Les Chants populaires de l’Angleterre

Les Chants populaires de l’Angleterre
Revue des Deux Mondes2e période, tome 48 (p. 881-915).
LES
CHANTS POPULAIRES
DE L'ANGLETERRE

L’Angleterre est, avec l’Allemagne, un des pays où les monumens de la poésie populaire ont le plus occupé l’érudition et la critique. Cette poésie, qui se conserve surtout en Italie par la tradition orale, a été l’objet en Angleterre de recherches et de travaux qui nous ont valu depuis le commencement du siècle plus d’une importante publication. En interrogeant les nombreux recueils anglais, en les rapprochant des documens déjà consultés sur la poésie populaire en Italie[1], nous aurons à signaler plus d’une différence caractéristique. Un idiome plus âpre, une inspiration lyrique moins spontanée, un sens musical moins ouvert, voilà ce qui frappe tout d’abord chez les Anglais. On s’éloigne de la culture grecque et latine pour se rapprocher de la rudesse germanique. Sous un ciel rigoureux, le caractère de l’homme s’endurcit, la religion même semble s’assombrir. Et pourtant, si l’on interroge ces vives manifestations, ces épanchemens intimes où se révèle la vie morale d’un peuple, on est forcé de reconnaître là des qualités supérieures, l’amour du foyer par exemple, qui, en s’élargissant, devient l’esprit national sans s’élever toutefois jusqu’à la conception abstraite du bien de l’humanité, un sentiment profond de la dignité individuelle, une vigueur caractéristique marquant de son empreinte la rêverie même et les fictions légendaires. Avec ces caractères généraux, la chanson se mêle à l’existence affairée et concentrée des peuples du Nord comme à la vie facile et en plein air des populations du Midi. Seulement ici c’est le chant de l’oiseau, là c’est le bourdonnement de l’abeille. Au lieu de rayonner à ciel ouvert comme en Italie, l’inspiration poétique en Angleterre s’échauffe lentement au contact du foyer domestique, ou, si elle s’aventure au dehors, elle demande ses images favorites moins à la nature, telle que Dieu l’a faite, qu’à la terre et à la matière transformées par le bras de l’homme : l’hymne sévère du travail remplace les molles cantilènes du far niente.

D’ailleurs, en dépit du cant et du spleen, maladies comparativement modernes, la chanson se souvient qu’elle est née aux jours de la joyeuse Angleterre, et, tout en traversant la réforme et le puritanisme, elle a conservé la trace des mœurs primitives, des vieilles superstitions, des antiques croyances. Aussi de bonne heure nous trouvons l’attention de ses savans et de ses poètes éveillée sur cette source d’inspiration franchement populaire et nationale, qui a manqué, il faut le reconnaître, à notre poésie lyrique. « Ami, dit le duc dans la Douzième Nuit, as-tu remarqué cette ancienne ballade qu’on nous chanta hier soir ? Écoute-la, Cesario ; elle est antique et simple. Les vieilles femmes la chantent en filant ou en tricotant au soleil, et les jeunes filles en faisant aller la navette. Elle est naïve et vraie, elle respire l’innocence de l’amour et la simplicité des premiers âges. » Non-seulement les pièces de Shakspeare sont pleines de vieux refrains anglais[2], d’allusions à ce genre de littérature, mais encore quelques-unes, comme le Roi Lear, n’ont pas d’autre donnée première. Dans sa Défense de la Poésie, sir Philip Sidney ne craint pas de dire : « Il faut que j’avoue ma barbarie (my barbarousness), jamais je n’ai entendu la vieille ballade de Percy et Douglas (Chevy-Chace) sans que mon cœur ne tressaillît comme au son de la trompette, et pourtant elle était chantée par quelque mendiant aveugle, à la voix aussi rude que le style de sa chanson. » Le classique Addison, dans le Spectateur, osait comparer cette même ballade de Chevy-Chace aux chefs-d’œuvre de l’antiquité, et le sensible Goldsmith pleurait, comme Rousseau, au souvenir d’une romance naïve (Johnie Amstrong’s lament) qu’il avait entendu chanter dans son enfance.

Toutefois, à part ce qu’on pouvait appeler des prédilections toutes personnelles, ces curiosités poétiques, que colligeaient des antiquaires et des curieux tels que Selden et Pepys, n’étaient pas encore entrées dans le domaine commun de la littérature, lorsque l’évêque Percy publia en 1765[3] ses Reliques d’anciennes Poésies, qui eurent un grand nombre d’éditions, et furent suivies d’une foule de publications du même genre. Tel fut le point de départ d’un retour vers la poésie primitive et populaire, qui devait pendant un siècle donner le ton aux œuvres d’imagination. Non-seulement des poètes, Burns, James Hogg, Logan, Motherwell en Écosse, Wordsworth, Southey, Campbell, Tennyson en Angleterre, empruntèrent à cette source d’inspiration la forme, le thème principal de leurs chants, mais Walter Scott préluda à ses romans par son Recueil des Chants du Border, et il se rappelait avec délices l’arbre sous lequel, jeune écolier, il avait passé de longues heures à savourer les Reliques of ancient Poetry. Percy et ses successeurs, pour faire goûter leurs vieux textes originaux, s’étaient permis, à vrai dire, de les arranger un peu ; mais ils avaient apporté dans ce travail délicat infiniment plus de discrétion que Macpherson, et plus de goût que Moncrif, Laborde, de La Place et autres, qui, ayant essayé chez nous une exhumation du même genre, n’avaient réussi qu’à tomber dans la fadeur et le pastiche. Aujourd’hui que le goût public est à la fois plus hardi et mieux éclairé, on a mis en lumière de nouvelles pièces et des textes plus fidèles ; une société formée sous l’invocation du nom de Percy s’est donné pour tâche spéciale de publier (d’après les manuscrits originaux ou les imprimés devenus rares) tout ce qui se rapporte à la littérature populaire, et notamment les chansons et ballades où le génie de la vieille Angleterre s’est manifesté sous ses formes les plus naïves. Un grand nombre de recueils du même genre ont paru en Écosse et en Irlande. Nous possédons ainsi tout un ensemble de textes précieux qui sont restés pour la plupart en dehors des recherches entreprises chez nous sur la littérature anglaise, et qui pourront jeter un jour nouveau sur plusieurs côtés du caractère national, observé dans les chants historiques et politiques d’abord, puis dans les chansons populaires proprement dites, enfin dans quelques inspirations locales venues de l’Écosse et de l’Irlande, et qui méritent qu’on s’en occupe à part.


I. — CHANSONS HISTORIQUES ET POLITIQUES.

Il y a dans la poésie populaire anglaise un élément tout local dont il faut tenir compte, et qu’on ne retrouve pas chez les Italiens, soit que leur génie essentiellement lyrique, élément qu’on ne retrouve pas, répugne au genre narratif, soit que, longtemps déshérités de ces conditions vitales pour un peuple, l’indépendance et l’unité, la matière même ait manqué chez eux à la chanson historique et politique. Les Anglais au contraire ont aimé de tout temps à faire intervenir la raison d’état et les intérêts de la nation jusque dans leurs passe-temps et leurs jeux d’esprit. Guillaume le Conquérant, dit un chroniqueur, fit venir du royaume des Francs, outre Taillefer, « qui moult bien cantoit, » des chanteurs et des jongleurs qu’il paya pour chanter ses louanges sur les places publiques : premier hommage rendu par le rusé Normand à l’importance politique de la chanson. C’est en Angleterre qu’a été dit ce mot profond : « Laissez-moi faire les chansons d’un peuple, et je vous abandonne ses lois. »

Le premier monument connu de la chanson politique en Angleterre est une espèce de prose latine rimée du temps de la guerre des barons au XIIIe siècle, où l’on retrouve déjà, sous une forme pédantesque et cléricale, les principaux argumens en faveur de la Grande-Charte et les premiers linéamens en quelque sorte des trois pouvoirs qui doivent concourir à former la constitution britannique[4]. C’est aussi en vers mi-partis de franco-normand et d’anglais que l’on chansonna la mauvaise foi d’Édouard II, qui était revenu sur sa confirmation de la Grande-Charte. « L’on peut faire et défaire ; ainsi en use-t-on trop souvent. Cela n’est ni bon ni loyal, et par là l’Angleterre est ruinée. Notre prince, par le conseil de son peuple, convoqua un grand parlement à Westminster après la foire. Il nous fit une charte de cire, je l’entends et le crois bien ainsi : on l’a tenue trop près du feu, et la voilà fondue. »

La plupart des chansons historiques composées en Angleterre au xive siècle et au commencement du XVe rappellent, avec nos revers, les succès des armes anglaises. Telle est celle sur la prise de Calais en 1347. On y décrit l’arrivée des bourgeois qui viennent remettre à Édouard les clés de la ville ; mais d’Eustache de Saint-Pierre, de la reine Philippine et de la scène pathétique décrite par Froissart, pas un mot. La victoire d’Azincourt (1415) fut célébrée dans plusieurs hymnes ou chansons, dont l’une, recueillie par Percy, a pour refrain :

Deo gratias,
Deo gratias, Anglia, redde pro Victoriâ ;


l’autre, donnée par M. Wright[5], offre cette particularité curieuse, qu’elle a été conservée par un chroniqueur de la ville de Londres, qui commence par enchâsser dans son récit les vers encore reconnaissables de la chanson, puis enfin prend son parti de la donner sous sa véritable forme.

Notre amour-propre national peut prendre sa revanche dans une autre pièce du même recueil, sur les mécontentemens populaires à l’occasion des derniers désastres en France[6], qui fut chantée sans doute peu de temps après la mort de Jeanne d’Arc. Son nom n’y est pas prononcé, mais l’on y déplore soit la mort, soit la défaite de la plupart des capitaines que la vaillante fille avait combattus.

C’est en latin et le plus souvent par des clercs qu’étaient écrites ces innombrables chansons satiriques contre les abus de l’église romaine et les mœurs des moines qui, vers la même époque, préludaient en Angleterre au grand schisme du XVIe siècle. On y reconnaît l’humeur facile des premiers réformateurs anglais, qui, comme Luther, ne haïssaient pas le vin et les refrains joyeux. Un recueil anglais[7] cite une vieille chanson de moine : Ave, color vint clari, qui, dit-il, a résonné jadis dans maint couvent aujourd’hui en ruine, et Walter Mapes, l’auteur de chants satiriques contre Rome, passe en même temps pour avoir composé les fameux couplets bachiques : Mihi est proposition in tabernâ mori. Bientôt cependant la querelle s’envenima ; à cette première génération de réformateurs accommodans il en succéda une autre sombre et fanatique. Dès le XVe siècle, toutes les passions qui animaient Wiclef contre le pape, les sacremens, les biens ecclésiastiques, se firent jour dans les satires rimées et chantées de cette époque. Enfin la réforme, qui affecta peu à peu chez nos voisins les sombres allures de Zwingle, de Knox et de Calvin, ses principaux promoteurs, vint, en altérant le caractère national, frapper la chanson dans ses formes les plus gracieuses. Dans la vieille Angleterre (merry England), tout était joyeux : les compagnons de Robin Hood et ceux des outlaws du border (merry men), les bourgeoises des bonnes villes (merry wives of Windsor), les fêtes populaires et religieuses (merry Christmas), car la dévotion même était riante et de bonne humeur. Voyez plutôt ces pèlerins de Cantorbéry, représentant toutes les classes de la société, dont Chaucer fait défiler devant nous la joyeuse procession, et qui tous, comme on l’a remarqué, sont cités pour leur amour du chant, de la musique et de la danse. Une foule de fêtes liées aux souvenirs des saints de l’église romaine, une infinité de passe-temps rustiques fut supprimée par la réforme, sur laquelle le presbytérianisme et le puritanisme ne tardèrent pas à renchérir encore. Tout ce qui ressemble à de la gaîté devint suspect, et fut banni au moins du pays légal, refoulé dans le fond des campagnes ou dans le secret du foyer domestique. La chanson, qui se mêlait à toutes les joies, fut traitée en criminelle d’état. En 1533, proclamation, renouvelée dix ans après, pour supprimer « les rimes, chansons, ballades, et autres fantaisies. » En 1550, acte de l’autorité civile et ecclésiastique en Écosse, qui interdit « toutes rimes et ballades quelconques se rapportant aux choses et aux personnes de l’église catholique. » Il parut même alors un statut de police dont l’existence est attestée par un historien sérieux, Malcolm Laing, lequel enjoignait aux filles et aux garçons de danser dos à dos, « car, y était-il dit, le mélange de chaudes haleines sent fortement la fornication. » Pour remplacer les gais refrains d’autrefois, on composa des « chansons pieuses et spirituelles arrangées sur des rimes profanes, afin d’éviter le péché et le libertinage. » On cite de ces travestissemens des exemples si singuliers que nous ne nous hasarderons pas à les reproduire en français[8]

