Les Causes de la révolution/Les Brigands

J. Mundell (p. 113-125).


LES BRIGANDS, — QUELQUES ACTES DE FERMETÉ, ― LE GOUVERNEMENT, NUL, — MASSACRE A NISME, — CORRUPTION DES TROUPES — COUR DES PRINCES A TURIN, — EXPEDITION DE LYONS, A LA FIN DE 1790.


C’est ainsi qu’occupant mon loisir, je débrouillais les causes du malheur qui nous accable. C'est du moins une consolation pour l’homme d’honneur, de tacher d’en garantir les autres peuples, en exposant à la vue de ceux qui le gouvernent, les fautes qui nous y ont plongés.

Mon intention, n’est de tracer les crimes qui ont suivi la révolution, qu’autant qu’il sera nécéssaire, pour amener les faits qur je veus rapporter : comme je ne connais aucun papier, qui ait parlé des efforts, que les princes et la noblesse de France, ont fait pour en arrêter les progrès, mon principal guide sera ma mémoire, et j’éspere que d’après cet aveu, on éxcusera le manque de suite, où de régularité qui pourra quelques fois paraitre.

Trois jours après, que le roy eut pris la cocarde nationale, Foulon, Berthier et plusieurs autres personnes, furent massacrés par le peuple, avec des circonstances qui font frémir d’horreur. Il suffisait de déplaire à la populace, pour courir le risque d’être sur le champ mis à mort ; loin que l’assemblée nationale (en qui tous les pouvoirs étaient alors réunis) cherchat à appaiser les désordres, et à punir les assassins, les factieux applaudissaient à la fureur du peuple ; l’un d’eux. (Barnave) eut l’impudence de répondre, aux députés bien intentionés qui cherchaient à donner de la force aux lois, " le sang que le peuple a versé, est il donc si pur " .... des messagers fideles aux ordres qu’ils avaient reçus, parcourrurent les provinces, en faisant sonner le tocsin, dans les endroits où ils s’arrêtaient ; ils répendaient de l’argent et assuraient les paysans, que la noblesse avait armé des brigands pour venir les égorger ; on les exhortait à prévenir l’attaque, et on leur remmenait des lettres forgées au nom de l’assemblée nationale, et de prétendus edits du roy, qui leur enjoignaient de bruler les chateaux et les titres de la noblesse ; dans quelques cantons, les agens révolutionaires furent obligés de menacer et même de faire bruler quelques maisons de paysans, pour les engager à se prêter à incendier celle de leur seigneur.

La frayeur des brigands, fit prendre successivement les armes, à tous les habitans de la France, pour leur defense personelle, car c’est une fausseté de dire, que toute la France s’est armée à la fois *.


A Mets, où j’étais alors, le peuple n’avait pas pensé à prendre les armes, ni à se soulever le moins du monde, dix jours après la révolution de Paris ; à cette époque, on envoya douze où quinze messagers, qui commanderent pour une vingtaine de Louis de cocarde nationale, chez une marchande de mode ; ils se mirent chacun, dans un fiacre, et coururent les rues, à la suite les uns des autres, faisant monter dans leur voiture, les gens du peuple qu’ils rencontraient et distribuant des cocardes à tout le monde. Cc ne fut qu’après cette visite Parisienne, que le peuple de Mets prit les arme, et parut vouloir imiter la fureur de son modele.


La suite de cet armement général, qui semblait n’avoir été fait que pour protéger les propriétés, fut que dans presque toutes les provinces, il se forma réellement des brigands, qui incendiaient les chateaux, et égorgeaient leur propriétaires. Les gentils-hommes, étaient poursuivis dans beaucoup d’endroits par leur vassaux, souvent obligés de se sauver presque nuds dans les bois, après avoir vu bruler leur maisons et détruire leur propriété. C’était en vain qu’ils demandaient la punition des coupables, et protéction contre de nouveaux outrages, on insultait encore à leur maux, en les accusant d’avoir eux mêmes payés les brigands, qui avaient mis le feu à leur chateaux *.


J’ai vu dans ce tems, beaucoup de gens qu’on n’aurait jamais pu persuader du contraire.


