LES CÉSARS.

v.

NÉRON.[1]


IV.RÈGNE DE NÉRON.

Cette histoire est difficile. Le fils du brutal Domitius et de l’infâme Agrippine, né les pieds en avant[2], cet enfant confié d’abord à un danseur et à un barbier, grandit au milieu de la corruption maternelle et de la corruption impériale, parmi cette foule de sales courtisans qui exploitaient et baffouaient Claude. Devenu empereur, c’est-à-dire l’homme du monde le plus puissant, le plus sujet à se corrompre, le plus exposé, à un âge qui n’est pas encore celui de la jeunesse, ce César enfant ne promet rien de bon. Pourtant le voilà les délices du genre humain, l’idole du peuple ; quand il s’agit de signer la sentence de mort d’un voleur, il voudrait ne pas savoir écrire. Chose plus merveilleuse encore, il donne des jeux sans que personne y périsse ; pas une goutte de sang proscrit ne coule par son ordre ; le carnifex se croise les bras, le délateur mendie son pain en exil, et Trajan, ce saint empereur que le pape Grégoire-le-Grand pria Dieu de faire entrer par exception dans le paradis, Trajan souhaitait que les meilleures années de son règne eussent ressemblé à ces premières années de Néron. Bientôt, il est vrai, il aura tué son frère, sa mère et sa tante ; mais ce ne sont pas là des proscrits. La maison des Césars est au-dessus de la loi pour tuer et pour mourir ; un empereur qui ne fait périr que les siens est un souverain clément, doux, populaire, et un long repos, que le monde n’avait pas eu depuis Auguste, lui est donné sous un prince parricide. Cependant, au bout de sept ou huit ans, le charme impérial opère : le vieux démon de Caligula et de Tibère se réveille. Prenez garde, ce tigre apprivoisé a léché un peu de sang humain, il sent sa race. Voici les délateurs qui remontent à la surface, les suicides commandés qui se renouvellent, la lancette du chirurgien qui succède au lacet du bourreau et à l’épée du soldat ; c’est un Tibère enfant, un Tibère prodigue, voluptueux, artiste, musicien, pantomime, fou, et par cela même plus cruel. Il est donc bien puissant et bien sûr de son pouvoir pour rompre ainsi en un jour une dissimulation aussi longue ? Il a jeté bien de l’or à ses prétoriens ? Il les a bien alléchés aux proscriptions ? Sa garde de Germains est bien nombreuse et bien farouche ? Non : un beau jour, après que le monde l’aura long-temps souffert sans avoir jamais fait un puissant effort pour le rejeter ; après bien de vaines tentatives, des conspirations de philosophes, de débauchés et de femmes ; après une dernière et plus menaçante entreprise, et au moment où elle avorte, je ne sais trop pourquoi, un homme se présente aux prétoriens, mandataire improvisé à qui personne n’a donné mandat ; cet homme promet, au nom d’un général qui ne le connaît pas, des sommes énormes que celui-ci ne pourra jamais payer, et conclut un marché en vertu duquel les soldats ne tuent pas, ne se soulèvent pas, mais seulement quittent, avant d’être relevés, leur corps-de-garde du mont Palatin pour aller se promener dans les faubourgs, et l’empereur, perdu parce qu’il est seul, va se donner un coup de couteau dans une cave qu’un de ses affranchis veut bien lui prêter pour mourir.

Aurons-nous du moins, contre cette peu croyable histoire, la ressource du paradoxe ? et pourrons-nous bâtir, comme cela se fait agréablement de nos jours, une contre-histoire de notre façon ? Nous ne sommes pas ici dans le vague océan des siècles primitifs ; ceci est de la pure et positive histoire. Tacite, tout honnête homme qu’on puisse lui reprocher d’être, est un annaliste exact, un chronologiste scrupuleux, dépouillant, à la manière du président Hénault, les archives du sénat et les Acta diurna, le Moniteur de son temps. Quant à Suétone, je l’ai déjà dit, c’est le sang-froid glacé d’un greffier du parlement, c’est l’érudit des inscriptions et belles-lettres, qui, pour toutes les rancunes et tout l’esprit de parti du monde, ne perdra pas la petite note qu’il a prise sur son calepin. Ces deux hommes, assez rapprochés de ce temps pour le bien connaître, assez éloignés pour n’en pas trop ressentir les passions, ne sont démentis pour le corps des faits, ni par Dion Cassius, ni par Plutarque, deux Grecs peu soucieux des ressentimens de la vieille Rome contre Néron.

C’est en racontant cette histoire que je tâcherai de l’expliquer. J’ai déjà montré en Tibère la nature et le principe du pouvoir impérial, pouvoir tout de fait et de terreur, fondé sur l’isolement, la faiblesse, l’effroi de chacun, et qui s’éteint dès que le licteur ne gagne plus de vitesse l’assassin ; en Caligula, l’effet de ce pouvoir sur une ame faible et mal élevée, et cette maladie particulière de l’esprit que j’appellerais la manie impériale, double exaltation enfantée par le danger et la puissance, désir sans terme et peur sans cesse, rage de jouissance et crainte de la mort. J’ai fait, si j’ose dire, d’abord la politique, puis la psychologie des Césars ; permettez-moi d’être incomplet plutôt que radoteur, et de renvoyer à ce que je disais alors.

Néron n’était pas de force à supporter le vertige d’un tel pouvoir, — et qui l’eût supporté à dix-sept ans ? — Faible de cœur, comme Caligula le fut d’esprit, doucereux et craintif, artiste incliné devant ses juges, empereur tremblant devant son peuple, rougissant aisément, et, par embarras d’esprit ou de conscience, se laissant dire de rudes vérités, n’écoutant le reproche qu’avec une sorte de pudeur qui alla parfois jusqu’à ne pas le punir, superstitieux enfin, craignant les rêves et les fantômes, ses vices n’avaient rien de hardi ni de grandiose. Lui et son ami Othon (deux polissons qui furent l’un après l’autre maîtres du monde) couraient les rues la nuit, en perruque et en habit d’esclave, jetaient les gens dans les égouts, en bernaient d’autres sur des couvertures, battaient, étaient battus, et revenaient parfois roués de coups. Ce fut toujours le même homme, et ce tapageur nocturne du pont Milvius, dont la joie suprême était de faire l’émeute au spectacle, eut beau être tyran et parricide, il demeura toujours un gamin couronné.

Pour faire de cette misérable nature quelque chose de redoutable au monde, et, comme le dit saint Augustin, pour que « le suprême modèle des mauvais princes se trouvât être cet histrion voluptueux dont on ne devait redouter rien de viril, » il fallait son siècle et sa cour, et leur incroyable appétit de servitude. Il fallait Narcisse et Tigellin, gens qui, même dans une ame pure, eussent su trouver le vice, le choyer et le faire grandir. Aussi, dès le début, quand Néron était tout miel encore, y avait-il déjà lutte à qui le dominerait entre les diverses corruptions de la cour. C’était, d’un côté, Agrippine, qui, assistant au sénat derrière un rideau, ne voulait pas du pouvoir pour l’adoucir, mais pour en user largement, avec la sauvage légitimité du crime, comme l’avait pratiqué Caligula ; et avec Agrippine, ce qui tenait à la vieille popularité du nom de son père, nobles, courtisans, amis de sa famille, fidèles affranchis de Claude, ralliés à elle depuis qu’elle l’avait empoisonné. D’un autre côté, le stoïcisme, dont nous avons annoncé le réveil philosophique et dont l’action politique allait se faire sentir, relevé du champ de bataille de Philippes où avec le cadavre de Brutus il était resté livré aux vautours, promenait déjà dans les rues de Rome la longue barbe et la face ridée de ses philosophes, et quelques-uns de ses disciples aimaient à venir aux soupers de Néron faire étalage de mines renfrognées. Le stoïcisme avait auprès de César ses députés, Sénèque et Burrhus, vertus relatives, honnêtes gens de ce siècle ; car Burrhus, qui, à la mort de Claude, avait aidé à escamoter les droits de Britannicus, et Sénèque, apologiste, sinon conseiller de la mort d’Agrippine, furent néanmoins populaires parmi les gens de bien. On pensa même une fois à faire Sénèque empereur, « à cause de l’éclat de ses vertus, dit Tacite, et parce que lui était innocent[3]. » Comprenez bien ce dernier mot.

La lutte s’établissait. « Point de philosophie, mon fils, disait Agrippine ; elle ne vaut rien à un empereur. » Le vieil instinct des Césars devinait son ennemi. « Respecte ta mère, mais sois empereur, » lui disait Sénèque. Le prix était à qui flatterait le plus. Les amours de Néron étaient encore timides : Sénèque lui prêtait le nom d’un de ses amis pour les cacher à Agrippine ; Agrippine, son appartement, sans doute pour les cacher à Sénèque. Les philosophes laissaient monter leur élève sur le théâtre en gémissant, mais sans rien dire, toujours dans la peur qu’il n’allât plus loin ; et Sénèque, qui avait flairé la bête carnassière, lui adressait son traité De la Clémence, le louant du sang qu’il n’avait pas versé, de peur qu’il n’en versât le lendemain. — Mais, en fait de flatterie, Agrippine était bien novice, les philosophes bien réservés ; Néron avait d’autres amis plus infimes et par cela même plus intimes aussi : des affranchis, les meilleurs confidens des Césars, qui avaient l’âme basse comme leur imagination était haute. Néron, avec ses goûts de volupté puérile et vulgaire, s’arrangeait fort de la société des valets. Une mère jalouse de dominer, des pédagogues qui lui disputent leur élève, des valets débauchés qui le corrompent, histoire d’écolier ! mais cet écolier de dix-sept ans tenait bien réellement entre ses mains le sceptre du monde, pouvait jouer au besoin avec le poison et l’épée, avec les têtes des sénateurs et l’honneur des nobles Romaines. Aussi, pendant qu’avec des insinuations habiles et polies, Sénèque et Burrhus supplantent Agrippine, que celle-ci s’irrite, se réconcilie, rallie les mécontens, prend en main la cause de Britannicus qu’elle a si cruellement persécuté, Néron tout à coup échappe à la fois à sa mère et à ses maîtres, fait consulter par le centurion même qui la garde la vieille Locuste, que la vertueuse police de Burrhus allait faire étrangler, et qui, sauvée à temps, y gagne l’impunité, de l’argent et des élèves[4] : — école d’empoisonnement fondée par l’empereur ! — Néron demande, non un poison lent, timide, secret, comme celui qu’elle a composé pour Claude, mais un poison actif, prompt, foudroyant. — Je crains peut-être, disait le César enfant à Locuste, je crains peut-être la loi contre les empoisonneurs[5] ? — Britannicus tombe raide mort à la table impériale. Pendant qu’on l’enterre à la hâte, et qu’un peu de pluie, essuyant le plâtre dont Néron lui avait fardé le visage, montre au peuple les taches livides du poison, les deux sages du palais, consternés et gémissans, s’enrichissaient néanmoins des villas de Britannicus.

