Louise Dormienne alias
édition numérique : Bibliothèque numérique romande (BNR) (p. 83-96).

IV

LA VOLUPTÉ

Louise de Bescé avait trouvé, dans le jeune homme à la « taille de plume », l’amant rêvé, riche, de bonne éducation et amoureux, qui assurerait son avenir.

Mais le destin voulait que la jeune fille fût rejetée encore une fois dans la misère. Elle était depuis quatre jours avec lui et il n’avait fait que lui acheter quelques bijoux, robes et vêtements intimes, quand, en descendant de son auto sur le boulevard Haussmann, un soir, il mit un pied dans un trou de pavage, tomba, et roula si malheureusement sous les bandages d’un autobus qu’il fut tué net.

Louise n’était pas avec lui ce soir-là. Elle apprit le lendemain par les journaux ce malheur qui la rejetait dans la prostitution. Elle resta presque un mois sans retourner à la rue quêter le mâle en désir.

Il lui fallut pourtant s’y décider lorsque sa fortune fut réduite à cinq cents francs.

Elle retourna sur le boulevard des Batignolles.

Cette fois personne ne l’accosta. Elle descendit alors, par la rue de Rome, vers la gare Saint-Lazare et parvenait au croisement de la rue de la Pépinière quand une main lui frappa sur l’épaule.

Elle se retourna, croyant sentir un ennemi et prête à faire front. Mais c’était tout bonnement un pauvre homme à chaussures éculées, et qui semblait quelque rond-de-cuir misérable.

— Que voulez-vous, monsieur ?

— Mademoiselle, je vous demande pardon, je me suis trompé. Je vous prenais pour une connaissance, une petite amie.

Il la regardait avec des yeux peut-être naïfs.

— Alors monsieur, excusez-moi de ne pas être votre petite amie.

L’homme hésita, puis, se décidant :

— Vous pourriez être une nouvelle petite amie…

— Vraiment ! Il me semble que je risquerais de troubler l’équilibre de votre budget. Je suis une amie coûteuse…

Le pauvre homme eut l’air apitoyé :

— Mon Dieu, si un billet de mille francs est par trop au-dessous de votre désir, je le regrette, mais, si nous nous entendions, je pourrais vous en donner d’autres.

Louise de Bescé se mit à rire.

— Et me voilà bientôt complice… ou inculpée avec vous !

Car il lui semblait, si cet homme avait de l’argent, qu’il devait l’avoir certes volé à un patron trop bénévole.

Mais lui, sans paraître vexé :

— Mademoiselle, pour vous apprendre à ne point juger les gens sur la mine, sachez que je suis le baron de Blottsberg.

Louise n’aimait pas qu’on lui fît la leçon et repartit du tac au tac :

— La Banque du Centre vous a bien eu tout de même, dans le boom sur les Platines du Puy-de-Dôme…

L’autre tiqua :

— Oh ! Oh ! je me suis trompé. Vous connaissez cette histoire ? C’est extraordinaire !

— Oui ! et celles de la compagnie Hogskief.

— Bah ! Vous êtes dans les secrets des dieux, je vois. Mais j’ai eu Bescé à mon tour avec la Hogskief. Il a dû finir par se débarrasser à perte de son paquet de titres. Heureusement que je suis outillé contre cet homme par la fille de Séligman, qui sait tout du dadais de fils.

Le baron de Blottsberg parlait très à l’aise, comme dans son bureau. Il ne voyait aucun inconvénient de dire à une petite femme sans intérêt un secret délicat des affaires. Il ne pouvait pas digérer d’ailleurs les Platines du Puy-de-Dôme, où le groupe Bescé, sachant Blottsberg à la baisse, avait fait grimper les titres à cinq mille.

Blottsberg avait dû battre en retraite, laissant douze millions dans le coup. Aussi sa rancune le poussait-elle à se vanter de sa revanche et il révélait par orgueil le mystère qui lui permettait d’avoir désormais les Bescé. Julia Séligman, princesse Spligarsy, était une espionne au service du banquier juif.

Louise sentit le sang des Bescé irriguer son cerveau ; l’orgueil héréditaire la dressa hautainement. Elle dit :

— Ah oui, l’espionnage ! Ce sont des armes dont on n’use pas dans ma famille…

— Dans votre famille ? dit en ouvrant de grands yeux le financier ahuri.

Comme Louise le dévisageait avec un rire de mépris, il redevint soudain cauteleux et inquiet, l’œil faux et la lippe tombante.

— Voulez-vous tout de même m’accompagner ?