Dans quelques provinces cependant, la noblesse forma des associations partielles pour sa défense, et quoique communément trop tard, cela ne servit pas peu à ramener l’ordre. ainsi en Bourgogne après qu’un grand nombre de chateaux eurent été brulés ; la noblesse s’assembla, tomba sur les brigands, et en detruisit un bon nombre. Dans le Bas Poitou, il y eut aussi une association, qui assura la tranquillité du pays. Presque toutes les provinces, eurent dans différens cantons, quelques rassemblemens isolés qui en imposerent aux brigands, dans les endroits où ils étaient établis.

Il y eut dans le Charollais, un gentilhomme, (dont je suis tres faché de ne pas me rappeller le nom) qui voyant que toute protection était refusée à la noblesse, et craignant que son tour d’être brulé n’arriva bientot, ammassa quelques armes dans son chateau, s'y barricada de son mieux, et attendit les prétendue brigands. Ils vinrent en effet, c’était tout simplement ses paysans commandés par un procureur du voisinage. Comme sa maison était entourée de fossés, et qu’on le savait chez lui, on demanda à le voir. il parut de l’autre coté de son fossé dans son enceinte ; Monteur le procureur, expliqua les intentions de la nation de détruire le colombier, de bruler les titres, d’abbatre les girouettes, &c. &c. l’autre dit, qu’avant de rien commencer, il désirait qu’une demie douzaine d’entre eux, entrait-eut chez lui et éxaminassent sa maison ; ils y consentirent, mais leur étonnement peut aisément s'imaginer, quand ils virent une vingtaine d’hommes sous les armes, trois pieces de canons dans la cour, et des provisions de boulets. .... " Allez," dit le gentil-homme, " rapporter à ceux qui vous ont envoyés, ce que vous avez vu chez moi, et dites leur que je les prie, de ne pas toucher à ce qui m’appartient." — Ils rapporterent éffectivement ce qu’ils avaient vu, et l’effet en fut prompt, car ils se séparerent sur le champ et s’en retournerent chez eux. — La municipalité d’une petite ville dans le voisinage, qui se trouvait menacé du pillage, n’ayant point d’armes pour se défendre, l’envoya prier de venir à son secours, il envoya dit hommes et un canon, qui rassurerent le pays.

Cette résolution était malheureusement trop rare : il fallait être situé dans un pays peu frequenté, dans les provinces, où il y avait de grandes villes, c’eut été absolument impraticable. Presque par tout le royaume, la noblesse était obligée de se soumettre et d’endurer patiemment, les affronts les plus cuisants et la déstruction de sa propriété. En Franche-Comté *, on devait assassiner tous les gentils-hommes. Les factieux prétendaient, qu’il fallait réparer la honte de la St. Barthelemy, par une beaucoup plus juste, en les massacrant tous ce jour là. On arrêta à Mets, des gens qui portaient ces déclarations philosophiques entre les sémelles de leur souliers.


Il arriva en 1790, dans cette province, un trait qui caractérise parfaitement, la folie dans laquelle toutes les parties de la France se trouvaient plongées : aucune histoire n’en ayant fait mention, je crois devoir le rapporter.

Un paysan dans un village éloigné, s’avisa d’en persuader les habitant, de le declarer leur roy ; il fut éffectivement élu, et mis en possession de sa royauté ; il avait son chancellier, ses grands officiers, ses gardes, et même rendait une justice prompte à ses sujets, dans la maniere de Sancho Pança, qui était à leur portée, et qui les accommodait fort. Il y avait déja quelque semaines, que cette monarchie éxistait, sans que les villes voisines le sussent, ou plutôt sans qu’elles y prissent garde ; lorsqu’enfin le nouveau roy, s’avisa de confisquer les bois du seigneur, au profit de ses sujets, et mettant sur le champ la sentence à éxécution, le monarque et ses officiers, la hache à la main, commencerent à couper et à tailler.