Britannicus mort, c’était le tour d’Agrippine. Agrippine entourée de haines, de haines féminines surtout, qu’avaient provoquées son orgueil de belle femme et son orgueil d’impératrice, ayant peut-être épuisé, après tant d’infamies, la dernière ressource de l’inceste, se faisait de ses crimes, qu’elle avait commis pour Néron, une force et une défense : son fils la craignait parce qu’il lui avait obéi ; il la tua parce qu’il la craignait. Une femme, Poppée, sera surtout l’auteur de sa mort. La vie de Poppée est pleine d’intrigues : pour le moment mariée[6] à un chevalier romain, Othon la fait divorcer et l’épouse ; Néron l’aime à son tour, envoie Othon gouverner la Lusitanie, et veut la faire divorcer encore[7]. Mais Poppée divorcera-t-elle donc pour n’être que la maîtresse de César ? Laissera-t-elle en place la fille de Claude ? Cela est bon pour l’affranchie Acté ; mais elle, la patricienne, vaut bien Octavie, la fille de Messaline. C’est par le mépris qu’elle agit sur Néron. Voyez comment se laissait mener l’ame petite et misérable de César ! « Elle était mariée après tout, disait-elle ; l’hymen d’Othon était un beau mariage qu’elle ne voulait pas perdre[8]. Elle tenait à cette vie de luxe, vie non pareille qu’elle trouvait chez son époux ; là tout était grand et de magnificence et de cœur, tout digne de la première place. Néron au contraire, amant d’Acté, conjoint d’une esclave, n’avait gagné à cet ignoble commerce que d’abjectes et mesquines habitudes. Enfant maintenu par sa mère dans une rigide tutelle, avant de prétendre à l’empire, qu’il pensât à la liberté !… Il craignait de l’épouser ?… Qu’il la renvoyât à Othon ; même au bout du monde, elle aimait mieux ouïr l’opprobre de son empereur que d’en être témoin. » Ainsi parlait-on à Néron César. — Le matricide s’achèvera donc. Laissez-moi, pour les détails de ce grand drame, vous renvoyer à Tacite. Mais voici une scène qui donne la mesure de la vertu de ce temps. Une première tentative de meurtre sur Agrippine a manqué : Agrippine a fui à la nage ; le peuple s’émeut pour elle ; elle peut armer ses esclaves, soulever les soldats, implorer le sénat et le peuple. Néron appelle en conseil Sénèque et Burrhus : tous deux gardent long-temps le silence ; enfin, sur un regard interrogatif de Sénèque : « Les soldats du prétoire, dit Burrhus, sont dévoués à la maison de leur prince, ils se souviennent de Germanicus, ils n’oseront rien contre sa fille ; qu’Anicet tienne sa promesse ! » Anicet, le commandant de la flotte de Misène, était le conseiller de cette première tentative de meurtre. Voilà tout ce que la philosophie ose faire pour détourner un tel crime.

À la mort d’Agrippine éclate toute la servilité romaine. Ce crime indigne, mais il effraie, et toutes les gloires de Rome, toutes les vertus du sénat sont aux pieds de Néron. Burrhus l’envoie complimenter par les officiers du prétoire ; les villes de Campanie font fumer les autels et remercient les dieux ; Sénèque adresse au sénat l’apologie de son maître ; le sénat maudit Agrippine au seul moment où elle soit digne de pitié ; le sénat supplie Néron de revenir à Rome. Non seulement le sénat, mais tout le peuple vient au-devant de lui. — Quel besoin avait le peuple d’être servile à ce point ? — Ici toutes les femmes, là tous les enfans, toutes les tribus de Rome ; et au milieu des échafauds dressés sur son passage, Néron va rendre grâces au Capitole. Un seul homme protesta ; Thraséa à ce moment se leva et sortit du sénat.

Néron pourtant, « quand le crime fut consommé, en comprit l’horreur. » Ce ne sont pas les remords profonds, dissimulés de Tibère ; l’ame de Néron n’est pas de force avec son crime ; il passe toute une nuit dans le délire et avec des tressaillemens soudains. Mais (ici je traduis Tacite, qui est admirable) « la face des lieux ne change pas comme celle de l’homme ; toujours, devant lui, il avait cette mer et ces rivages où déjà, dit-on, des cris plaintifs et la trompette funéraire se faisaient entendre auprès du tombeau d’Agrippine. » À Rome même, l’indignation se fait jour, et on a trouvé un enfant exposé avec cet écriteau : « Enfant abandonné de peur qu’il ne vienne à tuer sa mère ! » On remarque qu’à cette époque Néron rêva pour la première fois de sa vie ; ce doit être quelque chose d’effrayant qu’un premier rêve et un pareil rêve[9].

Sans suivre l’ordre des temps, voyez la fin de la famille impériale ; lisez encore dans Tacite le touchant récit des malheurs d’Octavie, son exil commandé par Poppée, la redoutable pitié du peuple, qui, lui, avait son franc parler avec Néron et exigea le rappel de l’exilée ; ses tumultueuses actions de graces, qui effrayèrent Néron, servirent Poppée, et que l’empereur fit réprimer à coups de sabre, tout épouvanté d’avoir été aussi clément. À la vue de cette sympathie populaire, l’une des plus énergiques qui ait éclaté sous les empereurs, on comprit que la fille de Claude méritait qu’on lui trouvât un délateur ; et comme ses esclaves, mis à la torture selon l’usage, ne répondaient qu’en protestant de son innocence, comme on l’accusait d’adultère et qu’il s’agissait de lui choisir un complice, comme le vieux principe de Tibère était de mêler à tout l’accusation de lèse-majesté, Néron retrouva cet Anicet, l’instrument du meurtre d’Agrippine, lequel, encouragé et menacé tout à la fois, s’avoua l’amant d’Octavie, son complice de conjuration, la fit condamner par un « conseil d’amis » (car tout tribunal était bon), et fut exilé en Sardaigne, où il vécut riche et mourut dans son lit. Il y a eu des siècles barbares ; mais en nul siècle la théorie du crime ne fut aussi savante, et la pratique mieux raisonnée qu’en celui-ci. Octavie et Agrippine sont un triste exemple du sort qui attendait les femmes placées près du trône de César, soit qu’elles restassent, comme l’une, dans la limite de leur devoir, soit qu’elles s’emportassent, comme la mère de Néron, à toutes les ambitions et à tous les crimes. La famille impériale était réduite à des femmes, et quand Néron eut tué Domitia, sa tante[10], et Antonia, fille de Claude, il put se vanter d’être le seul qui eût le droit de prétendre au nom de César. Cette Antonia périt pour n’avoir pas voulu l’épouser. Long-temps persécutée par Agrippine, deux fois elle fut rendue veuve par le fait de la justice impériale. Tel était le sort des princesses du sang ; trop honorées pour qu’on ne leur fît pas épouser de beaux noms, les beaux noms étaient trop redoutés pour qu’elles tardassent à devenir veuves.

En tout, une différence qui tient aux causes les plus élevées, est frappante entre l’antiquité et l’histoire moderne. Le rôle des femmes, dans l’histoire chrétienne, est le plus souvent noble et salutaire ; dans l’antiquité, quand elles en jouent un, il est presque toujours criminel et funeste. Surtout à l’époque des Césars, où ce n’est plus la femme grecque sévèrement enfermée dans un gynécée, ni la matrone romaine, plus honorée, mais soumise à une tutelle de toute sa vie, fille de son mari, disent les jurisconsultes, la femme, quand elle n’est pas esclave ou prostituée, est hardie, impudente ; elle a les passions cruelles, les allures et l’ambition viriles. C’est Césonie sous Caligula, Agrippine et Messaline sous Claude, Poppée sous Néron ; sous Auguste, c’était la rusée et vieille Livie. Tout cela se mêle aux sanglantes affaires de l’état, fait bouillonner parmi tant de passions le venin de ses jalousies et de ses haines, tout cela tue, tout cela est tué comme des hommes. Césonie, le casque en tête, passe à cheval devant le front des prétoriens ; Agrippine s’asseoit sur le trône de Claude, et donne audience à des ambassadeurs. La femme a reçu cette émancipation brutale que de nos jours on a rêvée contre elle ; elle est libre, elle prend un mari, le répudie, le reprend, compte les années par le nom de ses époux, épouse dans la pensée du divorce, fait divorce dans la pensée du mariage : la gazette de chaque matin annonce quelque répudiation[11]. Ne soyez pas si glorieux, débauchés de Rome, la femme n’a rien à vous envier ; elle, qui aux temps antiques ne paraissait pas au festin, veillera pour l’orgie comme vous, s’enivrera comme vous, provoquera comme vous cet ignoble vomissement que vous a enseigné l’intempérance ; comme vous, déchirant à coups de fouet le corps de ses malheureuses esclaves, au milieu des soins de sa toilette, elle appellera le bourreau pour les châtier. Elle veut tout ce qui vient de vous, jusqu’à vos misères. Hippocrate se trompait lorsqu’il attribuait des châtimens privilégiés à l’intempérance des hommes ; la femme n’échappe pas plus que vous à la calvitie ni à la goutte. Des faiblesses de son sexe, en est-il une qu’elle n’ait pas secouée ? Honteuse de sa fécondité, elle cachera sous les plis de sa robe le vulgaire fardeau de son sein ; ce n’est pas assez, elle lui donnera la mort. La voulez-vous au théâtre ? elle y monte ; dans l’arène ? l’y voici ; l’épieu appuyé sur sa poitrine découverte, elle attend le sanglier[12].

