Les Catholiques libéraux et l’Église de France de 1830 à nos jours/01

Les Catholiques libéraux et l’Église de France de 1830 à nos jours
Revue des Deux Mondes3e période, tome 64 (p. 762-797).
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ETUDES
POLITIQUES ET RELIGIEUSES

LES CATHOLIQUES LIBERAUX DE L'EGLISE DE FRANCE DE 1830 A NOS JOURS

I.
DE 1830 A LA SCISSION DU PARTI CATHOLIQUE.


I. Discours et Mélanges politiques, par M. le comte de Falloux, 1882. — II. Vie de Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, par M. l’abbé F. Lagrange, 1883-84.

Une des choses les plus pénibles qui puissent assombrir la vie d’un enfant, c’est le spectacle quotidien des discordes d’un père et d’une mère qui tous deux lui semblent dignes de son affection et que des divergences d’idées ou de goûts, pour lui incompréhensibles, mettent devant lui, et souvent à cause de lui, aux prises l’un avec l’autre. L’enfant s’en attriste, et, pour peu qu’il ait le cœur bien placé, il s’interdit de chercher lequel a raison, il se défend de faire un choix entre eux, il refuse de prendre parti pour l’un contre l’autre. En entourant sa mère de ses caresses, l’adolescent ne se permet pas de condamner son père. Il cherche à se persuader qu’entre eux il n’y a que des malentendus passagers, qu’ils sont trop bons et trop nobles tous deux pour ne pas se comprendre et s’accorder un jour, et cette entente, il travaille timidement à la provoquer, il s’ingénie en secret à la rendre plus aisée, il se promet, en grandissant, d’en être le témoin et l’auteur.

Tel a été, souvent à leur insu, l’histoire de certains esprits de notre temps. Beaucoup ont, dès leur adolescence, souffert des dissentimens de la foi qui avait souri à leur berceau et du siècle dont ils avaient hérité les ardeurs et les ambitions. En face de cette sorte de divorce moral dont tant de jeunes âmes ont ressenti les amertumes, la plupart, après des luttes plus ou moins longues et plus ou moins cruelles, se sont résignés à faire un choix : les uns ensevelissant dans leurs pieux souvenirs comme une morte aimée la sereine foi de leur enfance ; les autres étouffant en eux comme des démons malfaisans les austères aspirations de la science et de la liberté. Ce choix si souvent déchirant, quelques-uns, les plus heureux à coup sûr, le repoussent, n’en ayant pas le dur courage ou n’en reconnaissant pas l’odieuse nécessité. Ils ne veulent point séparer dans leur affection la mère de leurs âmes, la tendre et noble mère dont les leçons ont façonné leur cœur aux fortes et délicates vertus, et le père allier de leur intelligence, l’esprit moderne qui leur a inculqué le viril amour de la liberté et du progrès. Au lieu d’opter entre eux, ils se font un devoir de les rapprocher ; ils cherchent à les convaincre qu’ils ne se combattent que parce qu’ils se méconnaissent.

Ainsi ont fait, nous semble-t-il, dès la première moitié du siècle, les catholiques dits libéraux[1]. Enfans soumis de l’église et fils de la France contemporaine, ils n’ont pas consenti à les isoler dans leur cœur. Se refusant à croire que l’amour de l’une exclût le respect et l’affection de l’autre, ils ont entrepris de mettre fin à une lutte dont les sociétés modernes ne leur semblaient pas moins souffrir que les jeunes âmes. Ils ont tenté de les réconcilier, de leur prouver qu’elles pouvaient, qu’elles devaient même s’aimer et s’entendre, sans se laisser décourager par aucune froideur ou aucune rebuffade. C’était là assurément une tâche qui n’avait rien de bas ni de banal, dont le succès, quelque illusoire qu’il pût sembler, était presque aussi désirable pour l’esprit que pour le cœur, et ceux qui, dans leur jeunesse, ont conçu cette haute ambition pouvaient, à travers toutes leurs déconvenues, se vanter d’avoir servi les vrais intérêts des deux causes qu’ils prétendaient rapprocher. Si sceptique ou défiant que vous laisse leur tentative, qu’on approuve ou rejette leurs méthodes et leurs procédés, il est malaisé de ne pas ressentir de sympathies pour leurs efforts et leurs souffrances.


I

Qu’on se rappelle les premiers promoteurs, les initiateurs de cette thèse, les plus illustres champions de cette réconciliation entre l’antique église et l’orgueilleuse société moderne. Jamais, à aucune époque, cause plus noble ne fut défendue par de plus nobles esprits : les Montalembert, les Lacordaire, les Ozanam, les Gratry, les Cochin, pour ne parler que des morts, hommes dont, éloge rare, la vie fut d’accord avec les doctrines et que l’âge mûr trouva fidèles aux rêves de la jeunesse ; orateurs ou écrivains dont, mérite peut-être plus rare encore, le caractère demeura supérieur au talent et l’âme aux œuvres. Que d’ardeur, que d’enthousiasme, que de généreuses illusions ! et aussi, d’un bout à l’autre de leur route, que de déboires, que de publics mécomptes et de secrètes tristesses ! Déceptions presque égales des deux côtés entre lesquels ils cherchaient un rapprochement ; déceptions de la part des nombreux catholiques qui les renient, qui leur reprochent comme une trahison leurs avances à l’esprit du siècle, qui, les accusant de vouloir combler l’abîme entre la vérité et l’erreur, ne leur épargnent ni insulte ni soupçon et mettent tout en œuvre pour les faire réprouver de cette église dont ils n’ont d’autre ambition que de servir la cause. Déceptions non moindres et non moins cuisantes du côté des libéraux et des défenseurs attitrés de la société moderne, qui, eux aussi, se font souvent un devoir de les répudier, qui, non contens de repousser leur concours, mettent en doute leur bonne foi, les taxent d’hypocrites manœuvres, allant jusqu’à les dénoncer comme les pires ennemis de la société moderne et à leur dénier le droit de prononcer le nom de liberté.

En faut-il croire ces désaveux partis des deux camps opposés ? Les hommes qui se flattaient de réunir la religion et la liberté étaient-ils victimes d’une incurable illusion, jouet des trompeurs mirages d’un cœur altéré et d’une imagination lasse ? Entre le catholicisme et les idées modernes y a-t-il un gouffre si profond que rien ne le puisse remplir ? L’église du Christ et la société issue de 1789 sont-elles fatalement vouées à une guerre sans fin et l’antagonisme entre elles est-il si naturel que tout rêve de paix doive leur sembler à toutes deux chimère ou duperie ? C’est là sans conteste une grande question, une des grosses questions de notre âge, qui en compte tant, et, bien que des deux parts l’esprit d’intolérance se flatte de l’avoir décidée à son profit, il est aisé de prévoir qu’elle agitera non moins le XXe siècle que le XIXe. Durant des générations encore, elle sera bruyamment remuée par les passions politiques ou religieuses, qui, en raison même de leur parti-pris, sont incapables de la résoudre.

Cette question, que la présomption de l’esprit de parti a coutume de trancher si lestement, est trop complexe pour que nous prétendions la débattre à fond, et trop importante pour qu’on nous permette d’avoir l’air de l’esquiver. Nous pourrons, du reste, y revenir plus loin ou plus tard. Ce qui nous intéresse surtout ici, c’est la manière dont elle se présente aux chrétiens, aux croyans désireux d’être à la fois de leur église et de leur temps, de rester citoyens sans cesser d’être catholiques. A regarder les principes comme les tendances, il peut sembler qu’entre le catholicisme et la société moderne l’incompatibilité soit absolue, les conflits inévitables, la réconciliation une utopie. Au premier abord, la raison paraît avec les libéraux et les catholiques, ou, si l’on aime mieux, avec les radicaux et les ultramontains, qui, des deux pôles opposés, s’entendent pour interdire aux fils de l’église d’habiter les régions tempérées du libéralisme. Sur quoi repose la religion, le christianisme, le catholicisme spécialement, qu’on a pu appeler la plus religieuse des religions ? Sur la notion d’autorité et d’unité, poussée à un tel degré que la foi catholique se résume dans un docteur vivant et une chaire unique, dans l’obéissance de la raison et du cœur à la parole souveraine d’un pontife infaillible. Sur quoi repose ce que, faute d’autres noms, nous appelons la société moderne ? Sur la liberté des croyances et la variété des opinions, sur le libre examen appliqué à toutes choses et poussé dans toutes les directions jusqu’aux dernières extrémités, jusqu’à la plus entière confusion des idées et des doctrines, au chaos moral et à l’anarchie des intelligences. A regarder ainsi soit le point de départ, soit le point d’arrivée et les aboutissemens, l’opposition semble complète ; mais est-ce bien dans ces termes que le problème doit se formuler ? et quand, en bonne logique, on ne saurait mieux le poser, est-ce toujours de cette manière qu’il se présente dans la pratique ? Non assurément pour le plus grand nombre. Il ne s’agit nullement, en effet, — un catholique aurait le droit d’en faire la remarque, — de conciliation dogmatique, de transaction de principes entre l’église infaillible et ce qu’on appelle les idées modernes ; il ne s’agit pas de la liberté de penser, de la liberté philosophique ou métaphysique : il s’agit simplement de la sphère pratique, du vulgaire terrain des faits, de la liberté politique, ce qui est fort différent.

Ce qui importe à ce point de vue, c’est de savoir si le catholicisme peut oui ou non s’accommoder de l’état social actuel, des mœurs et des lois sorties de l’évolution historique des trois derniers siècles. Serait-elle démontrée, l’incompatibilité des principes aurait plus de valeur pour le philosophe ou le théologien que pour l’homme politique. Ce qui importe en politique, c’est moins la compatibilité des principes que celle des résultats pratiques. Ici encore, après l’opposition des doctrines, on peut, il-est vrai, objecter l’opposition des intérêts et des traditions. Par certains côtés assurément, en dehors même de ses dogmes et de la mission divine qu’elle ne saurait abdiquer, l’église, qui a été l’autorité la plus haute du moyen âge, qui, sur les individus et les peuples, jouissait alors de pouvoirs incontestés, l’église, qui, depuis trois cents ans, s’est vu peu à peu spolier de ses droits et privilèges, de ses biens et de sa souveraineté, l’église ne semble-t-elle pas l’adversaire irréconciliable de la société civile, de la société laïque, grandie à ses dépens et enrichie de ses dépouilles ?

Mais de nouveau est-ce là le seul aspect de la question ? Nullement. Par d’autres côtés, la société moderne et l’ordre de choses issu de la révolution n’ont-ils pas, avec l’esprit du christianisme, avec les tendances manifestes de l’évangile, une incontestable affinité, si bien qu’on a pu dire que l’œuvre de la révolution n’était en quelque sorte qu’une application du christianisme, une réalisation des maximes évangéliques dans les institutions ? La noble et trop décevante devise : « Liberté, égalité, fraternité » pourrait être revendiquée par les chrétiens comme un plagiat de l’évangile. Pour les disciples du Dieu crucifié, ces mots prestigieux ont, il est vrai, un autre sens que pour les enfans du siècle. Jusque dans les concordances ou les analogies de ce genre, il est facile de signaler entre l’église et la révolution une antinomie fondamentale, antinomie qui persiste à travers la parenté des résultats pratiques ou les rencontres des conclusions, mais qui ne détruit ni cette parenté ni ces rencontres.