Vers la même époque, d’autres causes contribuaient à la décadence de la chanson. L’imprimerie, qui fixait les vers et la musique d’abord sur des rouleaux de parchemin, puis dans des recueils nommés garlands, enlevait aux chanteurs une partie de leur prestige et de leur popularité. Aussi voyons-nous l’antique ménestrel, honoré jadis de la protection des princes et des rois, faire place au vulgaire chanteur de ballades, assimilé par un statut d’Elisabeth aux mendians, aux vagabonds et presque aux malfaiteurs. Toute-tefois en Écosse, en Irlande et même en Angleterre, il se perpétua une race de bardes rustiques ou urbains, parmi lesquels on cite Thomas Hogarth, oncle du célèbre peintre, dont le nom s’est conservée dans les montagnes du Westmoreland, et Robert Anderson, de Carlisle, qui ne mourut qu’en 1833. Pour en revenir au règne d’Elisabeth, le titre seul des chansons de l’époque montre à quel point elles manquaient de gaîté. Voici une nouvelle et curieuse ballade racontant brièvement la mort et exécution de quatorze méchans traîtres (Ballard, Babington, etc.) à Lincoln’s Inn Field, près Londres. Le tout est enjolivé de grossières gravures sur bois représentant quatorze têtes fraîchement coupées.

Tandis que les malheurs de Marie-Stuart inspiraient plus d’une romance touchante, sa rivale Elisabeth ne dédaignait pas d’écrire, sur les conspirations tentées en sa faveur, ces terribles strophes :


« Nous ne souffrirons pas que des séditieux importent ici de l’étranger des levains de révolte. Notre royaume ne nourrit pas de sectes rebelles.

« Qu’elles aillent chercher fortune ailleurs, ou mon glaive, rouillé par le repos, aiguisera son tranchant en abattant les têtes qui rêvent des révolutions et s’ouvrent à des espérances coupables.

« Quant à l’âme de ces complots, quant à celle qui veut semer la discorde là où une volonté plus puissante que la sienne a établi la paix, qu’elle tremble ! Elle en retirera un tout autre fruit que celui qu’elle se promet. »

Sous Jacques Ier, on revint à des formes plus gaies pour ridiculiser les Écossais nécessiteux qui cherchaient fortune à la cour du roi, leur compatriote. Tel est le sujet de la chanson Jockie is grown a gentleman[9].


« Jockie, mon ami, n’allez pas si vite ; un mot, s’il vous plaît. Depuis quand êtes-vous devenu si brave et si gai, vous qui vous en alliez comme un mendiant l’autre jour ? Gentil Écossais, je le vois bien, l’Angleterre a fait de vous un gentilhomme.

« Votre bonnet bleu, lorsque vous arrivâtes ici, vous préservait à grand’peine du vent et de la pluie. Aujourd’hui vous l’avez jeté Dieu sait où ! Vous avez le feutre sur l’oreille et la plume au vent. Gentil écossais, etc. »


La période de la grande guerre civile a produit un certain nombre de chants empreints des passions de cette époque, où la violence n’excluait pas le ridicule. Les républicains, il est vrai, ne chantaient guère, si ce n’est des psaumes. Aussi emprunta-t-on cette forme pour parodier leur psalmodie nasillarde. Tel est le Psaume de merci, « fait pour être chanté du nez, » dit l’instruction jointe à la pièce. Le ton de nez fort dévot que Saint-Évremond prête au père Canaye dans le dialogue avec le maréchal d’Hocquincourt n’est peut-être qu’une réminiscence de cette plaisanterie anglaise.

La Marche de Marston-Moor respire ce fanatisme brutal qui unit dans une haine commune contre Charles Ier les presbytériens écossais conduits par Leslie et les troupes parlementaires commandées par Cromwell. La mélodie que Ritson nous a conservée est sauvage comme les paroles et adaptée aux modulations bizarres de la cornemuse.

« Marche ! marche ! de par le diable ! En avant ! Attention, enfans ! chacun à son rang ! Carabiniers, sur le front, jusqu’au de la des borders ! Là, soyez fermes au poste et combattez en hommes de cœur pour la défense du véritable Évangile. Le parlement se réjouit en vous voyant venir. Allons purger l’église des reliques papistes et de toutes ces innovations maudites. Le bon droit est pour nous, enfans de la vieille Écosse.

« Jenny rapportera le capuchon, Jockie la chasuble, et nos joueurs de cornemuse auront le coffre aux sifflets[10], toutes choses qui font chez eux un prêtre. Allons, enfans, retroussez vos plaids et relevez vos bonnets. En avant, en avant ! »

Il y a cependant une chanson républicaine sur la bataille de Naseby qu’on chercherait en vain dans les recueils du temps et dans les Ballads of the Commonwealth, publiées par M. Wright, mais qui vaut la peine d’être reproduite. L’auteur vient de décrire l’attaque du prince Rupert, qui a fait plier le centre de l’armée de Cromwell :

« Mais écoutez, écoutez ! Quel est ce piétinement de chevaux derrière nous ? Je reconnais cette bannière… Enfans, c’est lui ! Loué soit Dieu ! Le brave Olivier est ici. Nous allons changer de manœuvre.

« Tous à la fois baissant leurs têtes, pointant leurs sabres en avant, comme l’ouragan contre les arbres, comme un déluge dans les fossés, nos cuirassiers s’élancent sur les rangs des maudits, et du choc ont dispersé leurs forêts de piques.

« Vite, vite ! les galans se sauvent pour cacher dans quelque coin leurs têtes pusillanimes destinées à pourrir sur la porte de Temple-Bar. Et lui,… il tourne bride et fuit. Honte à ces yeux cruels qui contemplaient la torture et qui craignent de regarder la guerre en face !

« Holà ! camarades, balayez la plaine, et avant de dépouiller les morts, assurez-vous de votre homme par un bon coup de pointe. Puis arrachez de leurs manches et de leurs poches ces médaillons et ces pièces d’or, gages d’impures amours ou dépouilles du pauvre.

« Insensés ! l’or brillait sur vos pourpoints, vos cœurs étaient légers et hardis, lorsque ce matin vous baisiez les blanches mains de vos maîtresses, et demain le renard conduira hors de sa tanière ses fauves rejetons qui viendront en hurlant s’abattre sur vos cadavres.

« Où sont ces langues qui naguère raillaient le ciel et l’enfer, ces doigts qui se jouaient impatiens sur la garde de vos épées ? Où sont vos habits de satin parfumés, vos comédies et vos sonnets ?

« Disparus, disparus à jamais, avec la mitre et la couronne, avec le Bélial de la cour et le Mammon du pape. Il y a des lamentations dans les halls d’Oxford, il y a des gémissemens dans les stalles de Durham.

« Le jésuite se frappe la poitrine, l’évêque déchire sa chape, et l’homme des sept collines tremble en sentant le tranchant de l’épée du peuple anglais. »

Cette ballade parut dans un Magazine vers 1824 ; elle était attribuée à Obadiah Bind-your-kings-in-chains-and-your-nobles-in-links-of-iron (qui enchaîne les rois et les nobles), sergent dans le régiment d’Ireton. Ce long sobriquet puritain cachait le nom du jeune Macaulay qui préludait par la poésie à ses beaux travaux historiques, et projetait une série de chansons des guerres civiles. Il n’en a paru que ce curieux spécimen, et nous n’avons pu résister à la tentation de faire connaître un morceau qui n’a été, que nous sachions, ni traduit en français, ni même reproduit en Angleterre dans les œuvres complètes de l’auteur.

Si les républicains ne courtisaient guère la muse de la chanson, ou la traitaient rudement à leur manière, en revanche les cavaliers, hommes de savoir et de mœurs élégantes, charmèrent par un grand nombre de poésies gracieuses les ennuis de l’exil ou de la captivité. On y retrouve bien ce courage insouciant et cette ironie de grand seigneur qui caractérisèrent ce parti à diverses époques. Voici une de ces chansons, conservée par David Loyd dans ses Mémoires sur ceux qui ont souffert pour la cause de Charles Ier. Il l’attribue à un personnage de haut rang prisonnier du parlement, sir Robert l’Estrange suivant les uns, ou plutôt le colonel Lovelace d’après l’opinion la plus accréditée.


« Ils appellent cela un cachot !… Pour moi, c’est un cabinet. Une bonne conscience est mon bail, et l’innocence me tient lieu de liberté. Les verrous, les barreaux, la solitude, tout cela fait un anachorète aussi bien qu’un prisonnier…

« Ces menottes, je me figure que c’est un bracelet donné par ma maîtresse ; si j’ai les fers aux pieds, c’est pour me les tenir chauds.

« On me tient renfermé, mais n’en fait-on pas autant de toutes les choses précieuses ? Le Grand-Mogol et le pape sont tenus à distance du vulgaire. La réclusion est un des caractères de la grandeur.

« Triste séjour après tout ; mais quand mon prince est dans les larmes, la joie serait une trahison. Si je manquais de patience, il est là pour m’en donner des leçons.

« N’avez-vous jamais entendu le rossignol chanter dans une cage ? Ses accens mélodieux vous disent assez qu’il voit un arbre dans chaque barreau, que la cage elle-même est pour lui un bosquet.

« Mon esprit est libre comme l’air qui m’entoure. La rébellion peut bien enchaîner mon corps, mais il n’appartient qu’à mon roi de captiver mon âme. »

Ces strophes ingénieuses ne sont citées, on le comprendra, qu’à titre de contraste et pour constater que les chansons républicaines, dans leur brutalité même, avaient quelque chose de bien autrement populaire et de plus foncièrement anglais. On reconnaît ici le gentilhomme dont la jeunesse s’est passée sur le continent, qui a fréquenté les ruelles de Paris, peut-être l’hôtel de Rambouillet, et qui, sur ses vieux jours, connaîtra Hamilton et Saint-Évremond. L’influence française dominera dans l’époque qui va suivre, et viendra tempérer la rudesse de la vieille chanson anglaise par une infusion de raillerie élégante, d’insouciance épicurienne, de scepticisme politique et religieux.

La restauration donna son nom à une chanson (a countrey song, intitled the restauration) qui nous montre l’allégresse de la première heure et l’espèce de détente universelle qui suivit la chute du parti des saints et la fin de la grande guerre civile. Il y eut alors un déluge de loyal songsn loyal poems (chansons et poèmes royalistes), rump songs (chansons du croupion, etc.) ; mais le désenchantement ne tarda pas à trouver aussi des organes. La Plainte du Cavalier nous montre un vieux royaliste campagnard ne rapportant, comme il le dit, de son voyage à la cour d’autre fruit que d’avoir vu son roi. Toutes les figures y sont nouvelles pour lui. Pas une de celles qu’il a connues jadis à York et à Marston-Moor ! Il s’éloigne en faisant cette réflexion, que les vieux services sont comme les almanachs passés de date.