Mais, tandis que le sang impérial coulait ainsi, sang privilégié, affaires domestiques auxquelles le peuple n’avait pas l’indiscrétion de se mêler, Néron laissait l’empire à Sénèque et à Burrhus, négligeant assez les affaires de l’état pour les abandonner aux honnêtes gens. Après le meurtre d’Agrippine même, il eut une recrudescence de popularité : il rappela d’exil les disgraciés de sa mère, éleva des tombeaux à ses victimes, faisant ainsi étalage des cruautés d’Agrippine. Trois ans après le matricide, Thraséa lui-même louait ce gouvernement qui avait aboli le lacet et le bourreau ; Rome, qui avait souffert Séjan, Tibère, Caligula, Claude, Messaline, Agrippine, ne devait pas se montrer difficile en fait de miséricorde et de clémence.

Cependant le caractère impérial se développait. Ce caractère avait son côté élégant, artiste, civilisé, ses prétentions au talent et ses ambitions innocentes. Caligula, quelque fou qu’il put être, ne fut ni un génie oisif, ni une intelligence éteinte. Néron était trop empereur pour ne pas avoir tous les goûts de son siècle. Poète, il rassemblait chez lui tous les beaux esprits du temps, qui venaient dans ces soirées littéraires apporter chacun son hémistiche, et de ces hémistiches réunis il composait ses poèmes ; orateur, il se fit décerner la palme de l’éloquence (sans concours, il parlait trop mal) ; philosophe, il appelait les stoïques à sa table et se divertissait de leurs disputes ; que sais-je ? il était peintre, sculpteur, joueur de lyre ; bien mieux, il était cocher. Ses manies d’artiste rendaient-elles Néron plus noble et meilleur ? Non ; l’intelligence elle-même n’est pas tout. D’ailleurs, selon la moralité et la légalité anciennes, les talens de ce genre étaient choses réprouvées, interdites, déshonorantes : jouer de la lyre était une honte ; danser, c’était abdiquer toute pudeur virile. La vieille morale, impuissante contre les arts, était assez puissante encore pour dégrader les artistes.

Ajoutez à cela cet esprit romain qui matérialisait toute chose. La peinture et la sculpture n’étaient plus ces arts sacrés du temps de Phidias ; le talent du cocher et celui du pantomime étaient bien autrement populaires. La musique même, la passion favorite de Néron qui eut toutes les passions, la musique, cet art si grave et si saint dans la Grèce qui en avait fait un des fondemens de la cité, la musique n’était plus qu’un métier de mendiant. Elle n’accompagnait plus que les tueries de gladiateurs, les soubresauts des funambules, l’orgie des festins ; et, il faut le dire, des arts à la volupté, de la volupté à la corruption, de la corruption au meurtre, le passage était plus prompt que nous ne pouvons le comprendre.

Quant à Néron, sa mère avec cette dignité hautaine que la corruption tempérait, ses deux maîtres avec leur indulgente vertu, le gênèrent quelque temps. Il eut d’abord dans ses jardins un cirque où il conduisait des chars devant un public choisi ; le peuple commença à se presser aux portes et à demander qu’on l’admît. Il eut dans son palais un théâtre de société, où il chantait pour ses amis, et où il faisait assister le grave Burrhus ; le peuple, bon courtisan, fit tapage, ne voulut plus de ses acteurs roturiers et demanda Néron[13] ! Mais croyez-vous que l’empereur sur la scène ne sera plus l’empereur, qu’au moment où il y paraît tremblant devant ses juges, essuyant la sueur de son front, saluant le peuple, accordant sa lyre, son cortége de centurions et de tribuns l’abandonnera ; qu’il n’aura pas un consulaire pour porter sa lyre, un consul pour faire l’annonce du spectacle et réclamer l’indulgence du public en faveur de ce timide débutant ? Si Néron chante, il lui faut un chœur de sénateurs, de consulaires et de matrones ; s’il monte sur la scène, il faut que toute l’aristocratie l’y accompagne. Une école est ouverte où, jeunes et vieux, toute la noblesse vient apprendre l’art des histrions. D’abord Néron a gagé à des prix énormes quelques nobles ruinés ; la peur, l’esprit de cour, la force au besoin, en amèneront assez d’autres[14]. Ne cherchez plus la vieille Rome au temple, au forum et au sénat ; six cents chevaliers, quatre cents sénateurs, des femmes de grande famille sont appareillés pour l’arène ; d’autres chantent, jouent de la flûte, font les bouffons. Le monde vaincu va contempler là les descendans de ses vainqueurs, rire des lazzis d’un Fabius ou des grandes tapes que les Mamercus se donnent[15]. La vertu de Thraséa joue un rôle dans les jeux juvénaux ; la noblesse d’une Élia Catulla vient, à quatre-vingts ans, danser sur le théâtre ; la bonne renommée d’un chevalier romain est à cheval sur un éléphant[16]. Les pantomimes, jusque-là adorés des sénateurs et châtiés par le sénat, objets des sévérités officielles et des admirations privées, expulsés périodiquement de l’Italie et y revenant toujours, se vengent du dédain de la vieille Rome en lui tendant la main pour monter sur les tréteaux ; l’ami de Néron, l’histrion Pâris que plus tard il fera mourir par jalousie d’artiste, aujourd’hui, afin de gagner ses éperons de citoyen, se fait donner par son prince tous les patriciens pour camarades[17].

Ainsi les haines s’accumulent. L’aristocratie, qui d’elle-même serait montée volontiers sur le théâtre, garde rancune à Néron de l’y avoir fait monter de force. Néron voit s’élever son grand et sérieux ennemi. Le stoïcisme a un peu retrempé le vieil esprit romain. Il se fait une alliance entre la philosophie et le patriciat, entre la vieille Rome et la Grèce nouvelle, alliance défensive contre l’esprit impérial. Le sénat, qui garde depuis l’avénement de Néron quelque liberté de délibération, laisse cette opposition se trahir ; le jurisconsulte Cassius, un de ces hommes dont il semblerait que l’espèce n’eût pas dû survivre à la bataille de Philippes, conserve chez lui l’image du meurtrier de César, son aïeul, avec cette inscription : « À notre chef[18]. » D’un autre côté, au milieu des voluptés de Rome, des hommes, des femmes se rassemblent dans les jardins pour entendre le cynique Démétrius, cet homme hardi qui répondait à Néron : « Tu me menaces de la mort, la nature te rend ta menace ; » qui, en plein gymnase, en face du sénat, des chevaliers et de César, tonnait contre les bains, le luxe, toutes les délicatesses de la vie romaine. Et tandis que toute la domesticité militaire du palais, les « centurions aux barbes de boucs, la jeunesse musculeuse du prétoire, » s’insurge contre la philosophie, raille le manteau du stoïque, « vend pour cent as cent de ces docteurs grecs[19], » le stoïcisme, qui est politique de sa nature et pousse le sage vers les affaires, quoi que puisse faire le prudent Sénèque pour l’en écarter, le stoïcisme se constitue en parti.

Ce parti a déjà son chef et son futur empereur. Un homme allié à la maison des Césars, d’un extérieur sévère, d’une chaste simplicité dans sa maison, entouré de philosophes, vivant dans la retraite et d’autant plus remarqué, Rubellius Plautus, est déjà signalé à Néron comme un homme (écoutez bien cette parole) « qui ne feint pas même le goût de l’oisiveté ; » tant il fallait qu’on fût inutile, si l’on ne voulait passer pour dangereux. Ses amis se croient déjà si forts, qu’il suffit d’une comète et d’un éclair (signes de révolution, disait le peuple) pour faire parler tout haut de son règne et pour le perdre. Pourtant il ne mourut pas sur l’heure. On l’avertit de se soustraire à la calomnie, de se sacrifier au repos public ; on lui rappela qu’il avait en Asie de beaux biens où il pourrait vivre tranquille sans craindre amis ni délateurs ; on l’éloigna doucement sans oser même l’exiler, tant on était loin encore de la tyrannie emportée des premiers empereurs, tant la clémence était encore populaire.