À remonter aux principes théoriques, il y a encore une fois opposition radicale là même où, par des chemins divers, les doctrines semblent se joindre et aboutir au même point. Le principe conscient ou latent de la révolution, le double dogme, depuis Rousseau, virtuellement professé par la plupart de ses docteurs et apologistes, c’est, au rebours de l’enseignement du christianisme, que l’homme naît bon, naturellement enclin au bien ; c’est ensuite que la raison individuelle se suffit en tout à elle-même. Certes, si l’on s’en tenait à ce double article de foi du Credo révolutionnaire, si l’on en faisait l’unique base des revendications libérales, la révolution et la société qui en est sortie seraient en naturel antagonisme avec les doctrines de l’enseignement catholique, ou mieux avec tout le christianisme, avec toute religion. Ainsi entendue, la liberté, tout comme la révolution, mériterait de Joseph de Maistre d’être appelée satanique. Mais, sur le terrain même des principes, ne saurait-on découvrir aux libertés modernes, à la liberté politique notamment, d’autres fondemens rationnels ou d’autres origines historiques ? La liberté et l’égalité devant la loi sont-elles partout et nécessairement le fruit de ces orgueilleuses théories, de cette présomptueuse apothéose de la nature humaine qui, dans ses outrances et ses superstitions, ne répugne guère moins à la critique du philosophe qu’à la foi du théologien[2] ? L’ordre social actuel, encore si tristement imparfait et visiblement précaire, la société moderne, qui devrait peut-être nous inspirer autant d’humilité et d’inquiétude que d’orgueil, découlent-ils uniquement de ce que les philosophes appellent les faux principes et les théologiens les faux dogmes de la révolution ? Pour le croire, il faudrait oublier le jeu complexe des forces historiques, il faudrait ne voir, dans la longue et obscure évolution des sociétés, qu’un élément et qu’un facteur. Oserait-on soutenir que le christianisme y est demeuré entièrement étranger et interdire au croyant d’en revendiquer sa part pour sa foi ? Si notre société contemporaine, et cet ensemble confus de notions théoriques, de droits abstraits, d’habitudes, d’institutions que nous désignons sous le nom de société moderne, n’est pas tout entière sortie spontanément des entrailles du christianisme ; si la raison pure et le libre examen y ont eu une part considérable, prédominante même, le christianisme y a malgré tout eu la sienne, et les chrétiens ont le droit de la faire ressortir, le droit de montrer que, par certains côtés, cette société moderne reste un produit, un fruit du christianisme, une application imparfaite, dans les lois et dans les mœurs, des maximes du Christ et de l’idéal chrétien.

Placé en face des droits de l’homme, en face des principes de 1789, le catholique, le théologien, s’il n’en peut admettre toutes les déductions, est loin d’être obligé de les condamner en bloc ; il est maître d’y retrouver une part de christianisme et de la reprendre comme son bien ; maître de déterrer, sous les vagues et flasques formules révolutionnaires, l’empreinte effacée de l’évangile et de l’y vénérer[3]. Lors donc qu’on somme les catholiques de choisir entre l’église et la société dont ils se sentent les enfans, on comprend qu’ils refusent d’obéir à cette injonction et repoussent cet horrible choix. On comprend qu’à l’inverse de certains libéraux et de certains catholiques, qui ne veulent voir que les oppositions, d’autres, se prétendant à la fois catholiques et libéraux, préfèrent s’arrêter aux ressemblances, aux points de contact. On comprend enfin que, loin de maudire la civilisation moderne, des catholiques se fassent un devoir de revendiquer ce qu’elle a de plus sain et de plus pur, de montrer que ce qu’elle a de meilleur est en conformité avec l’esprit du christianisme ; de rappeler qu’à plus d’un égard cette superbe et ingrate civilisation contemporaine est la fille légitime de l’évangile, de façon que c’est sa mère que la société moderne méconnaît en faisant la guerre à la religion, et que c’est son propre enfant, c’est le fils de son sang et de sa chair que l’église semble renier en reniant l’esprit moderne.

Ce n’est pas ici le lieu de discuter ce que le christianisme peut légitimement revendiquer dans la société nouvelle, d’essayer de faire en quelque sorte le départ des diverses influences d’où découle notre civilisation. Pour le catholique, il suffit que le christianisme n’y ait pas été étranger, qu’il ait été, spontanément ou non, l’un des antécédens directs de la grande transformation moderne, qu’en se sécularisant et s’émancipant cette civilisation n’ait pas perdu tout droit au titre de chrétienne. Et cela, aux plus beaux jours de la révolution, en 1789, la portion la plus évangélique du clergé n’en doutait guère, lorsqu’elle s’associait aux revendications et aux espérances du tiers-état.

Et, quand les catholiques qui réclament une part de l’héritage de la révolution se feraient illusion, quand ils seraient dupes de trompeuses similitudes de noms et de formes ; bien plus, quand désabusés par ses conséquences et épouvantés par ses excès, ils la répudieraient tout entière, de 1789 à 1830, et de 1793 à 1871, la révolution et la société moderne sont-elles forcément solidaires ? Les libertés publiques ont-elles, pour fleurir, attendu partout la sanglante aurore de la prise de la Bastille, et les franchises politiques ne remontent-elles nulle part au-delà du serment du jeu de paume et de la Déclaration des droits de l’homme ? Notre horizon, dans le temps ou dans l’espace, est-il si borné que la liberté ne puisse nous apparaître en dehors des abstractions et des formules françaises de la fin du XVIIIe siècle, et que, hors le legs de la révolution, il n’y ait plus pour nous de civilisation moderne ? Ne connaissons-nous pas, dans notre voisinage même, des pays où la liberté, née sous d’autres auspices, a jeté des racines autrement fortes et profondes que dans la patrie de la révolution ? Que dis-je ? sur ce continent, sur cette vieille terre française d’où devait, avec nos assemblées et nos armées, sortir le renouvellement violent de l’Europe, le moyen âge, l’âge de la foi n’avait-il pas de tous côtés semé des germes de liberté, et, si l’éclosion ou le développement en a été arrêté, la faute en revient-elle à l’église ou bien aux rois, à la noblesse, à la bourgeoisie ? La notion de liberté politique est antérieure à la révolution aussi bien qu’à la réforme ; et, alors même que la révolution, et avec elle l’extrême démocratie qui prétend la pousser jusqu’à ses dernières conséquences, serait réellement incompatible avec le catholicisme, les catholiques n’en garderaient pas moins le droit de se réclamer des libertés civiles pour lesquelles en Italie, en Espagne, en Hongrie, en Flandre, en France même, leurs ancêtres ont plus d’une fois combattu. Les libertés politiques auraient beau avoir été conquises sans eux et malgré eux, que rien ne pourrait leur interdire d’en faire leur profit, ni personne les contraindre à s’en laisser frustrer.

Aucunes divergences de principes ne sauraient obliger un catholique à se meure en dehors du droit nouveau et à s’exiler lui-même de la liberté. Il peut, en conscience, prendre place au large banquet où tous sont conviés. S’ils éprouvent des scrupules, s’ils trouvent dans notre société le mal égal ou supérieur au bien, les catholiques ont la ressource de distinguer entre les libertés publiques et la révolution, sans même être les seuls à se permettre une pareille distinction. Ils peuvent séparer les principes ou les erreurs de la révolution de ses effets pratiques, admettre les uns sans adhérer aux autres. Le distinguo n’est-il pas le procédé habituel des théologiens ? En vain leur objecterait-on qu’en bonne logique ils sont mal fondés à repousser les principes en acceptant les résultats, ces derniers sont un fait qu’il faut subir bon gré mal gré, un fait que tout homme clairvoyant est contraint de regarder comme acquis et inévitable, alors même qu’il en serait le plus choqué et blessé. N’est-ce pas là, en réalité, devant notre société moderne, en face de l’ascendant croissant de la démocratie, le sentiment de beaucoup d’hommes de notre temps : catholiques, protestans, israélites, libres penseurs ?

Il faut prendre garde, du reste, de s’exagérer en semblable matière l’autorité de la logique et la valeur des considérations abstraites. La logique ou l’illogisme, dans la sphère politique surtout, sont loin d’avoir toujours l’importance qu’on est tenté de leur prêter. La logique reçoit de la vie, des intérêts et des passions, de fréquens et éclatans démentis. Minime dans tous les camps est le nombre des hommes entièrement menés par des déductions théoriques. Si l’aiguille aimantée dévie parfois du pôle, bien autres sont les écarts de la pensée humaine et des partis politiques. Ce qui, en pareil cas, importe avant tout, c’est moins l’enchaînement logique des idées que leur filiation historique et l’enchaînement des faits. Or rien de plus simple à cet égard, rien de moins mystérieux que l’origine des catholiques libéraux et la naissance de l’école de ce nom. Elle est sortie spontanément de la révolution de 1830, du mouvement d’idées et de la situation politique qui l’ont accompagnée. A en suivre les premières manifestations et les plus brillans initiateurs, cette école catholique libérale provient, nous semble-t-il, d’une double impulsion d’ordre bien différent et inégal, de la révolution de juillet d’abord, du romantisme littéraire ensuite. La première fit soudainement éclore les germes obscurs au loin semés par le dernier.


II

Il est des saisons de printemps intellectuel où, dans tous les domaines, les idées semblent se renouveler. Telle a été la restauration, telles ont été les premières années de la monarchie de juillet, ce qu’on peut appeler la jeunesse ou l’adolescence du siècle. C’était l’époque où le romantisme, exalté au souffle de la révolution, se répandait en tous sens, prétendant rajeunir le présent au nom du passé, mêlant dans ses bizarres hardiesses les réminiscences du moyen âge aux utopies incohérentes de l’avenir. Malgré ses excès et ses puérilités, un pareil mouvement ne pouvait demeurer sans écho chez les catholiques qui en avaient recueilli les prémices avec Chateaubriand et le Génie du christianisme. À ce romantisme littéraire, à la fois conservateur et révolutionnaire, épris en même temps de restauration et d’innovation, sorte de Janus, jeune et vieux simultanément bien qu’essentiellement moderne sous son déguisement moyen âge, mais à un romantisme plus sérieux, plus convaincu, plus conséquent, moins de mots que d’idées, moins de forme que de fond, se rattachaient par plus d’un trait, à leur insu même, moins par le style et le tour de l’imagination que par le sentiment et le tour de la pensée, les premiers apôtres du libéralisme catholique, et La Mennais, demeuré par l’ampleur de la phrase comme par la chaleur et la couleur de la langue, l’un des maîtres de la prose nouvelle et des initiateurs de la poésie sans vers ; et Lacordaire, autre poète en prose, le grand romantique de la chaire, qui couvre en vain ses images et ses métaphores de noms ou de souvenirs classiques ; et Montalembert lui-même, le traducteur des Pèlerins polonais de Mickiewicz et le pieux historien de la « chère Sainte Elisabeth. »

Certes, il serait souverainement injuste de réduire l’initiative de ces ardens et téméraires champions de l’église à n’être qu’un écho prolongé du romantisme, comme il serait inique de n’y voir qu’un contre-coup de la révolution de juillet. Telle n’est pas notre pensée ; mais ce n’est point faire injure à ces vaillans esprits que de retrouver chez eux, dans leur langue, dans leurs idées, dans leurs espérances ou leurs illusions mêmes, la trace à demi effacée des courans intellectuels qui, avec le romantisme, ramenaient partout en Europe des sentimens nouveaux, élargissaient pour le cœur et l’esprit les horizons bornés du XVIIIe siècle, réagissaient contre la sécheresse de sa philosophie et de sa littérature, rendaient avec l’intelligence de l’art gothique le goût et le sens du moyen âge, et presque partout ramenaient les imaginations, sinon les âmes, à la religion et à l’église en les faisant remonter au-delà de Voltaire et de Luther, jusqu’aux âges chrétiens. Les poètes qui dans les traditions catholiques cherchaient avant tout des couleurs, des images, des sensations nouvelles ou non encore usées, le dilettantisme religieux de Chateaubriand, de Lamartine, de Hugo lui-même, devaient ouvrir la voie à des esprits plus graves et à la fois plus tendres, moins épris de formes d’art ou de vaporeuses rêveries qu’altérés de foi et d’amour, dont la religion, au lieu de flotter dans l’imagination, pénétrerait au fond du cœur et de l’âme, pour lesquels le christianisme ne resterait pas un brillant thème à variations poétiques et sentimentales, qui, non contens de retrouver l’art catholique et l’architecture ogivale, prétendraient restaurer le catholicisme et y ramener la société en lui montrant qu’elle n’avait pour cela rien d’essentiel à sacrifier. Au lieu de se borner à demander à la religion et au christianisme le renouvellement du champ épuisé de l’art, ils devaient lui demander le rajeunissement d’une société vieillie.