Deux gardes chasse parurent, et comme ils insistaient pour qu’on discontinue cette opération de gouvernement ; le souverain assembla son conseil, ils furent atteints, et convaincus d’être rebelles au ordres de sa majésté, en réparation de quoi, ils furent condamnés à être pendus, et quoi qu’ils réussissent à échapper à cette derniere partie de la sentence, ils eurent cependant le cou vigoureusement serré.

Cette maniere un peu vive de procéder, donna de l’allarme dans le voisinage : le gouverneur de Besançon, jugea à propos de mettre fin à ce nouvel empyre ; en consequence, après que les portes de la ville furent fermées, afin d’empêcher, les bons amis du monarque de l’avertir : on fit sortir à la sourdine, la compagnie de Chasseurs du régiment dans lequel j'étais, avec un détachement de dragons, et au point du jour, ils tomberent tout à coup, sur le royaume ; mais les habitans avaient été avertis, malgré la précaution du gouverneur, on n’y trouva que quelques femmes, entre-autres la reine, cachée sous un tas de fagots, qui se voyant prise, cria à une de ses dames d’honneur qui était présente, " Oh ma pauvre Charlotte, on va me pendre."



Le Dauphiné était la proie des flammes, il semblait que les Huns eussent recommencés leur ravage ; aucun endroit n’était sùr, pour celui qui avait le malheur d’être né noble : l’on parlait continuellement d’égalité, cette égalité était celle de la mort, qui rend tous les hommes égaux.

La faiblesse du gouvernement, avait opéré la défection des soldats : on les montrait quelques fois sur les places publiques, mais le peuple savait à n’en pouvoir douter, qu’il y avait ordre de le ménager et j’ose le dire de ne se pas déffendre. Les troupes à Mets, passerent trois où quatre jours et autant de nuits sur la place publique, accablées de pierre et de boue ; le Marquis de Bouillé, qui commandait alors, n’osa prendre sur lui de donner des ordres, que le quatrieme *, et des qu’il fut connu dans la ville, qu’il les avait données la populace se dispersa. Les troupes résisterent cependant, longtemps à la corruption, et ce ne fut que graduellement qu’elle s’opéra et lorsque certains de leur chef, leurs eurent donné l’éxemple.


Quelques femmes ivres, arrêterent le Marquis de Bouillé, un de ces jours au milieu de la rue, et lui crierent comme à Paris, du pain, da pain : il tira un écu de six francs de sa poche, et leur dit d’en aller acheter : oui, dit une des furies, cela servira à acheter une corde pour te pendre.


Les officiers alors, n’eurent pas de plus grands énnemis que leur propres soldats, il est plusieurs fois arrivé, qu’ils en ont été renvoyés, où même massacrés. Dans une telle extrémité, il eut semblé naturel à toute la noblesse de France, de se rassembler et de défendre courageusement sa vie et ses propriétés .... il fallait qu’un chef se montra .... le roi était le vrai, le senl chéf de la noblesse .... un mot de sa majésté aurait fait marcher tout le monde ; mais hélas, le nom de roy existait encore, son autorité n’était plus.

On jetta dès lors les yeux, sur les princes qui étaient sortis du royaume, comme chefs naturels de la noblesse ; quelques gentils-hommes dans les différentes provinces, entretinrent correspondance avec eux, et attendirent leurs ordres pour se rassembler.

L’anarchie qui regnait, avait donné occasion à la haine des partis, qui semblait éteinte depuis des siécles, de se montrer avec plus de chaleur, et d’animosité que jamais ; dans le Languedoc, les anciennes querelles sous le nom de Catholiques et de Protestans, se renouvellerent avec une fureur incroyable : après différentes escarmouches peu intérréssantes, il y eut enfin une bataille à Nismes, où il périt beaucoup de monde ; comme on doit bien le penser, les prétendus protestans, qui étaient au fait les amis du nouvel ordre de chose, batirent complétement les prétendus catholiques, qui l’étaient de la royauté ; ils se traiterent les uns les autres, avec une cruauté qui ne peut être comparée, qu’a la rage avec laquelle la guerre de la Vendée s'est maintenu si longtemps. Les bleds étaient déja mùrs et l’on ne put découvrir sur le champ, les corps de ceux qui avaient été tués, et dont le nombre se trouva assez considérable, pour donner lieu de craindre que l’air ferait empésté ; les débris des Catholiques, formerait ce que l’on a depuis appelé le Camp de Jalez, qui au fait n’a jamais été un camp, mais une association des habitans qui promirent de se rassembler pour leur sureté, quand il serait nécéssaire.

