Les Chants de la Forêt/Je ne suis plus que sève au cœur de la forêt

Les Chants de la ForêtLibrairie de France (Collection Joachim Gasquet) (p. 20-21).


XI

Je ne suis plus que sève au cœur de la forêt,
Je songe obscurément au pin que je serai,
À l’odeur de ma voix dans le concert champêtre…

Je songe à l’homme heureux que mon sang pourrait être.
Il ouvrirait sur tout des regards étonnés.
D’une telle douceur ses sens à peine nés
Accueilleraient partout la bonté vagabonde
Qu’il sentirait en lui l’innocence du monde
Germer avec les fleurs et les yeux des enfants.
Il n’aurait, dans l’ardeur de ses mots triomphants,
Dans sa joie à connaître et nommer toutes choses,
Que l’émoi de la mer et que l’éclat des roses.
Il serait pur. Il serait juste. Il serait vrai.
Il baisserait le front lorsqu’on le haïrait,


Sentant confusément que ce serait sa faute ;
Mais je crois qu’il trait toujours la tête haute,
Car personne ne hait les chênes dans les bois :
Et lui serait comme eux doux et fort à la fois.

Ainsi dans la forêt pleine d’odeurs et d’ailes,
Quelqu’un rêve… quelqu’un que tu sais bien, mon cœur,
Depuis que visité par l’Être de douleur,
Dans l’été de la mousse et des sèves fidèles,
Tu bois l’amour de tout aux sources éternelles.