Est-ce à dire que ceux qu’on a improprement surnommés les néo-catholiques fussent des hommes du moyen âge, des revenans du passé ? Non assurément, pas plus que les poètes de France ou d’Allemagne qui dans leurs vers se plaisaient à faire revivre l’âge de la chevalerie. Peu d’hommes en réalité, parmi tous leurs contemporains, furent plus de leur temps, en eurent à un plus haut degré le sens, l’instinct, les goûts, les émotions, les aspirations ; ces premiers catholiques libéraux furent plus modernes que la plupart de leurs adversaires de l’un et l’autre bord, de même que les romantiques étaient, à travers toutes leurs exagérations et leurs travestissemens exotiques, plus modernes, plus vivans que les néo-classiques. Comme chez les romantiques, dont nous ne les rapprochons ici que pour les mieux comprendre, chez les premiers catholiques libéraux, l’amour du passé, loin de rien avoir de sénile ou de servile, avait quelque chose de jeune et de libre, presque d’insurgé et de révolutionnaire ; c’était pour eux un procédé d’émancipation des règles usées, des ignorances banales et des superstitions surannées du XVIIIe siècle. Ils prétendaient bien moins ramener la France au moyen âge que l’affranchir de la tyrannie d’injustes dédains et de préjugés vulgaires.

Personne peut-être, dans la première moitié du XIXe siècle, n’a plus aimé le moyen âge et ne l’a mieux compris que le jeune chef du nouveau parti catholique, Montalembert. Son introduction à la Vie de sainte Elisabeth de Hongrie, tout embaumée du parfum des gothiques légendes, est un hymne en l’honneur de l’art et de la poésie du XIIIe siècle ; et l’on sait qu’il fut avec Victor Hugo l’un des restaurateurs du goût de l’architecture ogivale comme l’un des plus ardens défenseurs de nos antiquités nationales contre la pioche des bandes noires[4]. Mais, jusque chez ce fils des croisés, alors même qu’il lui semblait « être exilé » au sein de notre société, le vit sentiment de l’art naïf et mystique du passé n’étouffait point les besoins et les aspirations de l’homme moderne, épris des luttes viriles de la parole et de la plume.

Une des choses, du reste, que Montalembert, Ozanam et leurs amis estimaient le plus dans le moyen âge, c’étaient ses vieilles libertés, qu’ils se faisaient un devoir de déterrer sous les épais décombres de l’absolutisme royal. Ils songeaient si peu à restaurer ces siècles de ténèbres, trop dédaignés des uns, trop admirés des autres, que, dans leur première jeunesse, à l’Avenir, La Mennais, Lacordaire et Montalembert en prétendaient détruire les derniers restes par la séparation de l’église et de l’état. Alors même qu’ils revinrent de ces idées extrêmes, ils se piquèrent toujours de ne réclamer pour l’église que la liberté, ce qui était la négation formelle des vieilles traditions et des notions mêmes du passé.

Voir dans l’école catholique de 1830 une tentative déguisée de retour au moyen âge serait aussi faux que de n’y voir qu’une sorte de romantisme religieux. Chez ses premiers initiateurs, ce libéralisme catholique venait plus du cœur que de l’imagination, mais non moins de la tête que du cœur. Ce n’était pas seulement pour eux une affaire de sentiment, ni encore moins une affaire de tactique ; ils étaient avant tout guidés par une nouvelle vue des besoins et des intérêts de l’église, par la conscience des dangers que lui faisait courir la solidarité tant prônée du trône et de l’autel. Ils sentaient impérieusement l’urgence de réagir contre les spécieuses théories consacrées par les noms de Bonald et de Maistre. L’écroulement de la monarchie légitime, les éclats qui en étaient retombés sur l’église et le clergé leur avaient bruyamment révélé les périls de toute intimité du sacerdoce avec les princes et les rois. En face du pillage de l’Archevêché et du sac de Saint-Germain l’Auxerrois, les plus clairvoyans des catholiques avaient senti la nécessité de dénoncer les vieilles et compromettantes alliances, de séparer hautement les intérêts de la religion de ceux de la légitimité et de l’absolutisme monarchique ; en un mot, selon l’expression de l’un d’eux, de « dégager la cause catholique de toute solidarité temporelle, de toute alliance politique[5]. » Telle fut la mission que se donnèrent, en 1830, La Mennais et ses jeunes disciples ; tel fut le programme et le but de l’Avenir, et si, depuis, le clergé et les représentans attitrés des catholiques s’en sont écartés, ils n’ont guère eu à s’en féliciter. Dans cette entreprise hardie, les rédacteurs de l’Avenir ne s’arrêtèrent pas aux nécessités du moment, mais, à travers la fougue de leur polémique et en dépit même de leurs exagérations, ils déployèrent une singulière intelligence des temps nouveaux. Ils eurent, sur la situation de l’église et le rôle de la religion dans le monde moderne, sur les conditions de son existence et de son activité, des clartés dont leurs fautes et leurs imprudences ne sauraient obscurcir l’éclat. Les premiers ils comprirent que, pour l’église, la voie la plus sûre comme la plus honorable était de renoncer à jamais à l’appui du bras séculier pour « demander aux forces morales indépendantes ce qu’elle ne pouvait plus attendre d’une politique qui avait failli l’engloutir en s’abîmant si près d’elle[6]. »


III

Le grand promoteur de ce mouvement, le plus remarquable qui ait agité les catholiques depuis la révolution, fut l’abbé Félicité de La Mennais. Ses antécédens, sa philosophie, ses doctrines thé ocra-tiques semblaient l’y mal préparer ; mais il est des rôles pour lesquels on est plus fait par le caractère que par les idées. Personne, à cet égard, dans le clergé ou parmi les laïques, n’était plus propre à une telle initiative, plus capable de briser avec les erremens du passé, avec les traditions et les préjugés d’un clergé élevé dans le respect de la dynastie déchue et dans la défiance de la liberté. Aucune main ne pouvait avoir moins d’hésitation ou de scrupules à trancher des liens séculaires sans se laisser attendrir par la communauté d’anciennes luttes et d’anciennes affections. Aucune main, en revanche, n’était moins propre à cicatriser les inévitables et douloureuses blessures laissées dans le clergé et dans l’église par un pareil déchirement. Aussi La Mennais ne devait-il accomplir que la moitié de la tâche qu’il avait entreprise et l’abandonner sans avoir su l’achever. La conciliation de l’église et des libertés modernes, dont il proclamait la nécessité, ce ne pouvait être à des violons, à des emportés comme lui de l’effectuer.

Esprit tourmenté et superbe qui a traversé toutes les idées et les doctrines, s’éprenant avec une égale passion des plus contraires et apportant à leur défense la même logique hautaine ; sceptique inconscient, altéré de certitude et dogmatique à outrance, s’attachant avec d’autant plus d’énergie aux vérités qu’il voyait luire devant lui qu’il ne découvrait tout autour que doutes et ténèbres ; âme impérieuse, visiblement faite pour commander, qui ne sut former d’école que pour perdre tous ses disciples par ses inconséquences ; nature nerveuse et fiévreuse, empreinte d’un pessimisme. involontaire et d’une misanthropie innée, à tout âge mécontente des choses et des hommes[7], qui peut-être ne s’éprit tout à coup de la liberté que par dégoût des gouvernans et des représentans de l’autorité ; ce sombre génie, qui bataillait pour la liberté, d’un ton aussi arrogant que naguère pour l’absolutisme, était fait pour compromettre par ses excès, par sa raideur et sa rudesse, toutes les causes qu’il devait successivement servir, les causes surtout, comme celle de l’église, qui demandent avant tout de la douceur, de la patience, de la mesure. C’est pourtant ce singulier catholique breton, qui fit sa première communion à vingt-deux ans, ce prêtre indiscipliné, sans vocation ni esprit sacerdotal, ordonné malgré lui et le regrettant le lendemain ; c’est ce contempteur de la raison humaine et cet apologiste de l’autocratie papale qui, le premier, à travers ses rêves théocratiques, a nettement aperçu les conditions nouvelles que font à la religion la société moderne et la démocratie.

Tel reste, à cinquante ans de distance, le vrai titre de gloire de La Mennais. Dans un âge où tant d’idées s’entre-croisent que leur sillage se confond et est bien vite effacé de la surface agitée du siècle, alors que l’action des plus énergiques et la parole des plus éloquens se perdent avec tant de rapidité, si ce remueur d’idées a laissé sur son temps quelque trace durable, c’est par l’Avenir ; c’est par l’école qu’il a désertée et reniée après l’avoir, dès l’origine, discréditée par ses violences et ses intempérances de langage.

Cette tâche, dont les difficultés devaient si vite le rebuter, La Mennais ne l’avait pas affrontée seul. Si l’âge et le prestige de la renommée lai en donnèrent l’initiative, il en partagea l’honneur avec des hommes plus jeunes et plus fidèles à leur commune mission, avec d’illustres jeunes gens que l’on devait à tort appeler ses disciples, mais qui, en fait, furent plutôt ses associés et ses compagnons d’armes. Les deux plus célèbres, Lacordaire et Montalembert, alors âgés le premier de vingt-huit ans, le second de vingt ans, étaient jusque-là demeurés également étrangers aux travaux et aux vues de l’auteur de l’Essai sur l’indifférence. Ils n’appartenaient ni l’un ni l’autre à ce qu’on nommait alors l’école menai-sienne. Ils n’étaient pas, comme leurs aînés Gerbet ou Salinis, par exemple, des élèves du maître, des adeptes de sa brillante et irrationnelle philosophie[8]. Lacordaire et Montalembert étaient venus à La Mennais, des deux pôles opposés de la société française, lorsque, changeant presque subitement de front, le grand polémiste prit pour mot d’ordre : Dieu et liberté[9]. Tous deux, attirés par ce double cri qui répondait aux secrets besoins de leurs âmes ardentes, étaient accourus au prêtre breton pour l’aider dans une œuvre que, sans lui, ils eussent tôt ou tard entreprise seuls et que seuls ils allaient bientôt reprendre sans lui.

Quelle était, en 1830, la nouveauté de l’enseignement de l’Avenir ? C’est que, dans la société moderne, l’église ne peut plus revendiquer la liberté à titre de privilège, au nom de ses traditions et de sa mission divine, mais seulement comme sa part dans le patrimoine commun des libertés publiques. Cette vue, alors aussi hardie que profonde, le philosophe théocrate de l’Essai sur l’indifférence, dont les principes semblaient aboutir à la servitude, la devait moins à l’une de ces sourdes évolutions intérieures dont il était coutumier qu’aux suggestions du dehors, au spectacle offert par la France et par l’Europe de 1830.

Tandis qu’en France les colères populaires, déchaînées contre l’église, obligeaient le clergé des grandes villes à renoncer au costume ecclésiastique, des pays voisins, la Belgique et l’Irlande, fournissaient en quelque sorte la contre-épreuve de ce qui se passait chez nous, montrant quelles peuvent être la puissance de l’église et la popularité du clergé, là où, loin de paraître inféodés au pouvoir, ils font cause commune avec le peuple et avec la liberté.

Cette double leçon, donnée bruyamment par les faits, La Mennais et ses amis en tirèrent dès le premier jour toutes les conséquences, allant résolument jusqu’au bout de leurs idées. Révoltés contre cette alliance surannée des deux pouvoirs qui faisait retomber sur la croix les haines suscitées par les fleurs de lis, ils s’étaient promis de soustraire l’église à cette sorte de supplice de Mézence et de la détacher aux yeux des peuples du cadavre de la royauté à laquelle, depuis la restauration, elle semblait enchaînée. Non contens de briser les liens du clergé et de la dynastie déchue, ils se donnaient pour mission de rompre à jamais l’indécente union du sacré et du profane, du temporel et du spirituel, de séparer la cause du catholicisme de celle de tous ses fragiles appuis terrestres. La Mennais ne s’arrêtait pas là ; de son œil d’aigle il embrassait l’intérêt de la société civile aussi bien que l’intérêt de la religion. Allant du premier coup au fond du problème, devançant Tocqueville et Quinet, il aperçoit dans le divorce de l’église et de la société, du christianisme et de la liberté, le principe secret des stériles révolutions dont la frêle monarchie de juillet avait la présomption de prétendre marquer le terme. En unissant la cause de la religion à celle de la liberté, La Mennais se flattait de préparer le triomphe durable et pacifique de celle-ci. Ces hautes et fortes pensées, tant de fois et si vainement reprises depuis, l’Avenir les formule en termes magnifiques que n’ont jamais surpassés ni les chrétiens désireux de réconcilier la foi avec la société, ni les philosophes anxieux de voir la liberté politique privée chez nous de sa base la plus solide ou de son frein le plus efficace, le sentiment religieux.