Mais quand la mort de Burrhus, hâtée par Néron, le fit enfin sortir de page ; quand l’homme selon son cœur, Tigellin, fut devenu préfet du prétoire ; quand Sénèque, au milieu des embrassemens de son maître qui lui demandait de ne pas se retirer, n’en comprenant que mieux la nécessité de le faire, s’éloigna de Rome pour aller mûrir sa philosophie dans une austère solitude d’où sont sortis ses ouvrages les plus graves, ses lettres à Lucilius surtout ; enfin quand Néron fut libre de tous ces obstacles, le génie impérial se montra dans toute sa nudité. Deux exilés faisaient peur à Néron : à Marseille, un Sylla, nom bien déchu pourtant ; en Asie, Plautus, grave et calme au milieu des philosophes ; l’un redouté comme indolent et pauvre, l’autre comme riche et comme penseur. Des assassins partirent de Rome, au bout de six jours furent à Marseille au souper de Sylla et le tuèrent. La mort de Plautus fut plus remarquable. Il était populaire en Asie, soutenu à Rome par le parti stoïque qui l’avait fait prévenir, appuyé par la sympathie du général victorieux Corbulon. Cependant Néron n’envoya contre lui qu’un centurion et soixante hommes. Aussi y eut-il une velléité de résistance. « Il fallait repousser cette poignée d’hommes ! Avant que César fût averti, et que de nouveaux ordres fussent donnés, que d’évènemens pouvaient naître ! » Chose étrange et nouvelle ! une guerre contre César fut sur le point d’éclater ; le parti stoïque allait combattre. Mais cette idée de guerroyer contre César étourdissait les esprits, et, de l’avis de ses philosophes, Plautus, homme énergique et brave, se laissa tuer paisiblement par ce détachement qu’un eunuque commandait. — On porta les deux têtes à César ; il se railla de la calvitie précoce de Sylla et du long nez de Plautus. Il écrivit au sénat, ne s’avouant pas l’auteur de leur mort, mais outrageant leur mémoire, ce qui en disait assez. Tout cela se passait (car les voluptés de Néron, dit Tacite, ne lui faisaient pas perdre un crime) pendant qu’il allait faire admirer sa belle voix à Naples, pendant qu’à Rome il soupait magnifiquement au coin de toutes les places, et « se servait de toute la ville comme de sa maison ; » pendant que Poppée accouchait à Antium, lieu de naissance favori des Césars, que le sénat votait des sacrifices pour son ventre, courait tout entier à Antium pour la féliciter, et, au bout de quatre mois, la petite fille étant morte, faisait celle-ci déesse, lui donnait un temple et un prêtre ; tout cela se passait enfin au milieu de magnificences tellement grandioses et tellement romaines, que Tacite lui-même demande la permission de n’en parler qu’une fois.

Pendant ces magnificences, l’incendie de Rome éclata. Suétone et Dion accusent Néron d’en être l’auteur ; Tacite, plus sévère, est pourtant plus réservé à cet égard. Je ne me mêle pas de décider cette question de dix-huit siècles ; mais l’esprit artiste, le dilettantisme en fait de spectacle, l’amour de la poésie en action, allaient assez loin chez Néron pour que, Rome une fois en feu, il prît son parti de la voir brûler. Quand le troisième jour de l’incendie il arriva d’Antium, et vit la flamme maîtresse de la ville se promener dans les rues tortueuses de Rome, onduler sur les collines, faire écrouler dans le Tibre les étages irrégulièrement amoncelés de ces immenses maisons ; quand il entendit cette confusion de clameurs, ces luttes inutiles, ces fuites, ces cris des brigands, ces menaces des incendiaires qui disaient tout haut : « Ne nous arrêtez pas, nous avons des ordres ! » quand il vit cette masse de peuple, traînant ses blessés et ses morts, se réfugier au milieu du champ d’Agrippa entre les monumens et les tombes, et chercher un abri partout où il n’y avait pas un toit ; enfin lorsqu’il vit la place devenir libre pour son palais, et sa demeure, jusque-là misérablement confinée sur deux collines, détruite grâce aux dieux ; qu’alors il pensa que cette Rome vieille, ignoble, grossièrement rebâtie après l’incendie de Brennus, allait faire place à une Rome néronienne, toute magnifique de symétrie et de grandeur, et que, dans cet écroulement de quelques saintes masures pleurées des vieillards, mais dont il ne se souciait guère, il avait entendu le dernier craquement d’une ville surannée et d’un palais indigne de lui, son génie d’architecte, de peintre et de poète put bien faire taire tout ce qu’il y avait d’humanité au cœur de Néron. Qu’il ait songé même, comme on dirait aujourd’hui, à faire de Rome une monumentale destruction, pour lui préparer une résurrection monumentale ; qu’au bout de six jours, le feu n’ayant pas achevé son ouvrage, il l’ait fait rallumer par son ami Tigellin pour durer trois jours encore, qu’il ait fait battre à coups de balistes et de catapultes les vieilles murailles qui restaient debout et dont il convoitait l’emplacement pour son palais ; qu’au milieu de ces pensées, du haut de la tour de Mécène, en habit de tragédien, il ait chanté la destruction de Troie ; que, dans son enthousiasme, il se soit écrié que la flamme était belle, en cela non plus je ne vois rien d’inhumain pour un César.

Sur quatorze régions de Rome, trois sont rasées au niveau du sol, sept n’offrent plus que des vestiges d’édifices. Aux yeux de ceux qui, en politique comme en architecture, ont le suprême amour de la ligne droite, rien n’est plus heureux pour un état que d’être bouleversé, et pour une ville que de brûler. L’un et l’autre vont renaître à la règle et au compas. Rome se relève donc, comme par magie, toute belle et toute régulière, avec des rues spacieuses, la hauteur des constructions mesurée, des portiques et des terrasses sur toutes les façades. L’ignorante architecture des Tarquins ne choquera plus par un grossier contraste la classique architecture grecque des empereurs : plus de ces rues tortueuses et sombres du moyen-âge de Rome, de ces étages surplombans, de ces insulæ indécemment pittoresques. Les vieillards pourront bien murmurer que Rome, ainsi ouverte aux ardeurs du soleil, sera moins saine ; les peintres, s’il y avait eu des peintres alors, eussent bien réclamé en faveur des effets de lumière, des contours hardis, des formes originales, que la vieille ville présentait. Mais l’architecture officielle est toujours la même : elle qui, plus tard, jettera à bas les balcons des villes moresques et fera une rue large à Venise, répondait alors par les ineffables beautés de l’angle droit, et Néron, ravi devant son œuvre, prononçait que Rome n’était plus Rome, et que ce nom, trop peu glorieux pour elle, serait changé en celui de Néropolis.

Si le peuple est logé avec tant de magnificence, que sera-ce de César ? Qu’est devenue maintenant la petite maison d’Auguste sur le mont Palatin, suffisante pour lui, indigne de ses successeurs ? Tibère y a ajouté un nouveau palais ; Caligula l’a conduite jusqu’au Forum ; Néron lui-même, l’agrandissant d’un autre côté, l’a menée jusqu’aux Esquilles, et a embrassé dans son enceinte les vastes jardins de Mécène. Mais aujourd’hui Rome a reculé autour du palais de Néron, et lui a laissé ses franches coudées pour s’embellir et pour s’étendre. À l’œuvre donc, merveilleux instrumens du génie de César, ministres de ce Jupiter, vous que ce dieu emploie à faire ses miracles, Sévérus et Celer, hommes de génie et d’audace, qui, « maniant comme un jouet la puissance impériale, obtenez par l’art tout ce que la nature voudrait refuser[20] ! »

Avec une promptitude incroyable, sur le mont Palatin, sur l’Esquilin et dans la vallée qui les sépare, vers le lieu où est située aujourd’hui Sainte-Marie-Majeure, la Maison dorée s’élève. En avant de la Maison dorée, un lac ; autour du lac, des édifices épars qui semblent une ville ; entre la façade et le rivage du lac, le vestibule où le maître de la maison fait attendre ses cliens, c’est-à-dire où Néron fait attendre tous les peuples du monde ; et au milieu, le colosse de Néron, haut de cent-vingt pieds[21], d’argent et d’or ; plus loin, des portiques longs d’un mille à triple rang de colonnes. À l’intérieur, tout se couvre de dorures, tout se revêt de pierres précieuses, de coquilles, de perles. Dans les bains, un robinet amène de l’eau de mer, un autre des eaux sulfureuses d’Albula. Le temple de la Fortune, construit avec une pierre nouvellement découverte, blanche et diaphane, semble, les portes fermées, s’illuminer d’un jour intérieur[22]. Les salles de festins, si multipliées et si particulièrement fastueuses dans les maisons romaines, ont des voûtes lambrissées qui changent à chaque service, des plafonds d’ivoire d’où tombent des fleurs, des tuyaux d’ivoire qui jettent des parfums ; d’autres, plus belles encore, tournent sur elles-mêmes jour et nuit, comme le monde. Mais ce seront les moindres grandeurs du palais de Néron. Voici des lacs, de vastes plaines, des vignes, des prairies, puis les ténèbres et la solitude des forêts, des vues magnifiques ; au sein de Rome et du palais, des daims bondissent, des troupeaux vont au pâturage. C’est le parc anglais dans toute sa magnificence ; et encore quel nabab de la Grande-Bretagne a placé son parc au milieu d’une ville ? Aussi Néron est-il presque content cette fois. — Je vais enfin, dit-il, être logé comme un homme.

Sa maison pourtant ne dura guère plus que lui. Il l’avait laissée inachevée, et Othon dépensa 50 millions de sesterces seulement pour la finir ; l’incendie ne tarda pas à restituer à Rome ce que l’incendie lui avait ôté. Sur la place, et avec les débris du palais, s’élevèrent l’amphithéâtre de Vespasien, les thermes de Titus, plus tard la basilique de Constantin. Une partie de son lac devint le Colysée. Quant au colosse, Vespasien et Titus en changèrent la tête pour celle du Soleil ; Commode y mit la sienne ; les statues romaines étaient habituées à ces transformations.

Ces passagères grandeurs auront coûté cher à l’empire. Il n’a pas suffi à Néron de mettre la main sur tous les débris de l’incendie, et, en se chargeant du déblai, d’interdire à chacun le retour dans les restes de sa demeure. Ce n’est pas même assez de toute une moisson de couronnes jadis offertes par la basse flatterie des cités à Néron artiste, et que Néron empereur n’avait pas voulu recevoir, salaire négligé dans des temps meilleurs, et que ce pauvre musicien réclame aujourd’hui. Il faut un pillage général de l’empire, qui montrera bien que, pour être dur aux grands et à Rome, le système impérial n’était pas non plus si doux aux petits et aux provinces. La souscription est ouverte dans tout l’empire, souscription que Néron sollicite comme une grace et qu’on n’a garde de refuser, où viennent se ruiner villes et citoyens, Italie et provinces, cités libres et cités conquises, hommes et dieux. Les dieux, dit Tacite, tombèrent au butin. L’or des triomphes et des vœux publics est enlevé des temples. Les vieux pénates de Rome sont fondus ; des émissaires de Néron parcourent la Grèce, vont jusque dans les moindres villages, et rapportent une moisson de dieux, la troisième, je crois, et non la dernière qu’aura fournie aux empereurs cette inépuisable Grèce.