Quand les partis se furent bien chansonnés l’un l’autre, il se trouva des gens qui chansonnèrent tous les partis. C’est à cette période que se rapporte le Ministre de Bray, personnification devenue proverbiale en Angleterre de l’indifférence et de la mobilité politique. On assure qu’il y avait en effet un ministre de Bray, dans le Berkshire, qui avait été papiste sous Henri VIII, protestant sous Edouard VI, papiste de nouveau sous le règne de Marie, et encore une fois protestant sous celui d’Elisabeth. Lorsqu’on lui reprochait d’avoir changé si souvent de religion, il répondait tranquillement : « Je n’ai du moins jamais varié dans mon principe, qui est de vivre et de mourir ministre de Bray. »


« Dans les jours d’or du bon roi Charles, quand la loyauté n’avait aucun danger, je fus un chaud partisan de la haute église, et j’obtins ainsi un bénéfice. Alors je ne manquais jamais d’enseigner à mon troupeau que les rois sont les élus du Très-Haut. Maudits ceux qui osent résister à l’oint du Seigneur ! Et jusqu’à la mort voici mes principes à moi : quel que soit celui qui règne, je veux toujours être le ministre de Bray.

« Quand le roi Jacques obtint la couronne et que le papisme devint à la mode, je me moquai des lois pénales, et je me mis a lire la déclaration. Alors je trouvai que l’église de Rome convenait parfaitement à mon tempérament, et je serais devenu jésuite, n’eût été la révolution. Et jusqu’à la mort, etc.

« Lorsque Guillaume, pour le bien du peuple opprimé, fut déclaré notre roi, je dirigeai mes voiles vers ce nouveau vent, et je jurai obéissance. Je mis les anciens principes de côté, et tins ma conscience à distance. L’obéissance passive était une absurdité, et la non-résistance une plaisanterie. Et jusqu’à la mort, etc.

« L’illustre maison de Hanovre et la succession protestante peuvent compter sur moi,… tant qu’ils se maintiendront eux-mêmes, car, dans ma foi et loyauté, onques ne chancellerai, et George sera mon roi légitime, à moins que Dieu et les hommes n’en ordonnent autrement. Et jusqu’à la mort, etc. »


Puisque nous touchons à l’époque de la révolution de 1688, nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots d’une chanson qui, au rapport d’un écrivain contemporain, ne fut pas sans influence sur ce grand événement : c’est le Lilli-Burlero, que d’ailleurs les amis de Mon Oncle Tobie ne nous pardonneraient pas de passer sous silence. Elle fut faite en 1686, à l’occasion de la nomination du général Talbot, furieux papiste, à la lieutenance d’Irlande, et on l’attribue à lord Wharton, qu’il avait supplanté[11]. Le refrain était, à ce qu’il paraît, le cri des catholiques irlandais lors du massacre des protestans en 1641. « Jamais, dit l’évêque Burnet, si petite chose n’eut un si grand résultat : cette folle ballade produisit sur l’armée du roi une impression dont on ne saurait se faire une idée quand on n’en a pas été témoin. Elle fut répétée d’abord par toute l’armée, puis enfin par le peuple des villes et des campagnes, et ne contribua pas peu à consommer la ruine de la dynastie des Stuarts. » Nous en citerons quelques passages : c’est un Irlandais qui parle :


« O frère Teague, on dit qu’il nous vient un nouveau lieutenant. Les Anglais parlent bien haut de leurs droits ; mais il va nous arriver une dispense du pape, et nous pendrons la Magna Charta. Lilli-Burlero, Bullen-a-la.

« Qui le retient, ce cher Talbot ? Par saint Patrice, c’est un vent protestant ! Mais le voici. Celui qui ne voudra pas aller à la messe sera pendu. Lilli-Burlero, etc.

« Une vieille prophétie trouvée dans un marais dit que l’Irlande sera gouvernée par un âne et par un chien. Lilli-Burlero, etc.

« Aujourd’hui cette prophétie s’accomplit : Talbot est l’âne et Jacques le chien. Lilli-Burlero, etc. »


Les tentatives jacobites de 1715 et de 1745, que la politique a peut-être le droit de juger sévèrement, ne pouvaient manquer de sourire à l’imagination. La froide raison était pour la maison de Hanovre, la poésie était du côté des Stuarts. En effet, comment ne pas se passionner pour ce jeune chevalier si beau, si brave, si galant, soit qu’il ouvrît le bal à Holy-Rood avec quelque loyale et belle dame d’Edimbourg, soit qu’il maniât à Culloden la claymore du highlander ? Le poète écossais James Hogg a recueilli et un peu arrangé, sous le titre de Jacobite Relies, une partie des poèmes composés en faveur de cette cause. Il en existe un bien plus grand nombre. Nous citerons une chanson qui a joué un grand rôle dans cette guerre romanesque. Alors elle électrisait tous les cœurs : plus d’une jolie bouche la répéta dans l’ivresse des premiers succès ; plus d’une fois elle retentit sur le passage du prétendant, lorsqu’il parcourait les rues d’Edimbourg, la cité loyale. Qui sait même à quoi il tint qu’elle n’allât jusqu’à Londres accompagner le bruit de la chute d’un trône ? Et maintenant ce n’est plus qu’une curiosité historique. Ces paroles, jadis révolutionnaires, sont devenues profondément inoffensives ; ces accens, doux encore pour une oreille musicale, ont perdu leur puissance sympathique. À peine un demi-siècle s’était écoulé, et Charlie is my darling se chantait à Londres dans les concerts de la noblesse[12], devant les princes de cette maison qu’il avait failli détrôner.


« Charles est mon bien-aimé, oui, mon bien-aimé Charles, le jeune chevalier ! C’était un lundi matin, au commencement de l’année, que Charles parut dans notre ville. Oh ! Charles est mon bien-aimé, etc.

« Comme il s’avançait dans la grande rue, les cornemuses jouaient haut et clair, et tout le monde se pressait sur son passage.

« Bientôt les clans arrivèrent avec leur bonnets bleus et leurs claymores brillantes. Ils venaient combattre pour les droits de l’Ecosse et pour le jeune chevalier. Oh ! Charles, etc.

« Ils abandonnaient leurs chères montagnes, leurs femmes et leurs enfans : tous tiraient l’épée pour le roi d’Ecosse et pour le jeune chevalier. Oh ! Charles, etc.

« Arrière, hommes des basses terres ! A moi l’amour des jeunes filles ! Le montagnard est revenu vainqueur avec le jeune chevalier. Oh ! Charles est mon bien-aimé, etc. »


La poésie, qui avait relevé l’éclat du triomphe, resta longtemps fidèle à la défaite. Une foule de romances touchantes retracèrent les malheurs des vaincus : telles sont Jemmy Dawson, les Lamentations de Strathallan, les Adieux au Lochaber, ballade mélancolique que le docteur Cameron entonna en marchant au supplice, et qui fit fondre en larmes tous les assistans. En vain la France s’efforçait de rendre une patrie à ceux qui avaient fui les persécutions et l’échafaud. Les pauvres réfugiés chantaient tristement :

« Le soleil se lève brillant en France, et il est beau encore à son coucher ; mais ce spectacle a perdu le charme qu’il avait jadis pour moi dans mon pays natal. Ce n’est pas la pensée de ma propre ruine qui rend mes yeux humides, mais ma chère Marie et les trois petites créatures que j’ai laissées là-bas. Ah ! c’est mon cœur tout entier que j’ai laissé derrière moi dans mon pays ! »


Au contraire, du fond de l’Ecosse, ceux qu’avaient épargnés la mort et l’exil s’élançaient par la pensée, au-delà de l’Océan, vers Charles (over the water, to Charlie).


« Je le jure par ce qu’il y a de plus sacré, si j’avais mille vies, je les donnerais toutes pour Charles !

« J’avais autrefois des fils, il ne m’en reste pas un. Dieu sait avec quelle peine je les avais élevés ! Eh bien ! je voudrais les voir encore naître, grandir, et les perdre tous pour Charles. »


Quel dévouement que celui qui inspirait de tels accens, et quelle amertume dans ces strophes aux renégats dont la fidélité de courte haleine s’inclinait complaisamment devant les faits accomplis !


« Vous, jacobites de nom, prêtez l’oreille : je vais proclamer vos fautes et flétrir vos doctrines. Il faut que vous m’entendiez.

« Qui fait la bonne cause ou la mauvaise ? Une épée courte ou longue, un bras faible ou fort pour la manier.

« Que faut-il pour devenir le héros d’une lutte fameuse ? Aiguiser le poignard des assassins, et dans une guerre impie traquer un parent comme une bête fauve.

« Laissez là de vains projets. Adorez le soleil levant et abandonnez à son destin un homme fini (a man undone). »


Hélas ! ces derniers mots étaient l’arrêt de l’histoire, et, tandis que ce Charles Stuart, objet de tant d’espérances, vieillissait obscur et amoindri, la dynastie de Hanovre, poursuivant ses destinées, finissait par rallier à sa cause les intérêts, les dévouemens, et jusqu’à la chanson elle-même. Il est en effet à peu près certain aujourd’hui que le God save the king, auquel on a si souvent, sur la foi de mémoires apocryphes, attribué une origine française, fut une manifestation de la réaction hanovrienne contre l’insurrection jacobite de 1745. C’est alors qu’il parut pour la première fois dans le Gentleman’s Magazine, et qu’il fut chanté sur les théâtres de Londres avec des accompagnemens composés par les docteurs Burney et Cooke, qui, en attestant que le premier vers avait été primitivement God save great James, déclarèrent ne pas connaître l’auteur de la mélodie. Voilà les faits, tout le reste est du domaine de l’imagination.

Après l’insurrection jacobite, l’événement qui fit éclore le plus de chansons en Angleterre est sans contredit l’invasion projetée d’abord par le directoire, puis par Bonaparte ; mais si une prévention, naturelle du reste, ne nous abuse, elles brillent plus par le nombre que par la qualité. Certes on ne peut douter qu’un sentiment sincère et national ne les ait dictées. Ce ne fut pas le patriotisme, mais l’inspiration qui manqua à l’appel. Dans ces corps de défenseurs improvisés qui se formèrent alors sur tous les points de la Grande-Bretagne, et qui virent Burns et Walter Scott figurer parmi les volontaires de Dumfries et les chevau-légers d’Edimbourg, on put bien enrôler les poètes, mais non la poésie elle-même, du moins la grande poésie qui survit à la circonstance, et qui en Allemagne, lors de la croisade de 1813 contre les Français, avec des interprètes tels que Koerner, Arndt, Uhland, produisit des chefs-d’œuvre admirés de ceux-là mêmes qu’ils vouaient à la haine et à la destruction.

On verra comment en Angleterre la chanson maritime devint plus particulièrement l’organe de la défense nationale contre l’étranger. En dehors de cette forme spéciale, nous serions vraiment embarrassé de citer des morceaux qui ne fussent pas blessans pour notre goût plus encore que pour notre patriotisme. Le Chant des Volontaires de Dumfries, composé par Burns dans les circonstances que nous avons rappelées, fait bien connaître l’état de l’esprit public anglais à cette époque, partagé entre la sympathie que lui inspiraient les libertés proclamées par la révolution française et la crainte de sa propagande à main armée ; mais à côté de sentimens généreux dignes de nos respects il y règne une affectation de vulgarité indigne d’un poète aussi éminent. N’y a-t-il pas également une fâcheuse absence de délicatesse dans ce couplet d’une autre chanson publiée en 1795, où l’on cherche, avec plus de méchanceté que de noblesse, à tourner en dérision l’héroïque pauvreté de nos soldats ?


« La vieille Angleterre n’aime pas les gasconnades, et les troupes que le brave duc d’York commande n’auront pas un train à la Buckingham ; mais, riche de son commerce, elle peut du moins habiller ses défenseurs, et nos soldats sont à même de payer leurs dettes aux vôtres en souliers : vous ne pouvez pas nous en rendre autant. »


Il nous serait peu agréable de multiplier les citations de ce genre, appels à des passions qui, nous l’espérons, ont fait leur temps, bien qu’on s’efforce parfois de les ranimer. Nous aurions mieux aimé pouvoir citer quelque témoignage poétique de la fraternité d’armes qui a rapproché en Crimée et en Chine les soldats anglais et les nôtres ; mais, bien que dans les rues de Londres plusieurs chansons populaires sur la bataille d’Inkermann, sur la prise de Sébastopol, etc.[13], aient attiré nos regards par leurs enluminures criardes, nous n’y avons rien trouvé à citer, soit qu’en effet elles n’aient pas même les mérites du genre, soit peut-être qu’il leur manque ce prestige de la distance, qui, pour la poésie comme pour la peinture, est une condition indispensable à l’effet.