Quel admirable début que les premières pages de l’Avenir et quel journal a jamais tenu à notre siècle un plus noble langage ! Debout sur le vaste champ de ruines accumulées en moins d’un demi-siècle, entouré des décombres de tant de régimes écroulés, monarchie absolue, république, directoire, empire, monarchie selon la charte, le solitaire à la langue biblique cherche ce qui à travers tous ces bouleversemens survit au fond du cœur des hommes, et il y découvre deux choses seulement : Dieu et la liberté. « Unissez-les, s’écriait-il, tous les besoins intimes et permanens de la nature humaine sont satisfaits ; séparez-les, le trouble aussitôt commence et va en croissant jusqu’à ce que leur union s’opère de nouveau[10]. » A l’entendre (et combien de voix orthodoxes ou non nous ont depuis cinquante ans renvoyé l’écho de pareils regrets ! ) la cause fondamentale des commotions de nos vieilles sociétés chrétiennes, de la France en particulier, c’est qu’un concours de circonstances « qu’on ne déplorera jamais assez a mis momentanément en opposition la religion et la liberté, deux choses qui ne peuvent plus vivre l’une sans l’autre. » Et d’où ce divorce, pourquoi les hommes s’effraient-ils de Dieu ? C’est qu’ils trouvent la servitude près de l’autel ; c’est que, aux yeux des peuples, le catholicisme et le clergé asservis se sont rendus complices des pouvoirs qui avaient planté leur tente sur les débris de la liberté. De là, d’après La Mennais, les colères passionnées du XVIIIe siècle et de la révolution contre la religion ; de là les défiances des peuples pour le christianisme, dans lequel ils ne voient qu’un instrument d’esclavage, et, par un inévitable retour, les défiances des catholiques pour tout ce qui se présente au nom de la liberté, nom qui réveille en eux trop de pénibles souvenirs et se confond dans leur esprit avec la haine du christianisme.

La tâche ainsi comprise était grandiose, le problème bien posé. Il s’agissait avant tout de détruire les préjugés de part et d’autre, de prouver aux libéraux que le catholicisme n’avait rien d’incompatible avec la liberté, et aux catholiques que la liberté suffisait à tous les besoins de la religion. La démonstration de l’Avenir était éloquente, le langage de La Mennais et de ses jeunes amis entraînant, l’heure propice. Parmi les catholiques désabusés par les déceptions de 1830, dans le jeune clergé surtout, ces séduisantes doctrines trouvaient faveur. Les exemples du dehors, les mouvemens des peuples et les révolutions mêmes semblaient apporter aux thèses de l’Avenir l’appui retentissant et irréfutable des faits. Aux hésitans La Mennais munirait la Belgique, l’Irlande, la Pologne, où la cause de l’église se confondait avec celle des libertés nationales ; la Belgique, où une révolution, entreprise au nom des libertés publiques, était en train d’affranchir la religion en même temps que le pays ; l’Irlande, où, pour conquérir l’émancipation des catholiques, O’Connell, alors l’athlète le plus populaire de la foi, le Samson de l’église opprimée, ne demandait d’autres armes que la presse libre et la libre parole. Quels argumens que de tels exemples pour un pareil polémiste ! L’Irlande et la Belgique exerçaient sur la jeunesse catholique une influence qui se prolongea durant tout le règne de Louis-Philippe. Elles valurent à l’Avenir une bonne part de sa popularité, et à La Mennais plusieurs de ses plus illustres disciples, Montalembert notamment. C’est du fond de l’Irlande, en quittant O’Connell dont il devait plus tard être appelé le pupille, que Montalembert, âgé de vingt ans, accourait pour se ranger autour de La Mennais, et ses premiers articles de l’Avenir étaient un appel en faveur de l’Irlande et de la Pologne.

Dans son ardeur pour la cause des peuples catholiques opprimés, l’Avenir inclinait à la politique de la gauche, à la politique de guerre et d’émancipation des nationalités. Ce n’était pas là sa seule témérité, ni le seul point par lequel il confinât aux idées des révolutionnaires. Une fois lancé sur la pente du libéralisme, La Mennais n’était pas homme à s’arrêter en chemin. Ici comme toujours, une sorte d’aveugle logique devait l’entraîner jusqu’aux extrémités des thèses qu’il avait embrassées. Dès qu’il se mit à contempler le champ confus de la politique, son œil de prophète et de voyant involontaire aperçut promptement qu’en face des monarchies vieillies, l’avenir était à la démocratie. Ce fut une de ses vues, et en cela il vit plus juste et plus loin que tous ses élèves, Lacordaire excepté ; mais, en découvrant du haut de son Sinaï les prochaines et menaçantes destinées de la démocratie, au lieu de s’en montrer effrayé, il se prit à les célébrer et à les bénir ; il ne comprit pas qu’en précipiter la marche et en hâter le déchaînement ne pouvait être qu’une souveraine imprudence politique et religieuse. Non content d’opposer, par la plume de Montalembert, la légitimité des peuples à la légitimité des rois, non content de faire résonner aux oreilles des foules la retentissante et équivoque formule de la souveraineté du peuple, il demandait, dès 1830, que la franchise électorale fût « étendue aux masses ; » il se plaisait à exposer le droit d’insurrection, à peser ce qu’on a appelé les cas de conscience de l’émeute. Déjà sous le prêtre perçait le démagogue.

Encore tout cela n’était-il que de la politique ; mais bientôt, témérité suprême de la part de catholiques à une pareille époque, La Mennais, et avec lui Lacordaire et Montalembert, n’hésitaient pas à demander la résiliation du concordat, la séparation totale de l’église et de l’état. Ils sentaient, ce que d’autres ont eu le tort de méconnaître, que l’église et ses ministres ne sauraient jouir devant l’état de certaines prérogatives sans les payer de certaines charges. Ils sentaient que, pour pouvoir partout et toujours revendiquer la liberté, il faut ne se prévaloir que du droit commun, et, dans leur confiance en la liberté, ils offraient de lui sacrifier les derniers privilèges de l’église et sa charte de 1801. Ne reculant devant aucune des conséquences de ce droit commun, dans lequel ils voyaient le meilleur bouclier des libertés religieuses, ils appelaient de leurs vœux la suppression du salaire du clergé, qui « transforme le prêtre en fonctionnaire. » A leurs yeux, c’était l’unique moyen d’émanciper pleinement la religion, de rendre à l’église et au clergé l’indépendance et la popularité en les retrempant dans la pauvreté volontaire. Lacordaire, dans son juvénile désintéressement, allait jusqu’à engager le clergé à quitter ses vastes cathédrales, devenues « les temples de l’état, » pour transporter ses autels dans les granges et descendre comme les douze pêcheurs au milieu du peuple.

Ici encore, La Mennais et ses amis ne faisaient peut-être qu’anticiper sur les temps. Leur témérité pouvait n’être qu’une prophétique clairvoyance. La séparation de l’église et de l’état leur apparaissant déjà dans la fatale logique des choses, ils avaient le droit de se demander s’il ne valait pas mieux pour l’église en prendre hardiment l’initiative et s’en donner l’honneur, renoncer d’elle-même aux avantages dont on la dépouillerait un jour et hâter spontanément une épreuve en réalité plus redoutable à l’état qu’à elle-même. Los esprits tels que La Mennais, qui habitent les hautes cimes, ont des vues de sommets ; il leur est souvent donné de distinguer dans les brumes du lointain ce que l’œil d’autrui ne découvre que de près ; mais alors même ne pas faire la part des distances et des temps, oublier les transitions et l’éloignement des transformations qu’on voit surgir de loin, c’est se condamner au rôle de rêveur et d’utopiste. Pour l’église du XIXe siècle, au point de vue pratique, les conseils de l’Avenir, quand bien même ils n’eussent fait que devancer les âges, n’en étaient pas moins dangereux et en tout cas prématurés. Sur ce point, l’exemple de l’Irlande et des États-Unis était peu probant. Jamais l’église catholique et l’état n’y avaient été attachés par des liens aussi étroits, aussi multiples qu’en France ou dans la plupart des pays du continent. Pour assurer l’indépendance de l’église suffisait-il de briser les chaînes dont La Mennais exagérait le poids ? N’était-il pas à craindre que, pour l’état, pour les adversaires de l’église, la séparation ne fût qu’un prétexte à la spoliation ? qu’une fois le concordat aboli et l’indemnité du clergé supprimée, l’église se retrouvât exposée au joug de lois unilatérales, faites sans elle et peut-être contre elle, avec la servitude de la pauvreté en plus ? Si les catholiques belges, s’inspirant en partie des idées de l’Avenir, ont cherché à émanciper l’église de toute tutelle du pouvoir civil, ils se sont gardés de renoncer à l’indemnité légitimement due au clergé en échange de ses biens confisqués. Ce que La Mennais et Lacordaire oubliaient, ce qu’ils eussent pu apprendre en passant la Manche ou l’Atlantique, c’est que, pour être vraiment libéral et équitable, pour porter des fruits de liberté, le divorce de l’église et de l’état doit s’accomplir à une époque de calme, dans des pays accoutumés au respect de toutes les libertés, avec une législation sincèrement tutélaire du droit d’association, respectueuse des fondations et de toutes les formes de propriétés, chose que possèdent les pays anglo-saxons, mais qui nous fera longtemps encore défaut. En dehors de là, ce qu’apporterait la séparation à l’église, c’est la tyrannie et non la liberté.

Les doctrines de l’Avenir, ainsi mêlées de vues profondes et de téméraires conseils, étaient trop étranges et trop risquées pour ne pas choquer une grande partie des fidèles, du clergé, de l’épiscopat, d’autant qu’aux témérités des idées s’ajoutaient chez lui celles du langage. La Mennais était trop impérieux et trop impétueux pour que, sous sa plume, la forme couvrît le fond et en dissimulât les aspérités ; il avait trop de confiance en ses propres lumières et en sa dialectique pour s’incliner devant les répugnances des évêques. A la désapprobation presque unanime d’un haut clergé demeuré gallican, La Mennais, qui continuait à combattre pour l’ultramontanisme en même temps que pour la liberté politique, prétendit opposer la suprême puissance devant laquelle il voulait tout courber, le pape. Pour se leurrer d’un pareil rêve, pour espérer en faveur de leurs doctrines la sanction formelle de Rome, il fallait des esprits aussi peu pratiques que La Mennais ou aussi inexpérimentés que ses jeunes amis.

La polémique de l’Avenir ne pouvait plaire au Vatican. En dehors de sa répulsion pour les nouveautés et de son naturel penchant pour le principe d’autorité, la cour papale, eu butte aux attaques des libéraux d’Italie, ne pouvait voir dans les appels de La Mennais à la liberté et à la démocratie qu’un encouragement aux révolutionnaires italiens et aux insurrections contre le saint-siège. Par ce seul fait, les catholiques libéraux suscitaient déjà des défiances que tout leur dévoûment à la monarchie temporelle des papes ne devait jamais entièrement dissiper. Néanmoins le Vatican répugnait à désavouer un homme regardé comme le premier apologie de la foi et une doctrine qui, en France, en Belgique, en Allemagne même, éveillait de nombreuses sympathies. Si La Mennais fut condamné, c’est qu’il exigea un jugement. Fort du silence de Rome, il eût pu se retrancher derrière le In dubiis libertas. Il n’y consentit point, il ne craignit pas de forcer la papauté à se prononcer entre ses adversaires et lui. Le présomptueux vint à Rome sommer le saint-siège de parler. La réponse de Grégoire XVI fut l’encyclique Mirari vos, qui, sans nommer La Mennais, condamnait l’Avenir. Les libertés que la feuille catholique exaltait comme un gage de rénovation religieuse, Grégoire XVI, dans son rude langage théologique, les flétrissait « comme des erreurs absurdes, ou mieux, comme un délire. » Toutes les libertés modernes en paraissaient atteintes ; la cour de Rome semblait leur avoir jeté un anathème que, trente ans plus tard, devait renouveler Pie IX. On sait quelles en furent les conséquences pour les personnes. La Mennais, un rebelle de tempérament, un démagogue inconscient, rétractait bientôt une soumission qu’il avait promise d’avance. Lacordaire, abattu et résigné, voyait, selon son expression, « tout crouler autour de lui ; » il avait peine à se soustraire au désespoir et rêvait à se faire curé de campagne. Montalembert, incertain durant trois ans, s’obstinant dans une fidélité désintéressée, « moins peut-être à la personne de l’apôtre déchu qu’à la grande idée qui semblait ensevelie dans sa chute, » ne s’arrêtait qu’au bord de la révolte.