Mais quelle n’est pas l’injustice du peuple de Rome ! En vain Néron pille le monde à son profit, lui ouvre, après l’incendie, ses jardins comme retraite, fait venir d’Ostie et des villes voisines tout ce qui lui est nécessaire et donne le blé à trois as le boisseau ; en vain, tout en sacrifiant les maisons, il épargne de son mieux les hommes ; en vain, pour le rassurer contre de futurs caprices incendiaires et de nouvelles manies d’artiste, ordonne-t-il, en excellent lieutenant de police, les meilleures mesures contre de nouveaux embrasemens : le peuple persiste à rejeter sur lui le crime de l’incendie, et ce crime, le moins prouvé de tous ceux de Néron, est celui de tous qui l’a rendu le plus impopulaire.

Que veut donc le peuple ? Les superstitions les plus rares et les plus oubliées sont remises en vigueur pour expier les souillures de Rome, pour que le ciel lui pardonne le crime de Néron. Le livre poudreux des sibylles est consulté par les prêtres ; les lectisternes et les veilles sacrées, la procession des matrones qui va chercher en pompe de l’eau de mer pour en asperger la statue de Junon, tout cela ne lui suffit pas. Le sang, et le sang humain, est pour l’antiquité le grand moyen d’expiation. Rome, qui se vante d’avoir aboli les sacrifices humains par toute la terre, n’en a pas moins conservé l’usage, au moment des grands dangers, d’enterrer vifs un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque ; et Néron, chaque fois qu’une comète paraît au ciel, par le conseil de son astrologue, cherche quelque grande victime pour le bourreau. Que le sang coule donc, et que Rome soit purifiée, et que le peuple se taise, et que Néron demeure décidément innocent !

Qu’était alors le christianisme ? Nous l’avons dit, un fait légal et public, mal jugé, mais évident, mal connu, mais connu pourtant. Il y avait des églises jusqu’en Espagne d’un côté, jusque dans le fond de l’Égypte de l’autre. Tacite, en quelques lignes, lui donne un nom propre, une date, une origine (et il ne se trompe sur rien de tout cela), une réputation enfin, bonne ou mauvaise, mais une réputation quelconque, auprès du peuple. Suétone, presque contemporain de Tacite, en parle de même. — Qu’est-ce aussi que ces superstitions étrangères dont Claude déplorait l’envahissement[23], que le jurisconsulte Cassius se plaignait de trouver répandues parmi les esclaves, dont fut accusée la noble Pomponia Grecina, « femme grave, sainte et respectée, lorsque, remise au jugement de son mari, celui-ci, selon l’ancienne coutume, la jugea criminellement en présence de ses proches, et la déclara non coupable ? » — Il est vrai qu’un peu plus tard, la persécution sanglante ayant commencé, le christianisme se cacha, et le peuple put l’oublier ; ainsi Tacite et Suétone, qui savaient son histoire, purent le croire mort ; ainsi Plutarque, qui vivait avec ses dieux et ses philosophes de Grèce, sans beaucoup fouiller les archives romaines, put ignorer son existence ; ainsi la masse des païens put le confondre avec le judaïsme. Remarquez-le cependant, le pouvoir connaissait le christianisme, car Pline, écrivant à Trajan, lui nomme tout d’abord les chrétiens comme des hommes qui lui sont bien connus. Remarquez-le encore, les trois écrivains qui parlent du christianisme, Pline, Suétone, Tacite, sont aussi de ce siècle, les trois plus positifs, plus Romains, plus en crédit auprès des princes, plus à portée des archives impériales. Au temps de Néron, surtout, les progrès de la religion nouvelle étaient pleins d’évidence. Les querelles des Juifs et des chrétiens avaient motivé, sous Claude, l’expulsion des juifs hors de Rome. Plus récemment, saint Paul, gardé par les soldats du prétoire, et, comme il le dit, « échappé avec peine à la gueule du lion, » avait « fait servir sa captivité au progrès de l’Évangile et rendu gloire au Christ dans tout le palais, tandis que ses frères n’en étaient que plus ardens à répandre leur foi au dehors[24]. »

L’esprit impérial avait donc pris son temps pour toiser son ennemi ; car il était évident que le christianisme était une guerre ouverte à l’esprit d’immiséricorde, de servilité, d’égoïsme que Tibère avait donné pour base à l’empire. Et quand l’occasion fut donnée, que Rome incendiée réclama de plus belles victimes que des béliers et des taureaux, César, d’un coup d’œil, trouva la sienne. Je ne serais même pas étonné que pour Néron, qui s’effrayait de toute force et de toute doctrine, qui exilait les philosophes, persécutait Apollonius, provoquait la grande révolte des Juifs, l’incendie de Rome eût été un moyen d’arriver jusqu’aux chrétiens, et d’avoir, en les frappant, le peuple pour soi. Les chrétiens périrent donc coupables, d’incendie selon Néron, de maléfices selon le peuple[25], « d’être haïs du genre humain » selon Tacite[26]. Ils périrent non-seulement à Rome, mais à Milan, à Aquilée, dans les provinces. On cite une inscription qui rend grace à Néron pour avoir délivré l’Espagne des brigands et de ceux qui répandaient une superstition nouvelle. À Rome, ce fut une multitude immense, dit Tacite, multitudo ingens.

Jusque-là les Césars n’avaient pas tenu à infliger à leurs victimes une mort cruelle ; ils leur laissaient le choix de leur mort et la satisfaction du suicide. Ils eussent aimé la guillotine, qui tue beaucoup, vite et bien, sans grand appareil de souffrance ; c’eût été la hache faite pour trancher d’un seul coup la tête du genre humain ; Caligula en eût été ravi comme Marat. Mais cette fois, en face d’une puissance, quand jusque-là on n’avait rencontré que des hommes, César eut peur, et appela en aide tout l’art du bourreau. Aussi cette génération se souvint long-temps du spectacle que lui avaient présenté les jardins du Vatican et la place même de Saint-Pierre, aujourd’hui l’église métropolitaine du monde, lorsqu’elle reçut sa première et sanglante consécration ; quand on vit ces allées somptueuses éclairées par des hommes vivans façonnés en flambeaux, la chasse donnée par des chiens furieux à des hommes revêtus de peaux de bêtes, le peuple même s’apitoyant, si peu compatissant que fut le peuple romain, et Néron, en habit de cirque, promenant son char à travers cette fête. Juvénal et Martial, qui vinrent une génération plus tard, parlent de « cette tunique douloureuse, de ce pal qui traverse le gosier, de ce sillon de sang qui bouillonne sur l’arène[27]. » Juvénal nomme à ce propos Tigellin, et son commentateur rappelle les cruautés de Néron. Sénèque aussi me semble avoir été frappé de ce spectacle, lorsqu’il reproduit sans cesse ce qu’il nomme « les pompes du supplice, le fer, le feu, les chevalets, les bêtes féroces lancées contre un homme, le pal qui traverse le corps et sort par la bouche, la tunique tissée et revêtue de tout ce qui peut servir d’aliment à la flamme[28], le glaive qui vient rouvrir les blessures à demi fermées et faire couler un sang nouveau par les plaies devenues des cicatrices[29] ; » lorsqu’il montre la victime « calme, souriant, et souriant de bon cœur, regardant ses entrailles à découvert et contemplant ses souffrances de haut[30]; » puis lorsqu’ailleurs, en parlant de la « lumière divine que nous devons contempler aux lieux même où elle réside, et des dieux qui sont témoins de toutes nos actions, il s’écrie : « Que celui dont l’ame a conçu l’éternité ne s’effraie donc d’aucune menace ! Comment s’effraierait-il celui pour qui la mort est une espérance ? » N’y a-t-il pas dans tout cela quelque souvenir des martyrs ?

Il s’agit maintenant de parcourir, et aussi vite qu’il sera possible, le reste de la carrière de proscription de Néron. César avait devant lui comme une double cité, une Rome philosophique, antique et sévère ; une Rome impériale, voluptueuse et débauchée ; toutes deux promptes à conspirer, l’une par vertu et par ambition, l’autre par peur, par ennui et par débauche ; l’une, qui sans doute eût voulu relever quelque chimère aristocratique ou républicaine ; l’autre, qui, séparée de Néron par la diversité de goûts dans le plaisir, ou par la seule rivalité du plaisir, n’eût renversé Néron que pour le bonheur d’être Néron. Pour bien connaître ces deux sortes d’hommes, lisez dans Tacite la mort de Pétrone d’un côté, celle d’Antistius et de Pollutia de l’autre : ici ce libertin qui meurt en riant, en faisant des couplets, en cassant un beau vase pour que Néron ne le possède pas, qui joue avec la mort, fait ouvrir et refermer ses plaies, couler et arrêter son sang, et lègue pour testament un récit de débauche ; là cette famille romaine, qui, après s’être ouvert les veines, se fait porter dans le bain, « enveloppée de ses vêtemens par respect pour la pudeur ; » ces trois personnes qui meurent les yeux attachés l’une sur l’autre, « chacune demandant aux dieux un rapide passage pour son ame, afin de laisser vivans, quoique prêts à mourir, les deux êtres qu’elle aimait. » — Le complot de Pison mit d’abord en avant la Rome impériale : complot mi-parti de caserne et de palais, où figuraient des centurions mécontens de Néron, empereur peu guerrier, qui passait sa vie entre ses fous et ses courtisanes, laissait s’arriérer la solde, et pour ménager sa belle voix ne haranguait jamais ses soldats ; puis aussi des hommes de l’espèce de Néron, qui seulement heurtaient leurs vices aux siens et se moquaient de son mauvais goût, gens trop délicats en fait de volupté pour la prendre selon le goût d’autrui et la recevoir sous peine de mort : — l’un qui se vengeait d’une satire de Néron ; l’autre, encore son ami intime et le compagnon de ses folies ; — Lucain, à cause de ses vers, que Néron, par jalousie d’auteur, ne lui permettait plus de lire ; un complice de la mort d’Agrippine, qui ne se trouvait pas assez récompensé ; enfin la courtisane Épicharis, qui se montra plus courageuse que tous ces hommes. Ce qui faisait dominer le côté frivole et libertin du complot, c’était le choix, pour l’empire, de Calpurnius Piso, homme de grande famille, de mœurs indulgentes, et qui, dans sa maison de Bayes, donnait l’hospitalité aux ébattemens impériaux, mais que de sourdes dénonciations poussaient à la crainte, et la crainte à risquer tout.