II. — CHANSONS POPULAIRES, MARITIMES ET DOMESTIQUES.

Les chants maritimes de l’Angleterre forment un groupe important, dont la place est marquée entre les chansons historiques, qu’une analogie de forme en rapproche souvent, et les chansons populaires proprement dites. Ces chants de marins jouissent même d’une faveur toute particulière dans le royaume-uni. En pourrait-il être autrement ? La vie du marin touche en Angleterre par mille côtés à la vie commune. Pour qui Shakspeare a-t-il écrit ? Pour un parterre de matelots. Quels sont les noms que l’Anglais cite avec le plus d’orgueil ? Ceux de ses braves amiraux. On a remarqué que Wellington n’avait jamais approché de la popularité de Nelson. Ajoutons que Waterloo n’a pas inspiré un chant qui puisse soutenir la comparaison avec la Bataille de la Baltique et le Ye, mariners of England, de Campbell. L’habit rouge pâlit devant la jaquette bleue dans l’estime des Anglais et dans les bonnes grâces des jolies filles d’Albion. Ils aiment à se personnifier dans leurs marins, comme la France dans ses soldats. Écoutez plutôt le Rule Britannia, qui est leur chanson patriotique, comme le God save est leur chanson loyale. Le Rule Britannia est un chant maritime bien plus que militaire.


« Lorsque l’Angleterre, à la voix du Tout-Puissant, surgit de l’azur des mers, elle reçut en partage l’empire des flots, et les anges gardiens la saluèrent de ce chant : Règne. Albion, règne sur l’Océan, car les Bretons ne seront jamais esclaves !

« Les nations moins heureuses que toi doivent tour à tour tomber sous le joug des tyrans ; mais toi, tu fleuriras grande et libre, objet d’envie et de crainte pour le reste de la terre. — Règne, Albion, etc.

« Tu te relèveras plus grande et plus majestueuse de toutes les attaques de l’étranger. Ainsi la tempête qui déchire les nuages ne fait qu’affermir dans ses racines le chêne de tes forêts. Règne, Albion, etc.

« À toi la palme de l’agriculture et du commerce ! à toi les faveurs des muses, sœurs de la liberté, île chérie du ciel, couronnée de beautés sous la garde du courage ! Règne, Albion, etc. »

M. J. O. Halliwell, qui a publié pour la société Percy les Anciennes ballades navales de l’Angleterre, donne en tête de son recueil celle qu’il regarde comme la première en date. Elle paraît être du temps de Henri VI : c’est une peinture des tribulations réservées aux pèlerins anglais qui se rendaient par mer à Saint-Jacques de Compostelle. C’est tout à fait le pendant, sauf le théâtre qui est change, de notre Grande chanson des pèlerins de Saint-Jacques. Tous les ans, à cette époque, comme on le voit par une correspondance du temps[14], il partait, des divers ports du sud de la Grande-Bretagne, de nombreux navires, avec des cargaisons de pèlerins qui étaient transportés par entreprise et à forfait ; c’était quelque chose de semblable à nos trains de plaisir, ou plutôt à notre œuvre des pèlerinages en Terre-Sainte, et ce sont les impressions de voyage d’un de ces pieux convois qui ouvrent, d’une manière plus édifiante qu’héroïque, la série des chansons maritimes de l’Angleterre. Il y a telle de ces chansons qui peut passer pour un abrégé des fastes de la marine britannique (why I’m singing). Le narrateur commence à la fameuse Armada, et ne s’arrête qu’à la bataille du Nil. Cette grande croisade catholique du XVIe siècle, où se trouvaient en jeu la foi religieuse et la prépondérance maritime de l’Angleterre et de l’Espagne, agit fortement de part et d’autre sur les passions populaires. Tandis que les señoritas de Séville et de Cordoue chantaient : « Mon frère Bartolo s’en va faire la guerre à la reine Elisabeth ; il me rapportera un petit luthérien la cordeau cou, et une petite Anglaise qui sera ma femme de chambre, » le grand mouvement de la défense nationale inspirait aux poètes d’Albion ces strophes émues :

« Dieu ! lève-toi et protège-nous contre des envahisseurs sans merci, contre les entreprises des méchans. Abats nos ennemis, engloutis leurs puissans navires, brise leur force et leur courage. O Dieu ! lève-toi, et sauve-nous pour l’amour de Jésus-Christ.

« En vain Parme et la cruelle Espagne s’avancent avec leurs légions païennes. 0 Dieu ! lève-toi et sois notre armure. Nous mourrons pour nos foyers ; nous ne changerons pas notre credo pour celui du pape, ni pour ses livres, ni pour ses cloches. Dût Satan venir en personne, nous lui donnerons la chasse et le refoulerons jusqu’au fond de l’enfer. »

Les exploits de sir Francis Drake, de Martin Frobisher, de tout cet essaim d’héroïques aventuriers qui firent redouter le pavillon anglais sur toutes les mers, forment le sujet d’une foule de chants animés et pittoresques. Il y en a un sur la prise de Cadix en 1596 (an excellent song on the winning of Cades), qui respire toute l’ivresse de la victoire, et en même temps, il faut le dire* l’âpre ardeur du butin.

« Entrant alors dans les maisons des plus riches habitans, nous fûmes tout un jour à la recherche de leurs richesses et de leurs trésors. Dans quelques endroits, nous trouvâmes le pâté au four, le rôt à la broche ; mais tous les hommes s’étaient enfuis.

« Nous visitâmes les boutiques qui regorgeaient de riches marchandises. Damas, satins, velours magnifiques, voilà ce qui s’offrait à nous, et nous mesurions le tout à la longueur de nos épées, etc. »

Ces idées de butin et de pillage reviennent souvent dans les chansons anglaises, et en affaiblissent un peu l’effet ; il semble que, chez ces braves marins, le stimulant de la part de prise ait besoin de s’ajouter à celui du patriotisme. « A vos rangs, camarades (lit-on dans un couplet populaire)[15] ! Nous pillerons, brûlerons et coulerons bas. La France est à notre merci, car les Bretons ne reculent jamais. Nous saccagerons tout ce qui nous tombera sous la main. Moll, Kate et Nancy rouleront sur les louis d’or. » Il est vrai que cela leur vaut les bonnes grâces des jeunes filles qui chantent de leur côté : « Je ne veux pas d’autre époux qu’un marin ; il rapporte d’au-delà des mers des perles, des diamans, de la soie et du velours. Autrement nous autres, joyeuses fillettes, ne pourrions pas nous faire si braves. Voilà ce qui gagne notre cœur. Je ne veux pas d’autre époux qu’un marin. »

Quelquefois on établit un contraste entre le sort des marins anglais et celui des nôtres, comme dans ce passage, où le poète populaire s’est plus inquiété de frapper fort que de frapper juste : « Quelle heureuse vie mène le hardi matelot breton ! Il se régale d’excellent punch et chante du matin au soir, sans craindre à bord la présence d’un rude geôlier, tandis que les Français gémissent sur leurs galères, condamnés à la rame et à la chaîne, et que leurs officiers ne répondent aux plaintes de leurs victimes qu’en redoublant leurs coups de fouet. »

Il existe sur le combat de la Hogue une chanson contemporaine commençant ainsi : « Le jeudi matin des ides de mai 1692, jour à jamais fameux. » C’est peut-être la meilleure relation de cette bataille mémorable. D’autres retracent les affaires plus récentes de l’Aréthuse contre la Belle-Poule, de la Ville de Paris, de l’Avant-Garde, et le lecteur français aime à y rencontrer les noms de Tourville, du comte de Grasse, de Brueys, cités honorablement, quoique parfois un peu estropiés, à côté de ceux de Rodney, de Howe, de Jervis, de Nelson. Toutes ces chansons, écrites en langage populaire, mais pleines de mouvement et de détails précis, forment un véritable cours d’histoire de la marine anglaise à l’usage des marins et du peuple.

Qui croirait que la France y retrouve aussi quelques pages ignorées de ses gloires navales ? La Mort du capitaine Death nous révèle un exploit dont on chercherait vainement la trace dans nos histoires maritimes. L’action se passe le 23 décembre 1757. Le navire anglais le Terrible, 26 canons, armé en course et monté par 200 hommes d’élite, vient de faire une prise, lorsqu’il rencontre la Vengeance, corsaire français ; un combat furieux s’engage.


« De toutes parts, le feu, les explosions, les balles, brillent, résonnent, frappent. Les haubans sont tout déchirés, les ponts regorgent de sang ; des monceaux de cadavres tombent dans la mer. À la fin, le fatal boulet désigné par le destin pour la mort du brave frappe notre capitaine : il tombe, son second le suit de près, puis chaque officier l’un après l’autre. Alors ce n’est plus qu’un carnage affreux qui rougit au loin l’azur des flots. Telle fut la fin du Terrible ; seize survivans peuvent seuls en dire l’histoire funeste. Les Français furent vainqueurs, mais à quel prix ! Plus d’un brave de leur bord suivit les nôtres au fond de l’Océan, et le bon vieux temps peut dire : « Depuis la reine Elisabeth, je n’ai pas vu le pareil du capitaine Death ! »


Ainsi les Anglais ont conservé le nom et le souvenir de leur compatriote vaincu ; notre indifférence a laissé perdre ceux des Français vainqueurs et du brave qui les commandait ! On sait au reste avec quel amour le marin anglais par le de son vaisseau, seul objet inanimé qui, dans sa langue, ait un genre ou plutôt un sexe. Voici un des anciens de l’équipage qui va faire l’histoire du bâtiment.


« Enfans, voulez-vous savoir comment notre navire a gagné son nom ? Je vais vous le dire. Quand il fut lancé, la renommée le baptisa ainsi : l’Albion, l’orgueil de la mer ! Il n’y a que des braves dans son équipage. Au milieu des canons qui tonnent, c’est un lion dans les combats que l’Albion, l’orgueil de la mer.

« Il fallait le voir s’élancer du chantier dans les flots, et embrasser la mer en lui disant : Tu es à moi ! etc. »


Cette ivresse, cette fascination de la mer, respire à un haut degré dans ces strophes, à peine traduisibles, de la chanson intitulée the Sea.


« La mer, la vaste mer, bleue, fraîche, sans limites ! Elle roule autour des grands continens, tantôt s’élançant jusqu’au ciel, qu’elle semble braver, tantôt bercée comme un enfant dans son lit mobile. Je suis sur la mer, là où je voudrais toujours être, le bleu sur ma tête, le bleu au-dessous… Jamais je n’ai touché la terre, la terre plate et maussade, que je n’aie senti mon amour redoubler pour la mer profonde, et voulu retourner sur son sein agité, comme un oiseau qui revole au nid de sa mère. Aussi fut-elle une vraie mère pour moi. J’y suis né, j’y veux mourir ! »


Il serait superflu de citer tous les passages des chansons anglaises qui renferment des allusions à la vie et aux mœurs des marins. Notons seulement que des idées d’amour viennent s’y mêler pour en tempérer la rudesse. Dans la romance intitulée Susanne aux yeux noirs, le navire, à l’ancre dans les dunes, va partir, lorsqu’une jeune fille s’élance à bord, demandant son cher William. Ce sont alors de pénibles adieux, des protestations de tendresse.


« Chère Susanne, ne crois pas ce que disent les hommes de terre, que les marins ont une maîtresse dans chaque port ! Ou plutôt, oui, crois-en leurs paroles, car tu m’es présente en tous lieux.

« Si nous touchons aux rivages de l’Inde, je verrai tes yeux dans les diamans étincelans ; les brises parfumées de l’Afrique me rappelleront ta douce haleine, et l’ivoire la blancheur de ta peau. Ainsi chaque beauté qui frappera mes regards réveillera en moi le souvenir d’un de tes charmes.

