Les Côtes de France
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 15 (p. 1053-1079).
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LES

Côtes  de  Bretagne.


La baie de Saint-Brieuc.


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Et gemitum ingentem pelagi pulsataque saxa
Audimus....
Virg.

Nous avons entrepris de décrire les côtes de cette sirte de la Manche qui s’enfonce, du cap déjà Hague aux Héaux de Bréhat, entre la Normandie et la Bretagne et voit surgir du sein de ses eaux les îles de Jersey, de Guernesey et d’Aurigny. On a déjà visité avec nous la baie du Mont-Saint-Michel et l’établissement maritime de Saint-Malo[1] ; nous voudrions reprendre aujourd’hui la course que nous avons interrompue au cap Fréhel. Il nous reste, pour la terminer, à parcourir la baie de Saint-Brieuc. Aucune opulente cité n’attire la navigation sur ses rives, et les hydrographes étrangers ne la citent guère que pour recommander de l’éviter. On y rencontre peu de ces sites qui élèvent l’ame par la grandeur du spectacle ou par celle des souvenirs. Les ports d’Erquy, de Dahouet, du Légué, de Binic, de Portrieux, de Paimpol, de Lézardrieux, de Pontrieux et de l’île Bréhat s’ouvrent modestement le long de la côte, et leurs noms n’éveillent guère la curiosité. L’exploration de ces parages n’est cependant pas dépourvue d’intérêt. La vie maritime anime de ses émotions les plus vives les humbles demeures qui bordent la baie, et celles-ci n’abritent pas de laboureur qui ne soit ou n’ait été matelot : la simplicité patriarcale des familles, la paix qui règne dans ces campagnes reposent l’ame des envieuses et cupides agitations de nos villes. Si, après avoir observé dans leurs détails les résultats obtenus ici par la persévérance, l’économie et la sagesse bretonnes, on les considère dans leur ensemble, on est frappé de ce que gagneraient de plus grands foyers de navigation à suivre les exemples qui se donnent sans bruit dans la baie de Saint-Brieuc.

Sous Louis XIV d’ailleurs et de nos jours, cette partie négligée de notre domaine maritime a été l’objet d’études et d’observations qui n’auraient pas été perdues de vue, si nous avions un peu plus de l’esprit de suite qui fait la principale force de nos voisins d’outre-Mancbe. Si je réussissais à les reproduire, on verrait que deux établissemens, l’un militaire, l’autre commercial, et tous deux importans parmi les établissemens secondaires, ont leur place marquée sur cette côte. Les créations de cette sorte sont heureusement de celles pour lesquelles la perte du temps n’est pas irréparable.

Le 16 septembre 1851, à sept heures du matin, nous étions le long de la jetée de Saint-Malo, à bord du joli cotre l’Entreprenant, capitaine Le Hérissé. La voile pendait le long du mât, et de légers nuages, immobiles au-dessus de nos têtes, témoignaient du calme profond de l’air ; mais, à défaut du vent, le jusant pouvait nous conduire jusqu’au cap Fréhel : nous le suivîmes en nous faisant remorquer à quatre avirons. Nous aurions volontiers passé la journée à visiter les grandes anfractuosités du cap : ce point de la côte de Bretagne est peut-être par l’enchevêtrement des terrains primitifs et des terrains tertiaires, celui dont la géologie est la plus curieuse à étudier. Nous étions donc résignés à attendre le vent au mouillage du fort de la Latte, lorsqu’à la hauteur du phare et au moment où le flot se retournait contre nous, une faible brise, s’élevant de l’est, nous donna la force de le refouler : nous mîmes le cap sur l’île Bréhat ; en quelques instans, les côtes de la baie de Saint-Brieuc se déployèrent à nos yeux, ici sombres et déchirées, défendues par des écueils jetés au large comme des ouvrages avancés, là-bas presque effacées dans les vapeurs de l’Océan. La baie, que nous laissions au sud, a la figure d’un triangle rectangle appuyé, du cap Fréhel aux Héaux de Bréhat, sur une hypothénuse de 62 kilomètres, et ayant son sommet au pied de la montagne de Saint-Brieuc. L’étendue en est de 90,000 hectares ; elle est découpée dans de hautes terres à bases rocheuses, et les vallées étroites dont celles-ci sont sillonnées forment, en débouchant sur la mer, les points abordables de la côte.

L’île Bréhat ferme la baie du côté de l’ouest : elle est le sommet d’un plateau granitique, en grande partie sous-marin, hérissé de pointes aiguës, et dont l’aspect, du côté de la mer, change d’heure en heure, tant les variations du niveau des marées cachent ou découvrent alentour, abaissent ou grandissent de roches menaçantes. Le soleil descendait, pâle et froid, derrière les collines de Crec’h-ar-Maout, lorsque les dentelures du plateau commencèrent à se montrer à nous moins confuses. Une de ces brumes laiteuses si fréquentes dans la baie couvrait l’île d’un voile à demi transparent, et jetait une teinte mystérieuse sur les sauvages accidens de sa ceinture d’écueils ; de grands fantômes blanchâtres, dominant cet horizon, semblaient glisser silencieusement au-dessus des îlots et secouer aux lueurs mourantes du crépuscule les plis de leurs linceuls de vapeurs : Ossian les eût pris pour les ombres protectrices de ses aïeux. Ces fantômes étaient les obélisques dressés par M. Beautems-Beaupré sur les crêtes des écueils pour guider les navigateurs au milieu de ce dédale, et les changemens rapides de leur orientation par rapport à nous les faisait paraître animés du mouvement qui nous entraînait. Il était nuit quand nous abordions l’île par le sud en entrant dans l’anse sauvage qui doit à sa configuration le nom de Port-Clos.

Le plateau de Brehat est encadré entre deux bras de mer étroits dans l’angle rentrant que forme la côte au débouché de la rivière de Pontrieux. Il est couvert du nord-ouest par le Sillon de Talber[2], qui ressemble à une digue de six à sept kilomètres de longueur, enracinée au pied des hautes terres de Crec’h-ar-Maout. Ce singulier accident de terrain a pour base une rangée de roches découvrant à basse mer et alignées, dans la direction, du nord-est ; elles forment, s’il est permis de parler ainsi, l’épine dorsale d’un double talus granitique sur lequel se brisent les courans alternatifs du raz de Bréhat ; cette crête est la partie de l’estran où la mer exerce le moins sa puissance, puisqu’elle ne la couvre que pendant les courts instans de sa plénitude ; le flot et le jusant y abandonnent tour à tour les roches, les pierres, les galets qu’ils poussent sur les plans inclinés adjacens. Ces matériaux se sont intercalés dans les intervalles des roches ; long-temps remaniés par les flots, ils ont uni par prendre la courbure de plus grande stabilité, et les formes qu’affecte leur ensemble sont celles que les ingénieurs devraient donner, pour obtenir le maximum de résistance, aux digues construites dans des circonstances analogues. Les marées, quand elles s’abaissent, mettent le plateau de Bréhat à découvert sur une étendue d’un millier d’hectares ; elles le réduisent dans leur ascension à trois cent vingt-cinq. Pour l’embrasser d’un coup d’œil, gravissons au milieu de l’île le rocher escarpé que couronne la chapelle de Saint-Michel.

À mer basse, l’île est entourée d’une grève de sable très prolongée au sud-ouest et percée d’innombrables roches, les unes lissées par le frottement des eaux, les autres assombries par de verdâtres chevelures d’algues et de goëmons. Ce désert silencieux fourmille d’êtres animés. Les flancs de ses rochers sont tapissés de coquillages, le homard en habite les crevasses, le lançon se cache sous les sables, et les heures de la retraite de la mer sont remplies par une chasse à laquelle les habitudes maritimes du pays conservent le nom de pêche. Cependant un frémissement imperceptible signale dans le calme de la molle-eau la première onde du flot qui s’avance ; la marée s’allonge insensiblement sur le bas des grèves et enveloppe avec lenteur les roches les plus avancées ; bientôt elle croît en élévation et en vitesse, et, pénétrant dans des chenaux et des échancrures dont la cavité échappait à l’œil, elle change de minute en minute la figure du sol qu’elle rétrécit : sa marche s’accélère ; des courans rapides s’établissent dans les passes ils s’enflent, s’élargissent, heurtent avec violence les roches qu’ils vont recouvrir ; ils se précipitent surtout dans le lit du Kerpont, ouvert entre la rive occidentale de Bréhat et l’île Béniguet et y forment un fleuve droit et profond dans lequel vont s’engager les bâtimens destinés à la baie de Saint-Brieuc, qui attendent en louvoyant l’heure du passage. Les roches submergées se signalent par les tournoiemens de l’eau, les autres blanchissent sous l’écume que leur lancent les vagues irritées ; le tumulte est à son comble, mais il conduit à l’équilibre que cherche la mer ; il diminue graduellement ; tout se calme enfin ; l’île ne domine plus que des eaux tranquilles, parsemées d’îlots, et montre aux navires qui, six heures auparavant, n’apercevaient du large que son enveloppe de granit, sa verdure et ses toits hospitaliers.

La forme de l’île se rapproche beaucoup à ce moment de celle d’un 8 capricieusement dentelé, et sa longueur n’est, du nord au sud, que de 3,700 mètres. Elle était autrefois divisée en deux îles qui se touchaient presque par leurs pointes les plus aiguës. Vauban, dans un de ses jours de repos, les réunit en une seule par une digue à laquelle la reconnaissance des habitans a donné son nom. Il est résulté de cette opération un avantage maritime en même temps qu’un avantage territorial. Le Pont-Vauban forme le fond du port de la Corderie, qui s’ouvre à l’ouest, sur le bras de mer qui conduit à la rivière de Portrieux ; il est devenu le centre du groupe d’habitations le plus nombreux de l’île, et a donné une capitale à cette petite république.

