Premières Poésies : 1883-1886Société du Mercure de FranceLes Syrtes. Les Cantilènes (p. 187-188).


LA VEUVE


La jeune femme chante, au balcon assise,
Et sa triste chanson pleure dans la bise.
La jeune femme chante et tous les bateaux
Carguent leur voilure et baissent leurs drapeaux.
Un vaisseau de guerre, une grande galère,
Garde ses drapeaux et sa voilure entière.
« Baisse, mon vaisseau, baisse ton pavillon,
Car ce que je chante est bien triste chanson :

Il me fallait du lait de guivre, et la graisse
Du grand cerf nourri par la main de l’ogresse,
Pour guérir le mal de mon pauvre mari
Qui se tordait au lit malade et flétri.
Le temps de monter sur les rochers de neige,
Le temps de préparer pour la guivre un piège,
Le temps de revenir, mon pauvre mari
Qui se tordait au lit, malade et flétri,
La croix de la tombe a pris pour belle-mère,
Et pour épouse, hélas ! il a pris la terre. »