Il y eut un moment étrange. Figurez-vous la conspiration découverte et non saisie, ici prisonnière et torturée, là encore vivante ; ce corps tronqué se remuant toujours, malgré la main de Néron qui le tient ; le palais gardé, les rues investies, la campagne battue par des éclaireurs, Rome sillonnée de patrouilles auxquelles sont toujours mêlés des soldats germains, car on se défie du soldat romain ; Pison libre encore, et qu’on presse d’aller au camp et d’appeler à lui les soldats, d’aller à la tribune et d’appeler le peuple ; Néron tremblant, n’osant envoyer que des conscrits pour arrêter Pison, se tenant renfermé dans la villa de Servilius, forteresse pour lui, prison et lieu de torture pour les accusés : là, une partie de la conjuration enchaînée aux pieds de Néron ; l’autre en armes auprès de lui, faisant la loyale, la fière, la rigoureuse, interrogeant, accusant, menaçant, conduisant au supplice, et néanmoins conspirant toujours ; les complices encore inconnus devenant des bourreaux ; les complices arrêtés, des dénonciateurs. Les passions égoïstes qui s’étaient unies dans ce complot, ont crié : Sauve qui peut ! Natalis dénonce Sénèque, innocent peut-être ; Scevinus dénonce Lucain ; Quinctianus, Sénécion ; Sénécion et Quinctianus, leurs meilleurs amis ; Lucain, sa mère. Un centurion conjuré mène au supplice Lateranus, qui, seul généreux, ne le trahit pas ; un autre conjuré, chargé d’aller tuer Sénèque, consulte Fénius Rujus, conjuré lui-même, qui lui dit d’obéir. Enfin, Néron, interrogeant les coupables, est, sans le savoir, entre deux conjurés : Flavius, centurion, et Fenius Rufus, préfet du prétoire. Flavius a déjà la main sur la garde de son épée pour tuer César ; le poltron Fenius l’arrête : l’empire du monde tint à cela.

Ces conjurés eurent diverses façons de mourir : Pison mourut en flattant César dans son testament, pour conserver son bien à une femme qu’il aimait ; Lucain, en récitant et en corrigeant ses vers ; Sénèque, avec une fermeté un peu théâtrale ; les centurions, avec courage. L’un d’eux, à qui Néron demande pourquoi il a conspiré : « Après toutes tes infamies, dit-il, c’était le meilleur service à te rendre. » D’autres, absous par Néron, se tuèrent. La vengeance dépassa bientôt le cercle de la conspiration. Néron siégeait en conseil entre Tigellin et Poppée, condamnant comme juge quand il y avait une accusation, donnant ses ordres comme empereur quand il n’y en avait pas[31]. Être parent d’un proscrit, l’avoir salué, l’avoir rencontré, était un crime ; les enfans des proscrits étaient chassés de Rome, empoisonnés, tués par la faim, égorgés avec leurs  précepteurs et leurs esclaves. « Rome était encombrée de funérailles, le Capitole de victimes immolées aux dieux. » Ceux à qui on avait tué un père, un frère, un ami, mettaient des lauriers sur leurs portes, étaient aux genoux de Néron, baisaient sa main clémente. En cette occasion, le sénat le fit dieu.

La philosophie s’était tenue à l’écart. Lateranus, noble jeune homme, l’avait seul représentée. Mais, si en arrière qu’elle fût, elle n’était pas hors de l’atteinte de Néron. Sénèque périt ; le manteau du stoïque fut proscrit ; la philosophie partit en masse pour l’exil[32] : ainsi Cornutus, le maître de Perse, le semi-fabuleux Apollonius ; ainsi Musonius Rufus, un des héros du stoïcisme, presque déifié dans le siècle suivant, et qu’un père de l’église compte parmi les hommes que Satan a persécutés, quoique païens, par haine de leur vertu[33]. Comme on avait accusé les chrétiens de sortiléges, on accusait les philosophes de magie. C’était là le commencement d’une longue lutte entre le stoïcisme et les Césars, qui devint le fait dominant de la génération suivante, jusqu’à ce que le stoïcisme, plusieurs fois exilé, revînt définitivement au pied du trône, et finît par y monter. — La philosophie n’était pourtant pas encore abattue. Thraséa ne paraissant plus au sénat, ne venant plus prêter serment à l’empereur, quittant la curie lorsqu’il s’agissait de déifier Poppée que Néron avait tuée d’un coup de pied, n’ayant jamais fait de sacrifice pour la voix divine de l’empereur, contempteur de toute religion, puisqu’il n’adorait pas César, admirateur et panégyriste de Caton, Thraséa était en perpétuelle protestation contre le pouvoir. — Des sectateurs, des satellites, disait-on, imitaient sa démarche grave, son visage sévère, la hauteur de ses paroles ; la vertu était décidément en révolte. Enfin, disait-on à Néron, c’était un parti, une faction, ç’allait être une guerre. — Néron même ne se décida qu’avec crainte à faire accuser Thraséa. Ce jour-là, l’élite des délateurs, à qui l’espérance d’une belle proie faisait braver le danger, s’était donné rendez-vous. Le sénat était entouré d’hommes armés ; des soldats en toge, mais qui ne cachaient pas leurs armes, menaçaient les sénateurs sur le Forum. Néron n’osa pas venir et fit lire une harangue en son nom. Le langage des accusateurs fut menaçant même pour les juges ; en un mot, « ce ne fut pas cette tristesse, facile à reconnaître, que la fréquence de pareilles luttes avait rendue habituelle : ce fut, dans cette assemblée, une terreur nouvelle et plus profonde. »

Avec Thraséa fut condamnée l’élite de son parti : à la mort Soranus, son ami, qu’un délateur avait particulièrement « réclamé comme son accusé, » à l’exil Helvidius, son gendre, et Paconius. Ce dernier attendait en paix sa sentence : — On te juge au sénat, lui dit-on. — Bonne chance, répondit-il ; mais voici la cinquième heure, allons aux exercices. L’exercice fini, on lui annonce qu’il est condamné : — À l’exil ou à la mort ? — À l’exil. — Et mes biens ? — On te les laisse. — Allons dîner à Aricie. — La journée des délateurs fut belle : deux d’entre eux eurent 5,000,000 sesterces (un million) de récompense, l’autre 1,200,000 et des honneurs.

Le stoïcisme avait ses traîtres : — Soranus fut condamné sur la déposition d’un Egnatius, stoïcien hypocrite acheté par Néron ; — ses amis ardens : — un témoin parla si fortement en faveur des accusés, qu’il fut puni par la confiscation et par l’exil ; un autre, jeune homme plus tard martyr de sa croyance, fut à peine détourné par Thraséa d’user en sa faveur des prérogatives oubliées du tribunat. Ni ce courage, ni cet esprit d’association, ne s’étaient vus sous Tibère. Cependant Thraséa, prêt à mourir, désespérant de l’avenir de sa cause, dit au jeune Rusticus : « Ma vie est finie, je n’abandonnerai pas la ligne que j’ai toujours suivie ; toi, tu commences ta carrière, ton avenir n’est pas engagé ; réfléchis bien avant de décider, en un temps comme celui-ci, quelle route tu suivras. »

Ainsi, la famille impériale avait été noyée dans le sang, le christianisme était oublié dans les catacombes, la Rome nouvelle avait été vaincue avec Pison, la Rome stoïque avec Thraséa, et depuis que Néron avait retrouvé sous ses pieds le fonds solide de la Rome impériale, le sol foulé par Tibère et Caïus, toute son intimité le poussait sans fatigue et sans relâche dans cette voie roulante de la proscription. On était en progrès sur Tibère ; c’était la même soif d’argent et de vengeance, mais il y avait de plus des folies insensées à satisfaire, mille avidités et mille rancunes subalternes, que Tibère eût dominées et qui dominaient Néron. On s’était affranchi de ces chicanes vétilleuses que respectait le procédurier Tibère ; Néron avait de plus habiles procureurs que son grand-oncle ; il entendait largement la loi de lèse-majesté. Tout fait et toute parole dénoncée était un crime, et au besoin, si le délateur manquait, on savait s’en passer : un avertissement donné par le tribun, une heure de répit et le choix de la mort, telles étaient toutes les formalités de la procédure. Si l’homme était paresseux à mourir, des chirurgiens de César venaient « traiter le malade. » Avec moins de formes encore, l’épée ou le poison allaient droit au fait. Ainsi périt l’affranchi Pallas, parce qu’il était trop riche et trop vieux ; ainsi un Torquatus, parce qu’il se ruinait, et que, pour sortir d’affaire, il devait absolument conspirer.

Quoique Néron conseillât le suicide par clémence, et qu’on le pratiquât par habitude, le suicide était sans avantage. Les jurisconsultes de la couronne avaient trouvé un remède légal à cette facilité ancienne d’assurer, par le suicide, son héritage à ses enfans : le proscrit qui se donnait la mort était évidemment ingrat envers Néron, et l’ingratitude envers le prince était un infaillible moyen de nullité contre le testament. Pour conserver une faible part à ses héritiers, il fallait en faire une large à Néron et à Tigellin ; les legs ne suffisaient pas, il fallait la flatterie ! Les testamens des proscrits étaient remplis de misérables éloges de leurs bourreaux, et, à l’heure même de la mort, les malheureux n’échappaient pas à la servilité universelle !