Le granit qui sert de base à l’île perce de tous côtés en roches aiguës la couche d’argile et de sable dont il est recouvert. Dans ces étroites limites s’élèvent 434 maisons : 139 hectares seulement sont à l’état de culture, et la propriété est divisée en 6,542 parcelles. La violence des vents d’ouest oblige les Bréhatais à protéger par des murailles leurs vergers et leurs plantations ; grâce à cette précaution, les arbres fruitiers sont nombreux et féconds dans l’île ; la culture y est remarquablement soignée, et la propreté recherchée des plus humbles habitations témoigne de l’ordre qui règne dans les familles. L’île n’a point de chemins carrossables ; le cheval, le mulet, l’âne même, n’y sont point au service de l’espèce humaine. On ne rencontre, dans les nombreux sentiers dont elle est sillonnée, que des femmes, des enfans, des vieillards ; l’homme dans la force de l’âge semble retranché de la population. C’est que tout Bréhatais donne à la mer les plus belles années de sa vie ; tant que la vigueur et la souplesse de ses membres ne sont point vaincues par les fatigues de la navigation, un vaisseau lui sert de demeure ; il n’apparaît au foyer domestique que pour se marier et faire des enfans. Pendant ces longues absences, les femmes sont chargées non-seulement des affaires du ménage, mais aussi des travaux de la culture ; elles retournent la glèbe à la bêche, font les semailles, les récoltes, transportent à la flotte les fruits de la terre et jusqu’aux engrais. Les écueils dont l’île est entourée fournissent en abondance des varechs qui suppléent à l’insuffisance des engrais animaux. Ce sont encore les femmes qui, s’armant de l’aviron, vont, avec un vieillard qui tient le gouvernail, dépouiller les rochers battus par cette mer orageuse. Le peu d’étendue de la terre à cultiver et la densité de la population expliquent comment celle-ci suffit à sa tâche ; mais c’est un mauvais calcul que d’employer à des labeurs pour lesquels sont faites les bêtes de somme un temps et des forces auxquels l’intelligence des Bréhataises trouverait facilement une destination plus utile et un but plus élevé.

On prétend que deux races distinctes se partagent l’île Bréhat. Il est du moins vrai que la langue préférée est le breton dans la partie nord, et le français dans la partie sud ; il l’est aussi que la délicatesse des traits et l’élégance de la taille de beaucoup de Bréhataises semblent être un vestige d’origine méridionale et un retour aux formes de leurs aïeules ; mais il n’existe, que je sache, aucune trace historique des immigrations par lesquelles l’île s’est peuplée. En 1409, elle fut prise par les Anglais que commandait le comte de Kent ; toutes les habitations furent brûlées, et elle ne fut qu’un désert jusqu’au moment où le duc de Bretagne Jean V, refaisant, suivant l’expression des chroniques du temps, son duché avec son épée, en reprit possession. François Ier, son successeur, la donna, en 1437, à son frère, ce rude connétable de Richemont que les Anglais retrouvèrent plus tard aux champs de Formigny. Le connétable en fit lui-même, en 1450, la dot de Jacqueline, sa fille naturelle ; le revenu de l’île, qui, d’après le cadastre, est aujourd’hui de 7,627 fr., fut évalué dans cette circonstance à 100 livres. L’île se repeupla sans doute par le retour des familles expatriées en 1409, et, soit génie des habitans, soit influence des lieux, il s’y forma bientôt une marine considérable pour le temps. Elle attira ainsi l’attention des Anglais, fut assiégée par eux en 1590, fit une héroïque résistance et ne se rendit que vaincue par la famine. Les vainqueurs firent pendre aux ailes des moulins à vent les seize principaux habitans. Les Anglais étaient alors les alliés d’Henri IV contre la ligue, et s’ils violaient ainsi les droits de la guerre et de l’humanité, ce n’était point, comme on pourrait croire, par une vaine cruauté. Ils avaient pour décimer au XVIe siècle les marins de Bréhat les mêmes raisons que pour brûler au XIXe les manufactures des Espagnols, dont ils étaient les alliés contre Napoléon, et se faisaient dès-lors une loi de traiter toujours leurs amis comme s’ils devaient les avoir prochainement pour ennemis. L’île rentra ainsi mutilée sous la domination d’Henri IV, et depuis elle n’a pas cessé de fournir à la marine d’excellens matelots et des officiers distingués. Sur une population de 1,400 âmes, elle a dans ce moment 323 hommes classés dans l’inscription maritime et 52 invalides pensionnés. L’île Bréhat est le séjour de la paix et de la santé ; on n’y connaît ni procès ni maladies et il ne s’y trouve ni un seul avocat ni un seul médecin.

On ne quitte pas sans regret cet heureux coin de terre. Cependant nous voulions considérer du haut du phare des Héaux les dentelures de la côte et la marche des marées sur le Sillon de Talber ; nous reprîmes donc l’Entreprenant au Port-Clos : poussés par une forte brise de nord-est, mais garantis de la grosse mer par l’île, nous arrivâmes promptement vis-à-vis l’embouchure du Trieux, et le chenal occidental de Bréhat s’ouvrit devant nous. C’est celui qui porte sur les cartes marines le nom d’Entrée de la rivière de Pontrieux. Ici nous changions de direction, et le vent nous devenait contraire ; il fraîchissait le minute en minute, et, obligés de renoncer à atteindre le phare nous tentâmes d’en approcher. Comme un coursier généreux qui, se jouant dans la carrière sous un habile écuyer, charme l’œil par la rapidité de ses voltes et conserve dans ses bonds les plus impétueux la sûreté de son équilibre, l’Entreprenant, maître de lui-même sur une mer écumante, courait des bordées entre les écueils, se cabrait sur le dos des lames ou les labourait de son beaupré, sans jamais rien perdre de sa sensibilité au timon ni de la précision de ses mouvemens. Nous touchâmes ainsi la tombée du raz ; deux goélettes y étaient engagées et nous montraient, à chacune des saccades violentes qu’elles essuyaient, un tiers de leur quille hors de l’eau. Nous virâmes une dernière fois de bord, et l’Entreprenant nous emporta, rapide comme un trait, jusque dans les eaux abritées du Trieux.

La navigation maritime remonte, entre les rives accorés et sauvages du Trieux, jusqu’à 17 kilomètrès de la mer : elle rencontre d’abord sur son passage l’échouage de Lézardrieux, forme plus haut, dans le lit du Leff, un embranchement de 5 kilomètres, et enfin s’arrête devant les quais de Pontrieux, où les marées des syzygies portent près de 4 mètres d’eau. Ce petit port est le débouché principal de l’arrondissement de Guingamp, et les trois quarts du tonnage de la rivière, dont la totalité excède rarement 25,000 tonneaux, lui reviennent ; l’île Bréhat en fournit, de son côté, environ 5,000. Le sel est le principal objet d’importation ; le commerce d’exportation est exclusivement alimenté par la culture locale, et, quoique très susceptible d’être amélioré, l’état hydrographique du chenal suffit à peu près au mouvement actuel.

Vauban a étudié sous un autre point de vue l’atterrage du Trieux. Les avantages militaires d’une position qui, du saillant le plus septentrional de la côte de Bretagne, appuie le port de Brest, couvre les entrées de Morlaix, de Saint-Malo, et menace les îles anglaises de la Manche, ne pouvaient pas lui échapper. Il la visita en 1664, et il paraît qu’il eut un moment l’idée d’y placer l’établissement, qu’il conseilla plus tard de former à Cherbourg. L’entrée du Trieux, encadrée entre des roches granitiques, ne se modifie pas, comme les atterrages ouverts dans des terrains d’alluvion, sous l’action du temps et de la mer ; elle est exactement, aujourd’hui ce qu’elle était au XVIIe siècle. Le chenal qui sépare l’île Bréhat du Sillon de Talber, et se dirige du nord-est vers l’embouchure du Trieux, est praticable ; aux plus grands vaisseaux : le fond en est rocheux, et les courans y sont très violens ; mais on peut mouiller dans la rade adjacente de Pomelin et dans l’intérieur de la rivière, jusqu’à la hauteur de Lézardrieux, quatre vaisseaux, cinq frégates, et un nombre considérable de corvettes, de bricks et de bâtimens de flottille : la station est incommode faute de largeur, et la manœuvre y est pénible ; mais la sûreté en est parfaite, et la rareté des abris le long d’une côte aussi exposée aux entreprises de l’ennemi ne permettait pas plus sous Louis XIV qu’aujourd’hui de dédaigner un refuge si facile, à rendre, inexpugnable. En attendant mieux, Vauban fortifia l’île Verte, dont le canon commande la passe, et fit construire sur une roche isolée au bord du chenal, et sur les hauteurs de Crec’h-ar-Maout, la pyramide de la Croix et la tour de Bodic, qui, visibles de très loin, tracent aux navires la route du mouillage. Il n’en fût certainement pas resté là, si l’entrée de la rivière avait été aussi accessible par la passe de l’est que par celle du nord. Le bras de mer appelé le Ferlas, qui court au sud de l’île Bréhat et joint le chenal de Pontrieux, a 5 kilomètres de longueur et présente à basse mer une surface de 500 hectares : il est abrité par des terres élevées, l’entrée forme une petite rade dont l’accès est facile et la tenue excellente ; mais, au-delà du débouché du Kerpont, des roches sous-marines interdisent le passage aux grands bâtimens. L’enlèvement de ces roches réunirait les deux mouillages en un seul, en doublerait l’étendue, et donnerait à ce vaste abri la chose essentielle qui lui manque, c’est-à-dire deux entrées se suppléant réciproquement suivant l’état de la mer, la direction des vents, le but et le point de départ des navires. Dans l’état actuel du Ferlas, les grands navires n’entrent guère dans la rivière de Pontrieux que par des vents qui leur en interdiraient la sortie, et n’en sortent que par des vents qui n’en permettraient pas l’entrée. Une semblable condition est exclusive de toute importance militaire et laisse les bâtimens marchands exposés, comme une proie facile, à toutes les entreprises des corsaires à vapeur. C’est bien moins faute de ports que de rades et d’abris que notre côte est dans une condition si inférieure à celle de la côte opposée d’Angleterre ; de là sont venus la plupart des malheurs que nos armes et notre commerce ont éprouvés dans la Manche : nous ne saurions donc aborder avec trop de sollicitude et poursuivre avec trop de persévérance la correction des vices naturels qui neutralisent les avantages d’une station aussi bien placée que celle de Bréhat. Le Ferlas, si bien décrit dans les cartes hydrographiques du Pilote français, n’a pas encore été, que je sache, étudié sous ce point de vue. Les roches qui l’obstruent sont en petit nombre, et gisent à 2 ou 3 mètres au-dessous du niveau de la basse mer ; elles retiennent entre elles des masses considérables de débris et de coquilles de madrépores qui, suivant la force et la persistance des vents ; marchent tantôt vers l’entrée, tantôt vers le fond du canal. Vauban a pu s’arrêter devant cet obstacle : de son temps, l’art de l’ingénieur offrait peu de moyens de le lever. Il est aujourd’hui permis d’être moins timide : d’autres roches sous-marines que celles du Ferlas ont été arrachées, et aucune entreprise de ce genre n’avorte plus faute d’instrumens ; les difficultés à vaincre aiguisent les esprits, la lutte les anime, la nécessité d’atteindre le but découvre, pour y parvenir, des voies inespérées. Le déblai du Ferlas doterait la côte de Bretagne d’un de ces ports de refuge accessibles à tous vents et à toutes marées que l’Angleterre multiplie à grands frais partout où elle croit avoir à sauver un navire ou à dresser une embuscade, et je m’abuse beaucoup s’il existe un seul point de notre littoral où un pareil établissement rendît plus de services et fût moins dispendieux à former.