« Mais le contre-maître a donné le funeste signal : les voiles s’enflent au vent ; Susanne ne peut rester plus longtemps à bord. Ils s’embrassent, ils soupirent. Le bateau qui l’entraîne semble regagner à regret le rivage. « Adieu ! adieu ! » s’écrie-t-elle, et longtemps encore sa blanche main s’agite dans les airs !… »


Voilà, dira-t-on, un marin bien galant et même un peu prétentieux. Il n’en est pas moins vrai que cette romance du poète John Gay est devenue populaire à bord, et l’on ne manque pas de la chanter sur les théâtres à l’époque de l’enrôlement des matelots.

Au quart de minuit, à l’approche d’une bataille, un marin solitaire se promène à pas comptes sur le pont.


« Si tu as laissé à terre quelque jolie fille, quelque maîtresse fidèle, qui ait passé bien des nuits à écouter le vent, quand la bataille commencera, ne pense qu’à bien servir ton canon, ou si quelque pensée d’amour traverse ton esprit, que ce soit pour t’animer à bien faire en songeant qu’à la nouvelle de la victoire elle s’écriera avec orgueil : « Mon brave Jack en était !… »


Des poètes distingués, Sheridan, Gay, Glover, Cowper, Thomas Campbell, Barry Cornwall, n’ont pas dédaigné de traiter ce genre éminemment national ; mais le chansonnier maritime anglais par excellence est Charles Dibdin, né en 1745, mort en 1814, auteur de plusieurs des morceaux que nous venons de citer. Bien qu’il ne possède ni l’inspiration élevée du poète lyrique, ni les grâces plus légères qui charment les salons, il conquit la popularité du bord et du gaillard d’arrière par suite d’un concours de circonstances qui avaient fait de la marine, à l’époque où il parut, le dernier rempart de l’indépendance anglaise. Cette popularité, il la méritait aussi par une réunion de qualités qui lui ont permis de dire avec un légitime orgueil : « Mes chansons ont été considérées comme un objet d’intérêt national ; elles ont été la consolation de nos marins dans les longues traversées, dans les tempêtes, dans les batailles ; on les a invoquées dans les révoltes pour le rétablissement de l’ordre et de la discipline. » Dibdin a réellement pratiqué la philosophie nautique et la morale du petit hunier, titres qu’il a donnés à deux de ses chansons.

La ballade touche de près aux poèmes narratifs tirés de la vie maritime. C’est surtout en Angleterre que ce mot de ballade, appliqué chez nous d’abord à un air de danse, puis à une poésie non chantée, servit à désigner la chanson épique et romanesque. Parmi les plus anciennes, il en est qui se rattachent à la féerie du Nord, que Trilby et Oberon nous ont rendue familière. Robin Goodfellow, ce chef des lutins, dont Shakspeare décrit les malices sans méchanceté en vers d’un charme incomparable, a inspiré plusieurs chansons qui ont reçu la consécration populaire. D’autres, qui touchent de plus près au monde réel, offrent, comme disent nos voisins, de ces touches de nature égales aux plus belles conceptions de l’art. Si nous voulions donner une idée de ces naïfs récits, dont on ne connaît ni la date, ni l’auteur, ni l’origine, mais qui s’imposent aux simples comme aux lettrés avec une séduction irrésistible, parce qu’ils réveillent des sentimens communs à l’humanité tout entière, nous choisirions les Enfans dans les bois, vieille ballade qu’admirait Addison, et qui a fait couler bien des larmes dans les nurseries, thème favori sur lequel on a composé en Angleterre des tableaux, des gravures, des drames, des pantomimes, et, qui le croirait ? jusqu’à des scènes équestres, comme on le voit dans un roman de Dickens. En voici le sujet. Un gentilhomme du comté de Norfolk meurt avec sa femme, laissant deux enfans en bas âge, à savoir un petit garçon de trois ans, beau comme le jour, et Jane, jolie petite fille, plus jeune que son frère. Son oncle, à qui il les confie, conçoit le projet de se défaire d’eux pour avoir leur bien, et un an et un jour se sont à peine écoulés qu’il charge un scélérat de les emmener dans les bois et de les tuer ; mais celui-ci n’en a pas le courage.


« Ils marchaient depuis bien longtemps, bien longtemps, et la nuit venait, et ils avaient faim. — Attendez-moi ici, leur dit-il, je vais vous aller chercher du pain. — Il partit du côté de la ville, mais ils ne le virent plus jamais revenir.

« Et ces deux jolis enfans s’en allaient errant ça et là, se tenant par la main. D’abord ils s’amusèrent à cueillir des fleurs et des mûres sauvages, et leurs petites lèvres de rose en étaient toutes noircies ; mais, quand la nuit devint tout à fait noire, ils s’assirent et se prirent à pleurer.

« Ainsi errèrent ces deux pauvres enfans égarés jusqu’à l’heure où la mort vint finir leurs peines. Ils expirèrent dans les bras l’un de l’autre, ces chers petits innocens, et leurs corps gracieux ne reposèrent pas dans un tombeau ; seulement le rouge-gorge couvrit de feuilles leurs restes abandonnés au fond des bois. »


Les ballades sur Robin Hood, qui forment un véritable cycle populaire, nous reportent aux premiers temps de la domination normande, soit qu’avec l’historien de la conquête on considère ce hardi aventurier comme le représentant de la nationalité saxonne, soit qu’on voie simplement en lui un outlaw devenu braconnier par nécessité, et, ainsi que le dit naïvement je ne sais quel vieux chroniqueur, « un bon voleur qui faisait beaucoup de bien aux pauvres gens. » Ces ballades ont été l’objet de publications spéciales en Angleterre, et sans s’y arrêter il suffira de remarquer ici que cette popularité du libre chasseur, du coureur de bois, n’avait pu naître qu’à une époque où les lois sur la chasse constituaient une des formes les plus dures de la tyrannie étrangère, et où l’outlaw, refoulé dans les forêts, était considéré comme un homme dépouillé de son bien, qui le reprenait où et comme il le pouvait. Aussi l’infraction à ces lois n’a pas cessé de passer en Angleterre pour un péché des plus véniels. Shakspeare ne s’en faisait pas faute, si l’on en croit les anecdotes recueillies sur sa jeunesse. Dans mainte ballade, telle que Johnnie de Breadislee, les forestiers jouent le rôle de traîtres, et les délinquans, comme dans les Trois archers, sont « de joyeux compères, des amis de la venaison et de la liberté. » Dans le comté de Nottingham, principal théâtre des exploits de Robin Hood, on répète encore une chanson de braconnier, de poacher, attribuée par la tradition à un gentilhomme du pays, adversaire déclaré des lois sur la chasse. Ainsi le braconnage n’est pas seulement le fait de jeunes étourdis ou de pauvres diables qui tuent du gibier pour vivre ; mais, ce qui est bien caractéristique assurément, on en a fait une protestation et un acte d’opposition politique.

Du reste, les sporting songs en général forment une partie notable du répertoire lyrique de nos voisins. On ne s’étonnera pas que Fielding, à qui l’on doit le type du squire Western, ait composé des chansons de chasse, il y en a sûr la pêche, sur le turf, sur le jeu de cricket, et même sur le patinage. Parmi celles qui sont consacrées aux fêtes rurales et domestiques, beaucoup, antérieures au règne d’Elisabeth, ont péri, comme nous l’avons dit, à l’époque de la réforme. Qui pourrait énumérer tous ces esballemens du bon vieux temps, ces naïves pratiques, ces cérémonies traditionnelles que le chant accompagnait presque toujours, et dont la plupart ne revivent plus que dans les ouvrages de Brand (Popular antiquities), de Strutt (Sports and pastimes of England), ou dans les tableaux de Maclise et les aquarelles de Taylor ? C’étaient les fêtes de mai. Des couples joyeux défilaient sous un dais de feuillage et formaient des rondes autour du chêne séculaire dont leurs refrains rappelaient le nom celtique (Derry, Derry down). Puis venait la solennité de Noël dans le vieux manoir féodal, où la tête de sanglier était servie en grande pompe au milieu des chants sacramentels, des grimaces du clown et des acclamations de tous les convives. Rappelons encore la Saint-Valentin avec ses déclarations poétiques et ses correspondances amoureuses, la veille des Rois, où, comme dans le Bessin normand, et presque dans les mêmes termes, les fermiers des comtés de Devon et de Cornouaille allaient processionnellement, des brandons à la main, conjurer les animaux nuisibles et appeler sur leurs vergers la bénédiction du ciel par des incantations rimées. Combien de délassemens utiles ou tout au moins de superstitions innocentes parmi toutes ces vieilles coutumes, que l’intolérance calviniste et puritaine a bannies des villes et des campagnes sous prétexte de papisme et de superstition ! Cependant M. Dixon a pu recueillir quelques-uns de ces poèmes et ballades, qui sont encore chantés en Angleterre par les paysans[16]. Telles sont la Chanson du Mai, celle des Faneurs, de la Moisson (Harvest-home), de la Meule (Barley-mow), accompagnées souvent de refrains intraduisibles et de particularités traditionnelles. Pour celle-ci par exemple, on boit à la santé de la meule dans une mesure de liquide dont la capacité augmente à chaque couplet ; puis, quand arrive le dernier, on recommence en sens inverse : on part de la coupe la plus large et on finit par la plus petite. La fête de la moisson est quelquefois accompagnée d’un chant dialogué entre le husband-man, propriétaire cultivateur, et le servingman, celui qui travaille pour un autre ; la morale est celle de la fable de La Fontaine, le Chien et le Loup. Cet orgueil de yeoman et de freeholder, de cette classe qui constitue la force vive de l’Angleterre, est bien rendu dans la chanson du Yeoman de Suffolk.


« Voisins, puisque je suis requis de chanter, je vais vous dire la reine des chansons, car elle est en l’honneur d’une race qui ne le cède à aucune autre. Lorsque l’ordre commença sur la terre, chaque laboureur était roi ; il honorait la meule et la charrue ; sa ferme était sa cour, et tous se serraient avec respect autour de son foyer protecteur : tel est le fermier de Suffolk. »


Chaque province a ses types favoris dont les qualités ou les défauts forment le sujet de maint refrain populaire ; tel est le marchand de chevaux du Yorkshire, qui est proche parent de notre maquignon de Basse-Normandie. Parmi les défauts, dont nous venons de parler, l’ivrognerie tient une place notable, et l’on voit souvent, placardées sur les murs des cabarets rustiques, de vieilles chansons où des textes de la Bible sont invoqués dans le sens d’une propagande tout opposée à celle des sociétés de tempérance. Une autre chanson bien anglaise est le Smoking spiritualised, le Spiritualisme de la pipe, composée en 1707 par le révérend Ralph Erskine, et qui se réimprime encore aujourd’hui :


« La fumée qui s’élève en l’air vous montre la vanité des choses mondaines que le moindre souffle fait évanouir. Faites cette réflexion et fumez votre tabac.

« Lorsque l’intérieur de votre pipe se noircit, pensez à l’âme souillée par le péché : alors le feu seul peut la purifier. Faites cette réflexion et fumez votre tabac. »


Nous voilà bien loin de la jovialité gauloise, où le vice s’étale parfois avec une franchise qu’on pourrait trouver excessive. Cependant le Vieux Wichet et sa femme, chanson populaire du nord de l’Angleterre, rappelle ces bonnes histoires de maris trompés si communes dans notre ancienne littérature, et nous ne serions pas étonné que cette vieille plaisanterie eût pris naissance de ce côté-ci du détroit :


« J’allai à l’écurie, et je vis un, deux, trois chevaux. J’appelai ma tendre épouse et lui dis : — Que font là ces trois chevaux sans ma permission ? — Vieux fou, vieil aveugle, ne vois-tu pas que ce sont trois vaches que ma mère m’a envoyées ? — Oh ! oh ! voilà qui est fort : trois vaches avec des selles sur le dos ! On n’a jamais vu pareille chose. Le vieux Wichet est parti cuckold, cuckold il est revenu.

« J’allai dans l’écurie et je vis suspendues une, deux, trois épées. J’appelai ma tendre épouse, etc.. — Ne vois-tu pas que ce sont trois broches que ma mère m’a envoyées. — Oh ! oh ! voilà qui est fort : trois broches avec des fourreaux ! Le vieux Wichet, etc. »


Le pauvre homme en voit bien d’autres. Chaque partie de la maison lui réserve une surprise toujours exprimée avec la même bonhomie, toujours expliquée avec le même aplomb. Il arrive enfin dans la chambre et voit un, deux, trois hommes dans le lit.