Il avait deviné que ce fût là cette fille du marquis de Bescé, dont la fuite avait jadis défrayé secrètement la chronique. Il désira aussitôt se venger moralement pour l’affaire qui lui avait coûté douze millions. Louise le comprit. Elle parut rêver un instant, puis, avec un sourire aigu, accepta. L’idée d’une vengeance naissait de même en sa pensée.

Le banquier fit un geste en l’air, et, obéissant comme un chien fidèle, le chauffeur d’une vaste limousine vint s’arrêter aussitôt au ras du trottoir, où les deux interlocuteurs avaient échangé leurs aménités. Blottsberg ouvrit la portière. Louise monta. Il la suivit et l’auto démarra.

Tous deux se regardèrent avec ces yeux volontairement illisibles des gens prêts à entamer une lutte. Le financier calculait tous les actes possibles et leurs incidences.

— Mademoiselle, dit-il enfin, c’est un grand honneur pour cette voiture que de recevoir la fille de mon ennemi.

Brutale, elle riposta :

— Il n’y a ici ni amis ni ennemis, mais un homme qui a envie d’une femme. Nos relations ont commencé avec ce désir. Elles sont étrangères à tout ce qui n’est pas ce désir. C’est donc de lui qu’il faut parler.

Étonné, le juif glissa un coup d’œil sournois sous ses paupières lourdes. Ce n’était pas là une façon de converser d’amour. Il était décontenancé, car toute sincérité fruste le gênait. Il dit encore :

— Pourtant, je vous assure…

— Pas de pourtant, s’il vous plaît, reprit-elle avec insolence. Et pour pallier ce que cet ordre avait d’excessif, elle troussa sa jupe et, se tournant, fit saillir sa croupe nue.

— Ceci, compléta-t-elle en se rasseyant, n’est-il pas plus intéressant que la Bourse ?

Il voulut plaisanter :

— Cela concerne précisément les bourses, murmura-t-il avec un air finaud.

Louise avait obtenu que changeât le sujet de la conversation. Cela suffisait. Elle baissa sa robe et allongea ses jambes sur un strapontin, puis prit un air languide pour dire :

— Mon Dieu, que vous avez d’esprit !

Il tendit la main vers les jarrets luisants sous la soie et releva la jupe un peu plus haut.

— Vous avez des cuisses adorables.

Elle répliqua, le regard en coin :

— Et plus riches de félicités que vos coffres ne le sont d’or.

— Peut-on essayer de faire marcher l’usine à bonheur ? continua-t-il avec une expression ardente.

— Sans doute ! sourit-elle.

Louise le laissa remonter la jupe jusqu’au ventre. Là il passa la main sur la toison souple et frisée, imperceptiblement astrakane, et, comme le regard féminin ne quittait pas le visage de l’homme, elle devina au battement des maxillaires, à la lourdeur de la bouche, au filet de salive qui coula au coin de la lèvre, enfin au tremblement des doigts, que l’excitation était venue.

Elle ignorait quel vice avait le banquier, mais elle était d’avance affermie dans cette idée que la sodomie devait être refusée à n’importe quel prix. Toutefois, une femme intelligente doit trouver ailleurs en son corps, si elle tient à la virginité de son anus, des plaisirs de remplacement capables de satisfaire l’amateur le plus exigeant. Le banquier murmura :

— Mon Dieu, que vous avez l’air glacé !

Elle étendit la main négligemment jusqu’à la braguette de ce galant cacochyme et y glissa ses doigts.

— Diable, monsieur, vous portez là plusieurs sexes ?

De fait, elle avait rencontré une masse énorme, plus puissante encore que la demi-bouteille à champagne nègre chère à la princesse Spligarsy. Il fut gêné :

— Oui, certainement, mais vous ne serez pas condamnée à absorber tout.

— Ni même la moitié ? répartit-elle en éclatant de rire. Faites voir ?

Il hésita, tant les façons ironiques de la jeune fille le déconcertaient, puis il exhiba le plus monstrueux phallus qu’ait jamais porté un être humain. C’était un pieu de longueur normale, mais de diamètre colossal. Et au lieu de se présenter avec élégance, avec la forme cylindrique qui sied à cet objet, cela faisait comme un paquet de verrues géantes, liées par la torsion de veines et de tuméfactions bizarres, violettes, rouges et bleues. Rien ne disait que ce fût là une verge d’homme. On eût bien plutôt cru un moignon de cuisse.

Blottsberg regarda sa compagne avec hésitation. Il avait honte de sa virilité et paraissait demander pardon.