Tous deux, Lacordaire et Montalembert, avaient assisté à la ruine de l’œuvre de leur jeunesse. L’un à trente ans, l’autre à vingt-deux, ils pouvaient croire leur vie manquée et leur cause à jamais perdue. Et cependant, moins par leur propre penchant que sous la pression des circonstances, ils allaient bientôt rentrer en campagne avec le mot d’ordre de l’Avenir : Dieu et liberté, et cette fois, ils allaient rallier autour d’eux la plupart de leurs adversaires de la veille ; mais, en dépit de leur prudence et de leur succès, ils devaient, selon la remarque d’un historien catholique, « souffrir jusqu’au dernier jour du faux départ de 1830[11]. »


IV

Entre l’église et les libertés modernes, l’encyclique Mirari vos semblait creuser un fossé infranchissable. En fait, l’événement devait montrer que le fossé n’était ni si large ni si profond qu’il le paraissait. Les encycliques pontificales n’ont pas toujours le sens et la portée que nous leur prêtons. Le théologien seul en entend bien la langue, et la théologie est une science pleine de ressources. Il en a été de cette sorte de Syllabus de Grégoire XVI, comme un tiers de siècle plus tard du Syllabus de Pie IX. Les catholiques, jusque dans le réseau serré du dogme, gardent une faculté que l’infaillibilité du pape ne leur a pas enlevée, la faculté d’interprétation, sauf soumission à l’église. Cette liberté, le saint-siège, satisfait « d’avoir proclamé les principes, » en laisse d’habitude user les fidèles, dans le domaine politico-ecclésiastique du moins. Si l’encyclique Mirari vos condamnait les libertés modernes, spécialement la liberté des cultes et la liberté de la presse, les catholiques enclins au libéralisme allaient bientôt trouver que les foudres du Vatican n’atteignaient pas la sphère politique positive, qu’elles éclataient dans la haute et sereine région des idées théoriques. Ce que, d’après eux, l’église refusait d’admettre sous Grégoire XVI, en 1832, comme plus tard sous Pie IX, avec l’encyclique de 1864, c’est que ces libertés modernes, que la liberté des cultes et de la presse notamment, fussent un droit et un bien en soi ; mais rien ne défend de les considérer comme la conséquence inévitable d’un certain état social, ni de les accepter et de les défendre à ce titre.

Cette distinction de l’absolu et du relatif, ou, pour parler le langage de l’école, de la thèse et de l’hypothèse (distinction qu’en un jour de prudence l’Avenir lui-même avait eu soin d’établir), devait ouvrir aux catholiques libéraux une porte de sortie. Ce qu’ils ne pouvaient affirmer à un titre, ils étaient maîtres de le soutenir à un autre. Si la base de leur revendication en semblait rétrécie, il leur suffisait qu’elle fût orthodoxe. Qu’importe du reste aux indifférens la manière dont un Montalembert ou un Lacordaire conciliaient leur obéissance à Rome avec leurs aspirations libérales ? A sonder le fond des doctrines, on trouverait que, parmi les hommes qui reprochent le plus durement aux catholiques « ces subtilités, » les accusant d’équivoques, beaucoup sont en réalité d’accord avec Rome dans leur notion de la liberté. Les révolutionnaires et l’extrême démocratie ont maintes fois prouvé qu’à leurs yeux la liberté n’était ni un droit ni un bien absolu. Le libéral par principes est rare, et plus rare encore celui qui conforme sa conduite à ses principes. Les théoriciens les plus convaincus de la liberté illimitée ne se sont-ils pas souvent, dans la pratique, révélés les ennemis ou les contempteurs des libertés essentielles, proclamant que le règne de la liberté ne devait commencer que lorsqu’elle n’aurait plus d’adversaires ? S’il y a inconséquence de la part des catholiques qui se disent libéraux, cette inconséquence, contre laquelle ils protestent, nous semble en tout cas moins choquante que celle des prétendus libéraux, qui, dans l’intérêt de leur pouvoir ou de leurs doctrines, refusent à leurs adversaires les libertés au nom desquelles ils prétendent les gouverner.

Comment, après 1832, les catholiques revinrent-ils si vite à la liberté, sur laquelle les exagérations, la condamnation et la désertion de La Mennais jetaient pour eux un triple discrédit ? Ils y furent ramenés par les nécessités de l’église, par les besoins et la tactique de sa défense. Ici encore on leur pouvait reprocher de voir dans la liberté moins un idéal qu’un expédient, moins un but qu’un moyen, et, pour tout dire, un instrumentum regni. Pour beaucoup, le reproche était fondé, mais ici encore étaient-ils seuls à le mériter ? Aujourd’hui même ne pourraient-ils le renvoyer à nombre de leurs adversaires ? Et, si pour cela, les catholiques devaient être taxés d’hypocrisie et de duplicité, combien de libéraux, combien de démocrates seraient obligés de se confesser du même péché !

Les deux plus vaillans compagnons d’armes de La Mennais, Montalembert et Lacordaire, une fois revenus de l’accablement de leur défaite, furent naturellement les premiers des catholiques à reprendre pour mot d’ordre la liberté. De la part de tous deux, du jeune pair de France et du futur orateur de Notre-Dame, ce retour à l’ancienne devise n’avait rien de surprenant ; c’étaient l’un et l’autre des libéraux de tempérament. Tous deux étaient trop de leur temps et trop de leur âge, tous deux sentaient trop bouillonner en eux les sources chaudes de l’éloquence pour ne pas souhaiter le règne de la liberté, qui semble de loin le règne de la plume et de la parole. Mais, jusque chez ces deux maîtres de la tribune et de la chaire, qui s’ignoraient eux-mêmes, cette ferveur nouvelle pour leur premier culte n’était pas simple affaire de caractère et d’éducation ; c’était autant affaire de conviction politique et religieuse[12]. Tous deux, le dernier héritier de la pairie française, comme le restaurateur de l’ordre de Saint-Dominique, étaient « des catholiques avant tout. » Si, quelques années à peine après la condamnation de l’Avenir, ils osaient, assagis par l’expérience et aguerris par le malheur, relever la bannière tombée des mains de La Mennais, c’était comme champions de l’église qui avait désavoué La Mennais ; c’était pour la mieux défendre qu’ils venaient se replacer sur le terrain dont elle semblait les avoir expulsés. Au milieu des conflits de nos sociétés modernes, leur œil ne pouvait découvrir de meilleur champ de bataille, et cela était si vrai que, sur ce terrain suspect, ils allaient voir se ranger derrière eux la grande majorité du clergé et de l’épiscopat. Des hommes fort différens de tendances et de tempérament, d’origine et d’éducation : laïques, prêtres, évêques, religieux, journalistes, allaient avec plus ou moins de décision s’engager sur ce vaste champ découvert de la liberté, le seul où, sous le régime électif, les milices de l’église pussent évoluer à l’aise.

Rien de plus facile à comprendre, l’église et le clergé étant au nombre des vaincus de juillet, le pouvoir étant passé en des mains hostiles ou indifférentes, les catholiques, privés de l’appui ou des complaisances du pouvoir, se voyaient contraints de revendiquer au nom des libertés publiques et de la charte des droits et facultés qu’en d’autres temps la plupart d’entre eux eussent réclamés comme une part inaliénable de leur héritage historique, comme des prérogatives imprescriptibles de l’église. L’état et la constitution leur interdisant de se prévaloir d’un droit particulier ou antérieur, d’une sorte de droit divin, les défenseurs de l’église se réclamaient du droit commun, du droit naturel. Chassés des hauteurs privilégiées d’où ils avaient si longtemps régné, ils se reformaient en bataille et se retranchaient dans la plaine où ils avaient été refoulés par la révolution. Cette opération se fit sous l’impulsion et la direction de Montalembert. Ce fut sous ce jeune et brillant leader que s’organisa ce qu’on appela le parti catholique ; et, de fait, vers le milieu de la monarchie de juillet, l’immense majorité des catholiques était d’accord avec Montalembert. Prêtres et laïques se réclamaient plus ou moins nettement de la liberté, jaloux de combattre les ennemis de l’église avec leurs propres armes.

Durant la longue campagne pour la liberté de l’enseignement, les catholiques obéissaient tous au même mot d’ordre. Dans les écrits et les conférences des apologistes, dans la polémique des journaux catholiques, dans les mandemens des évêques, revenait sans cesse le nom de liberté. Anciens amis et anciens adversaires de La Mennais s’étaient tous ralliés sous le même étendard, y voyant avec la promesse d’utiles alliances un sûr gage de victoire. Les représentans les plus autorisés de la tradition ecclésiastique, les hommes les plus imbus de l’esprit sacerdotal et les moins enclins aux nouveautés, tels que l’abbé Dupanloup, qui s’était naguère réjoui de la condamnation de La Mennais et s’y était même employé[13] laissaient de côté leurs vieilles défiances et marchaient d’accord avec le jeune paladin de l’église et de la liberté. Tous, chose nouvelle alors et trop vite oubliée, s’entendaient pour revendiquer la liberté au nom même de la liberté, invoquant l’esprit moderne, tout comme les philosophes, et les conquêtes de la révolution, tout comme les tribuns de la presse ou des chambres. Ainsi l’abbé Dupanloup, qui, à travers les vivacités de sa polémique et l’impétuosité de sa dialectique, eut toujours soin de se tenir à l’écart des thèses risquées et restait en-deçà de beaucoup d’évêques. Alors qu’aujourd’hui même la liberté semble encore à tant de nous l’état de guerre perpétuel, le futur évêque d’Orléans écrivait dès 1845 ce mot profond : « La liberté, c’est la paix. » Dans une sorte de manifeste intitulé la Pacification religieuse, il acceptait au nom du clergé « le véritable esprit de la révolution française » et en invoquait les bienfaits, tout en « en déplorant avec M. Thiers les erreurs et les excès. » — « Vous avez fait la révolution de 1789 sans nous et malgré nous, mais pour nous, » ne craignait pas de conclure le supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas. Et en tenant ce langage, l’abbé Dupanloup, et le clergé dont il était déjà le plus retentissant porte-voix, n’exigeaient rien de plus que la liberté et le droit commun. Cette formule : « La liberté pour tous, sans privilège comme sans exception, » employée par l’archevêque de Tours, était admise de la plupart des évêques[14]. « Nous disions fièrement, a écrit plus tard Montalembert, la vérité a besoin de la liberté et n’a besoin que d’elle ; et aucune voix ne s’élevait alors parmi ceux qui avaient autorité dans l’église pour nous contredire et même pour nous avertir[15]. » Les doctrines de liberté et de droit commun semblaient universellement acceptées et « affichées » par les catholiques de France comme par ceux des pays voisins. Le clergé proclamait d’une voix presque unanime la possibilité et la nécessité d’une entente entre l’église et l’état moderne sur le terrain des libertés politiques. L’un des prélats les plus en vue et les moins suspects d’entraînement, M. Parisis, évêque de Langres, ne craignait pas, dans ses Cas de conscience, de se prononcer pour l’accord de la doctrine catholique avec la forme des gouvernemens modernes, Et ces vues des prêtres et des évêques, les journaux qui depuis se sont constitués les juges des doctrines et les censeurs de l’épiscopat, loin de les désavouer, étaient les plus ardens à les répandre. L’Univers faisait sans scrupule, pour la liberté de la presse et la liberté des cultes, les deux libertés en apparence condamnées par l’encyclique Mirari vos, ce que tous les catholiques faisaient pour la liberté d’enseignement. « La liberté des cultes est chose sacrée pour nous, disait l’Univers, et si nous la revendiquons en notre faveur, nous la voulons au même titre pour toutes les sectes dissidentes. » — « Nous aimons plus la liberté que nous ne redoutons le mal qu’elle peut faire, » écrivait M. Louis Veuillot, le futur adversaire et dénonciateur des catholiques libéraux[16].