Si le projet de déblai du Ferlas exige des études assidues et d’assez longs préparatifs, il en coûterait peu d’améliorer le Kerpont, ce passage étroit, mais sûr, qui coupe à l’ouest le plateau de Bréhat et réunit la rade du midi au grand chenal de l’ouest. Le milieu du Kerpont est traversé par deux bancs étroits de granit qui découvrent à mer basse : en les enlevant, on augmenterait d’une heure par marée le temps pendant lequel le passage est praticable, et ce serait un notable avantage pour les navires de la côte occidentale de la baie de Saint-Brieuc, qui prennent tous les jours cette voie.

La rade de Bréhat est bornée au sud par l’île Blanche, amas confus de roches qui se projette en avant de la pointe de l’Arcouest. De cette pointe à celle de Plouzec, située au sud-est, la distance est de 8 kilomètres : dans l’intervalle s’enfonce entre des terres élevées l’anse profonde de Paimpol ; elle est couverte du nord-est par un plateau d’écueils au bord duquel se dressent les pics aigus de l’île Saint-Riom, remarquables par les formes volcaniques qu’ils affectent. Les masses abruptes des Mets de Goëlo couvrent de l’autre côté la pointe recourbée de Plouzec. Le soulèvement tranchant de Guilben se détache du fond de l’anse et la divise en deux parties ; celle du sud doit son nom à l’abbaye de Beauport, dont ses eaux ne baignent plus que les ruines pittoresques ; Paimpol est assis au fond de celle du nord, au débouché d’un petit ruisseau ; la plage est parsemée de rochers et découvre à mer basse à plus d’une lieue : le bas de l’anse offre plusieurs échouages très sûrs, très accessibles, et d’autant plus précieux qu’en morte-eau la marée ne s’élève pas jusqu’au port. Entre l’île Saint-Riom et les Mets de Goëlo, les grands bâtimens mouillent sur un bon fond de sable. Quand le flot se déverse du raz de Bréhat dans la baie de Saint-Brieuc, il court en dehors de l’île Bréhat et de l’île Saint-Riom, prenant la voie la plus large et la plus courte ; mais bientôt, sollicité par le vide de l’anse de Paimpol, il y pénètre vivement et entraîne dans le port, en leur faisant décrire une courbe rapide, les navires qu’il a pris à la hauteur des Héaux. Cette dérivation du courant principal arrive dans l’anse chargée de matières terreuses : aussi le ruisseau de Paimpol ne suffit-il pas au dévasement du port, et surtout, depuis qu’une trentaine d’hectares où la marée formait une réserve d’eau ont été endigués en arrière, les posée ont besoin d’être périodiquement déblayées. Dans l’anse de Beauport, qui n’est balayée par aucun cours d’eau, le fond s’exhausse librement ; elle est déjà perdue pour la navigation, et l’on pourrait presque déterminer l’époque où, tout-à-fait comblée, elle sera reconquise, par l’agriculture ; elle reviendrait ainsi à l’état de prairie dans lequel, s’il faut en croire de vieux titres, elle était au XIIIe siècle. L’anse de Paimpol, ouverte à l’entrée de la baie de Saint-Brieuc, est le lieu d’attente des bâtimens qui ne peuvent entrer dans les ports voisins que par les marées de vive-eau, et ses défauts concourent presque autant que ses avantages à la rendre, en temps de guerre, le dépôt des prises de nos croiseurs : les écueils dont l’atterrage est hérissé, la largeur même de ses plages et la vitesse avec laquelle s’en retire la mer ressemblent à des pièges, et un ennemi ne se hasarderait pas impunément au milieu. À défaut de la forte station que Vauban aurait voulu établir dans les eaux de Bréhat, celle-ci offre aux bâtimens de flottille des sûretés qui ne sont point à dédaigner. Le mouvement du port de Paimpol flotte entre 20 et 25,000, tonnes : c’est à peu près tout ce que comporte le peu d’étendue du territoire qu’il dessert, et le luxe de végétation, la richesse de culture qui se déploient sur les collines entre lesquelles l’anse est encadrée ne suffisent pas pour alimenter une exportation de denrées telle que la promet dans le voisinage, au port de Pontrieux, une position avancée dans l’intérieur des terres. L’atterrage de Paimpol se recommande par des avantages inverses : il s’avance sur la mer, et son importance se fonde autant sur les services qu’il rend à la navigation générale que sur les relations qui lui sont propres.

Deux langues, entre lesquelles il n’existe aucune analogie, se partagent le territoire des Côtes-du-Nord, et Paimpol est situé sur la ligne où elles se rencontrent. On vante l’énergie et la simplicité primitives du breton, et n’eût-il pas l’avantage qu’ont réclamé pour lui plusieurs savans d’avoir été parlé à la descente de la tour de Babel par Gomer, fils de Japhet et père commun des peuples celtes, il l’emporte incontestablement en antiquité sur les langues dérivées du latin. Quels que soient les titres de noblesse d’un idiome, quand il est sans littérature, sans aptitude à rendre les choses nouvelles, inintelligible en dehors d’un cercle étroit, il y parque la population dont il exprime la pensée, borne son horizon intellectuel et élève au sein de la commune patrie des barrières également incommodes pour tous ceux entre lesquels elles s’interposent. La communauté de langage, au contraire, est un des liens, les plus solides et les plus doux qui s’établissent entre les hommes, et elle n’importe pas moins au bien des individus qu’à l’unité de l’état. Depuis vingt ans, la langue française a gagné en Bretagne plus de terrain que pendant tout le siècle qui a précédé, et la dispersion intelligente de la jeunesse du pays dans les régimens de l’armée, les séjours prolongés des garnisons dans la presqu’île, le perfectionnement des communications qui sollicite les hommes à sortir de chez eux, ont été pour cela plus efficaces que le zèle de l’université. Ce progrès se maintiendra d’autant mieux que le gouvernement se méprendra moins sur ses causes, et s’abstiendra davantage de chercher à l’accélérer prématurément.

De la pointe de Plouzec au fond de la baie, la côte court au sud-sud-est sur une étendue de 52 kilomètres. L’âpreté du rivage, la vivacité avec laquelle le heurtent tour à tour les courans de flot et de jusant, attirés dans le fond des principales échancrures, les rochers sans nombre qui surgissent du fond de la mer, prescrivent au navigateur qui veut se tenir près de terre les plus rigoureuses précautions. Entre ces écueils se distingue par sa masse le plateau des roches de Saint-Quay. Il gît à 1,500 mètres de la côte, et le canal intermédiaire offre sur un bon fond de sable et d’algues, mais entre des passes obstruées de roches sous-marines, un mouillage de 160 hectares. Ce mouillage, qui n’est passable que par le beau temps, c’est-à-dire quand on en a le moins besoin, est décoré du nom de Rade de Portrieux, apparemment pour montrer combien les marins de la baie sont peu gâtés en fait d’abris. Le port d’échouage de Portrieux donne sur la rade. Un mole de 200 mètres de longueur le protège médiocrement contre la mer, et y retient, sans en rien laisser échapper, les débris des falaises voisines qu’y charrie le jusant. Peut-être l’ouverture, à la racine du môle, d’une issue au travers de laquelle le courant continuerait sa marche et entraînerait les sables dont il est chargé arrêterait-elle le comblement du port. Les môles ainsi percés ne sont pas d’une invention nouvelle, et c’est par ce procédé que les Romains prévenaient l’envasement de leurs ports de l’Adriatique. Malgré ces difficultés, beaucoup de denrées se chargent à Portrieux pour les îles de la Manche ; l’on y arme pour la pêche de la morue, et cette activité garantit que les améliorations y seraient bien placées.