Des circonstances aussi favorables, ne devaient pas être négligées, dans le déssein pris par la noblesse et les princes de le défendre ; on rapporte qu’alors, différentes personnes entreprenantes, dans toutes les parties de la France, se concerterent avec les princes, dont un devait traverser le royaume incognito, et se rendre à jour nommé à Toulouse : des gentils-hommes de toutes les provinces y arriverent, mais le prince qui devait s’y mettre à leur tête, ayant été empêché d’y paraitre, par des circonstances particulieres, leur fit dire de se séparer, ce qu’ils furent obligés de faire du mieux qu’ils purent.

Les chateaux brulés et les pillages du Dauphiné, exciterent la populace de Lyons, et l’engagea à piller les manufacturiers et les marchands qui les employaient. Ceux-cy se défendirent de leur mieux, mais cependant s’addresserent an gouvernement, pour avoir un renfort de troupes : on leur envoya à peu près sept où huit mille hommes, même d’une assez grande distance ; le régiment dans lequel j’étais, partit de Bezançon pour s’y rendre ! il n’était pas encore entièrement corrompu à son départ : c’était le moment du retour de la fédération, les fédérés nationaux des différentes villes, par où nous devions passer, nous suivaient à la piste et ensuite devançant le régiment préparaient les habitans à bien recevoir les soldats. L’effet fut prompt et ne tarda pas à paraitre, car dès la premiere journée on apperçut un soulévement marqué, les grenadiers offrirent au commandant un ruban national, pour mettre à la boutoniere, en outre de la cocarde : on le refusa ce jour là, mais le lendemain après que les nationaux les eurent énivrés à Arbois, les soldats le prierent si poliment, trois cents à la fois, de l’accépter, qu’il Ce crut obligé de le faire, et de le faire prendre aux officiers ; les soldats coururent ensuite les rues et danserent ce qu’ils appellaient la farandole, tirant les moines de leur couvent, et les forçant à danser, avec toutes les femmes qu’ils pouvaient trouver dans les rues. A Lons-le-sannier, ce fut encore plus fort, la garde nationale leur donna sur une des promenades, un repas de sept à huit cent couverts, à la suite duquel ils coururent les rues comme à l’ordinaire, pour danser leur farandole : étant entré dans un couvent de cordeliers, le pauvre pere prieur fut si éffrayé de les voir venir dans sa chambre, qu’il sauta par la fenêtre et se cassa la jambe ; le soir, ils se battirent entre eux, et quatre où cinq furent tués ; j’étais d’avant garde le lendemain matin, et de trente hommes que je devais avoir, le tambour fut le seul qui s’y trouva, et je fus obligé de partir avec lui.

Le regiment était composé de doute cent hommes, il n’y avait jamais sur la route plus de cent, où cent cinquante as drapeau, le reste était en avant, où en ariere ; je n’oublierai pas que les habitans, de Bourg-en-bresse, plus sages que les autres, furent si éffrayés de ces braves gens, qui allaient appaiser le désordre dans la grande ville de Lyons, qu’ils fermèrent les portes de la ville, et ne laisserent entrer personne qu’avec les drapeaux. Si nous fussions réstés là, un jour de plus, ils auraient pu se repentir de leur acceuil froid, car les fédérés arriverent bientôt et la farandole recommença. On voulut à Macon, à cause de la grande chaleur, profiter de la riviere, pour faire descendre les éstropiée et les malades : tous les soldats voulurent y aller, trois cent se précipiteront sur les deux bateaux qu’on leur déstinait, mais le poids les fit s’éfondrer au milieu de l’eau et ils eurent l’avantage de boire un coup et de prendre un bain ....