Elle devina qu’il fallait éviter de se moquer du pauvre homme, traînant une salacité israélique avec un priape de cette forme : choses qui devaient mal se marier.

Tous deux se dévisagèrent un instant. Ému que la jeune fille n’éclatât point de ce rire qui tue la volupté et ne le couvrît de moquerie, le banquier murmura :

— Aimer tant les femmes et ne pouvoir leur faire partager mon désir !

Louise prit l’air innocent :

— Pourquoi cela ?

Reprenant courage, il dit tristement :

— Je n’ai encore trouvé que quatre femmes ayant pu supporter l’introduction de mon sexe. Et j’aurais tant aimé…

— J’avoue, dit Louise avec franchise, que ce doit être une opération difficile, de jouer avec ce monstre. Une fois bien placé, ajouta-t-elle encore poliment, c’est peut-être un magnifique instrument de jouissance, mais…

Il hocha la tête :

— J’ai pu faire quatre enfants à ma femme, mais elle est morte parce que je l’ai trop fatiguée. J’avais tort. Toutefois, où trouver une maîtresse ? Ensuite j’eus une négresse que cela ne gênait pas, mais elle avait trop de vices et je ne pouvais passer sur eux pour le seul plaisir de sa dimension vaginale. Alors je trouvai une femme très jolie qui avait été déflorée à cinq ans par son propre père. Elle me reçut très bien. Toutefois elle était bête et me refusait les petits attouchements qui sont mes principaux excitants. J’ai encore pu posséder Julia Spligarsy, mais elle me rend des services autres et je ne pouvais la garder près de moi. Voyez si je suis malheureux !…

Louise éprouvait une grande envie de rire. Elle conclut :

— Si vous voulez tenter avec moi le chevillage de cette poutre, je dois vous dire que je renonce et déclare forfait.

Il eut l’air navré.

— Pourtant, en prenant bien des précautions…

— Rien à faire. Je préférerais un âne.

— Enfin, dites, reprit Blottberg. Je ne voudrais pas vous quitter. Je vous aime déjà. Vous êtes charmante. Consentez-vous à venir chez moi ou plutôt dans un domicile que j’ai réservé à mes galanteries ? Voilà ce que je vous propose : vous vous mettrez sur un lit nue et je vous embrasserai là.

Il désignait le bas-ventre.

— Pendant ce temps, une autre femme habituée à cela me fera jouir comme je lui ai appris.

Curieuse, Louise demanda :

— Quel est ce procédé ?

— On me frotte le bout de la verge avec un morceau de velours et on me pince les bourses humectées d’alcool. Cet alcool fait comme une brûlure et me procure une joie infinie.

Comme Louise ne désapprouvait pas, il ajouta :

— J’ai encore inventé une autre méthode. Je me fais encapuchonner le gland avec de l’ouate thermogène. Cela dégage vite une sensation de chaleur insupportable. Alors on passe les lèvres sur les parties irritées. Cette sensation est exquise. C’est un mélange de glace et de torréfaction qui me vide les moelles.

La jeune fille demanda avec tranquillité :

— Cela doit vous coûter très cher, des plaisirs de ce genre ?

— Oh ! oui ! pleura-t-il. D’autant qu’on me fait chanter après. Ah ! je suis bien malheureux !

Louise regarda le gros homme dépenaillé, huit cents fois millionnaire, et qui pleurnichait en exposant ses misères sexuelles. Son énorme verge, que l’excitation ne tenait plus, s’affaissait sur son pantalon, mais sans cesser d’être rébarbative. Comme il fallait maintenant parler d’argent, la jeune fille pensa qu’il était utile, en ce moment, de remettre son partenaire… en forme. Elle allongea une dextre élégante vers le membre colossal et le titilla du pouce, puis de l’index. Elle savait où gisent les points nerveux. Son office fut suivi d’une splendide conséquence. Blottsberg, la verge levée d’un coup, étendit ses bras de chaque côté de la voiture comme s’il voulait éteindre une forme proportionnée à son phallus, puis il se débonda… Le sperme jaillit en abondance.

— Diable, dit Louise, vous êtes sensible !

— C’est vous qui m’excitez, dit piteusement le banquier.

Elle rit.

— Ne riez pas de moi, reprit l’homme, d’un air affligé.

— Je ne me moque point, mais vous me faites là une déclaration plaisante.

Il dit encore :

— Laissez-moi vous faire ce que l’on nomme minette. Là ! placez-vous bien, les jambes allongées. Levez votre jupe. Malgré mon âge, je vais pourtant jouir encore tout de suite.