Catholiques libéraux, tous les catholiques l’étaient alors plus ou moins. Certes, à travers cette conformité d’opinion et cette unité d’action, on pouvait déjà apercevoir entre eux des différences de goûts, de tempéramens, de tendances. Les uns avaient dans la liberté une foi plus confiante, plus robuste ; les autres ne la réclamaient que par politique et pour ainsi dire sous bénéfice d’inventaire. Pour leur jeune chef, pour le fils des croisés, qui l’avait saluée dès les premiers balbutiemens de sa parole et qui, au seuil de la vieillesse, devait encore dire d’elle : « Je l’adore[17], » la liberté était comme une dame dont il était fier de porter les couleurs et qu’à travers ses passagères défaillances il servait avec une chevaleresque passion, toujours prêt à rompre une lance pour faire confesser à tout venant qu’elle était la plus belle. On n’eût pu demander à tous le même amour, mais tous combattaient avec la même devise sous la même bannière, les uns plus prudens et plus réservés, les autres plus ardens et plus confians, mais tous unis, marchant la main dans la main, s’encourageant et s’excitant, se modérant et se complétant réciproquement. Dans cette brillante et jeune armée, s’il y avait déjà des actes d’indiscipline, spécialement du côté de la presse et de l’Univers, il n’y avait pas de rébellion ni encore moins de guerre civile.

À cette époque, Montalembert était le chef reconnu de tous les catholiques, et l’abbé Dupanloup payait les amendes de M. Veuillot. Le père Lacordaire, se rappelant les divisions passées, ne soupçonnant pas encore les querelles prochaines, traçait dans une lettre familière un piquant tableau de l’union qui régnait entre les catholiques : « Il n’y a pas quinze années encore, écrivait l’ancien rédacteur de l’Avenir, il y avait, des ultramontains et des gallicans, des cartésiens et des menaisiens, des jésuites et des gens qui ne l’étaient pas, des royalistes et des libéraux ; .. aujourd’hui tout le monde s’embrasse, les évêques parlent de liberté et de droit commun ; on accepte la presse, la charte, le temps présent. M. de Montalembert est serré dans les bras des jésuites, les jésuites dînent chez les dominicains, il n’y a plus de cartésiens, de menaisiens, de gallicans, d’ultramontains, tout est fondu et mêlé ensemble[18]. »

En effet, Montalembert à la tribune, Lacordaire et Ravignan dans la chaire de Notre-Dame, Ozanam à la Sorbonne, Dupanloup dans ses brochures, Veuillot dans son journal, combattaient pour la même cause, sinon avec les mêmes armes, du moins sous le même drapeau ; Les premières dissidences datent de la fin de la monarchie de juillet, et elles portaient plutôt sur le ton de la polémique que sur le fond. Elles ne devaient éclater qu’en 1849, à l’heure de la victoire, ainsi qu’il arrive souvent. Jusque-là, il n’y avait guère entre les champions du catholicisme que des différences de talent, de tempérament, d’éducation, d’où devaient, il est vrai, naître en partie les divergences de vues après les dissonances de ton et d’attitude. Chacun, en effet, en servant à son poste la cause commune, se ressentait de son origine autant que de son caractère : Montalembert, conservant à travers la foi chrétienne et le dédain des privilèges la fierté aristocratique du gentilhomme, avec quelque chose de hautain et de chevaleresque à la fois ; Lacordaire, le moine-citoyen, qui se déclarait pénitent catholique et libéral impénitent, inaccessible aux timidités et aux découragemens vulgaires, ayant sous la robe de bure, comme naguère sous la robe de l’avocat, gardé la généreuse confiance de la bourgeoisie de 1830 ; Dupanloup, le prêtre doublé de l’humaniste classique, « vrai homme de guerre par nature, » homme de tradition et d’autorité par éducation et par conviction, exerçant autour de lui le double ascendant du caractère et de l’esprit sacerdotal ; L. Veuillot enfin, le plébéien, l’enfant du peuple, chez lequel le Gaulois perçait sous le chrétien, écrivain de race à la verve populaire, court d’instruction et d’idées, riche d’éloquence, d’émotion, de traits, de sarcasmes, démocrate ou mieux démagogue à sa façon, réaliste ou naturaliste par tempérament et par éducation, journaliste avant tout, en ayant tous les talens et tous les défauts, apportant à l’église l’embarras en même temps que le secours d’une plume trempée plus souvent dans les acres rancœurs du siècle que dans l’onctueuse douceur de l’évangile ; défendant la religion avec les procédés, les gestes, le ton de voix, le vocabulaire de ses adversaires les moins scrupuleux et les moins raffinés, autoritaire par goût et bientôt par système, n’ayant guère jamais vu dans la liberté qu’une enseigne bonne à séduire les badauds. En dehors même du directeur de l’Univers, qui était comme égaré au milieu d’eux, et dont le langage et les violences excitèrent, dès les premières années, leurs inquiétudes et leurs secrètes tristesses, des hommes aussi différens, d’une personnalité aussi tranchée, ne pouvaient sur tous les points toujours penser et agir de même. Ils ne pouvaient rester unis, comme il appartient à des esprits d’élite, qu’à force de tolérance et d’estime réciproque. Leur union était maintenue par des liens d’amitié qui la préservèrent jusqu’au bout à travers les dissentimens de détails et les désaccords passagers. Ils avaient un égal dévouaient à la cause commune et une même conviction sur la manière de la servir ; la désertion d’une partie de leurs amis ne devait faire que les serrer les uns contre les autres sur le terrain des libertés publiques, où eux du moins s’étaient sincèrement et résolument établis.


V

La liberté, dont le nom, depuis un siècle, a servi de réclame à des doctrines si différentes, est une chose essentiellement multiple, bien que malaisée à scinder. Elle se présente sous des aspects divers qui sont Loin d’exciter les mêmes sentimens chez tous les hommes ; beaucoup la vénèrent sous une face qui la maudissent sous une autre. Ce qui fait le prix de la liberté politique, de la liberté sans épithète, c’est qu’elle est la meilleure garantie des autres ; c’est que, alors même qu’elle les conteste ou les supprime, elle fournit des armes pour les reconquérir. Les catholiques de 1840 le comprenaient, et c’est pour cela que, en France comme en Belgique, la plupart étaient libéraux. Entre toutes les libertés publiques, deux surtout tiennent au cœur des catholiques, les deux dont les gouvernemens leur disputent le plus souvent l’usage : la liberté d’enseignement et celle d’association, deux facultés presque également essentielles à sa mission, que l’église revendique comme un droit naturel chaque fois qu’elle ne peut les exercer comme un privilège. C’est ce double besoin qui, à quarante ans de distance, a contraint les catholiques de se réclamer de nouveau du nom de liberté, alors même qu’ils ont cessé de se dire libéraux et que beaucoup s’en sont volontairement enlevé le droit. C’est autour de ces deux questions, intimement liées l’une à l’autre, qu’au XXe siècle comme au XIXe, porteront principalement les luttes religieuses, jusqu’à l’ère encore éloignée de la pacification définitive dans le règne incontesté de la liberté. Sur ces deux points, non moins débattus sous la monarchie de juillet qu’aujourd’hui, les catholiques de 1840 prétendaient bien défendre les droits de la conscience avec les intérêts de l’église.

La révolution a, pour le droit d’association, fait parfois aux catholiques une situation aussi dure qu’irrationnelle. Ce droit, dont elles avaient longtemps été investies à titre de privilège, les congrégations religieuses se le sont vu disputer, alors qu’en principe on le proclamait pour tous. Après avoir été, pour ainsi dire, au-dessus de la loi, elles ont été en quelque sorte mises hors la loi, hors du droit commun par les défiances des gouvernemens ou les haines de la démocratie. Comme s’il ne pouvait se renfermer dans sa sphère légitime, l’état, après avoir imposé le respect des vœux monastiques, a prétendu les interdire ou les réglementer à sa guise. Aux prétentions de l’état les catholiques libéraux opposaient la liberté et l’égalité devant la loi. Ils étaient tous trop profondément catholiques pour ne pas prendre en main la cause des moines, qui sont la grande originalité et la grande force du catholicisme. La renaissance monastique du XIXe siècle était pour eux un des meilleurs signes de la renaissance religieuse, et ils pouvaient se flatter d’y avoir largement contribué. Tous avaient le respect et l’amour du froc. Lacordaire était fier de le porter, Montalembert s’en faisait l’historien. Rien ne leur tenait plus à cœur que de rendre en France à l’habit religieux le droit de bourgeoisie qu’il avait perdu en 1790. Sentant que, pour l’église comme pour l’état, le terrain de la liberté était le plus sûr, ils refusaient dès lors de se prêter à la distinction des congrégations reconnues et non reconnues ; ils préféraient n’invoquer que le droit naturel et le droit public.

Ils agirent à cet égard avec non moins de résolution que pour la liberté d’enseignement. Convaincus, selon le mot de l’un d’entre eux, que la liberté se prend et ne se donne pas, ils affirmèrent leur droit en l’exerçant. De même que, en 1831, ses amis et lui avaient, à l’encontre des lois existantes, fondé une école libre, Lacordaire, la tête rasée, se montrait un jour aux yeux étonnés de son auditoire de Notre-Dame, dans la robe blanche et le manteau noir de Saint-Dominique[19]. Entre tous les ordres monastiques il avait choisi celui contre lequel paraissaient s’élever le plus de souvenirs. Ressusciter en France, en plein XIXe siècle, l’ordre de Torquemada et de Jacques Clément, n’était-ce pas un défi à l’esprit public et à cette liberté moderne dont on réclamait si hardiment sa part ? Telle n’était pas, sans doute, dans son audace calculée, la pensée de Lacordaire. S’il ne lui déplaisait pas d’affronter les préventions du siècle, ce qui l’attirait vers les frères prêcheurs, vers ceux qu’un ancien sobriquet surnommait les Domini canes, ce n’était certes pas leur rôle dans la fondation du saint-office, c’étaient plutôt les grands souvenirs de saint Thomas d’Aquin et de Savonarole, ce nom même de frères prêcheurs qui allait à la vocation et au caractère militant de l’orateur catholique, et aussi peut-être les règles de l’ordre, ces règles d’une austérité à décourager la mollesse contemporaine, mais dont les constitutions démocratiques et électives semblaient mieux que toute autre charte monastique s’adapter à la pratique de la liberté moderne.

Avec un grand sens, Lacordaire avait en tout cas compris ce que donne de force et de durée la perpétuité d’une famille monastique, dans laquelle les idées et les affections se transmettent de main en main plus sûrement que dans une famille selon le sang. En cela il avait vu juste : grâce à sa prise d’habit, l’ardent orateur s’est, avec son libre esprit, avec sa flamme et sa sympathique compréhension du monde moderne, survécu dans les enfans qu’il avait engendrés à la vie religieuse et élevés à l’amour de leur époque et de leur pays en même temps qu’à l’amour de l’église. Après bientôt un demi-siècle, l’ordre restauré par Lacordaire est demeuré la portion la plus libérale du clergé français, la plus ouverte aux idées du dehors, la plus intelligente de l’esprit nouveau, la plus désireuse de le réconcilier avec l’église. Il serait facile de le prouver avec des noms propres ; on n’aurait que l’embarras du choix. Cela n’a pas empêché les fils de Lacordaire de compter, en 1871, des martyrs parmi les victimes du fanatisme irréligieux et de l’aveugle férocité des foules incrédules. Cela ne les a pas empêchés de voir, en 1880, leurs couvens et leurs collèges fermés en vertu de lois que cinquante ans de tolérance publique pouvaient faire croire surannées, ni d’être violemment dispersés au nom d’un gouvernement dont, à l’instar de leur restaurateur, ils admettaient loyalement le principe et qu’on eût cru intéressé à laisser circuler sous l’habit de Saint-Dominique un souffle libéral dans l’église. Il est vrai que, si depuis trente ans, tout le clergé eût partagé les sentimens et témoigné du même esprit que les héritiers de Lacordaire, la soutane noire ou blanche n’eût peut-être pas excité les mêmes fureurs chez un peuple en démence, et l’on n’eût peut-être pas vu les pacifiques habitans des abbayes de la Trappe ou de Solesme privés de la liberté de jeûner en commun, de garder le silence sous les froides arcades de leurs cloîtres, ou de se relever de nuit pour psalmodier ensemble au milieu des ténèbres des cantiques en langue morte.

