Les Chapelles (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 178-180).


LES CHAPELLES


 

Les chapelles des coins de bois

Revivent toutes à la fois,
Quand les roses s’éveillent ;
Les saints du paradis se fêtent tour à tour,
Et la Vierge s’entoure
D’une humble Cour

De fleurs rouges et de jaunes abeilles.


Les fermières au cœur pieux

L’ont habillée avec un manteau vieux
Plein de dorures,
Et, pour qu’elle ait plus jeune allure,
Lavé ses mains, lavé ses traits
Gercés de froid, mordus d’usure,

Avec du lait et du beurre frais.


Et la voici, vivante et requinquée :

Oh ! son collier étincelant
Et l’épingle de métal blanc
Dans son voile piquée,
Et ses souliers en cuir mollet,
Et sa ceinture à chapelet,
Et sa petite crinoline

Sous sa robe de mousseline !


Est-elle douce et fraîche et bénévole ainsi,

Dame jolie et naïve poupée,
Qu’un soin charmant tient occupée
Et qui regarde l’aube et regarde la nuit.
Au coin des bois, au cœur des plaines,

Tranquillement, avec ses yeux de porcelaine.


Les pauvres gens, tu le sais bien,

Benoîte amie et séculaire image,
Te prient et ne te cachent rien,
Puisque tu es de leur ménage.
Or, c’est en mai qu’ils ont besoin de toi
Tous à la fois ;
Un mois de mai hostile et noir
Fait basculer et fait descendre
Vers le néant l’espoir

De tous les bons semeurs de Flandre ;


Les blés, les lins, les fourrages, les fruits

Naissent à peine et ont besoin de nuits
Sans gel et sans grands vents rebelles :
Et l’on te pare en ta chapelle,
Pour t’honorer, d’abord,
Et puis encor
Pour qu’à cette heure autoritaire,
Ton geste d’aide et de secours
Soit vêtu d’or et de velours,

Quand doucement, le soir, il bénira la terre.


En mai, les chapelles des bois
Revivent toutes à la fois.