Il fallait la flatterie : il fallait encore la délation ; il fallait que des dénonciations posthumes allassent marquer une nouvelle proie. N’y en eût-il pas eu, Tigellin, armé du cachet des victimes et maître de leurs papiers, eût bien su en trouver. Ainsi les morts tremblaient, priaient, flattaient, dénonçaient, comme l’auraient fait des vivans. Regardez cela, et comprenez ce que c’est que l’habileté de la civilisation combinée avec toute la férocité de l’état barbare, et où nous en serions, si un certain évènement fortuit n’eût dérangé la marche naturelle et progressive du monde dans cette voie de lumières sans moralité !

Dès ce jour il n’y a plus que triomphes pour Néron. Thraséa n’est pas mort, que, des portes du sénat où elle attendait la sentence, la foule court aux portes de la ville pour y recevoir le roi d’Arménie, venant rendre hommage à l’universelle suzeraineté de César. Le Parthe Tiridate, à la honte des armées romaines, avait chassé d’Arménie le prince que Néron y avait placé, et Néron l’y laissait dans l’espérance d’une belle fête. En effet, à force de négociations, de prières, grâce à la crainte qu’inspirait Corbulon, Tiridate s’est décidé à reconnaître la suzeraineté romaine, à déposer son diadème au pied de la statue de Néron, en s’obligeant à venir le reprendre des mains de César. Il arrive donc par terre après un voyage de neuf mois : la religion des Mages lui défend de souiller même d’un crachat les eaux sacrées de la mer[34]. Il traverse toute l’Italie à cheval, entouré de ses enfans, des princes parthes ses neveux, et de trois cents cavaliers, sa femme à cheval auprès de lui, le visage caché par un casque d’or. Toutes les villes le reçoivent en triomphe aux frais de Néron, et surtout à leur détriment. Chaque jour de son voyage coûte 800,000 sesterces, 100,000 francs (s’il faut en croire Suétone, qui lui-même semble à peine le croire).

Néron, qui est venu au-devant de lui à Naples, le conduit à Rome. Rome illuminée, ornée de guirlandes, conspire tout entière pour la fête qui se prépare. Au milieu du Forum est rangé par tribus le peuple, — portion du spectacle, — en toges blanches, couronné de lauriers ; sur les degrés des temples, les prétoriens avec leurs armes étincelantes. Le toit des maisons est couvert de spectateurs. Le théâtre de Pompée est doré tout entier ; un velarium de pourpre, semé d’étoiles d’or, au milieu duquel est l’image de Néron conduisant un char, en écarte les ardeurs du soleil ; aussi ce jour fut-il appelé la journée d’or. Dès le matin, Néron, en habit de triomphe, vient s’asseoir sur sa chaise curule. Tiridate s’agenouille devant lui, et le peuple, façonné aux acclamations solennelles, le salue d’une clameur si grande, que le barbare en est épouvanté. « Seigneur, dit ce roi d’Orient au citoyen de Rome Œnobarbus, le descendant d’Arsace, le frère des rois parthes vient se reconnaître ton esclave ; tu es mon dieu, et je suis venu t’adorer comme j’adore le soleil, le dieu invaincu, Mithra. Tu es mon destin et ma fortune. » Néron reprit : « Tu as eu raison de venir me demander la couronne ; ce que n’ont pu te faire tes frères ni ton père, je te fais roi, afin que l’univers sache que j’ôte et donne les royaumes. » Tiridate alors monte près du trône, baise les genoux de Néron, qui lui ôte sa tiare et lui met le diadème.

Tiridate repartit avec 100,000,000 sesterces donnés par Néron (ce rusé barbare avait su se faire payer son hommage), n’en méprisant pas moins le prince qu’il avait vu jouer sur le théâtre, et qu’il voyait courir sur l’arène avec l’habit vert et le bonnet des cochers. Ce qui nous étonne aujourd’hui dans la vie de cette société, l’étonnait lui-même : il ne comprenait pas que l’âpre soldat, le vieux Romain, Corbulon, restât l’humble sujet de ce comédien ; la royauté despotique de l’Orient elle-même ne lui avait pas révélé le secret de l’incompréhensible asservissement des Romains. « Tu as un bon serviteur dans Corbulon, » mot dont Néron ne comprit pas l’ironie.

Mais Rome a vu assez de fois les triomphes de Néron. La Grèce, patrie des arts, a besoin de lui comme lui d’elle ; chaque jour des députés de ses villes viennent lui apporter des couronnes pour des combats où il n’a point combattu ; il les admet à sa table, et chante devant eux. Ingénieux et servile, l’esprit grec sait trouver encore des formes d’adulations nouvelles quand Rome croit les avoir toutes épuisées, et Néron, enchanté, s’écrie : — Seuls les Grecs savent entendre, seuls ils sont dignes de mes talens et de moi ! — Une fois déjà il a été sur le point de partir pour la Grèce : il parcourait les temples, faisant ses adieux à ses parens les immortels, lorsqu’il s’assit, et, saisi d’une faiblesse subite, ne put se lever qu’avec peine ; effrayé de ce présage, il déclara qu’il lui en coûtait trop de s’arracher à l’amour de son peuple. Aujourd’hui quel présage troublerait sa félicité ? Son affranchi Helius sera assez bon pour gouverner Rome, et suivre tranquillement la voie toute tracée des proscriptions. Helius a tous les pouvoirs de Néron, il versera le sang ; Polyclète s’emparera des biens ; Rome peut se consoler de l’absence de César. — Que la Grèce donc se réjouisse, son prince lui arrive ! Ce n’est pas seulement ce cortége habituel de mille voitures, ces buffles ferrés d’argent, ces muletiers revêtus de magnifiques étoffes, ces coureurs, ces cavaliers africains avec leurs riches bracelets et leurs chevaux caparaçonnés ; c’est de plus une armée entière assez nombreuse pour vaincre tout l’Orient, soldats dignes de leur général, qui ont pour arme la lyre du musicien, le masque du comédien, les échasses du saltimbanque. — Que la Grèce se réjouisse ! Un hymne chanté par Néron vient de saluer son rivage ; le maître du monde lui donne toute une année de joies et d’incessantes fêtes ; les jeux d’Olympie, les jeux isthmiques, tous ceux qui se célèbrent à de longs intervalles seront réunis dans ces douze mois ; Néron peut bien changer l’ordre établi par Thésée et par Hercule.

Ainsi il parcourt toutes ces saintes villes homériques servilement abaissées aujourd’hui sous la royauté d’un Osque ou d’un Sabin. Il s’élance dans toutes les lices, prend part à tous les combats, toujours vainqueur ; même à Olympie, où, sur un char traîné par dix chevaux, le maître du monde s’est d’abord laissé tomber dans la poussière, puis, remis sur son char, s’est trouvé trop ému de sa chute pour continuer la lutte, il n’en a pas moins, à la fin de la course, proclamé, comme d’ordinaire (car il est lui-même son héraut) : « Néron César vainqueur en ce combat donne sa couronne au peuple romain et au monde qui est à lui ! » Ni aujourd’hui, ni dans le passé, Néron ne doit avoir de rival : les statues des vainqueurs d’autrefois sont renversées, traînées dans la boue, jetées aux latrines. L’athlète Pammenès, après de nombreuses victoires, vit retiré, vieux et affaibli ; que Pammenès reparaisse dans la lice : Néron prétend lui disputer ses couronnes, et, après l’avoir vaincu, il aura bien alors le droit de briser les statues de Pammenès. Malheur à qui est condamné à être son adversaire ! Vaincu d’avance, il n’en est pourtant pas moins exposé à toutes les manœuvres d’un inquiet rival ; Néron l’observe, cherche à le gagner, le calomnie en secret, l’injurie en public, lui jette des regards où la menace n’est que trop éloquente. Un chanteur, trop plein de sa gloire, s’oublie jusqu’à chanter mieux que Néron ; le peuple lui-même (comme autrefois à Rome, au milieu d’une lecture de Lucain, malgré la présence et la jalousie de Néron, des applaudissemens s’élevèrent et perdirent le poète), le peuple artiste de la Grèce écoute ravi, quand tout à coup, par ordre du prince, les acteurs qui jouaient avec ce malheureux le saisissent, l’adossent à une colonne, et lui percent la gorge avec leurs stylets.

À Corinthe, César, qui ambitionne toutes les gloires, se rappelle ce projet plusieurs fois essayé de la coupure de l’isthme, entreprise gigantesque dont la nature a toujours refusé le succès à l’industrie humaine, et que semblait défendre une superstitieuse terreur. Devant les prétoriens rangés en bataille, Néron sort d’une tente dressée sur le rivage, harangue ses soldats, chante un hymne à Amphitrite et à Neptune, reçoit en dansant, des mains du proconsul, un pic d’or, en frappe trois fois le sol, et recueille quelques grains de poussière qu’il emporte dans une hotte, aux acclamations de tout le peuple. Des milliers d’hommes travaillèrent après lui, soldats, esclaves, condamnés, six mille prisonniers juifs envoyés par Vespasien, bannis ramenés du lieu de leur exil (et parmi eux le philosophe Musonius), criminels sauvés de la mort pour venir concourir au grand œuvre de l’empereur. En soixante-quinze jours, on avait ouvert un canal de quatre stades, la dixième partie du travail, lorsque tout à coup vint l’ordre de s’arrêter. — Helius rappelait à Rome son souverain ; une conjuration s’y tramait, disait-il. — « Tu devrais plutôt souhaiter, lui répondait Néron, non que je revienne promptement, mais que je revienne digne de Néron, » Il fallut qu’Helius vînt lui-même en sept jours pour l’arracher à ses triomphes.