À trois milles au sud de Portrieux, la petite rivière d’Ic forme à l’abri du nord, au fond d’un repli de la côte et en face d’un mouillage exposé à l’est, mais d’un accès facile et d’une bonne tenue, un chenal dans lequel les marées de quartiers portent près de 2 mètres d’eau. Dès 1612, les habitans de Binic y commençaient des armemens pour le banc de Terre-Neuve, et bientôt une petite jetée protégea le chenal contre le ressac des lames renvoyées du midi par la courbure de la côte. En 1783, le duc de Penthièvre, aïeul du roi Louis-Philippe, vint à Binic ; peu de jours auparavant, une barque, montée par dix-huit hommes, avait péri sur les roches situées en dehors de la jetée : le prince était grand-amiral de France ; il ordonna, pour prévenir de semblables malheurs, la construction d’une seconde jetée, et fit faire le projet d’un môle qui, plus puissant et plus avancé, devait s’enraciner à la pointe nord-est de l’atterrage. L’on n’a mis qu’en 1846 la main à ce dernier travail. Le môle s’allonge à 320 mètres au sud-est ; établi sur un sol plus bas et atteint par la mer montante plus tôt que le port, il réunit à l’avantage d’en faciliter l’accès celui d’ouvrir un large abri aux bâtimens surpris dans ces parages par de violentes rafales du nord. Le souvenir reconnaissant du pays a donné le nom de Port-Penthièvre à ce refuge. Cet ouvrage est le mieux conçu qu’on ait encore exécuté dans la baie. Peu de temps avant qu’on l’entreprît, d’autres améliorations s'étaient réalisées : le chenal de l’Ic avait été aligné, garni de beaux quais ; l’établissement d’un pont de bois en amont avait déterminé la construction d’un nouveau quartier sur la rive droite de la rivière. L’administration reculait devant la dépense de ce projet ; les habitans de Binic, pour le faire adopter, se sont chargés de l’exécuter eux-mêmes à des prix auxquels n’eût souscrit aucun entrepreneur. On ne dit pas qu’ils aient gagné sur le marché ; mais leur intelligence avait prévu les effets de leur dévouement, et l’air de prospérité du bourg témoigne que leurs sacrifices n’ont point été infructueux. Depuis deux cent quarante ans, les armemens pour la pêche de la morue n’ont discontinué à Binic que dans les temps de guerre générale ; le mouvement annuel du port dépasse souvent 20,000 tonneaux, et, pour l’accroître encore, il ne faudrait que perfectionner les chemins qui rayonnent alentour.

La mer se dégage au sud des roches de Saint-Quay, et l’on ne trouve plus, jusqu’à la pointe du Roselier, que trois écueils : partout ailleurs ce serait beaucoup ; ce n’est rien pour la baie de Saint-Brieuc.

Le fond de la baie et le port du Légué sont signalés au loin par les édifices qui couronnent la montagne de Saint-Brieuc et par le grand vide que forment à côté l’anse et la vallée d’Yffiniac. Le navire qui, venant de l’ouest par un beau temps, cherche l’atterrage de Saint-Brieuc entre avec le flot dans les passes occidentales de l’île Bréhat, et, rapidement entraîné jusqu’en travers des roches de Saint-Quay, il marche ensuite au sud-sud-est jusqu’à ce que, parvenu sur la direction de la vallée du Gouet, il tourne à l’ouest et entre dans la rivière par le plein de la marée à laquelle il s’est abandonné au détour des Héaux. Il a fait ainsi 33 milles en moins de cinq heures. Le navire venant de l’est termine avec encore plus de facilité sa course par la même manœuvre.

Le Gouet débouche au fond de la baie par une vallée étroite et profonde sur une longue plage sablonneuse, où ses eaux divaguent à mer basse. À gauche de l’embouchure est l’anse de Port-Aurèle, bordée de roches accores et couverte du nord par la pointe du Roselier. À droite se dresse, à 66 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur le cap qui sépare la vallée du Gouet de l’anse d’Yffiniac, la vieille tour de Cesson : ce monument de l’architecture militaire du XIVe siècle était autrefois entouré d’un double fossé creusé dans le roc. La tour se rendit en 1592, après avoir essuyé quatre cent cinquante volées de canon, au duc de Mercœur, qui tenait pour la ligue ; le duc de Brissac la reprit en 1598 pour Henri IV, et en fit démolir à la mine la face occidentale : ainsi réduite à la forme d’un demi-cylindre, elle sert de retraite aux oiseaux de proie et d’amers aux navigateurs.

L’entrée du Gouet décrit une courbe aplatie dans laquelle ne pénètrent pas les agitations de la mer. Le port du Légué y est établi et est fermé à deux kilomètres de l’embouchure par un pont sur lequel passe la route de Saint-Brieuc ; il consiste en un canal d’une trentaine de mètres de largeur, bordé de beaux quais et pourvu de cales et de magasins. La population s’est fixée de préférence sur la rive gauche, à l’exposition du midi.

Saint-Brieuc est situé à moins d’un kilomètre en arrière du Légué, sur le cap escarpé au pied duquel se bifurquent la vallée du Gouet et celle du Gouëdic. Le saint dont la ville porte le nom débarqua de la Cambrie sur ce rivage en 545. Il ne songeait évidemment point à fonder un établissement maritime, et plaça sa retraite au milieu des bois, sur un lieu élevé, tel que ceux d’où les patriarches aimaient à faire monter leurs prières vers le ciel. Il y bâtit un monastère, fit des défrichemens, et bientôt quelques habitations se groupèrent alentour. Au IXe siècle, le monastère fut érigé en évêché. Plus tard, une population attirée par la force défensive de la position y trouva, sous la protection d’une enceinte crénelée, la seule sécurité qu’ait comportée pendant plusieurs siècles l’état politique de la Bretagne. Les vieux remparts sont tombés lorsqu’ils n’ont plus été qu’une gêne inutile, et de belles promenades en occupent aujourd’hui la place. Doté, par la division du territoire en départemens, d’établissemens que lui refusait l’ancienne organisation provinciale, Saint-Brieuc a doublé depuis 1789, et cette ville est avec 14,053 habitans le chef-lieu d’un département qui en compte 632,613. Sa population n’est que le quarante-cinquième de celle du ressort, et ce n’est point assez pour exercer sur le pays une influence considérable.

Le Légué passe, on ne saurait dire pourquoi, pour le faubourg de Saint-Brieuc : les deux populations sont séparées plutôt que réunies par la raideur des rampes qui les font communiquer. Sauf une étroite issue ouverte par la route de Pontrieux, on ne sort du Légué qu’en passant au travers de Saint-Brieuc, et l’établissement maritime est emprisonné entre des vallées sans routes et des routes rebutantes d’escarpement. Lorsque des tracés excellens s’offraient d’eux-mêmes pour le service du port, on leur en a préféré de détestables. Était-ce crainte que l’aplanissement de l’accès du rivage n’y attirât la population des hauteurs, et qu’une assistance intelligente accordée aux intérêts maritimes n’amoindrît, par les comparaisons auxquelles elle donnerait lieu, les créations du VIe siècle ? Je ne sais ; mais, soit effet de rivalités locales, soit indifférence de l’administration, c’est sans utilité pour notre puissance navale que le chef-lieu de l’un de nos départemens les plus populeux est assis au centre d’un territoire fertile, au fond d’une baie ouverte sur la mer la plus fréquentée du globe.

La construction de quais et de bassins sur une rive accessible aux navires n’est pas toujours le meilleur moyen de les attirer : la perfection et la multiplicité des artères intérieures par lesquelles se forment ou se débitent les cargaisons importent davantage encore à la navigation. La circulation maritime augmente ou décroît avec la circulation territoriale à laquelle elle correspond, et, pour animer l’une, il ne faut souvent que développer l’autre. Deux millions dépensés au Légué à la construction de 1,550 mètres de quais n’ont exercé aucune influence sensible sur le tonnage local. Ce tonnage eût probablement doublé, si l’on eût consacré le quart de cette somme à réunir le port à la route de Brest par un tracé latéral au Gouet, à diriger par le vallon du Gouëdic une rampe adoucie vers le faubourg oriental de Saint-Brieuc et les routes de Quintin, de Moncontour et de Loudéac, enfin à percer, en côtoyant horizontalement l’anse d’Yffiniac, une route directe vers Lamballe et Paris. La longueur totale de ces trois tronçons serait de quinze kilomètres ; en abrégeant les distances, en évitant les pentes, ils procureraient une économie moyenne d’environ 2 fr. sur chaque tonne tirée du Légué. L’agriculture gagnerait encore plus que le commerce à cet allégement des frais de transport. La plage vers laquelle convergeraient les routes à ouvrir est un inépuisable dépôt de tangue ; le territoire adjacent est, comme celui de la cote du Mont-Saint-Michel, exclusivement granitique et tertiaire, et l’amendement calcaire y produit les mêmes effets. Faciliter l’extraction de la tangue, c’est élargir la surface fécondée. Les cantons de Saint-Brieuc., de Châtelaudren, de Plouagat, de Quintin, de Montcontour et de Lamballe, qui sont à portée du Légué, comprennent une étendue de 96,283 hectares, dont 12,990 sont encore incultes, et avec de bonnes routes ils extrairaient 4 à 500,000 tonnes de tangue, fin accroissement de produits agricoles d’environ 3 millions de francs répondrait à ce mouvement.