— J’y consens, dit-elle.

Il se plaça entre les cuisses de Louise, lui saisit les fesses, les souleva juste assez pour bien mettre en vedette la fente féminine et colla dessus ses lèvres ardentes. Elle laissa faire, regrettant de n’avoir pas demandé auparavant les conditions financières de cette entreprise amoureuse. Elle regardait aussi la tête crépue du banquier penchée sur son ventre et elle avait envie de s’esclaffer. Mais soudain…

Ah ! soudain, comme si on avait touché en elle un ressort secret, elle sentit un frisson inconnu naître et s’étendre. Cela l’envahissait toute et se traînait avec une douceur exquise au long de ses nerfs irrités. Ce fut bientôt délicieux, puis mieux encore, et enfin elle se sentit amenée lentement au paroxysme de la joie. La langue enfoncée dans son sexe, les lèvres caressant le clitoris érigé et les doigts maniant avec délicatesse les fesses et l’anus, Blottsberg faisait jouir Louise de Bescé et ce fut pour elle la vraie révélation de la volupté. Avec un cri de délices elle se renversa, les bras battants, sur les coussins. Elle offrait, les jambes écartées, tout son être à l’enivrant contact. Ah ! immobiliser cette minute délirante… Elle cria :

— Ah ! Ah ! je jouis !…

Pendant ce temps, au fond de la voiture, le sperme, tombant de l’énorme sexe du banquier, faisait une petite mare crémeuse…

Louise de Bescé devint la maîtresse de Blottsberg. Avec une aide convenable et dont les actrices changeaient selon l’humeur des deux personnages, elle procura au juif les plaisirs qu’il aimait tant. Son rôle était d’ailleurs si facile qu’il pouvait être comparé à une sinécure.

Elle se laissait lesbianiser par l’homme au priape monstrueux et, pendant ce temps, une autre femme faisait au mieux afin que l’éjaculation se produisît.

Cela finit par s’arranger excellemment. Blottsberg se montrait très généreux et Louise connaissait un type d’existence assez original. Maîtresse d’un notable, cela ne va pas sans donner un certain lustre à une femme. D’autre part, elle avait toujours eu une répugnance, non pas pudique, ce qui est toujours un peu stupide, mais seulement méprisante, pour le bas-ventre des mâles. La pudeur seule inspire ces horreurs de commande qu’on décrit dans les livres, et une indignation vertueuse que les personnages romanesques, s’ils existaient, eussent changée aussitôt en satyriasis ou en nymphomanie. Louise ignorait cette vergogne burlesque qui ressort de la religion et jette une sorte de ténèbre épouvantée sur les choses du sexe. C’est pourquoi elle pouvait, n’étant pas tenue d’en faire la cuisine, trouver de la curiosité à ces jeux organiques dont le phallus est le centre.

Elle ne se dégoûtait pas plus évidemment d’embrasser une verge propre qu’elle ne répugnait à embrasser quelqu’un sur la bouche.

La peau humaine, disait-elle, est partout la même. Le sperme ne lui semblait même pas extrêmement différent de la salive, du sang ou des autres produits physiologiques qu’on entoure pourtant d’un moindre discrédit. Seul, le point de vue de dignité personnelle lui rendait déplaisants les contacts que leur seule posture rend fâcheux, lorsqu’ils sont consentis sans affection, ou même sans utilité et sans amusement. Accomplis pour vivre ou pour plaire, ou même pour se venger, c’était bon.

Songeant à Khoku, elle gardait donc quelque orgueil d’avoir pu mettre la bouche là où il fallait pour tuer dans la jouissance cette brute abjecte. Avec son jeune ami, que l’auto écrasait peu de jours après, elle avait consenti à le faire jouir avec sa bouche parce que c’était son début dans la recherche sexuelle du pain, et que sa force d’âme l’amenait alors au sacrifice le plus complet. Il lui plaisait, par énergie et orgueil, de se prouver qu’elle allait, dès l’entrée en ce métier, aux tréfonds de ses exigences, mais son ennui ne comportait aucun point de vue moral.

L’humiliation de la femme qui fait jouir un homme en lui suçant la verge ne l’atteignait pas. Au contraire, cet acte la rehaussait à ses propres yeux. Elle établissait de ce seul chef qu’une fille de Bescé ne se sent diminuée par rien. Pourtant, elle n’eût jamais voulu faire cela à Blottsberg.