C’était un spectacle assez extraordinaire, de voir un régiment dans l’insurrection la plus compléte, envoyé pour mettre le bon ordre dans une grande ville ; cela produisit cependant ce bon effet, que les habitans épouvantés de leur pacificateurs, firent la paix d’eux mêmes et se réunirent pour les empêcher d’y entrer. Les officiers même, n’y furent pas reçus sans difficulté. On cantonna le régiment à Mont-luel, où les faiseurs le suivirent et lui firent faire quelques autres actes d’insubordination : ils forcerent entre-autre, un officier à se retirer, en le menaçant de lui faire un mauvais parti. L’ésprit des habitans de Lyons etait tellement changé, que lorsque le régiment, reçut ordre d’aller à Briançon, comma il fallait absolument passer par la ville, la milice nationale le reçut à une porte, avec deux pieces de canon chargées à mitraille, la méche allumée et le conduisit à l’autre de cette maniere, au milieu d’une haye de leurs gens, crainte qu’aucuns des soldats ne s’écarta.

D’après cette petite histoire, que j’éspere on voudra bien éxcuser, le lécteur peut voir clairement, que les marchands de Lyons aimaient encore plus leur richesses que la révolution, et qu’ils n’étaient pas plus disposés, qu’il ne le fallait à fraternizer.

De telles dispositions, étaient fort en faveur du parti royaliste, quelques uns des principaux habitant, firent dit-on, des propositions aux princes, qui étaient alors à Turin : ils ne parurent pas éloignés de les entendre ; cette ville pouvait offrir des ressources immenses, tant par sa richesse, que par sa population, et sa situation dans le voisinage des principales rivieres de France.

Une guerre civile dans ce moment, eut empêché la France de tomber dans l’état anarchique, où elle a toujours été depuis, les royalistes auraient au moins trouvé dans leur parti, un asyle contre la fureur de leurs assaillants, et elle n’eut jamais été si grande, s’ils avaient eu à combattre un parti à peu près aussi fort que le leur, et commandé par un prince du sang, à la famille duquel les peuples étaient accoutumés, à porter un respect profond.

On était assuré d’une grande partie de la garnison de Lyons, les habitans étaient assez bien disposés, un jour était donné pour que les gentils-hommes s’y rendisseut des provinces voisines ; les princes devaient sous un prétexte quelconque, se rendre à Chamberry, et arriver le soir même à Lyons, escorté d’un grand nombre : ils s’étaient même déja pourvus de chevaux, qui les attendaient à Carrouge. Le roy, informé de l’entreprise envoya un méssager au roy de Sardaigne, l’engageant à retenir les princes dans ses états ; les princes assure-t-on, reçurent aussi plusieures lettres de lui, pour les faire s’en désister ; il leur remontrait que le succès en était fort incertain, et que dans tous les cas, ils éxposeraient la sureté de sa personne. Les princes cependant, paraissaient vouloir la tenter, ils donneront même ordre aux gentils-hommes Français, qui étaient près d’eux de se tenir prêts lorsque tout à coup on apprit que les agens avaient été arrêtés à Lyons, que le plan était découvert, et que tout était perdu.

Un grand nombre de gentils-hommes des provinces voisines, s’y rendirent cependant au jour qu’on avait indiqué, mais ils furent obligés de se sauver au plus vite hors du royaume. Ce fut parmi eux, que se forma le corps des chevaliers de la couronne, qui est encore près du prince de Condé ; les compagnies nobles d’Auvergne, qui ont fait la compagne de 1792 avec les princes, furent aussi formées des cette époque.

La cour des princes à Turin, ne laissait pas que d’être assez nombreuse, on comptait dès lors trois où quatre cents gentils-hommes sortis du royaume, et dont le grand nombre était près d’eux. Parmi les plus énergiques se trouvaient quelques Bretons, que l’on qualifiait de têtes chaudes ; ils prétendaient, qu’il fallait se saisir d’un poste dans l’intérieur du royaume, y former un rassemblement, profiter du mécontentement du peuple, arborer sur le champ l’étendard royal et marcher de l’Avant. Quoiqu’il y eut bien de l’éxagération parmi eux, je suis encore convaincu que c’était là, la seule chose à faire, mais l’exécution n’en n’était pas facile.