L’exécution de travaux si féconds serait aujourd’hui d’autant plus opportune que les environs de Saint-Brieuc ont de graves pertes à réparer. Ils prospéraient naguère par la fabrication des toiles de Bretagne. La petite ville de Quintin en était le principal marché, et il s’y faisait annuellement pour 10 à 12 millions d’affaires. Cette industrie des chaumières remplissait les intervalles des travaux des champs ; elle a succombé sous la concurrence des toiles de Belgique, ou plutôt des machines qui les tissent. La Belgique n’a jamais montré beaucoup de gratitude pour les faveurs que nous accordons à ses manufactures ; mais exerçât-on les représailles que pouvait attirer la protection dont son gouvernement couvrait naguère la piraterie littéraire, la vieille fabrication bretonne ne serait pas pour cela ranimée. En effet, elle trouverait les marchés du dehors encombrés des produits de sa rivale, et les procédés modernes de filature et de tissage s’établiraient à Saint-Brieuc même, que le vide fait dans les campagnes ne serait pas mieux comblé ; la dissémination qu’on regrette serait vaincue par le voisinage de grands ateliers aussi bien que par la concurrence étrangère. L’affaissement de l’ancienne industrie locale est donc irrémédiable, et il ne reste qu’à reporter sur de nouveaux objets les habitudes de travail qu’elle a fait naître. L’aspect général du pays, les coutumes, les préjugés, les tendances de ses habitans, tout annonce que les seules industries qui puissent y prendre racine sont celles qui se rattachent immédiatement à la culture et à la navigation. Le Breton n’est point fait pour la vie renfermée des fabriques : il lui faut l’air du ciel, la paix des champs, le retentissement de la mer, et jusqu’aux brumes et aux écueils blanchis d’écume de ses rivages : il réussit dans tout ce qui le rapproche de ces éternels objets de ses affections ; il ne recueille en dehors que mécomptes. Aussi les branches les plus humbles de l’industrie agricole et de l’industrie navale sont-elles ici susceptibles de prendre des développemens spéciaux, et la culture maraîchère des environs de Saint-Brieuc n’est point celle dont il y a le moins à attendre. Cette culture est renommée dans toute la Bretagne : les facilités qu’elle fournissait pour la formation des approvisionnemens de bord contribuèrent, dès le règne d’Henri IV, à imprimer dans la baie l’essor aux armemens pour la pêche de la morue, et de nos jours les besoins des équipages des terreneuviers ont, par un juste retour, élargi les débouchés de la culture. L’industrie maraîchère s’étend actuellement sur presque toutes les communes du canton de Saint-Brieuc ; comme dans le voisinage immédiat de Paris, elle se combine avec la culture des céréales, des fourrages, des racines, et l’on pourrait prétendre sans exagération qu’elle a quadruplé depuis quarante ans les produits du sol qu’elle occupe. Elle s’applique principalement aux choux et aux oignons ; mais l’art d’approprier ces légumes au service des voyages de long cours n’a pas pris la même extension que celui de les faire croître. Si la marine bretonne a besoin de choucroute, elle la fait venir de Strasbourg, et lorsque des procédés nouveaux, mettant des substances alimentaires d’un usage éphémère en état de traverser le temps et l’espace, ouvrent le commerce du monde à ce qui n’était que le commerce d’une province, ce pays, pour lequel ils semblent inventés, ne paraît pas s’en douter. Des légumes frais exposés à une température de 40 à 50 degrés se réduisent, par la vaporisation de l’eau qu’ils contiennent, au sixième de leur poids primitif, et, comprimés ensuite à la presse hydraulique, ils se condensent jusqu’à la pesanteur spécifique de 0,65 ; c’est à peu près celle du bois de sapin. Conservés dans cet état pendant plusieurs mois, pendant plusieurs années, transportés sous les latitudes les plus diverses, ils reprennent, par la simple immersion dans l’eau tiède, le volume, le poids, la saveur et jusqu’à l’aspect qu’ils avaient perdus[3]. Pour ne citer ici que des faits officiellement constatés par l’administration de la marine, des choux embarqués sur l’Astrolabe le 29 janvier 1847 et revivifiés en janvier 1851 ont été trouvés très bons ; les légumes mis en expérience à Cherbourg ont si bien repris leur couleur et leur flexibilité naturelle, qu’ils semblaient nouvellement cueillis ; quelques-uns avaient, à s’y méprendre, l’aspect des légumes frais. On ne sent quelle heureuse influence doivent exercer sur la navigation les procédés de M. Masson qu’en voyant, au bout d’une longue traversée, le dégoût des vivres secs, précurseur des maladies, s’emparer des équipages. Le cri de terre ! ne retentit si vivement à l’oreille du marin, ne ranime si bien son énergie que parce qu’il répond à son insu à l’un des besoins les plus pressans de notre nature. On ne désire avec tant d’ardeur le rivage que parce qu’on se trouve mal à la mer. Terre ! cela veut dire vivres frais et retour de la santé, de la force et de la joie. Il ne s’agit plus aujourd’hui, pour faire accompagner chaque navire des produits toujours verts des jardins du rivage, que de rendre vulgaires des procédés dont le moindre mérite est le bon marché. La condition du marin n’aura pas reçu de plus grande amélioration depuis plusieurs siècles. C’est ainsi que les sciences, donnant ce dont les révolutions font un leurre, mettant à la portée des classes les plus humbles de la société les biens qu’enviaient naguère les classes les plus fortunées, établissent entre les hommes plus de véritable égalité que n’ont jamais fait les institutions politiques : le plus pauvre d’entre nous franchit aujourd’hui la distance de Paris à Versailles en moitié moins de temps que ne le faisait Louis XIV au comble de sa puissance, et bientôt la chaudière du simple matelot sera pourvue d’alimens interdits, sur les galères du XVIIe siècle, à la célèbre table du duc de Vivonne. L’arrondissement de Saint-Brieuc possède les élémens indispensables de cette révolution ; qu’il sache les mettre en œuvre, et il remplacera l’industrie qui lui échappe par des industries dont la concurrence étrangère ne le dépouillera pas plus que de la fécondité de son sol ou de la navigation de sa baie.

Si l’industrie de la salaison est si peu avancée dans le département des Côtes-du-Nord, ce n’est assurément faute ni de débouchés ouverts par la navigation, ni d’abondance de bétail. Le porc est l’animal le plus multiplié du pays ; c’est aussi celui dont la race est la plus défectueuse, et si des croisemens intelligens l’amenaient à une transformation semblable à celle qu’ont opérée dans le département de Seine-et-Oise l’influence et les exemples de la ferme de Grignon, la valeur de la chair obtenue par la quantité de denrées affectée à cette destination serait singulièrement accrue. Le bœuf de la Bretagne, au contraire, est par la saveur et la fermeté de sa chair très préférable à ceux des bords de l’Elbe et de la Hollande, et cependant la marine des côtes méridionales de l’Angleterre tire de Hambourg une grande partie de ses salaisons. Il en coûterait peu dans les Côtes-du-Nord, où ne manque aucune des conditions naturelles du succès, d’emprunter à l’Alsace et à l’Allemagne des procédés dont l’application n’exige que des soins tout-à-fait vulgaires.

Une sorte de salaison tout aussi délicate que celle des viandes est depuis plus de deux siècles familière aux riverains de la baie : c’est celle de la morue, et qui réussit dans l’une peut à coup sûr réussir dans l’autre. Le Légué par sa position au fond de la baie, Saint-Brieuc par les facilités que procure aux affaires la principale agglomération d’hommes et de capitaux du pays, sont devenus le contre des opérations de la pêche de Terre-Neuve. Les ports de la baie font aujourd’hui le huitième de la totalité de nos armemens pour le banc[4], et une institution que devraient s’approprier beaucoup d’autres régions maritimes établit entre eux un lien dont le point d’attache est à Saint-Brieuc : c’est la Société d’assurance mutuelle de la baie. Elle prend à son compte tous les risques de mer que peuvent courir les navires destinés à la pêche de Terre-Neuve, depuis le départ de Bretagne jusqu’au retour, y compris les voyages faits pour le placement du poisson, soit sur les côtes orientales de l’Amérique, soit sur les côtes européennes de l’Océan, soit sur les côtes de la Méditerranée : elle pourvoit à ses charges par la perception de primes graduées sur la valeur et le plus ou moins d’extension des opérations des navires. Les statuts de cette association, dont tous les membres se connaissent, dont tous les objets s’apprécient entre hommes du métier avec une rigoureuse équité, sont d’une remarquable sagesse, et n’ont jamais donné lieu à aucun débat qui ait éclaté au dehors. Ces statuts sont publics, mais les résultats économiques de l’association demeurent secrets entre les intéressés. S’il est vrai, comme on l’affirme à côté d’eux, que les charges de cette mutualité soient inférieures de moitié aux primes fixes qu’exigent dans des circonstances analogues les assureurs maritimes ordinaires, il est fâcheux que ces résultats ne reçoivent pas une publicité qui ferait des prosélytes au système. L’influence salutaire exercée par l’association sur les soins donnés aux armemens paraît n’avoir pas moins contribué que l’économie de la gestion au succès obtenu.

Il ressort de cet aperçu que les élémens d’un établissement maritime puissant entre les établissemens secondaires sont épars au Légué, à Saint-Brieuc et dans les environs, mais presque réduits à la stérilité par leur isolement. Quelques kilomètres de routes tracés avec intelligence, quelques travaux à la mer, dont un coup d’œil jeté sur l’ensemble de la baie fait sentir l’avantage, quelques sacrifices d’amours-propres locaux obtenus, — et le port obscur de Saint-Brieuc prendrait rang parmi les bons ports de la Manche. Tout le département des Côtes-du-Nord devrait se coaliser pour cet agrandissement de son chef-lieu. La France a le tort de classer ses départemens et de dispenser entre eux les parts favorables du patrimoine commun beaucoup moins en raison de leur importance réelle que de celle des chefs-lieux, et le département des Côtes-du-Nord qui est le cinquième dans l’ordre des populations et le cinquante-sixième sur l’échelle des chefs-lieux, est fort intéressé à ce que Saint-Brieuc ne s’obstine pas à rester sur un degré si inférieur à celui où tout l’appelle à monter.

