Les Chants de la Forêt/Ô Daphné, j’ai senti battre ton cœur vivant

Les Chants de la ForêtLibrairie de France (Collection Joachim Gasquet) (p. 25-26).


XIV


Ô Daphné, j’ai senti battre ton cœur vivant.
Les arbres caressés par le soleil levant
Écartent pour te voir leur long voile de brume.
La source te sourit, le matin te parfume,
Et ton sang déchiré refleurit doucement.
Tu hésites, mais moi, c’est le divin moment
Où, sanglot du laurier, dans mes bras je t’accueille.
Ô mon amour, c’est toi, qui mets ta main de feuille
Sur mes yeux repentants et mon cœur ruiné.
Je rêvais autrefois de mourir couronné
Et d’avoir près de moi, sur ma couche de gloire,
Les Muses pour pleurer, pour chanter, la Victoire.
Je ne connaissais pas les douceurs de l’amour.
Chaque aube, maintenant, implorant ton retour,


Je meurs de soif, ma vie, au bord de la fontaine.
Le rossignol s’endort dans les branches du chêne.
Un frissonnement vague emplit le bois profond…
Et moi qui ne sais plus ce que les hommes font,
Ce que Paris là-bas construit, ravage et pense,
Je me perds au meilleur du sylvestre silence
Et couché sur la mousse, en un demi-sommeil,
J’attends que de ma mort se lève le soleil.