Les Chansons des trains et des gares/Le remède inattendu
LE REMÈDE INATTENDU
Dans le bosquet la jeune Elvire
Faisait retentir l’air de ses cris déchirants :
Ah ! disait-elle, un tel martyre !…
Mieux vaut mourir :
Adieu ! adieu ! mes chers parents ! —
La jeune Elvire avait une rage de dents.
Souffrait-elle des conséquences d’un coup d’air ?
Voulut-elle briser la coque d’un fruit vert ?
Ou bien, ce sont des hypothèses,
Était-ce,
Était-ce une dent de sagesse ?
Quoi qu’il en soit, amis lecteurs,
Vous préserve le ciel de semblables douleurs
Maintenant, pour en revenir
À la jeune et dolente Elvire,
L’infortunée, que la douleur accable,
S’est jetée au pied d’un érable ;
De ses doigts crispés dans la mousse
Elle creuse d’affreux sillons ;
Attendris et muets s’arrêtent les grillons,
Aux gémissements qu’elle pousse…
Puis c’est le grand abattement
Qui succède infailliblement
Aux plus épouvantables crises ;
Le sommeil, enfant de la fièvre,
Apporte, enfin, un peu de trêve
À la souffrance qui la brise.
Combien de temps dura cette lourde torpeur ?
Un quart d’heure ?
Une demi-heure ? ou une heure ?
Comme écrit notre Molière,
Le temps, amis lecteurs, ne fait rien à l’affaire ;
Enfin, Elvire se réveille :
Le supplice va-t-il recommencer ? Mais non,
Elle ne souffre plus, ivresse sans pareille,
Elle ne souffre plus : seulement, dans l’oreille
Quelque chose la chatouille. Quoi donc ?… Voyons…
Ce quelque chose est un flocon,
Non pas de neige,
Mais de coton.
Cela tenait du sortilège !
Votre surprise, amis lecteurs, s’explique assez ;
Mais j’abrège
Voici ce qui s’était passé :
Un oiseau, s’envolant près d’Elvire, la vit, —
Qui cherchait où bâtir son nid ;
Ce recoin doux, et rose, et chaud, semblait propice :
D’un brin de laine recueilli
Aux haies où broutent les brebis
Il commença son édifice…
Vous m’arrêtez, belle incrédule :
— Histoire folle !… ridicule !… —
Et, du doigt, vous me menacez…
Ce n’est point badinage, et m’en croyez, Madame :
La conque de l’oreille des femmes
Est-elle pas un nid de baisers ?