Le procès de la liberté monastique, Lacordaire l’avait, sous la monarchie de juillet, gagné devant l’opinion, moins par son éloquence et sa résolution que par son libéralisme notoire, que par son adhésion publique et répétée aux principes de la société moderne[20]. La liberté des associations religieuses ainsi reconquise, les catholiques libéraux, ou ceux qu’on devait plus tard désigner ainsi, étaient loin de la réclamer uniquement pour leurs amis. Ils la revendiquaient pour tous, sans en excepter l’ordre qui passait pour le moins favorable à leurs idées et parmi lequel ils étaient exposés à rencontrer le plus d’adversaires. Les jésuites français ne se séparaient pas, il est vrai, des autres catholiques et ne répudiaient ni le concours ni les doctrines des « libéraux. » — « Nous servions tous deux la liberté chrétienne sous le drapeau de la liberté publique, a dit du père de Ravignan le père Lacordaire dans sa notice sur son éloquent émule. C’était comme citoyen, au nom de la charte et de la liberté de conscience que Ravignan, dans un écrit public, réclamait le droit d’être et de se dire jésuite. Lorsque, en 1844, au plus fort de la campagne pour la liberté de l’enseignement, les universitaires, assiégés par les ennemis du monopole, imaginèrent pour rompre les lignes d’investissement une diversion contre les jésuites, Montalembert et ses amis, loin d’abandonner ces alliés compromettans, mirent à les défendre plus de chaleur et d’opiniâtreté que l’épiscopat et que la cour même de Rome[21]. Comme c’était au nom d’un principe de liberté, ou mieux au nom de l’égalité devant la loi, qu’ils maintenaient le droit des jésuites à enseigner aussi bien qu’à vivre en commun, ils se montrèrent plus opposés que les évêques et que la compagnie de Jésus elle-même au compromis qui, pour la faire tolérer en France, aliénait une partie de ses droits. Ils savaient du reste que le gouvernement « tenait à n’être pas persécuteur » et qu’il voulait éviter toute apparence de violence. Ce fut malgré les conseils de Montalembert que M. Guizot, aidé de Rossi, obtînt du saint-siège et du général des jésuites la dispersion volontaire des membres de l’ordre et la fermeture spontanée de leur noviciat. A une pareille transaction plusieurs des hommes qui se tenaient ferme sur le terrain du droit commun eussent préféré la guerre ouverte. Aussi l’évêque de Langres, en cela leur organe, avait-il conjuré les jésuites de subir toute espèce de persécution plutôt que de sacrifier « le principe de liberté qui est humainement aujourd’hui le boulevard de l’église[22]. »

Sous la monarchie de juillet, comme sous la troisième république, la cause des associations religieuses se liait intimement à celle de la liberté d’enseignement, et alors de même qu’aujourd’hui, s’il avait pour lui l’opinion populaire et peut-être les nécessités de la politique, le gouvernement n’avait de son côté ni les principes ni la logique. Montalembert et ses amis avaient l’avantage de combattre pour la liberté de l’enseignement « une main sur l’évangile et l’autre sur la charte » qui l’avait promise sans la donner. Cette dette de la monarchie, dont durant dix-huit ans les catholiques ne cessèrent de réclamer le paiement, ne fut soldée que par la république. A la fin du règne de Louis-Philippe, la plupart des catholiques, las d’une guerre de quinze ans, las de ne pouvoir faire brèche au monopole universitaire, étaient découragés. Montalembert et Dupanloup déploraient entre eux la faiblesse et l’inertie de l’épiscopat[23]. Leur cause, il faut le dire, avait comme d’habitude été compromise par les excès et les intempérances de certains de leurs alliés par d’injustes et calomnieuses attaques contre l’enseignement et la moralité de l’université, par la violence d’une presse religieuse qui commençait à déconsidérer une cause que les sarcasmes et l’injure n’ont jamais servie. Aussi les catholiques eussent-ils pu attendre longtemps la victoire sans l’aide inattendue d’un de ces bouleversemens, qui, à la courte échéance de quinze ou vingt ans, viennent périodiquement renverser les gouvernemens de la France.


VI

La révolution de 1830 avait été en grande partie faite contre le clergé, celle de 1848 fut faite sinon pour lui, du moins à son profit. Quel changement en moins d’une génération ! Le peuple qui, dix-sept ans plus tôt, saccageait l’Archevêché et poursuivait dans les rues le costume ecclésiastique, appelait le clergé à bénir ses frêles arbres de la liberté. La première assemblée élue par le suffrage universel inscrivait le nom de Dieu au fronton de sa constitution républicaine. Les catholiques qui avaient donné à leurs coreligionnaires le mot d’ordre de liberté eussent pu réclamer le mérite de ce prompt revirement populaire. Ils recueillaient alors, avec le bénéfice de la froideur ou des ombrages que leur avait témoignés la monarchie de juillet, le bénéfice de leur indépendance vis-à-vis de la royauté déchue, et aussi de la popularité que valait alors partout au clergé l’attitude du nouveau pape, Pie IX.

Aucun parti n’était mieux préparé à profiter d’une révolution qu’ils n’avaient pas appelée, mais qui semble les avoir moins surpris que la plupart des vaincus ou des vainqueurs du jour. Libres pour le plus grand nombre de toute attache dynastique, ils se déclaraient par la bouche de Montalembert « prêts à descendre dans l’arène avec leurs concitoyens pour revendiquer toutes les libertés politiques et sociales[24]. » Ils étaient disposés à s’associer loyalement aux espérances et aux expériences de la nation. Comme la révolution de février se montrait respectueuse de l’église, ils pouvaient sans scrupules faire bon visage à la république. Les plus ardens, Ozanam et l’abbé Maret, depuis évêque de Sura, fondaient, sous la direction de Lacordaire, un journal républicain catholique, l’Ère nouvelle, qui sembla reprendre le programme politique de l’Avenir. L’Univers ne restait pas en arrière ; il était de ceux qui prêchaient que la démocratie n’était qu’une application du christianisme et que la révolution de 1848 était l’avènement de la pensée chrétienne dans le gouvernement de la société. Tous étaient loin d’aller jusque-là ; mais la plupart parlaient le langage du temps et, comme bien d’autres, ils le parlaient avec la sincérité de l’illusion et l’espèce d’abandon confiant qui accompagne les premières semaines des révolutions. Les journées de juin vinrent bientôt, parmi eux comme dans le pays presque tout entier, décourager les optimistes, raviver les défiances contre la démocratie et faire prévaloir une politique de pessimisme et de résistance.

Au milieu du désarroi des partis et de l’effarement de l’opinion, les inquiétudes du pays donnaient aux défenseurs attitrés de l’église un ascendant qui eût paru inouï quelques mois plus tôt. Leurs chefs surent le mettre à profit avec un singulier esprit politique. Parmi les plus jeunes députés de la fin du dernier règne, les catholiques avaient rencontré un homme d’état de race, chez lequel un tact politique inné tenait lieu d’expérience, un homme d’un esprit à la fois fin et élevé, d’une éloquence noble et simple, possédant à un haut degré la première qualité d’un homme de gouvernement, le sens pratique. Plus froid que Montalembert, qui était plutôt un agitateur qu’un chef de parti, moins accessible à l’engouement comme au découragement, M. de Falloux était par là même plus propre à la direction d’un gouvernement et à la conduite des affaires. Ce fut l’homme politique des catholiques ; il avait l’avantage de n’avoir d’illusions ni sur les personnes ni sur les choses. Les catholiques les plus illustres, au dedans et au dehors des assemblées, étaient du reste d’accord. Si, en décembre 1848, M. de Falloux fit taire ses répugnances à entrer au ministère, ce ne fut que sur les instances, ou mieux sous la pression de Montalembert et de Dupanloup[25]. Les rivalités de personnes leur étaient absolument étrangères, ils ne songeaient qu’à la défense de la cause commune et ils étaient d’accord sur la tactique à suivre. A l’opinion publique, encore mal remise des terreurs de juin, à la société en péril, ils offraient le secours de la seule force restée debout, la religion. Dans le désordre qui suivait la tempête, au lendemain de la secousse où l’état avait cru périr, leur voix fut entendue. Ils trouvèrent comme allié un de leurs plus redoutables adversaires de la veille, M. Thiers. La bourgeoisie sceptique avait, devant le déchaînement populaire, perdu l’assurance de son optimisme. Ainsi s’explique la loi sur l’enseignement de 1850. Pour les catholiques qui la provoquèrent, comme pour les politiques qui l’acceptèrent, ce fut avant tout une loi de salut social.

Nous n’avons ici ni à étudier ni à juger cette loi fameuse. Nous pourrions pour cela renvoyer au jugement porté par un ancien universitaire, demeuré fidèle au principe de liberté[26]. Cette loi, que l’on a comparée à l’édit de Nantes et au concordat, était à bien des égards, tout comme le concordat et l’édit de Nantes, un compromis, un traité de paix après de longues hostilités. La guerre de vingt ans de l’église et de l’université se terminait par un partage du territoire en litige, c’est-à-dire de l’enseignement. Aussi l’instrument diplomatique, la loi qui consacrait les conditions de cet accord, est-elle réellement sortie des négociations menées en dehors de la chambre, dans la grande commission, où sous l’arbitrage et la présidence de M. Thiers, représentant les intérêts de l’état, siégeaient les représentai de l’église, tels que M. Dupanloup, et ceux de l’université, tels que Cousin et Saint-Marc Girardin.

De là les mérites et aussi les défauts, de là le fort et le faible de la loi de 1850. C’était un traité de paix entre deux puissances rivales en face d’un ennemi commun, et, comme il arrive de la plupart des traités, celui-là n’était sûr d’être respecté qu’autant que la force et les intérêts des deux parties contractantes resteraient à peu près dans la même situation. En pareil cas, un traité ou un acte législatif a d’autant plus de chances de durée qu’il paraît moins léonin, que les vainqueurs du jour s’y font concéder moins d’avantages. C’est malheureusement ce que, aux heures de triomphe, oublient presque toujours les partis ou les peuples. Il eût ainsi été peut-être plus politique de la part des catholiques de ne pas pousser aussi loin leurs conquêtes, de montrer moins d’exigences, de s’en tenir strictement à la liberté, en répudiant tout ce qui avait l’air d’un privilège. A cet égard, la loi de 1850, comme plus tard, bien qu’à un moindre degré, la loi sur l’enseignement supérieur de 1873, était pour les catholiques un triomphe trop complet pour être longtemps toléré du pouvoir civil. Plusieurs articles étaient une sorte d’imprudence de la part de ceux qui les avaient fait insérer, l’ensemble de la loi risquait d’en être tôt ou tard compromis. Telle était, par exemple, la place prépondérante faite au clergé dans les conseils de l’instruction publique, que la loi, du reste, avait le mérite de rendre électifs. Telle était surtout la dispense de diplôme accordée aux congréganistes. Une telle inégalité ne pouvait se concevoir que pour une période de transition. Le privilège de la lettre d’obédience était trop manifeste pour être longtemps accepté ; ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’il ait duré trente ans.

Une chose certaine, c’est que cette loi de 1850, dont le principal avantage était de substituer la concurrence au monopole, devait rester la plus favorable à l’église que les catholiques aient connue dans ce siècle. Ils n’en reverront assurément jamais de pareille en France. Or, cette loi qui nous semble si propice aux intérêts religieux, les catholiques furent loin d’en être tous satisfaits. Plusieurs, et non des moins écoutés, la trouvèrent insuffisante, nuisible même. Cette charte d’émancipation de l’enseignement, ainsi que l’appelait en 1880 un sénateur catholique[27], devint le point de départ de la scission du parti catholique. On croirait qu’elle n’eût dû être combattue que par les avocats de la démocratie ou par les défenseurs des droits de l’état. Nullement, elle compta parmi ses plus ardens adversaires la principale feuille religieuse, l’Univers. Il est vrai que, près de certains libéraux de 1830, tels que M. de Rémusat, cette opposition ne fut pas étrangère au succès de la loi, en rassurant les hommes inquiets des prétentions ultramontaines. « Les attaques de l’Univers nous ont valu cinquante voix, » me disait à ce propos M. de Falloux[28].

