Les Chansons des trains et des gares/Le spadassin et l’horloger

Édition de la Revue blanche (p. 79-80).


LE SPADASSIN ET L’HORLOGER


        Pour un regard, jugé impertinent,
Sur une femme, dont Émile était l’amant,
                            Ou le parent,
(Peut-être cette femme était-elle une fille,
                    Une simple fille, cependant ?)
                    Pour quelques paroles futiles,
Celui que les boudoirs nomment le beau Fernand
                    A reçu les témoins d’Émile.

Émile est spadassin ; Fernand, pour ses horloges,
                                Bijoutier
                            De son métier,
                    Ne mérite que des éloges ;
C’est lui qui règle les pendules, les répare,
Modère leurs ardeurs, ou prévient leurs retards,
                    Les préserve de tout écart ;

                    Et prenant sa besogne à cœur,
C’est bien lui qu’on pourrait appeler entre tous
                    — À vous, mon cher Hugues le Roux !
                    Le véritable Maître de l’Heure…

                    Dès les sept heures du matin,
Avec quatre témoins, outre deux médecins,
                    L’Horloger et le Spadassin,
                    Sur le terrain, l’épée en main,
                    Fébriles, en viennent aux mains ;
                                        Soudain,
        Froissant l’épée, l’astucieux Émile,
De l’arme de Fernand fait sonner la coquille,
                                        — Dzinn ! —
                    — Comment ! il est déjà le quart !…
                    Pense le beau Fernand, à part ;
D’un geste machinal, il a tiré sa montre…
Émile, en profitant, d’une riposte prompte,
        Le transperce, de part en part…

Et c’est ainsi qu’un horloger périt en duel,
Victime de sa ponctualité professionnelle.