Les Chansons des trains et des gares/Romance du gendarme

Édition de la Revue blanche (p. 22-24).


ROMANCE DU GENDARME


Bon voyageur qui partez en voyage,
Vous demandez ce que je fais ici :
Si vous avez consigné vos bagages,
Sachez que, moi, j’ai ma consigne aussi ;
D’ailleurs, je vais vous conter mon histoire,
Et, quand je vous aurai tout révélé,
Certainement il vous sera notoire
Que j’aimerais beaucoup mieux m’en aller.
                    Ensemble :
Qu’il aimerait beaucoup mieux s’en aller.


J’avais, jadis, une épouse chérie,
Dont j’adorais l’esprit et les attraits :
Sait-on jamais, alors qu’on se marie,
Sait-on avant ce que sera après ?
En attendant, plein d’une douce ivresse,
Et confiant dans ses chastes serments,
Je l’entourais d’estime et de tendresse,
Avec mon cœur de soldat et d’amant.
                    Ensemble :
Avec son cœur de soldat et d’amant.

Chaque matin, elle allait, la parjure,
En cette gare, y vendre des journaux :
Peut-être bien les mauvaises lectures,
Presse maudite, auront causé mes maux !
Bref, un autre homme avait fait sa conquête,
Un soir, hélas ! je l’attendis en vain :
À mon chapeau préférant sa casquette,
Elle est partie avec un chef de train.
                    Ensemble :
Elle est partie avec un chef de train.

Et maintenant les besoins du service

Ces tristes lieux me forcent à revoir ;
Chaque wagon m’est un nouveau supplice,
Je viens pourtant, esclave du devoir.
Mais pour cacher le trouble de mon âme,
Pour échapper au spectacle odieux
Des compagnons du séducteur infâme,
Quand passe un train, je détourne les yeux…
                    Ensemble :
Quand le train passe il détourne les yeux.