Louise ne perdait donc rien de ses certitudes intimes. La vie la reforgeait sans aliéner son sentiment d’être une sorte de personnalité dominante. Elle pensait, malgré les responsabilités physiques qu’il comporte, pouvoir mener le métier de prostituée à une aristocratie. Avec une âme ainsi façonnée, elle ne se sentait pas du tout diminuée par l’affection de Blottsberg. D’ailleurs elle n’avait qu’à se laisser posséder par la bouche avide du banquier et c’était encore une domination plutôt qu’une défaite. Mais mieux, cela lui procurait maintenant un plaisir ineffable.

Elle en venait à désirer cette pratique que son protecteur ne lui allouait qu’à de longs intervalles, car sa jouissance, à lui, devenait tous les jours plus laborieuse.

Le banquier offrit à Louise des bijoux et des toilettes admirables. Elle fut bientôt renommée à Paris pour sa froideur compassée et mystérieuse, ses airs hautains et son extravagance supposée. Elle sortait peu. Sa vie se passait en lectures nonchalantes et en amusements lascifs avec les femmes qu’elle tentait de donner en suppléance lesbienne à Blottsberg. Mais nulle ne savait agir sur ses nerfs comme le vieux poussah.

Il possédait une sorte d’intelligence sexuelle. Il jouait sur les muqueuses de Louise comme un violoniste sur ses cordes.

Les jours passèrent, une année entière, puis une autre. Paris, qui ne connaissait guère que de renommée la maîtresse du banquier, la surnommait : « la Chatte ». On lui attribuait la plupart des plaisanteries raides qui courent toujours les salles de rédaction des journaux mondains ou galants. Les caricaturistes la représentaient souvent et soulignaient de légendes lubriques les attitudes de « la Chatte ». Mais tout cela se faisait discrètement et sans méchanceté, car Blottsberg était puissant.

Un jour, le banquier se pâma si bien, après un divertissement auquel trois femmes participaient avec Louise, qu’il mourut. Il avait prétendu posséder par l’anus une jolie fille qui devait recevoir mille francs pour cette séance. Malgré l’énormité de la verge, elle avait supporté l’assaut sans faiblir. Ayant vécu dans le ruisseau, pauvre et habituée à coucher dehors, elle tenait mille francs pour le prix de plusieurs vies humaines. Aussi, avec une volonté d’acier, elle accepta enfin tout le paquet de Blottsberg. Elle pleura, mais ne plia pas. Une fois le membre introduit, Louise subirait les caresses coutumières, ce qui ne laissait pas de faire un ensemble compliqué, car, en même temps, deux fillettes devaient, l’une, chatouiller et lécher les bourses du financier, l’autre, offrir ses fesses aux mains de l’homme, que le pelotage de ces rotondités excitait beaucoup.

Tout s’organisa enfin. Les cinq personnages se divertissaient donc doucement et, malgré la douleur qu’apportait en son arrière-train ce membre massif, qui lui faisait éclater le sphincter, la femme possédée se livrait à des mouvements propices. La verge de Blottsberg allait et venait, parmi des délices que le banquier n’avait jamais connues jusque-là. Louise le sentait palpiter si fort qu’il en perdait son habileté lesbienne, quand elle le vit soudain osciller et s’affaisser sur sa cuisse. Il était claqué de jouissance.

Un mois après, la fille du marquis de Bescé, ayant loué un appartement, se trouva chez elle. Blottsberg lui avait laissé quatre-vingt mille francs. Elle pouvait vivre seule, mais le plaisir de Lesbos lui manqua. Elle se mit donc en quête de jouissances et décida également de chercher un autre amant.

La passion la conduisit alors dans les restaurants de nuit, dont elle devint une sorte d’étoile. Elle vit à ce moment qu’il ne dépendait que d’elle de s’enrichir puissamment et voulut y parvenir.

Une nuit, elle avait su donner du plaisir — et avec quelle richesse d’inventions lubriques — au baron Marxweiller, de Vienne. C’était un débauché qu’éveillaient seuls des procédés extravagants. Pour récompenser cette femme qui créait de la volupté comme un poète, il lui avait signé un chèque de vingt mille francs.

Elle sortait donc de l’établissement où s’était passée l’aventure salace et financière. C’était Phallos, le célèbre restaurant de nuit russe, où l’on trouve couramment à sodomiser des ducs et à posséder des duchesses.

La nuit était douce et belle. Louise avait le cœur calme et les sens apaisés. Mais, en franchissant la porte, ne vint-elle pas buter sur l’homme qu’elle redoutait entre tous de voir : le docteur de Laize, son ex-fiancé.

Lui, d’ailleurs, la guettait…