À la sortie du chenal du Légué, le navigateur voit l’anse d’Yfflniac s’enfoncer au sud entre des roches accores. L’anse a 5 kilomètres de profondeur et 800 hectares de superficie. Les moindres barques y seraient en perdition : les vents et les marées y poussent incessamment un mélange de débris granitiques et de coquilles moulues qui l’aurait depuis long-temps comblée sans l’action d’un ruisseau qu’elle reçoit par le fond, et qui, divaguant à mer basse sur la grève, affouille et repousse les dépôts de la haute mer. L’agriculture et la navigation gagneraient également à ce que le ruisseau d’Yffiniac fût rejeté et contenu dans un chenal latéral, qui viendrait déboucher perpendiculairement à celui du Gouet, au pied de la tour de Cesson. Cette affluence d’eau améliorerait l’accès du Légué, et la culture maraîchère de Saint-Brieuc, qui enveloppe déjà l’anse, trouverait dans les alluvions désormais stables qui lui seraient livrées le champ le plus riche dont elle puisse ambitionner la conquête.

Deux ports seulement s’ouvrent sur la côte orientale de la baie. À trois lieues de l’embouchure du Gouet, au-dessous de la pointe de Pleneuf, une coupure qui semble le résultat de l’écartement de roches granitiques d’une quarantaine de mètres d’élévation conduit à un échouage intérieur sur lequel les marées de pleine et de nouvelle lune jettent une couche de cinq à six mètres d’eau. C’est le port de Dahouet. Jusqu’à ces derniers temps, le chenal, obstrué de rochers, n’était praticable que pour les pêcheurs du voisinage ; aujourd’hui dégagé, il reçoit des bâtimens du commerce et donne passage à des navires armés pour la pêche de la morue. Dahouet est le port des cantons de Lamballe et de Pleneuf. Les grains de ce territoire sont des meilleurs de la Bretagne ; ils pèsent dans les années ordinaires quatre-vingt kilogrammes par hectolitre et sont par conséquent très propres à la fabrication des farines d’armement. L’importance du commerce de grains de la baie de Saint-Brieuc avec l’Angleterre et la Hollande était signalée, à la fin du XVIIe siècle, dans les comptes-rendus de l’intendance de Bretagne à Louis XIV. Le pays gagnerait beaucoup à ce que ces exportations eussent lieu sous la forme de farines ; mais l’extrême imperfection des moulins ne permet pas encore qu’il en soit ainsi, on n’y sait pas même employer la moitié des forces motrices disponibles. Néanmoins une usine perfectionnée, établie sur le Gouet auprès de Saint-Brieuc, commence à donner des exemples que ses concurrens devront suivre sous peine de tomber.

Le dernier point abordable de la côte en-deçà du cap Fréhel est un petit port qui n’a point encore obtenu la part d’attention due à son passé, et, si je ne m’abuse, à son avenir. Le joli village d’Erquy s’élève sur l’emplacement de la Rheginea de la table théodosienne. Des médailles, des fragmens de mosaïques trouvés dans le sol, des tronçons de voie romaine alignés dans la direction de Corseult sont les seuls vestiges connus de cet établissement maritime et militaire des Romains. Les anciens du village prétendaient, au commencement de ce siècle, avoir encore vu des débris de murailles de la ville antique mis à découvert par les marées des équinoxes. Quelle que soit la valeur de ce témoignage, il vaudrait mieux, à juger de l’ancien état de la plage par les traces de l’action qu’y exercent les élémens, chercher les restes de Rheginea en arrière qu’en avant du rivage. Les sables poussés par les vents d’ouest, ont comblé le fond de l’anse ; elle pénétrait autrefois beaucoup plus avant qu’aujourd’hui dans les terres : le port romain ne pouvait pas être ailleurs qu’à la place où l’on ne voit plus qu’une lagune, et la ville dont il était le cœur devait lui être adjacente.

Erquy est situé au pied de gracieuses collines, au fond d’une anse ouverte à l’ouest entre les roches de la Houssaye et un cap élevé qui l’abrite du nord par une saillie de deux mille mètres ; l’anse, qui a cinq cents mètres d’ouverture et mille de profondeur, s’arrondit sur une plage sablonneuse. L’entrée est masquée du côté du large par des écueils entre lesquels s’ouvrent quatre passes très sûres pour qui les connaît. En dehors de l’anse, le cap abrite des vents d’amont une petite rade où l’on mouille par quatre à cinq brasses d’eau, sur un très bon fond de sable. Cette rade a servi de refuge à Duguay-Trouin dans une des actions aventureuses de sa jeunesse. Il commandait le Coëtquen de 18 canons, et avait pour matelot un bâtiment d’égale force. Ayant fait rencontre, au nord de l’île Bréhat, de trente navires marchands conduits par deux corvettes anglaises, il se chargea de l’escorte et livra le convoi à son compagnon. Les deux corvettes enlevées, il regagnait l’île avec quatorze prises, lorsque survinrent cinq bâtimens de guerre anglais qui lui en reprirent deux. Duguay-Trouin, pour dégager son camarade qui ; les roches de Bréhat mettaient suffisamment à couvert, prit chasse devant les Anglais et les conduisit droit à Erquy : ceux-ci connaissaient mal l’atterrage ; les plus opiniâtres manquèrent se briser sur les roches dont il est semé, et, après quelques jours de blocus, ils perdirent patience et s’éloignèrent. Cela se passait en 1692 ; Duguay-Trouin avait par conséquent dix-neuf ans. Les Anglais ne se sont depuis lors que trop familiarisés avec ces parages : pendant les dernières guerres, leurs croiseurs, s’embusquant derrière l’îlot rocheux du Verdelet, surveillaient de là toute la baie, et le 12 mars 1796 un convoi de douze voiles, allant de Brest à Saint-Malo sous l’escorte de la corvette l’Étourdie, fut brûlé en rade même d’Erquy par une frégate, deux bricks et un lougre commandés par sir Sidney Smith. La station que Vauban voulait établir dans les eaux de Bréhat servirait à prévenir de pareilles insultes.

Le mouvement du port d’Erquy, bien modeste encore, car il n’a atteint 3,834 tonneaux qu’en 1850, est au début d’un progrès qui peut aller fort loin. Il devra cet avantage à un gisement de grès siliceux, éminemment propre au pavage, qui l’enveloppe du côté du nord. Cette formation constitue toute la côte, sur un développement de vingt-quatre kilomètres, entre le fort de la Latte et le port d’Erquy. Je l’ai côtoyée par mer sur toute sa longueur : la largeur sous-marine en est mal connue, mais elle est visiblement beaucoup plus considérable que celle de la bande territoriale qui s’appuie au midi sur le granit. Ce grès appartient aux terrains de transition du système silurien ; il affecte une transparence supérieure à celle de la porcelaine, avec des teintes variées entre le rose et le vert tendre : la première de ces teintes est la dominante, et quand, aux heures de basse mer, le soleil fait reluire, au pied des falaises noirâtres et sur les talus des écueils qui se déploient à l’ouest du cap Fréhel, les galets qu’y roulent les flots, on croirait de loin les grèves revêtues d’un lit de feuilles de rose. Les terrains de transition des côtes de Bretagne et de Normandie recèlent plusieurs gisemens analogues à celui-ci ; le plus connu s’exploite aux portes de Cherbourg, mais je ne sais aucun grès comparable, pour la finesse et la dureté, à celui d’Erquy.

La seule partie de ce gisement où l’extraction soit économique et facile est celle qui s’étend du port aux Bouches d’Erquy. J’ai essayé d’en reconnaître la limite méridionale, et j’en évalue la superficie à 650 hectares ; elle forme un plateau de 70 mètres de hauteur moyenne au-dessus du niveau de la mer, et peut être considérée comme inépuisable. Ce n’est pas un médiocre avantage dans un lieu si bien situé pour l’exportation.

On a commencé, il y a peu d’années, à façonner en pavés le grès d’Erquy. Les essais de ce pavé faits dans les villes voisines n’ont point été défavorables ; à Rennes et à Saint-Malo, on l’a trouvé moins cher que le granit et très préférable pour l’usage et la durée. Les gens du monde qui parcourent dans d’élégans équipages les rues de Paris et de Londres ne traitent le pavé qu’avec un suprême dédain : les cochers de fiacres et les rouliers le maudissent souvent, les gens à pied quelquefois ; mais les uns et les autres réfléchissent rarement sur les services que rend un objet si grossier, et se doutent peu de ce qu’il faut de labeurs et d’intelligence pour le tenir en état dans une capitale d’un ou deux millions d’ames. Le monde vit de choses vulgaires, et, pour juger de l’influence qu’exercent sur notre existence ces humbles cubes de grès, supposez Paris dépavé : en huit jours, la vie et le mouvement s’éteignent ; les immondices s’accumulent et fermentent au sein de la population ; la ville n’est plus qu’un cloaque infect ; elle apprend, sous l’aiguillon des privations et des épidémies, à honorer le mérite méconnu, et bientôt un paveur y devient un personnage infiniment considérable. Ne médisons donc point du pavé, surtout à propos d’une navigation qui peut lui devoir un brillant avenir[5].

L’entretien de la voie publique exige dans l’intérieur de Paris un million cinq cent mille pavés, et coûte 1,800,000 francs, dont moitié pour la fourniture du grès. Chacun de nous use donc, plus d’un lecteur de la Revue des Deux Mondes l’ignorait peut-être, un pavé et demi par an. Les besoins doivent être les mêmes à Rouen et au Havre, villes marchandes où la circulation est fort active, mais moins bien desservie, et, dans les cas où le Parisien se contente d’un pavé et demi, aucun provincial n’a l’indiscrétion de prétendre à plus d’un pavé. Comptons donc cent mille pavés pour Rouen et trente-deux mille pour le Havre. Les villes intermédiaires servent à l’écoulement des pavés de rebut.

