cerveau, jailli malgré lui.

À peine eut-il parlé qu’un flot de sang lui monta au visage, dont la pâleur s’empourpra. Ce qu’il disait était insensé, et pourtant…

C’était Rod qui, maintenant, avait pâli.

— John Ball… répétait-il, comme médusé. John Ball…

Puis, tout à coup :

— Évidemment, Wabi… Et qui pourrait-ce être que John Ball ? John Ball ressuscité, qui revient exprès sur la terre, pour nous conter la lointaine et mystérieuse tragédie où il trouva la mort, pour nous montrer où est son or.

Le cri terrifiant se rapprochait de plus en plus.

— Cacher nous, dit Mukoki. Cacher tout cela.

Et il désignait tous les objets épars du campement.

Rod et Wabi avaient compris. Il ne fallait pas que le fou, en arrivant à la cataracte, découvrit tout d’abord, dans la petite crique, la présence des trois hommes. En un instant, tous les ustensiles de cuisine furent emportés dans le boqueteau de cèdres, la pirogue fut tirée sur la grève et dissimulée derrière la vieille cabane, et l’abri de branchages, sous lequel avaient dormi les trois chasseurs, démoli.

Ce travail était à peine achevé, à peine les trois hommes s’étaient-ils cachés eux-mêmes derrière les troncs des cèdres, que le cri se fit entendre, à moins d’une portée de fusil de la cascade. Ce n’était plus une clameur furieuse et perçante. C’était un cri plaintif, une plainte basse, qui n’avait plus rien de terrifiant ni d’horrible, mais faisait palpiter les cœurs de ceux qui l’écoutaient, d’une immense, d’une incommensurable pitié.

Une irrésistible envie prenait Rod de courir au-devant du fou, de tendre les mains, des mains amies, à cette créature bizarre et sauvage. Mais ses compagnons le retinrent. La prudence était, à tous les points de vue, nécessaire.

Quand il fut arrivé à la cascade, au faîte de l’arbre incliné qui servait, au-dessus des eaux bouillonnantes, de vertigineuse passerelle, le fou s’arrêta.

C’était un vieillard, grand et maigre, mais aussi droit qu’un jeune arbre. Son visage et sa poitrine disparaissaient sous un buisson de barbe et de poils.

Il tenait un fusil dans sa main, ce même fusil qui avait tiré les balles d’or. Malgré la distance, les trois hommes reconnurent une vieille arme à barillet, semblable en tout aux deux fusils jadis trouvés par eux auprès du squelette des deux hommes qui s’étaient entre-tués.

Ils observaient et attendaient, sans faire un geste.

Le vieillard s’avança plus près encore de la cascade et parut hésiter à s’engager sur le tronc lisse qui la surplombait. Il tendait les bras en avant, en pleurant doucement, comme s’il attendait qu’on vînt le chercher.

Rod, cette fois, n’y put tenir. Ses yeux s’humectèrent de larmes. Il lui semblait que cette âme perdue appelait la sienne, la suppliait de venir à elle.

Il s’avança donc en avant de ses compagnons, pas à pas, dans l’espace découvert, vers la falote créature, qui le regardait, épouvantée.

Quand il en fut suffisamment proche, il leva vers elle son visage pâle, jeta en l’air sa casquette, en signe d’amitié, puis continua à avancer, les mains tendues, en appelant doucement, très doucement :

— John Ball… John Ball… John Ball !

Brusquement le chasseur fou, qui s’était penché d’abord sur la cascade, pour mieux voir celui qui venait à lui et lui parlait, s’était redressé, et avait esquissé, pour fuir, un mouvement en arrière.

Mais Rod recommença à appeler « John Ball…», avec des sanglots dans la voix et une telle émotion de tout son être, que l’homme fou se reprit, lui aussi, à sangloter et tomba à genoux, en jetant vers le ciel sa déchirante lamentation. Un trouble profond se lisait dans ses yeux égarés.

Roderick lui faisait signe de descendre sur le tronc d’arbre, de venir le rejoindre. Le fou semblait hésiter.

Mais le jeune homme vit soudain se modifier l’expression du visage de l’homme fou, ses traits se durcir et luire dans ses yeux une flamme sauvage.

Le vieillard avait aperçu, par-delà Rod, Wabi et Mukoki, qui apparaissaient à leur tour, en avant de la vieille cabane.

Il se redressa, comme mû par un ressort. Puis, poussant un grand cri, il s’élança dans le tourbillon de la cataracte.

On le vit, un instant, qui déboulait avec la nappe d’eau, puis il disparut dans le bassin où se précipitait la cataracte.

Pendant des siècles, l’eau avait, sous sa chute, creusé ce bassin qui, s’il n’avait guère plus de trente pieds de large, était, en revanche, fort profond.

Devant le saut inattendu et désespéré du fou, Rod était demeuré horrifié. Mais Wabi, qui était accouru avec Mukoki, s’écria :

— Rod, attention ! Il va se noyer, si nous ne l’aidons pas à sortir de là !

Les trois hommes s’approchèrent le plus près possible du bassin, prêts à saisir la main qui émergerait de l’onde glacée et que leur tendrait le vieillard. Eux-mêmes, s’il était nécessaire, se précipiteraient dans l’eau, à son secours. Tous leurs muscles se tendaient pour l’action.

Une seconde, puis deux, puis trois, puis cinq s’écoulèrent. Rien ne parut. L’angoisse gagnait Rod.

Dix secondes encore, puis quinze… un quart de minute !

Mais déjà Wabi avait enlevé sa veste de peau de caribou.

— Je vais à son secours ! dit-il simplement.

Et il piqua une tête dans le bassin.

Mukoki avait, lui aussi, retiré sa veste, prêt à tout événement.

Au bout d’une quinzaine de secondes, la tête de Wabi reparut au-dessus de l’eau.

— Je n’ai rien trouvé, dit-il.

— Bon. Moi venir… déclara Mukoki.

Et le vieil Indien s’élança dans le bassin, où il disparut, dans un grand éclaboussement d’eau.

Rod était resté à terre, en proie à une mortelle inquiétude. Il regardait, anxieux, les remous de l’eau, sous laquelle Wabi et Mukoki nageaient, en tâtonnant autour d’eux.

Lorsque Wabi reparut, le premier, pour reprendre sa respiration, suivi bientôt de Mukoki, il lui sembla qu’un siècle s’était écoulé.

Aucun des deux plongeurs n’avait rien découvert. John Ball, noyé, avait dû couler à fond. Le vieillard était mort !

Par acquit de conscience, trois fois encore, Wabi et Mukoki réitérèrent leurs tentatives. Sans plus de succès, Épuisés, ils remontèrent péniblement sur les rochers qui entouraient le bassin.

Mukoki, sans mot dire, courut rapidement vers le campement, y secoua les braises qui dormaient sous la cendre et, pour s’y sécher, jeta sur la flamme réveillée une brassée de bois mort.

Wabi, haletant, était resté au bord de l’eau, tout grelottant. Ses mains étaient fermées et tenaient encore des poignées de sable et de gravier.

Machinalement il les rouvrit et regarda ce qu’elles contenaient. Puis, stupéfait, il poussa un petit cri, qui fit sursauter Rod.

Il tendit sa main droite vers son ami. Au milieu des cailloux brillait une pépite d’or pur, si grosse et si magnifique que Rod, à son tour, jeta un cri perçant et, pour un instant, en oublia John Ball.