Les princes pensaient dès lors, à entrer en France à la tête d’une armée formidable, qui put par sa force, faire taire tous les partis et rétablir le bon ordre sans coup férir et sans répandre de sang, si cela eut été possible, cela eut valu infiniment mieux que l’autre, mais l’éxpérience à malheureusement prouvé depuis, le peu de solidité qu’il y avait à se fier, à l’amitié et au zéle des puissances étrangères.

Malgré les apparences hostiles, les communications avec la France, étaient entièrement libres et l’on conservait toujours l’ancienne étiquette, d’aller chez l’ambassadeur, qui présentait les gentils-hommes au roy de Sardaigne, et les faisait introduire au Casino de la noblesse, par son sécrétaire d’ambassade ; cependant je me rappelle que l’on se croyait déja si près du moment d’agir, qu’il y eut des personnes qui vinrent en poste à franc-étriers, du fond de la Bretagne, (plus de 900 miles)..... elles ont eu le temps de se reposer.

Ne trouvant donc rien à faire à Turin, je pris le parti de faire le tour d’Italie, pour occuper mon hyver ; je passai le Carnaval à Venise comme les rois dethronés, je fus à Rome baiser la mule du pape et j’en revins tout chargé de pardons, comme un diable de papefiguiere *.


Pour un conteur de voyage, on ne saurait nier, que le détail de ma promenade en Italie, ne soit d’un style fort extraordinaire et rare. C’est un si grand mérite d’être bref et laconique dans ces sortes de matiere, que je suis persuadé qu’on m’en saura gré, surtout quand on se rappéllera l’assommante longueur et l’enthousiasme bouffi et affécté de plusieurs de mes prédécesseurs que je ne veus point nommer, car je serais faché de faire du tort. .... même à un rat. Comme le comte d’Artois menait à Venise une vie tres retirée, je n’eusse
LA JOURNÉE DES POIGNARDS, — DÉTAILS SUR LA VENDÉE.


Retournant ensuite vèrs la France, j’appris, à mon premier pas dans le royaume, le résultat de cette journée dans le mois de Fevrier 1791, à laquelle on a donné le nom de la journée des poignards. C’était un projet tres hardi et dont l’éxécution aurait pu être la cause de grands changement. On fit savoir secrétement dans les provinces, aux gentils-hommes que l’on connaissait déterminés, qu’on méditait un coup, hardi qui pourrait remettre le roy sur le thrône. On


pas parlé de lui ici, (n’ayant pas grand rapport à la révolution) si je ne voulais faire connaitre une galanterie, assez originale, qu’on lui fit le jeudy gras.

C’est l’usage dans cette ville, ce jour là, de faire sortir un homme de la mer et de le faire monter à califourchon au haut de la tour de St. Marc, sur un cheval attaché à une corde ; ii déscend en suite du coté du palais, dans la forme d’un ange, attaché par le pied et la main, et présente un bouquet, au Doge qui est à son balcon, entouré des principaux officiers de l’état, dans leur grande robe de cérémonie : l’homme s’en retourne ensuite, dans la mer, par le même chemin qu’il est venu.

Cette réjouissance se fait en commémoration, d’une certaine grande victoire, remportée sur le partriarche d’Aquilée, que l’on prit avec tout son chapitre et que l’on relacha à condition qu’il donnerait deux taureaux pour sa rançon et celle de son doyen et douze cochons pour les chanoines de son chapitre.

Lorsque le pauvre diable, métamorphosé en ange pour un sequin, (à peuprès une demie guinée) a fait son apparition, il est d’usage de décapiter les deux taureaux d’un seul coup, (les douze cochons subissaient aussi le même sort autrefois, mais c’est supprimé) ce qui se fait avec toute la force et l’agilité, que cette petite opération peut demander.

Le Comte d’Artois étant placé dans un endroit, d’où l’on craignait qu’il n’eut pu vu toute la fête, ou eut l’attention, d’amener un troisieme taureau, et de lui couper le cou sous sa fenêtre.