On sait que le pavé des villes de Paris, de Rouen et du Havre est fourni par les carrières de grès siliceux fort nombreuses dans les deux couches de sables supérieurs et de sables moyens du terrain géologique de Paris. Les principales exploitations sont situées sur les bords de l’Yvette, de la Marne, de l’Oise et dans la forêt de Fontainebleau. Aucun concours n’a jamais été, que je sache, ouvert entre le pavé de la vallée de la Seine et celui d’Erquy ; mais le premier appartient à une formation moins ancienne, sa pesanteur spécifique n’est que les quatre cinquièmes de celle du second, et à juger du service de chacun par sa dureté et par les effets destructifs d’un frottement réciproque, le pavé d’Erquy doit durer plus de deux fois autant que l’autre. On pourrait donc trouver son compte à le payer plus cher. L’excédant de durée se traduit en effet en économie de main-d’œuvre ; un bon pavé donne beaucoup moins de boue qu’un mauvais, et les frais de nettoiement se réduisent d’autant. Les économies qui s’expriment en chiffres sont insignifiantes auprès des avantages que procure au public la bonté du pavé : le parcours de la rue dégagée de boue, moins obstruée par les réparations, devient plus facile, plus rapide ; c’est pour les hommes et les animaux l’épargne du temps et de la fatigue. C’est quelque chose que la commodité et l’agrément de la circulation, que le bon marché du transport : la salubrité de la voie publique est d’un intérêt bien supérieur encore. Les savans font de pénibles recherches sur les causes des pestes du moyen-âge : les villes de ce temps n’étaient pas pavées, et celles de l’Orient ne le sont pas encore ; ce simple fait explique les ravages de fléaux dont nous sommes exempts, et les ingénieurs du pavé de Paris préviennent cent fois plus de maladies que la faculté de médecine n’en guérit. Nous n’avons plus la peste, il est vrai ; mais la source des malignes influences qui débilitent sourdement la population des rez-de-chaussée donnant sur la rue est-elle tarie ? Que de tailles gracieuses s’étiolent, que de frais visages se fanent, que d’existences languissent et s’éteignent prématurément dans les boutiques de Paris par l’effet des miasmes dus à la porosité du grès de Fontainebleau ! Et ces effluves ne s’élèvent-elles jamais au niveau des étages supérieures ? Les carrières d’Erquy seraient la fontaine de Jouvence des demoiselles de comptoir, et si la classe respectable des honnêtes gens qui vont à pied est celle qu’affecte le plus l’état du pavé, il est permis, dans un pays qui a la prétention d’être gouverné dans l’intérêt des masses, de s’arrêter sur un pareil objet.

Comptons maintenant. À Paris, à Rouen, au Havre, le pavé cubique de 23 centimètres de côté, dimension que l’expérience a consacrée comme la mieux appropriée à la nature de la pierre et à celle du service qui lui est imposé, coûte 500 fr. le millier. Un pavé a moyennement à Paris trente-trois ans de durée ; réduisons, par courtoisie pour les carrières du bassin de la Seine, celle du pavé d’Erquy à cinquante ans : son admission dans le service de Paris procurera une économie d’un tiers sur les frais de main-d’œuvre. Mais le bon marché des fournitures en accompagnera ici la bonne qualité. Les carrières d’Erquy sont baignées par la mer, et si des travaux peu dispendieux appropriaient l’atterrage à sa nouvelle destination ; le millier de pavés embarqués n’y coûterait pas plus de 120 francs. Il pèse trois tonnes ; le transport et les faux frais reviendraient :


Francs
Pour le Havre 195
pour Rouen 205
pour Paris 240

on épargnerait donc 185, 175 ou 140 francs par millier, suivant celle de ces trois villes qu’il s’agirait d’approvisionner.

Nos voisins les Anglais ont encore plus besoin que nous des carrières d’Erquy. La circulation est plus considérable, l’humidité plus grande, et les matériaux moins résistans chez eux qu’en France. Il passe par jour 10,750 chevaux sur le boulevard des Italiens, la voie la plus fréquentée de Paris ; il en passe 30,000 sur le pont de Londres, et les maisons du Strand et de Cheapside, toujours frémissantes de la trépidation du sol qui les porte, s’inclinent et surplombent, menaçant à leur tour les véhicules qui les ébranlent. On ne parcourt pas les rues de Londres sans éprouver un sentiment de commisération pour les êtres à deux et à quatre pieds qui, exclus de l’usage du trottoir, sont réduits à celui de la chaussée ; mais l’aspect de leur gêne est moins triste encore que la lecture des enquêtes, mémoires, délibérations, où les conseils de paroisse exposent les tourmens que leur cause la difficulté de maintenir la viabilité des rues. Les grès de Kent et de Middlesex sont broyés comme le grain sous la meule par les milliers de roues et de pieds de chevaux qui les bocardent sans relâche. L’alderman Wood a beau importer dans son pays les chaussées à trams dont il a fait la découverte à Milan et les garnir de granit d’Aberdeen ; son granit devient glissant, et des centaines de jambes cassées protestent contre les perfectionnemens qu’il introduit. Sir James Mac-Adam appelle tout aussi vainement à son aide jusqu’à l’Inde et à la Chine ; les galets de Bombay et de Macao ne lui réussissent guère mieux que ceux de l’Europe, et une dépense annuelle de 54 francs par mètre courant pour l’entretien de la chaussée en cailloutis du pont de Westminster la maintient à peine contre l’action des vingt-deux mille chevaux qui la triturent chaque jour. Le désespoir des ingénieurs a tout essayé, jusqu’au pavé de caoutchouc, tout excepté le grès d’Erquy, celui des matériaux à portée de Londres qui coûterait le moins et remplirait le mieux sa destination. La longueur développée des rues, qui n’est à Paris que de 425 kilomètres, est de 1,126 à Londres, et, sans prétendre régler le droit au pavé du citoyen anglais, on peut remarquer que, d’après la consommation du Parisien, il faudrait à la ville de Londres au moins trois millions, c’est-à-dire quatre-vingt-dix mille tonnes de pavés d’Erquy par année. Les autres villes des côtes méridionales d’Angleterre ne tarderaient pas à profiter des exemples de la capitale ; elles emploieraient dans leurs rues et sur leurs routes environ quarante mille mètres cubes de pavés de petits échantillons ou de cailloutis confectionnés avec les débris de la fabrication principale.

Ce simple aperçu des besoins de la France et de l’Angleterre montre que la plus injustement dédaignée de toutes les industries pourrait doter le port d’Erquy d’une importance navale dont n’approcha jamais celle que l’antique Rheginea dut à la puissance romaine. Tout est à faire, mais tout est disposé par la nature pour l’établissement industriel et maritime qu’appellent les bancs de grès d’Erquy. Les moyens de débardage et d’embarquement actuels sont barbares, la ligne d’accostage des navires est tout encombrée de quartiers de roches ; mais il suffirait d’une campagne pour tout transformer. Un jour, peut-être prochain, l’exploitation se déploiera par étages sur toute une ligne de trois kilomètres ; des voies ferrées réuniront les chantiers des carriers aux quais d’un bassin à flot qui n’est pas moins nécessaire pour l’économie et la rapidité des chargemens que pour la sûreté de nombreux navires. La place de ce bassin est marquée par la lagune fiévreuse qui, vestige presque effacé du port romain, désole chaque automne par ses effluves la population voisine. Pour le moment, il conviendrait d’élargir l’échouage par l’enlèvement des roches à fleur de plage qui le garnissent au sud et d’en augmenter la sûreté en fortifiant la digue naturelle de la Houssaye. Chacune de ces dépenses serait très faible comparativement à l’avantage produit.

Le port d’Erquy est le seul point par où le gisement de grès soit attaquable. Si l’exploitation se développait beaucoup, elle tenterait probablement d’élire un second champ sur la plage sablonneuse des Bouches d’Erquy. Ouverte au nord, à mi-chemin du port au cap Fréhel, la plage s’enfonce entre les escarpes du grès et sert de refuge aux bateaux de pêche du village des Hôpitaux. Trois petits ruisseaux se déchargent au fond, et sans doute il ne serait pas impossible de contraindre leurs eaux réunies à creuser dans les sables sur lesquels elles divaguent un chenal praticable. En attendant cet avenir, les Bouches d’Erquy n’offrent au présent que des dunes à revêtir de bois et quelques hectares de bonne terre à endiguer.

Le bon marché des subsistances est une des conditions essentielles de l’établissement des industries qui occupent beaucoup de bras. Erquy est, sous ce rapport, un des points les plus favorisés de la côte de Bretagne. Si l’équilibre actuel entre les ressources et les besoins était troublé par la survenance d’une nombreuse colonie d’ouvriers, il serait facilement rétabli par le défrichement de 1,547 hectares de terres incultes qui s’étendent du cap d’Erquy au cap Fréhel. Les empiétemens commis par quelques riverains sur la partie communale de ces terres prouvent suffisamment combien elles sont susceptibles de devenir productives. Il ne manque, pour les féconder, que de la chaux, et les bâtimens employés à l’exportation du grès pourraient rapporter plus de pierre calcaire que n’en réclamerait l’amendement de toutes les terres du rivage adjacent.