« Que font là ces trois hommes sans ma permission ? — Vieux fou, vieil aveugle, ne vois-tu pas que ce sont trois filles de basse-cour que ma mère m’a envoyées ? — Oh ! oh ! voilà qui est fort : trois filles de basse-cour avec barbe au menton ! On n’a jamais vu pareille chose. Le vieux Wichet est parti cuckold, cuckold il est revenu. »


La chanson va nous conduire à Londres avec ce brave fermier de Norfolk dont l’odyssée, sous le règne de Jacques Ier, est le sujet d’une ballade populaire[17], ou avec l’Écossais Robin Conscience qui, vers la fin du XVIIe siècle, décrivait minutieusement ses impressions dans la capitale[18]. Écoutez les cris de la Cité : « Achetez un balai (Buy a broom) ; cerises mûres (Cherry ripe) ! etc. Ce dernier air, chanté par Mme Vestris dans Paul Pry, jouissait à Londres, il y a un certain nombre d’années, d’une immense popularité. C’est le même qui est connu en France sous ce titre : Nos amours ont duré toute une semaine. D’autres chansons nous initient aux mœurs des boutiquiers et des marchands. C’est la veuve inconsolable d’un riche marchand de la Cité qui, au bout de quelques mois, se remarie avec le premier commis et « fait réchauffer pour le festin des noces les restes du repas des funérailles. » Après les Aventures de Nigel, rien ne fait mieux connaître la vie des apprentis de Londres que la chanson de Sally in our alley. Les apprentis forment la transition entre les petits métiers et ces corporations puissantes auxquelles les princes tiennent à honneur d’appartenir, qui ont fourni des lords-maires à la Cité, des présidens à la chambre des communes, des ministres à la Grande-Bretagne. Qui ne connaît la légende rimée et chantée de Whittington et son chat, variation tout anglaise de notre Chat botté, et ce refrain que les cloches de Londres lui jetaient, alors que découragé il allait abandonner la partie :

Turn again, Whittington,
Thrice lord mayor of London.


C’est une de ces traditions profondément nationales qui entretiennent dans les classes inférieures l’esprit de suite et d’entreprise, l’amour de l’indépendance conquise par le travail, nobles passions auxquelles l’Angleterre doit sa gloire et sa prospérité.

La chanson de Whittington porte ce titre caractéristique : l’Avancement de sir Richard Whittington. Une autre est intitulée : l’Honneur d’un apprenti de Londres, ses belles actions en Turquie, et comment il épousa la fille du sultan. Citons encore celle où l’on voit, au XVe siècle, un de ces marchands, comme notre Jean Ango, prêter des millions au roi pour faire la guerre à la France, puis brûler les billets dans une fête donnée au retour de l’expédition. Du reste les hommes des. métiers ne contribuaient pas seulement de leur bourse, mais aussi de leurs personnes. Un des plus anciens de ces songs of trades rappelle, dans sa chronologie un peu confuse, « comment les apprentis de Londres signalèrent leur bravoure au siège de Tours, en France, et tinrent d’une main ferme à Boulogne l’étendard de Saint-George. Tournay et les villes de France que le roi Henry sut noblement conquérir redisent encore leurs prouesses. » Certes voilà de quoi racheter des actes de turbulence comme ces héros de la Cité s’en permettaient souvent, car il y avait le bon et le mauvais apprenti, comme Hogarth nous l’a si bien montré, et, si la muse populaire redisait les vertus du premier, elle était quelquefois forcée d’enregistrer les méfaits du second. Tel était ce George Barnwell qui vola son maître et tua son oncle, et dont la complainte fournit à Lillo le sujet d’un drame imité chez nous par Saurin.

Mais tout cela est du passé. Les chemins de fer font disparaître, avec la distance, les différences de mœurs entre les campagnes et les villes. Dans les premières, les progrès même de l’agriculture, auxquels il faut ajouter ceux des charges publiques, en demandant au paysan une somme de travail plus considérable, ne laissent guère de place aux danses ni aux chants joyeux du soir ; quant aux récréations du dimanche, la pruderie anglicane y a depuis longtemps mis bon ordre. Dans les villes, le time is money règne encore plus despotiquement, et la chanson, pour qui jadis la fuite du temps n’était qu’un encouragement au plaisir, en est réduite à marquer le retour du travail, comme le cadran d’une manufacture :


« Par ce verre qui circule gaîment, nous pouvons voir comment passent les minutes. Ce tonneau vide nous dit que la nuit est avancée. Bientôt le jour affairé va nous arracher à nos divertissemens. Enfans du souci, le jour est fait pour vous. »


La chanson populaire suivra-t-elle la société moderne dans ses transformations ? Née du loisir et de l’insouciance, s’accommodera-t-elle de notre vie anxieuse et incessamment préoccupée des intérêts matériels ? Le café-concert sera-t-il son dernier mot, ou plutôt ne trouvera-t-elle pas des formes nouvelles pour répondre à de nouveaux besoins ? En chanson comme en politique, il y a la bonne et la mauvaise popularité. Si l’on jugeait le goût littéraire et le sens moral d’une nation par les refrains qui courent les rues à un moment donné, on s’exposerait à être sévère, disons mieux, injuste. L’idéal trouvera sa voie, même à travers le réseau des railways et la fumée des usines. En attendant, parlons toujours au peuple un langage digne de lui, et, si nous voulons qu’il ait une poésie, sachons la lui montrer quelquefois, non telle qu’elle est, mais telle qu’elle devrait être.

Nous avons cherché par exemple si les mœurs électorales, déjà anciennes en Angleterre, avaient donné lieu à quelque production de ce genre qui fût digne d’être citée. La Chanson du pauvre électeur (the poor voter’s song), qui parut il y a environ vingt ans, dédiée à lord Russell, mériterait d’être populaire :


« Ils me savaient pauvre, et ils m’ont cru vil. Ils m’ont jugé d’après leurs pareils, qui n’adorent que l’ignoble Mammon. Ainsi ils m’ont offert de l’argent pour mon vote, enfans, pour mon vote ! Honte à mes supérieurs (my betters), qui veulent acheter ma conscience !

« Mon vote ! mais il n’est pas à moi, pour que j’en dispose à ma fantaisie. Je le dois à mon pays, et, tant que je pourrai, je le garderai pour le donner au plus digne, comme doit faire un homme, enfans, un homme, entendez-vous ?

« Si j’avalais l’hameçon qu’ont amorcé pour moi de vils corrupteurs, comment oserais-je regarder mes fils en face ? Comment leur montrerais-je le droit chemin, alors que j’entendrais nuit et jour une voix qui me reprocherait mon crime ? Entendez-vous, enfans ? mon crime ! » (Il y en anglais mon péché, my sin.)


Les idées radicales et socialistes ne pouvaient manquer d’avoir leurs interprètes dans un pays qui, dès le temps de Wat Tyler, avait répété le hardi refrain : « Quand Adam bêchait et qu’Eve filait, où était alors le gentilhomme ? » et la chanson populaire offrait un moyen de propagande tout trouvé. Sans parler des Jolly Beggars de Burns et des Luddists de Byron, qui offrent un curieux sujet de comparaison avec les Gueux et les Contrebandiers de Béranger, la Chanson de l’aiguille de Thomas Hood, le Convoi du pauvre de Th. Noël, Gaffer Gray de Th. Holcroft, peignent sans doute d’une manière poignante les misères du peuple. Phœbé Morel la négresse est une protestation contre l’esclavage, inspirée par l’Oncle Tom de Mme Beecher-Stowe. M. Gérard Massey, qui reconnaît pour ses instructeurs politiques Thomas Paine, Volney et Louis Blanc, va un peu plus loin : il est tel de ses refrains audacieux qui rappelle la devise des ouvriers lyonnais : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » Mais parmi ces chansons un petit nombre seulement a pénétré dans les districts industriels et dans les affiliations d’ouvriers. Les autres ont trouvé des lecteurs plus ou moins sympathiques dans le royaume-uni ; il leur a manqué la consécration de la foule.


III. — CHANSONS ECOSSAISES ET IRLANDAISES.

Le vieil amour des Celtes pour la mélodie et le chant semble avoir donné à l’Ecosse et à l’Irlande ce qu’on a contesté plus ou moins justement à l’Angleterre, une poésie lyrique et une musique nationales. Le nord de la Grande-Bretagne fut toujours renommé pour ses chansons, et Walter Scott remarque que la ballade a mieux conservé sa popularité en Écosse que de l’autre côté de la Tweed. Il en voit la cause dans les mœurs d’une contrée sauvage et reculée, qui ne pouvaient être les mêmes que celles des populations répandues sur un territoire plus riche et mieux cultivé. Quatre volumes, dit-on, composent la bibliothèque d’un houilleur (collier) écossais : la Confession de foi et la Bible pour les parens, la Vie de Wallace pour le fils, et un recueil de ballades pour la fille[19]. Tandis que ces recueils en Angleterre sont empruntés aux bibliothèques, aux cabinets des curieux et des érudits, en Écosse ils sont la plupart du temps tirés de sources orales, et, si nous pouvons parler ainsi, imprimés sur le vif. Walter Scott, James Hogg le berger d’Ettrick, Jamieson, John Leyden, ont pu recueillir ainsi un grand nombre de chants écossais de la bouche des paysans, des colporteurs, des vieilles femmes, et surtout des joueurs de cornemuse attachés de père en fils à d’anciennes familles ou à des villes : tel était le vieux Robin Coastie, mort en 1820, piper de Jedburgh, où ses ancêtres remplissaient cet office depuis trois siècles.

La musique écossaise a des modulations caractéristiques qui consistent en de fréquens passages du majeur au mineur, en de brusques intervalles de la tonique à la dominante, appropriés à la tablature de la cornemuse (bagpipe), qui n’a que neuf notes. Plusieurs airs, malgré quelques chutes étranges pour nos oreilles, ont une mélodie suave et mélancolique. Des écrivains italiens, Tassoni et Gesualdo, ont fait honneur au roi Jacques Ier d’Écosse de ce caractère particulier de la musique écossaise. D’autres l’attribuent à la vie solitaire que mènent les bergers par qui ou pour qui la plupart de ces airs ont été composés. On en cite dont David Rizzio aurait été l’auteur ; il en est d’autres qui reproduisent, avec des paroles plus ou moins profanes, d’anciens chants de l’église catholique, — John, come, kiss me now, — Auld lang syne, — John Anderson my Joe, — We’re a’noddin. Quoi qu’il en soit, rien n’est plus agréable à entendre, même au point de vue purement musical, que plusieurs de ces mélodies : Charlie is my darling, the Blue Bells of Scotlandn Auld Robin Gray, enfin Robin Adair, que Boïeldieu a intercalé dans le troisième acte de la Dame blanche. D’ailleurs il suffit de rappeler, pour l’honneur de la musique écossaise, que Haydn et Beethoven n’ont pas dédaigné de composer des accompagnemens pour des collections d’airs écossais.

Les chansons écossaises ont un goût de terroir bien prononcé, comme les mélodies mêmes qui les accompagnent. Ce n’est pas qu’on ne retrouve dans les plus anciennes quelques affinités avec les chants Scandinaves, dans celles d’une date plus récente des coïncidences avec de vieux refrains français[20], qui s’expliquent du reste par les relations amicales sans cesse entretenues entre les deux pays. Il faut néanmoins distinguer dans les chansons écossaises deux sources d’inspiration et deux manières tout à fait différentes.

Dans les ballades, les mœurs primitives et sauvages ont laissé leur empreinte. Ce qui domine, c’est la rêverie Scandinave, la rudesse germanique et quelquefois la richesse d’images des poésies serbes et helléniques. À cette veine primitive se rapportent Edward, Edward ! que Herder a traduit en allemand, — la Cruelle Mèren la Cruelle Sœur, the Water of Wearie Well, chants bizarres et saisissans qu’il faut lire, non dans les versions affaiblies de Percy, mais dans la forme naïve que la critique moderne a su restituer. Un petit poème d’une étrange tristesse suffira pour donner une idée de ces poésies originales reproduites par M. Dixon [21].