Cette loi qui, d’après la gauche, livrait la France à l’église et aux jésuites, l’organe le plus répandu des catholiques la déclarait a une déception, une défaillance de la raison et de la conscience, un pacte avec le mal, une monstrueuse alliance des ministres de Satan avec ceux du Christ. » Que lui reprochaient les intransigeants de droite ? Ils lui faisaient au fond le même procès que les démocrates de gauche, tant il es vrai que les partis extrêmes ont même esprit et même méthode ! Ils lui reprochaient de rompre l’unité morale de la France, réclamant l’unité religieuse comme d’autres l’unité nationale, prétendant jeter les générations dans un moule uniforme et mettre sans partage la main sur les âmes. Ils accusaient M. de Falloux d’avoir sacrifié les principes et proclamé le dogme de l’indifférence religieuse. Ils s’élevaient en particulier contre le droit d’inspection de l’état, réduit pourtant au minimum. Ils allaient jusqu’à s’irriter de la présence des évêques au milieu des incrédules du conseil de l’instruction publique. Rien ne trouvait grâce devant l’incurable défiance des purs, ni la loi, ni ses auteurs, ni M. de Falloux, ni Montalembert, ni M. Dupanloup, que, dans sa correspondance, Louis Veuillot signalait comme le mauvais génie de Montalembert. Bien plus, le père de Ravignan, qui, en cela, comme d’habitude, marchait d’accord avec M. Dupanloup, se vit dénoncer à Rome, auprès du général des jésuites, comme un des fauteurs de ce projet de loi schismatique, pour avoir apporté aux fils de Voltaire le scandaleux concours des fus de Loyola[29]. Il ne fallut rien moins que l’intervention directe du Vatican et du nonce, sur la demande d’un grand nombre d’évêques, pour faire taire l’opposition de la feuille ultramontaine. Si grande que se montre, dans tous les camps, la déraison des partis, rarement on a vu un pareil aveuglement. Durant les longs mois pendant lesquels le sort en fut suspendu, la loi de ce siècle la plus favorable à l’église coûta à ses défenseurs presque autant d’efforts à Rome qu’à Paris[30].

Les chefs politiques et religieux du parti catholique, du parti que M. Thiers devait bientôt appeler le parti des ingrats, étaient navrés de ce qu’ils appelaient la folie effroyable de l’Univers. « Ce journal, écrivait M. Dupanloup en 1849, est une plaie vive au sein de l’église de France. Il y a déjà fait de grands maux, il en prépare de plus grands encore ; vous le verrez si on ne l’arrête pas. » Et quelques mois plus tard, en février 1850 : « Je le répète, c’est une plaie qui sera bientôt inguérissable. Il y faudrait immédiatement un coup décisif, mais qui ose quelque chose ? » Avec un tel journal, en 1801, ajoutait l’évêque d’Orléans, le concordat était impossible[31].

La plaie, ainsi que s’exprimait M. Dupanloup récemment nommé évêque, allait devenir chaque jour plus large et plus profonde. Une loi qui semblait consacrer le triomphe de leurs communs efforts durant vingt ans avait, pour plus d’une génération, brisé le faisceau des forces catholiques. « J’ai vu, disait Montalembert, j’ai vu se dissoudre l’armée que j’avais formée pendant vingt années de luttes. « Il voyait, en effet, son plus brillant lieutenant, à la tête du gros de ses troupes, abandonner le terrain où ils avaient combattu ensemble, et, malgré un dernier effort pour les y ramener, il n’y devait jamais parvenir. La rupture était définitive. L’Univers, qui n’avait pas reculé devant elle, allait prendre soin de l’accentuer. M. Veuillot se félicitait d’en avoir pris l’initiative. Il écrivait alors à un prélat de ses amis « qu’il fallait au plus vite diviser le parti catholique pour en sauver quelque chose et éviter qu’il ne tombât tout entier sur la question religieuse dans les bras de l’Université, sur la question politique dans le jeu du conservatisme bourgeois, représenté par M. Thiers[32]. »

Ce qui blessait particulièrement le directeur de l’Univers, c’était en effet de voir des catholiques donner la main à M. Thiers et à leurs anciens adversaires, qui, pour lui, demeuraient toujours des révolutionnaires aussi bien que des incrédules. Au lieu de se demander en homme politique pour qui était le principal profit d’une pareille alliance, le fougueux polémiste la condamnait comme une faiblesse ou une duperie, reprochant à M. Thiers de « garder tous ses vieux et mauvais sentimens, » se refusant à traiter « comme l’espérance de la religion » un homme « qui voulait fortifier le parti des révolutionnaires contens et repus, dont il était le chef, d’un corps de gendarmes en soutane à cause de l’insuffisance manifeste des autres[33]. » Dans sa répulsion pour tous les compromis d’où était sortie la loi, qu’il qualifiait de manque de foi, le chef des intransigeans se vantait de s’être opposé à l’entrée au ministère de l’homme politique auquel, plus qu’à tout autre, les catholiques devaient la liberté d’enseignement et la restauration du trône pontifical, accusant M. de Falloux de n’être pas « un catholique avant tout, » et lui disputant, pour le transférer au futur allié de Cavour, le mérite devant l’église de l’expédition de Rome[34].

On voit par ces lettres privées, mieux encore que par l’aigre polémique de la presse, combien graves étaient les dissentimens qui séparaient les catholiques. Ceux qui avaient le plus fait pour l’église, ceux auxquels la religion et la papauté devaient leur triomphe de 1849 et 1850, allaient bientôt se voir dénoncer publiquement comme leurs plus dangereux ennemis. Désormais les fidèles et le clergé allaient se trouver partagés « en deux camps en conflit sous le même drapeau[35]. » Toute l’histoire du parti catholique depuis 1850 n’est plus qu’une longue guerre civile, et, dans cette guerre envenimée par les ressentimens et les rancunes de toutes les luttes intestines, les libéraux et les politiques devaient avoir le chagrin de voir la faction adverse perdre par ses témérités ou compromettre par ses folles provocations tout ce qu’ils avaient conquis par vingt ans de sagesse.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Le lecteur remarquera que, dans tout le cours de cette étude, nous nous sommes interdit l’expression, fréquemment employée par d’autres, de catholicisme libéral. C’est qu’à nos yeux, c’est là un terme à tout le moins impropre, qui a le tort de prêter à l’équivoque. Ainsi que nous le rappellerons plus loin, il n’y eut jamais là, en effet, de catholicisme d’un genre particulier. Jusque chez les plus hardis d’entre eux, le libéralisme de ces catholiques libéraux est toujours demeuré d’ordre politique, entièrement étranger à la sphère religieuse.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1883, un Philosophe historien : M. Taine.
  3. Voyez, par exemple, le Christianisme et les Temps présens, par M. l’abbé Bougaud, t. IV, p. 407-410, et le dernier ouvrage de M, Maret, évêque de Sura.
  4. Voyez le Vandalisme dans l’art, lettre de Montalembert à Victor Hugo.
  5. Montalembert, Avant-propos de ses œuvres, page 17.
  6. M. de Falloux, le Parti catholique, réimprimé dans le t. Ier de ses Discours et Mélanges politiques.
  7. Voyez la Correspondance de La Mennais à différentes époques.
  8. Lacordaire écrivait le 7 juin 1825 : « Je n’aime ni le système de M. de La Mennais, que je crois faux, ni ses opinions politiques, que je trouve exagérées. » (Voy. le Père Lacordaire, par Montalembert, p. 12.)
  9. Épigraphe de l’Avenir.
  10. Avenir du 11 octobre 1830.
  11. M. Thoreau-Dangin, Histoire de la monarchie de juillet.
  12. « Au temps de ma jeunesse, écrivait Lacordaire, dans ses derniers jours, je voulais, comme la plupart de mos contemporains, le triomphe définitif des principes de 89 ; mais la question libérale ne se présentait à moi qu’au point de vue de la patrie et de l’humanité. Quand je fus chrétien, mon libéralisme embrassa tout ensemble la France et l’église, car je compris que l’église avait besoin d’invoquer la liberté et de réclamer sa part du droit nouveau. » (Testament du P. Lacordaire.)
  13. Voyez la Vie de Monseigneur Dupanloup, par l’abbé Lagrange, t. Ier p. 131-134.
  14. Ibid., t. Ier, p. 348-349.
  15. Montalembert, Avant-propos de ses Œuvres, p. 20.
  16. Textes tirés de l’Univers de 1845 à 1849 et cités avec d’autres analogues par le biographe de M. Dupanloup, t. Ier, p. 348.
  17. Montalembert, Moines d’Occident, Introduction, dernier chapitre.
  18. Lettre à Mme Swetchine, 18 juin 1844.
  19. Lacordaire annonçait nettement en fondant ses diverses maisons l’intention de recommencer au besoin le procès de l’école libre de 1831. « Se laisser tirer de chez soi par la force, y rentrer dès que la force sera loin ; protester publiquement, réclamer judiciairement la jouissance de la propriété ; la jouissance reconnue, y rentrer avec les siens ; » telle était la ligne de conduite qu’il s’était tracée et qu’il conseillait à toutes les communautés menacées. La modération du roi, celle de ses ministres et l’influence de la libre discussion, le dispensèrent de ces luttes judiciaires. (Voyez la Vie du père Lacordaire, par Foisset et le Père Lacordaire, par Montalembert.)
  20. Voyez son Mémoire pour le rétablissement des frères prêcheurs.
  21. Voyez la Vie de Monseigneur Dupanloup, par l’abbé Lagrange, t. Ier, p. 426, et les discours de Montalembert à la chambre des pairs, par exemple le 8 mai 1844.
  22. Lacordaire, il est vrai, en cela peut-être plus pratique que beaucoup de ses amis, n’était pas aussi opposé à un pareil compromis. Il craignait que la politique du tout ou rien n’entraînât, avec la proscription des jésuites, la ruine des dominicains et des autres congrégations à peine rétablies.
  23. L’abbé Lagrange, Vie de Monseigneur Dupanloup, t. Ier, p. 430.
  24. Montalembert ; Manifeste du 28 février 1848.
  25. M. de Falloux en a fait lui-même le récit dans un volume sur l’évêque d’Orléans.
  26. Voyez Dieu, Patrie et Liberté, par M. Jules Simon ; et aussi la Liberté d’enseignement et l’Université sous la troisième république, par M. Emile Beaussire.
  27. Discours de M. Chesnelong en mai 1880.
  28. C’est du reste à l’occasion de la liberté d’enseignement que s’étaient manifestées, dès avant 1848, les premières divergences publiques des catholiques. L’Univers avait déjà, en 1847, pris M. Dupanloup à partie pour ses concessions aux universitaires et à l’état. (Lagrange, t. 1, p. 414-415.)
  29. Vie du père de Ravignan, par le père de Ponlevoy, t. II, chap. XX.
  30. Voyez, par exemple, Vie de Monseigneur Dupanloup, par l’abbé Lagrange, t. I, p. 510-511.
  31. Lettres de M. Dupanloup à la princesse B.., 15 septembre 1849, 25 février et 25 mars 1850.
  32. Lettre inédite de M. Louis Veuillot à M. Rendu, évêque d’Annecy, 2 août 1849.
  33. Lettre à M. Rendu, évêque d’Annecy.
  34. « Je n’ai jamais compté sur lui (M. de Falloux). Quoique chrétien plein de ferveur, il n’a jamais été des nôtres, ce que nous appelons un catholique avant tout. Il l’a cru et beaucoup d’autres comme lui ; il le croit encore peut-être. Moi, je ne m’y suis point trompé, et j’étais si fixé sur ce point avant le 10 décembre 1848 que j’ai beaucoup insisté, dans un conseil qui a été tenu entre nous, pour qu’il n’entrât pas au ministère. Ma vraie raison, que je n’ai point osé dire, était qu’il laisserait nos idées à la porte. Il n’y a point manqué. C’est un homme d’accommodement, de transaction et d’affaires, avec beaucoup plus d’ambition qu’il ne suppose en avoir. M. Dupanloup de même. Ce n’est pas M. de Falloux, comme on le pense, qui a rétabli le pape, c’est le président, qui a mis dans toute cette affaire une volonté inflexible et beaucoup de cœur, etc. » (Lettre à M. Rendu, évêque d’Annecy, 2 août 1849.)
  35. M. de Falloux, le Parti catholique.