Voilà le périple de la baie terminé. La ligne droite du cap Fréhel à Bréhat, au sud de laquelle elle s’ouvre, est plusieurs fois coupée par les festons d’une ligne de niveau, en dedans de laquelle la profondeur est inférieure à vingt brasses, et va diminuant presque régulièrement jusqu’à la côte. Cette ligne, facile à reconnaître, à la sonde, n’est guère franchie que par les bâtimens obligés par leur destination à braver les écueils dont la baie est semée. Parmi ces écueils, les plus nombreux hérissent les avenues des ports, et la périlleuse nécessité de les ranger de près pour accoster la terre est singulièrement aggravée, pendant une partie de l’année, par le fâcheux établissement des marées. L’établissement est vers six heures du soir[6] ; ainsi, dans les quatre ou cinq jours des marées de vive-eau, les seules où les ports soient accessibles pour les grands bâtimens, le plein de la mer se place entre cinq et sept heures, tant du soir que du matin. Pendant la mauvaise saison, ces heures appartiennent à la nuit. Nous adoucissons quelquefois la rigueur des lois de la nature en modifiant, dans la mesure de notre faiblesse, les circonstances auxquelles elles s’appliquent. S’il est impossible ici de soustraire la navigation à la coïncidence des brumes, des gros temps et de l’obscurité, on peut au moins assainir les atterrages et raser, soit au niveau des plages, soit à celui des basses mers, les roches qu’elle risque le plus souvent de heurter. C’est ce qu’on a fait pour les Galettes, qui masquaient l’entrée du Légué : c’est ce qu’on devrait faire aux abords de tous les autres ports de la baie.

Considérés dans leur ensemble, les écueils de la baie se groupent sur les côtés, et laissent libre au milieu un canal large et profond, qui, marchant du nord au sud, s’épanouit à l’approche de la terre et aboutit aux atterrages de Dahouet, de Binic et du Légué. L’entrée de ce canal est bornée à l’est par le Grand-Léjon, écueil d’autant plus redoutable, qu’élevé de 7 mètres au-dessus des plus basses mers, couvert de 5 par les plus hautes, les courans de flot et de jusant portent dessus avec une violence irrésistible, quand le vent vient à manquer. Le canal est la seule partie sûre de la baie ; le flot et les vents tenant du nord, qui sont ici les plus fréquens et les plus vifs, poussent naturellement vers son extrémité les navires qui manquent par mauvaise fortune ou évitent par prudence l’entrée des ports d’aval, et il est presque toujours facile de s’y maintenir ou de s’y jeter. Cette disposition naturelle des choses met en même temps en relief les vices du domaine maritime et les remèdes qu’il y faudrait apporter. Ceux-ci seraient de deux sortes et se placeraient l’un à l’ouverture, l’autre au fond de la baie. Le premier consisterait dans l’élévation sur le Grand-Léjon d’une pyramide doublement utile comme balise méridionale du chenal de Granville et de Saint-Malo et comme indication de l’entrée du chenal de Saint-Brieuc. La construction de ce signal ne serait point une entreprise ordinaire ; mais, indépendamment des ressources offertes par les métaux, il n’y a point ici de difficultés invincibles pour l’art qui fait briller à l’horizon le feu des Héaux de Bréhat. L’établissement d’un refuge central que pussent toujours gagner les bâtimens compromis dans ces parages dangereux importerait bien davantage encore. Quinze années d’observations attentives en ont désigné l’emplacement aux ingénieurs hydrographes de la marine, et la certitude de procurer ainsi à la navigation de la baie la sécurité, sans laquelle elle ne se tirera jamais de sa médiocrité, les a fait sortir de leur réserve habituelle sur les indications : de travaux[7]. Cet abri, dont les avantages et l’insuffisance du Port-Penthièvre font mieux que jamais sentir la nécessité, cet abri serait au Port-Aurèle : un môle, enraciné sur la pointe du Roselier et s’avançant de 400 mètres au sud-est, en rendrait la sûreté parfaite, et les navires y seraient portés sans effort par la plupart des accidens de mer dont ils sont assaillis dans la baie. La nature du fond et la proximité des matériaux renfermeraient dans d’assez étroites limites les dépenses de ce travail.

Cette construction rendrait un autre service à la région maritime et territoriale dont elle occuperait le centre : elle concourrait à lui donner la métropole qui lui manque pour attirer la navigation lointaine, le commerce et les capitaux. Le refuge du Port-Aurèle servirait d’avant-port au Légué, et le dédommagerait ainsi du désavantage de n’être pas accessible à toute marée. Malgré les obstacles suscités par l’incurie des hommes, le Légué tend à devenir le foyer des principales relations du pays : il ne faut, pour s’en convaincre, que considérer la manière dont se répartissent entre les ports de la baie le mouvement naval et les produits des douanes. Ils ont été en totalité :


En Tonneaux Francs
1846 140,504 239,609
1847 136,396 188,533
1848 127,477 178,221
1849 127,546 174,468
1850 133,933 145,722
1851 199,724

La part du Légué dans la moyenne annuelle d’un mouvement de 133,153 tonneaux et d’une perception de 187,879 fr. est de 45,000 tonneaux et de 133,153 francs ; c’est plus du tiers de la navigation, ce sont les sept dixièmes de l’impôt. La vente annuelle des sels pendant la même période a été de 15,812 quintaux au Légué, et de 10,102 seulement dans le reste de la baie. On peut affirmer sans témérité, d’après ces indices de l’étendue relative du marché que dessert le port du Légué, que la réalisation des améliorations qu’y réclament l’état du rivage et celui de la mer, y développerait bientôt un mouvement égal à celui de la baie entière. Cet avantage serait l’effet d’une création et non d’un déplacement d’intérêts. Loin d’y perdre, les ports voisins y gagneraient par l’extension de leurs relations avec une place de commerce qui, sans leur rien enlever, les ferait participer aux avantages de l’extension de son rayon.

Les améliorations dont l’état doterait la baie de Saint-Brieuc n’auraient pas le sort de germes enfouis dans une terre inféconde. Dans les dix dernières années, la pêche de Terre-Neuve, que nous regardons avec raison comme notre meilleure école de matelots, a légèrement rétrogradé dans son ensemble : en 1840, les ports étrangers à la baie envoyaient à Terre-Neuve 9,933 hommes ; ils descendent en 1850 à 9,368 ; la baie, au contraire, porte ses armemens de 1,168 hommes à 1,412, Le rapprochement des inventaires respectifs du matériel naval est encore plus remarquable : le matériel des autres ports de l’Océan réunis comprend 512,437 tonneaux en 1840 et 509,836 en 1830 ; tandis qu’il n’est pas même stationnaire, celui de la baie passe de 13,145 tonneaux à 19,320, et s’accroît de 47 pour 100. L’état doit aider ceux qui s’aident eux-mêmes, et quand il place ainsi les encouragemens, il ne fait qu’élargir les bases de sa puissance. Qu’on n’hésite donc point à fortifier les élémens de prospérité navale qu’a réunis la nature et que paralyse l’incurie des hommes autour de l’atterrage de Saint-Brieuc : ce sera donner à peu de frais aux villes maritimes de la côte opposée d’Angleterre une rivale qu’elles ne sauraient mépriser.

Il suffit d’un coup d’œil jeté sur une carte de Bretagne pour comprendre la pensée de Taliban sur la défense de cette côte et les avantages du port de refuge que nos ingénieurs hydrographes voudraient ouvrir au-dessous de Saint-Brieuc. L’atterrage de Bréhat, situé sur un angle saillant au milieu de la côte septentrionale de la Bretagne, s’avance comme un bastion à mi-distance entre Brest et Cherbourg : c’est la place de la station navale dont la protection devait, aux yeux de Vauban, couvrir tout ce qui est en arrière. Doublement précieuse pour la défense et pour l’attaque, depuis que l’application de la vapeur à la navigation a rendu les croisières plus redoutables, cette station relierai l’un à l’autre nos deux grands ports militaires de l’Océan. — L’établissement commercial se développerait au fond de l’angle rentrant adjacent et au foyer d’une aire territoriale triple de celle qui s’allonge vers Bréhat. La vieille alliance entre la marine marchande et la marine militaire ne reposerait nulle part sur des hases plus solides et plus fécondes.

J.-J. Baude.

  1. Voyez les Côtes de la Manche dans la livraison du 1er juillet 1851 et la première partie des Côtes de Bretagne dans la livraison du 15 novembre suivant.
  2. Dans le langage ordinaire, le mot sillon signifie une ligne creuse. Ce mot a quelquefois un sens tout contraire sur la cote de Bretagne : ainsi, à Saint-Malo, le sillon est la ligue qui réunit à la terre ferme la ville qui fut autrefois l’île d’Aleth.
  3. Voir les Mémoires de l’Académie des sciences, t. XXXII, 1851.
  4. Les contingens se sont répartis en 1850 de la manière suivante :
    bâtiments hommes
    Paimpol 1 57
    Portrieux 4 246
    Binic 11 520
    Le Légué 22 527
    Dahouet 2 62
    En tout 29 1,412
  5. Dans les détails qui suivent, j’ai profité des instructives recherches de M. Darcy, inspecteur divisionnaire des ponts-et-chaussées, sur le pavage et le macadamisage des chaussées de Londres et de Paris. (Paris, in-8o, 1850.)
  6. On entend par établissement des marées d’un port l’heure a laquelle la marée qui suit le passage de la nouvelle lune au méridien atteint sa plus grande hauteur. Cette heure est toujours la même, et sert de point de départ pour le calcul des heures de la pleine mer dans l’intervalle entre les syzygies.
    L’établissement exact des marées est :
    à l’île Bréhat, à : 8 heures 48 minutes du soir.
    à Paimpol, à : 6 heures
    au Légué et à Erquy, à : 6 heures 5 minutes du soir.
  7. Voir le Pilote français, page 132 des Instructions nautiques publiées au dépôt de la marine en 1851.