Les Chansons des trains et des gares/Le remède inattendu

Édition de la Revue blanche (p. 97-100).


LE REMÈDE INATTENDU


        Dans le bosquet la jeune Elvire
Faisait retentir l’air de ses cris déchirants :
        Ah ! disait-elle, un tel martyre !…
                Mieux vaut mourir :
        Adieu ! adieu ! mes chers parents ! —

La jeune Elvire avait une rage de dents.

Souffrait-elle des conséquences d’un coup d’air ?
Voulut-elle briser la coque d’un fruit vert ?
        Ou bien, ce sont des hypothèses,
                Était-ce,

        Était-ce une dent de sagesse ?
        Quoi qu’il en soit, amis lecteurs,
Vous préserve le ciel de semblables douleurs
        Maintenant, pour en revenir
        À la jeune et dolente Elvire,
L’infortunée, que la douleur accable,
        S’est jetée au pied d’un érable ;
        De ses doigts crispés dans la mousse
        Elle creuse d’affreux sillons ;
Attendris et muets s’arrêtent les grillons,
        Aux gémissements qu’elle pousse…

        Puis c’est le grand abattement
        Qui succède infailliblement
        Aux plus épouvantables crises ;
        Le sommeil, enfant de la fièvre,
        Apporte, enfin, un peu de trêve
        À la souffrance qui la brise.

Combien de temps dura cette lourde torpeur ?
                Un quart d’heure ?
        Une demi-heure ? ou une heure ?

        Comme écrit notre Molière,
Le temps, amis lecteurs, ne fait rien à l’affaire ;

        Enfin, Elvire se réveille :
Le supplice va-t-il recommencer ? Mais non,
Elle ne souffre plus, ivresse sans pareille,
Elle ne souffre plus : seulement, dans l’oreille
Quelque chose la chatouille. Quoi donc ?… Voyons…

        Ce quelque chose est un flocon,
                Non pas de neige,
                Mais de coton.
        Cela tenait du sortilège !
Votre surprise, amis lecteurs, s’explique assez ;
                    Mais j’abrège
        Voici ce qui s’était passé :
Un oiseau, s’envolant près d’Elvire, la vit, —
        Qui cherchait où bâtir son nid ;
Ce recoin doux, et rose, et chaud, semblait propice :
        D’un brin de laine recueilli
        Aux haies où broutent les brebis
        Il commença son édifice…

        Vous m’arrêtez, belle incrédule :
        — Histoire folle !… ridicule !… —
        Et, du doigt, vous me menacez…
Ce n’est point badinage, et m’en croyez, Madame :

        La conque de l’oreille des femmes
        Est-elle pas un nid de baisers ?