LES DEUX CORBEAUX.

« Comme je me promenais tout seul, j’entendis deux corbeaux se parler ; l’un dit à son camarade : « Où irons-nous dîner aujourd’hui ? »

— « Derrière ce vieux mur en terre gît un chevalier nouvellement tué, et personne ne sait qu’il gît en ce lieu, excepté son épervier, son chien et sa dame.

« Son chien est allé à la chasse, son épervier lie pour un autre maître les oiseaux sauvages, sa dame a pris un autre serviteur ; ainsi nous pourrons faire un bon repas.

« Toi, tu te percheras-sur sa blanche poitrine, moi, je lui arracherai avec mon bec ses beaux yeux bleus, et des boucles de ses cheveux blonds nous boucherons les fentes de nos nids.

« De ses amis plus d’un mène grand deuil, mais nul ne saura jamais où il est tombé, et sur ses os dépouillés et blanchis le vent soufflera incessamment. »

C’est à cette catégorie que se rattachent les Chants des border écossais et anglais, recueillis par Walter Scott et par W. Frederick Sheldon[22]., car les limites des deux territoires se confondent, et, comme les freebooters d’autrefois, les chansonniers et les collecteurs ont souvent fourragé indirectement sur l’une et l’autre frontière. On chasse sur les deux versans des Cheviots, et tous ces lieux auxquels s’attache une notoriété romanesque et sanglante, Flodden, Otterburn, Halidon-Hill, séparés ou non par la Tweed, sont compris dans un rayon de quelques milles d’étendue. Nous n’insisterons pas ici sur ces scènes de violences et quelquefois d’héroïsme sauvage que les romans de Scott nous ont rendues familières. Johnie Telfer, les Adieux de lord Maxwell, les Plaintes de lady Anne Bothwell, surtout Chevy-Chace, cette véritable épopée du border écossais dont la grandeur sauvage parlait si vivement à l’âme de sir Philip Sidney, sont dans toutes les mémoires. Les chants du border anglais sont moins connus. On y voit, à la bataille d’Otterburn, le nom normand des Umfreville mêlé à celui des Douglas et des Percy. The Laidley Worm reproduit quelques traits de notre Mélusine, et le Décret de Borthwick est tout à fait le pendant de notre légende normande de la Côte des deux Amans.

Les chansons d’amour forment dans la poésie écossaise un groupe d’un tout autre caractère. On y remarque une inspiration généralement douce mêlée à des sentimens de dévotion assez exaltés. Ainsi une jeune fille par le de son amant avec une maussaderie toute puritaine. « Il ne dit pas ses grâces à ses repas ; jamais il ne prend le Livre (the Beuk, c’est-à-dire la Bible) ; ses lèvres ne sont pas des lèvres à psaumes. La bouche qui ne chante pas les louanges du Seigneur n’est pas faite pour courtiser une jeune fille. »

Les images de la vie champêtre et domestique marquent en quelque sorte d’une empreinte, uniforme la plupart de ces compositions. Ce sont de longues journées passées en compagnie de jolies filles (bonny lasses) aux cheveux blonds sur les bords de l’Ayr ou de la Clyde, ou sur des gerbes de foin nouvellement coupé et dont la senteur pénétrante nous arrive avec le chant des oiseaux, les sons de la cornemuse et le tintement lointain des cloches du village. Pour se faire une idée de cette poésie, il faut lire Marie la Montagnarde de Burns, les Collines de l’Yarrow, les Rives de l’Ayr, car, ainsi que le remarque Washington Irwing, « beaucoup de ces simples effusions de la muse pastorale écossaise sont liées aux souvenirs de localités chères au poète, de telle sorte qu’il n’y a pas une montagne, une vallée, un ruisseau, un village dont le nom ne soit associé à quelque air favori dont il devient comme la note fondamentale en réveillant une foule d’associations délicieuses. »

Quelquefois cependant l’amant est séparé de sa maîtresse par des distances considérables. Il entreprend de longues excursions nocturnes pour la voir furtivement à la fenêtre de son cottage. Les hasards de ces pérégrinations aventureuses à travers un pays romantique et accidenté, les joies et parfois les entraînemens du rendez-vous, les attaques d’un père ou d’un rival jettent dans ces petits drames du mouvement et de la variété. L’amour en cheveux blancs est encore un thème favori de la chanson écossaise. Le Vieux Robin Gray a été popularisé en France par une imitation assez faible de Florian. John Anderson, my Joe, de Burns, est un reflet heureux de la fable grecque de Philémon et Baucis.


« John Anderson, mon vieux John, nous avons monté la colline ensemble, et nous avons connu l’un avec l’autre plus d’un jour joyeux. Maintenant, John, il faut redescendre ; mais nous cheminerons la main dans la main, et, arrivés au pied, nous y dormirons ensemble, John Anderson, mon vieux John. »


Mais c’est dans la courte chanson de Smyth, intitulée le Père mourant à sa fille, qu’il faut chercher le véritable spécimen de ce que les Anglais appellent songs of affections.


« Tu as marché à mes côtés dans la vie ; tu as été l’ange de mon foyer. Tu savais trouver pour mon fauteuil le coin le plus chaud, et tu faisais entendre à mon oreille un peu dure ce que disait le visiteur, alors que je voyais un sourire errer sur les lèvres des assistans. Quand ma mémoire se fourvoyait, c’est encore toi qui venais à mon secours et qui interprétais ma pensée. Tu as soutenu ma tête quand je me suis couché pour le dernier repos ; enfin à ce moment suprême tu es là pleurant à mon chevet. »


L’antiquaire Ritson se demande en quoi la chanson irlandaise se distingue de l’anglaise, étant écrite dans la même langue par des descendans de colons anglais. On sait en effet, et ce n’est pas un des moindres griefs de l’Irlande, que le Saxon vainqueur lui imposa son langage, proscrivit les anciens bardes du pays, et ne crut pas sa conquête achevée, si elle ne s’étendait à la chanson. « On nous a forcés, dit avec amertume un écrivain irlandais, de chanter nos griefs dans la langue de l’oppresseur ! » Mais le poète populaire a trouvé le moyen de rester national en dépit de la forme étrangère qu’on lui imposait : il a pensé en irlandais, et souvent même jeté dans ses refrains, comme une protestation, quelques mots de cette langue chère et proscrite. Ainsi ont procédé tous ces poètes vraiment nationaux dont il ne faut pas confondre les productions avec les contrefaçons pseudo-irlandaises à l’usage des théâtres de Londres, tous ces poètes irlandais de race, tels que Griffin, Banim, Callagan, Ferguson, Lever, Davis, Walsh, et surtout Mangan, qui s’est bqrné le plus souvent à traduire les vieux caoines ou chants erses conservés traditionnellement dans la mémoire de quelques vieilles femmes et dans les provinces les plus reculées. C’est pour n’avoir pas fait la part de cet élément celtique toujours persistant sous l’idiome imposé par la conquête que Ritson ne trouvait pas de réponse satisfaisante à la question qu’il s’était posée. Il est certain qu’il y a dans la chanson populaire irlandaise une certaine humour, un tour particulier d’expression que les Anglais rendent par le mot quaintness, et qui ne se trouve pas ailleurs. À quoi l’attribuer, si ce n’est à ce fond celtique qui s’y fait jour à travers la forme anglaise dont on l’a recouvert ? M. Groker, qui a recueilli les chants populaires de l’Irlande, constate que le caractère national est éminemment sympathique au genre de la chanson. « Heureux ou malheureux, dit-il, triste ou gai, l’enfant d’Érin chante toujours, et dans toutes les situations on pourrait dire de lui ce qu’un roi de Sardaigne disait des Français : Eh bien ! comment va la petite chanson ? » Quoique malheureuse et déshéritée au profit de sœurs mieux traitées par le sorts l’Irlande, cette Cendrillon des nations, comme l’appelle un de ses écrivains, est restée fidèle à cette forme de littérature poétique et musicale depuis le temps où, sous chaque toit, son antique hospitalité tenait toujours deux harpes à la disposition du voyageur.

Nous retrouvons les Stuarts et la France dans la plupart des chansons historiques irlandaises. Au fond de cette double sympathie, la haine contre l’Angleterre entrait sans doute pour beaucoup, et l’on chante encore ce refrain en chœur dans le sud de l’Irlande : « Jetons à la mer ces intrus Saxons ! ils sont venus sans être invités ; donnons-leur la bienvenue avec l’épée ! »

Boyne Water et la Mort de Schomberg sont citées comme les meilleures chansons de la première guerre jacobite en Irlande. Nous en parlons ici parce que les sentimens en sont tout irlandais et que le drame historique auquel elles se rapportent eut son dénoûment en Irlande. En voici une qu’on attribue au capitaine Ogilvie, l’un des cent gentilshommes qui, à la suite de la défaite du roi Jacques, formèrent en France la brigade irlandaise, et, après des prodiges de valeur, périrent presque tous sur les bords du Rhin.


« Ce fut pour notre roi légitime que nous abandonnâmes les rives de l’Ecosse et que la terre irlandaise nous vit combattre.

« Maintenant nous avons fait tout ce que les hommes peuvent faire, et nous l’avons fait en vain. Adieu mes amours et ma terre natale, car il faut traverser l’Océan !

« Il se retourna au moment de quitter le rivage de l’Irlande, et tira vivement les rênes en s’écriant : Adieu ma chère, adieu pour toujours !

« Le soldat revient des guerres, la mer rend le matelot à ses foyers ; mais je me sépare de mes amours pour ne les revoir jamais.

« Quand le jour a disparu, quand la nuit est venue et que le sommeil donne à tous le repos, je pense à celui qui est au loin, et je pleure tant que la nuit est longue. »

Les tentatives jacobites du XVIIIe siècle, dont nous avons suivi en Angleterre les péripéties poétiques et l’issue fatale, eurent aussi leur retentissement sur cette terre d’Érin, vouée, comme l’Ecosse, aux nobles et stériles dévouemens. Les Irlandais accompagnèrent de leurs vœux le prétendant, et une chanson allégorique composée en son honneur, l’Oiseau noir royal, figure encore au nombre des refrains proscrits que le paysan aime à répéter. Les troubles de 1760 avaient leur source dans des conflits agraires, mais ils se rattachaient à de certains mots d’ordre politiques. Ainsi les white-boys avaient coutume de marcher la nuit en chantant sur des airs jacobites : « Nous sommes les enfans sans peur qui allons de nuit avec la cocarde blanche. » Un recueil anglais[23], qui donne de curieux détails sur ces manifestations demi-socialistes, demi-politiques de l’Irlande, n’a pas de peine à démontrer qu’il y avait peu de logique dans ces appels désespérés à des points d’appui si divers. « On s’adressait aux Stuarts, dit la Revue de Westminster, comme à des amis de l’indépendance irlandaise ; or aucune dynastie ne lui fut plus hostile. On comptait sur les républicains français pour restaurer la vieille aristocratie irlandaise. Plus tard Napoléon était invoqué comme le champion des libertés de l’Irlande, et notre gracieuse reine est associée aux honneurs rendus à O’Connell. » Ajoutons qu’en 1798 les Irlandais se servaient d’un symbole monarchique pour désigner la France républicaine, et donnaient un caractère religieux à une guerre où leurs alliés étaient des infidèles. Ainsi l’on chantait : « Nous arborerons la harpe et la fleur de lis, et nous réduirons en poussière nos tyrans hérétiques[24]. » Du reste, c’est une grande erreur, assure-t-on en Angleterre, de supposer que les républicains français étaient populaires dans le sud de l’Irlande. « Napoléon au contraire, dit l’auteur de l’article, avait toutes les sympathies (was an universal favourite). Encore aujourd’hui le paysan irlandais ne parle de lui qu’avec l’expression du regret, et son exil à Sainte-Hélène fut déploré dans des centaines de ballades dont la popularité n’est pas encore épuisée. Par une de ces allégories qui leur sont familières, les poètes irlandais l’ont personnifié dans une chanson intitulée le Verdier (Green Linnet), qui fait pendant au Royal black bird. Quelque bizarre que puisse paraître cette association du nom de Napoléon à celui du prétendant, il est à peine moins étrange de trouver ses louanges accouplées à celles de la reine Victoria dans une ballade, les Gais moissonneurs (the Jolly shearers), publiée en 1840, et si populaire, que l’éditeur nous assura qu’il ne pouvait suffire à l’impression. Nous tenons d’ailleurs de la plus sûre autorité, c’est-à-dire des marchands de chansons, que même les vieilles ballades les plus en faveur ne se vendraient pas, si l’on n’y cousait une stance en faveur de sa majesté. »

Nous avons laissé parler l’écrivain anglais parce que plus d’un enseignement ressort de ses paroles. « Les inconséquences que vous nous reprochez, pourrait dire l’Irlande, viennent de nos malheurs, qui sont votre ouvrage. Enfans de l’imagination, nous nous consolons par des chansons des maux que vous, peuple logique, vous nous avez infligés… » Il y a du moins chez l’Irlandais deux choses qui ne changent pas, qui le suivent partout dans sa fortune errante, et auxquelles dans le malheur, dans l’exil, dans la persécution, il demeure invinciblement attaché : c’est la foi religieuse et l’amour du sol natal. Nous avons entendu l’Exilé d’Érin, petit poème national, chanté par une voix irlandaise. Cette ballade touchante se termine ainsi :


« Mais oublions, pauvre exilé, ces douces images de la patrie absente. Je vais mourir : ô mon pays, reçois mon dernier vœu. Terre de mes pères, verte Érin, quand mon corps glacé reposera dans la tombe, quand mon cœur aura cessé de battre, que tes prairies soient toujours verdoyantes, que l’Océan n’ait pas d’île plus chérie que toi, et que tes bardes chantent à jamais le refrain national : Erin Mavourneen, Erin go Bragh[25]  ! »


Quand la chanteuse en vint à ce dernier couplet, ses yeux et sa voix se remplirent de larmes ; sa main glissa le long des cordes de sa harpe, et elle ne put achever la ballade qui lui rappelait trop vivement le pays natal.

Les ouvriers irlandais, en si grand nombre à Londres, ont un club où, pour six pence par tête, ils passent la soirée à boire et à chanter. Leur chanson favorite est une espèce de complainte intitulée l’Étranger irlandais :


« O Érin, triste Érin, avec quelle tristesse je récapitule les griefs de ton île si maltraitée ! Je pleure le sort de tes enfans réduits à errer au loin sur des rivages étrangers. Donnez-moi les moyens de traverser l’Océan, et l’Amérique pourra m’offrir un abri contre la misère ; mais, tandis que je reste encore sur ses bords, je puis donner un regret aux joies que je ne connaîtrai plus.

« Adieu donc, Érin, et ceux que je laisse pleurant sur ce rivage désolé ! Adieu à la tombe où repose mon père ! adieu à tous les plaisirs ! — J’avais autrefois un, foyer, j’erre maintenant en étranger sur le sol anglais. Oh ! donnez-moi une patrie, ou donnez-moi la tombe. — Oui, la liberté, c’est tout ce que je. demande ! »

Les Plaintes de l’émigrant irlandais, la Mère de l’émigré, l’Emigrant irlandais en Amérique, tels sont les titres qui nous frappent à chaque page dans un recueil de chansons irlandaises éminemment populaire[26]. et dont les termes mêmes rappellent la grande plaie sociale de ce malheureux pays. Parmi ces chansons, Gille Machree[27]The ballad poetry of Ireland, by Ch. Gavan Duffy. Dublin 1845, in-18. </ref>, est une des plus connues. C’est un amant qui va chercher au-delà des mers l’or à l’aide duquel il triomphe des résistances d’un père avare ou prévoyant. Dans une autre, l’émigrant dit en parlant de ces terres lointaines où la misère le pousse : « On assure que le soleil y brille toujours, qu’il y a là du pain et du travail pour tous ; mais ce pays, fût-il cent fois plus beau, ne me fera pas oublier la pauvre et vieille Irlande. » Enfin un autre de ces exilés volontaires, devenu par le travail heureux et libre au-delà de l’Océan, gémit en mourant à l’idée de reposer si loin de sa patrie : « Oh ! si les âmes peuvent quitter le lieu marqué pour leur dernier sommeil, je veux te revoir, terre chérie par-dessus toutes les autres, je veux que mon ombre plane légèrement sur tes vertes vallées, je veux vous visiter encore, bois de Kylinoë, où, enfant, j’errai tant de fois. » Persécution, misère, exil, telles sont les notes douloureuses qui reviennent sans cesse dans la chanson irlandaise, et dont la monotonie même accuse l’état social dont elle est l’expression.

« C’est une plume et non une pierre que vous jetez auvent, quand vous voulez savoir d’où il souffle. Ainsi la chanson, chose légère, vous en dit souvent plus sur la direction de l’esprit public que de lourds chroniqueurs ou de graves historiens. » Cette image ingénieuse, que nous empruntons à un humoriste anglais, fait bien sentir tout ce qu’une étude en apparence frivole peut apporter de lumières utiles à l’histoire des peuples et des littératures. Appliquée à l’Italie, puis à l’Angleterre, l’étude de la chanson nous a révélé chez l’une et chez l’autre des particularités caractéristiques rendues plus sensibles encore par le contraste. À la double influence de l’antiquité classique et du catholicisme, que nous présentait le premier pays, s’est substituée, dans le second, celle des mœurs germaniques et des croyances protestantes et puritaines. Nous y avons vu la chanson, au lieu de s’épanouir en plein soleil, se cantonner auprès du foyer, se dégager des brouillards d’un ciel sombre, se colorer du milieu légendaire et fantastique qui l’entoure, ou bien, mêlée au monde réel (car c’est une des singularités de la race anglo-saxonne que d’allier le goût du surnaturel à un esprit très positif), refléter l’existence laborieuse des campagnes, la vie active et affairée des villes. Nous y avons saisi encore d’autres différences : là où l’Italien se contente d’un sentiment vague, d’un simple prétexte pour le chant, l’Anglais veut se prendre à des sentimens précis comme les affections domestiques, à des intérêts matériels, à des faits réels, ou tout au moins à des récits même imaginaires. Voilà pourquoi nous avons vu les chants historiques et les ballades tenir une grande place dans la littérature dont nous avions à signaler les principales manifestations. D’ailleurs, plus heureuse que l’Italie, l’Angleterre a de bonne heure conquis sa nationalité ; elle a pu chanter les événemens de son histoire, tandis que la péninsule fut longtemps réduite à des aspirations vers l’indépendance et l’unité qui la fuyaient toujours.

Le caractère national ne pouvait manquer de laisser aussi sa trace dans les chants populaires : là une bonhomie qui va jusqu’au laisser-aller et quelquefois jusqu’à l’oblitération du sens moral ; ici le sentiment de la dignité individuelle poussé jusqu’à la raideur et à l’insociabilité. En passant du midi au nord, l’imagination devient aisément de la fantaisie, la gaîté n’est plus que de l’humour. Enfin les différences provinciales, trop longtemps persistantes en Italie, ne sont pour la Grande-Bretagne qu’une exception, surtout sensible en Écosse et en Irlande, pays de race distincte. Cependant l’histoire de la chanson populaire chez les deux peuples lié se borne pas à confirmer certaines données générales ; elle nous permet encore de saisir quelques particularités intimes, trop souvent omises ou dédaignées. De même que nous avons pu signaler chez la muse populaire italienne quelques accens mâles et patriotiques qu’on n’attendait pas d’elle, des recherches analogues consacrées à la chanson anglaise nous ont révélé, chez cette race anglo-saxonne si dure, si impénétrable en apparence, une veiné d’émotion contenue et des élans sympathiques qui modifient, en les complétant, les idées admises jusqu’à ce jour sur la littérature et le caractère des populations britannique.


E.-J.-B. RATHERY.

  1. Voyez l’étude sur les Chants populaires de l’Italie dans la Revue du 15 mars 1862. — Les sources d’information sur la poésie populaire des trois royaumes sont aussi abondantes que variées. Citons seulement : Percy, Reliques of ancient poetry, 12e édition : — Wright, The Political songs of England from John to Edward II ; du même, Potitical songs and poems relating to english history, from Edward III to Richard II ; — Chappel, Popular music of the olden time ; Charles Dibdin, Original sea-songs ; — Aytoun, Ballads of Scotland ; — Crofton Croker, Historical and popular songs of Ireland, etc.
  2. Il paraîtrait même qu’il a connu quelques-uns des nôtres, car, parmi les framens de la chanson d’Ophelia au quatrième acte d’'Hamlet', il y a un passage qui paraît traduit littéralement d’une vieille chanson française : 'Let in the maid, that out a maid', etc. Voyez Douce, 'Illustrations of Shakspeare', 1807.
  3. L’Ossian de Macpherson avait paru en 1760, et l’ouvrage de Herder, Stimmen der Völker, fut publié en 1778-1779.
  4. Cur conditionis
    Pejoris efficitur princeps, si baronis,
    Militis et liber ires ita tractantur ?…
    Quæ pars (le parti des barons) palam protestat
    Quod honori regio nihil machinatur,
    Vel quærit contrarium, imo reformare
    Studet statum regium et magnificare.

  5. Political Poems ans Songs, t.. II, p. 123.
  6. Ibid., p. 221.
  7. Le Gentleman Mazazine de février 1839, p. 77.
  8. John, kiss me by and by,
    And make no more ado ;
    The lord thy God I am
    That John does thee call.
    John represents man
    By grace celestial, etc.

    (Songs of Scotland, t. Ier, p. 92.)

  9. Nous avons comparé le texte d’Evans, Old Ballads, t. Ier, p. 107 avec ce-lui Ritson, Northern Garlands, p 15.
  10. Les orgues, allusion injurieuse à la liturgie catholique.
  11. On assure que Wharton se vantait, dans une phrase tout anglaise et intraduisible, d’avoir rhymed out the king, rimé dehors le roi.
  12. Song at the Concerts of the Nobility, porte le titre de la chanson gravée, paroles et musique.
  13. L’une de ces dernières commence par ces lignes rimées, qui peuvent donner une idée du reste :

    Oh ! listen, you sons of the nation, now a glorious achievement is done,
    The stronghold Sebastopol is taken, this victory the Allies have won.

  14. Ellis, Original letters, 2e série, t. 1er, p. 110.
  15. Inspiré sans doute par quelque tentative de débarquement sur nos côtes, celle de Saint-Cast, en 1758 peut-être, où les assaillans rencontrèrent d’autres Bretons devant lesquels il fallut bien reculer.
  16. Ancient poems, ballads and songs of the Peasantry of England. London 1846, in-8o.
  17. The Norfolk Farmer’s Journey to London, dans les Roxburghe ballads, publiées par J. Payne Collier. London 1847, in-4o.
  18. Songs of the London prentices and trades, publiées par Charles Mackay pour la Société Percy. Londres 1841, in-8o, p. 69.
  19. Nous avons sous les yeux quelques-uns de ces recueils populaires : The budget of Mirth, The friskey Songster, The usiniers evening Companion, pu-bliés à Glasgow chez Lumsden dans un format portatif, au prix de six pence, et accompagnés de gravures grossièrement coloriées.
  20. Entre autres la ronde Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés, — le Conjurateur et le Loup, — la Chanson des nombres, etc. Voyez Chambers, Popular rhymes of Scotland, p. 179, 199, etc.
  21. Scottish traditional versions of ancient ballads. London 1845, in-8o.
  22. Minstrelsy of the Scottish Border. — Minstrelsy of the English Border. London 1847, in-8o.
  23. Westminster Review, vol. XXXIII. Illustrations of the Whiteboyism.
  24. T. Crofton Croker, Popular songs illustrative of the French invasions of England. London 1847, in-8o.
  25. « Irlande ma chérie, Irlande pour toujours. »
  26. En irlandais, « celle qui illumine mon cœur. »
  27. En irlandais, « celle qui illumine mon cœur. »