Néron fait donc ses adieux à la Grèce, il la proclame libre, exempte d’impôts ; il enrichit les juges qui l’ont couronné. Il est vrai qu’il l’a ruinée par son passage, qu’il a donné à toutes les denrées un prix excessif, qu’il a pillé ses temples, qu’il lui enlève cinq cents de ses dieux, qu’il a dépouillé les riches, trop heureux encore lorsqu’il ne les a pas fait mourir ; que l’absence du spectacle, la paresse à applaudir, le défaut de dilettantisme et d’admiration sont devenus des crimes capitaux. — Mais Rome, sa patrie, est-elle donc mieux traitée ? Chaque courrier d’Helius apporte la nouvelle d’une exécution. Néron, de son côté, fait de temps en temps mourir quelqu’un des bannis qu’il rencontre, ou des suspects qu’il a emmenés avec lui. Deux frères meurent, dont l’union fraternelle parut au meurtrier de Britannicus une conspiration patente.

À son retour de Grèce, Néron manqua périr dans une tempête. Un instant, en Italie, on crut à son naufrage, et on s’en réjouit, joie dont il sut bien se venger. Cependant le sénat, tout en tremblant de le voir revenir, le rappelait de toute l’effusion de son dévouement, et ordonnait pour lui plus de fêtes qu’il n’y a de jours dans l’année. Naples l’oisive, comme l’appelait Horace, la ville de ses débuts, le reçoit la première. À Rome, après un étalage de dix-huit cents couronnes qu’il a rapportées de Grèce, sur le char triomphal d’Auguste, à côté du musicien Diodore, on voit venir Néron en chlamyde semée d’étoiles d’or, l’olivier olympique sur la tête, et dans sa main droite le laurier des jeux pythiens. Après lui sa claque théâtrale, ses Augustani, au nombre de cinq mille, à la brillante parure et aux cheveux parfumés, qui se proclament les soldats de son triomphe. Une arcade du grand cirque est abattue pour son passage ; à droite et à gauche des victimes sont immolées à sa divinité ; la terre est semée de safran ; on jette sur sa route des oiseaux, des fleurs, des rubans de pourpre, des dragées ; le sénat, les chevaliers, le peuple, lui acclament en mesure : « Vive le vainqueur d’Olympie ! le vainqueur des jeux pythiens ! César Néron nouvel Hercule ! César Néron nouvel Apollon ! seul, dans tous les siècles, il a vaincu dans tous les jeux ! »

C’était bien un triomphe ! Une dernière conspiration avait été découverte et punie ; le temple de Janus était fermé ; Corbulon, qui avait vaincu l’Orient, appelé en Grèce par de flatteuses paroles, avait reçu l’ordre de se donner la mort, et s’était tué, regrettant sa fidélité trop confiante, et disant : Je l’ai bien mérité ! Que pouvait encore redouter Néron ? Quel autre César avait eu Rome aussi basse sous ses pieds ? Quel autre avait placé plus haut sur le trône et sur l’autel ses passions, ses folies ? Qu’était le triste et vieux Tibère, homme étranger à toutes les joies du pouvoir ; qu’était le grossier Caligula qui, après avoir eu trois ans au plus pour jouer quelques farces royales et guerrières, s’était laissé misérablement égorger dans une salle de bain ; qu’était l’imbécile Claude, machine à diplômes et à jugemens, auprès du virtuose, de l’orateur, du poète, du lutteur, de l’universel Néron, depuis douze ans maître du monde ? Si quelques ames à part protestaient, par un courage inutile, en faveur de la dignité humaine, jamais le grand nombre n’avait mis le front aussi bas dans la poussière que devant l’élève de deux femmes perdues, Lépida et Agrippine, devant ce cerveau mal organisé qui n’eut le sens vrai d’aucune chose, ce gamin déifié, Néron.

Serait-ce l’or qui pourrait lui manquer ? Si le trésor s’épuise, si les chicanes fiscales, suprême expédient des empereurs besoigneux, si de lourdes amendes contre les testateurs ingrats qui n’auront rien légué à César, si toutes ces ressources sont insuffisantes, les dieux lui viendront en aide. Un Africain a rêvé que, sous son champ, il voyait d’immenses cavernes, pleines de lingots d’or, trésors de la reine Didon, que la Providence gardait pour César. Une flotte entière est partie pour recueillir ces richesses ; tout un peuple de soldats et d’ouvriers tourne et retourne le champ de l’Africain. D’avance les poètes chantent la gloire de Néron, pour qui les dieux font naître, dans le sein de la terre, l’or tout purifié ; et Néron, dans sa foi au songe, jette avec plus de profusion que jamais les petits trésors, que ce trésor colossal va remplacer. — Quand, après bien des recherches, l’or ne se trouva pas, le songeur n’eut d’autre ressource que de se donner la mort[35].

Les dieux manquent de parole. Les délateurs nous consoleront de la désobligeance des dieux ; la concentration que, dans les derniers temps de la république, a reçue la propriété territoriale, est merveilleusement favorable au genre de perception qu’exercent les délateurs. Les vastes domaines ont perdu l’Italie, dit Pline, ils perdent les provinces[36], et le supplice de six grands propriétaires a rendu Néron possesseur de la moitié de l’Afrique. Il a payé sept millions sest. le délateur qui a fait condamner un Crassus ; quelles richesses ne lui a donc pas rapportées la condamnation de ce Crassus ?

Néron crie largesse ! À toi, gladiateur, la maison de ce consul ! À toi, joueur de flûte, le patrimoine de ce triomphateur ! Accourez, favoris, courtisans, pantomimes, conviés au banquet de la confiscation ! Ses esclaves même ont des vergers, des piscines ; un d’eux, qui a été intendant d’armée, s’est racheté au prix de treize millions sest. (2,000,000 francs). Durant son règne, Néron aura distribué à ses amis plus de 400 millions de francs.

Et quelque chose pourtant manque à Néron. Cette passion de l’impossible, dont j’ai tant parlé, n’est pas seulement une passion des Césars, mais une passion de tous les Romains ; chacun dans sa sphère subit ce fatal instinct. Tout le labeur d’une civilisation de cinq ou six siècles, en Grèce, en Italie, en Orient, labeur plein de génie, mais sans moralité et sans vérité, n’a donc abouti qu’à faire rêver de plus chimériques rêves à quelques milliers d’oisifs Romains, à leur inventer des extravagances et des infamies nouvelles, des alimens nouveaux pour une curiosité surhumaine, un égoïsme divin et un matérialisme transcendantal que rien au monde ne peut contenter ! Cette passion sera surtout celle de Néron : rien ne le touche comme grand et beau, mais comme inoui, et, dans le sens latin du mot, comme monstrueux. C’est une persuasion et une plénitude de sa toute-puissance, qui essaie pourtant si, à quelque combat, elle peut être vaincue : organisation misérable après tout, à qui il fallait un tel pouvoir pour s’élever, même dans le mal ; nature cruelle, faute de pouvoir être forte ; gigantesque, faute de savoir être grande ; puérile, malgré tant de crimes !

Qu’est-ce pour lui que la profusion et le luxe ? Ne mettre jamais deux fois le même habit, pêcher avec des filets dorés et des cordons de pourpre, jouer 400 sesterces sur chaque point de ses dés, avoir pour ses histrions des masques, des sceptres de théâtre tout couverts de perles : c’est être riche, et voilà tout. Ses amis ne lui donnent-ils pas bien, par son ordre, des festins où l’on dépense pour 4 millions sesterces en couronnes de soie parfumées ? Poppée n’avait-elle pas des mules ferrées d’or, et cinq cents ânesses ne la suivaient-elles point partout pour remplir de leur lait la baignoire où son teint venait chercher la fraîcheur ? N’est-ce pas Othon qui lui enseigna, à lui César, à parfumer la plante de ses pieds ? et lorsque la veille Othon, soupant chez César, avait eu la tête aspergée de parfums précieux, le lendemain, César, soupant chez Othon, ne voyait-il pas de tous côtés des tuyaux d’ivoire et d’or verser sur lui une vaporeuse et fragrante rosée[37] ? Le faste et la grandeur courent les rues de Rome.

Que Néron soit le premier artiste de son siècle ; que des autels fument partout en l’honneur de sa belle voix, qui, malgré tant de soins et d’études, malgré un esclave sans cesse debout près de lui pour l’avertir de ménager ce don précieux, est fausse, sourde et fêlée ; qu’il joue tous les rôles de héros ou de dieu, d’homme ou de femme, même de femme grosse et en mal d’enfant sur la scène, si bien qu’on demande : « Que fait l’empereur ? — Il accouche ; » — que même, faute d’autres, il rencontre parfois une ambition plus digne ; qu’il envoie à la recherche des sources du Nil, grand problème géographique de l’antiquité ; qu’il médite une expédition contre l’Éthiopie ; qu’une armée se prépare à aller aux portes Caspiennes soumettre les peuples inconnus du Caucase ; que déjà, sous le nom de phalange d’Alexandre, une légion d’hommes de six pieds soit enrôlée : tout cela, c’est talent, c’est pouvoir, c’est chose que l’homme peut faire. Mais lui, il est dieu ! Le sénat lui décerne des autels comme s’étant élevé au-dessus de toute grandeur humaine[38]. Il est dieu : les poètes le lui redisent avec cet excès de déclamation et d’hyperbole dont peut être capable une ame servile et une poésie dégradée : « Lorsque, ta carrière achevée en ce monde, tu remonteras tardif vers la voûte céleste… soit que tu veuilles tenir le sceptre des cieux, soit que, nouveau Phébus, tu veuilles donner la lumière à ce monde que n’affligera pas la perte de son soleil, il n’est pas de divinité qui ne te cède sa place, et la nature te laissera prononcer quel dieu tu veux être, où tu veux mettre la royauté du monde… Ne te place pas à une des extrémités de l’univers ; l’axe du monde perdrait l’équilibre et serait entraîné par ton poids. Choisis le milieu de l’éther, et que là le ciel pur et serein n’offusque d’aucun nuage la clarté de César !… »

Ainsi parlait Lucain, le philosophe, l’admirateur de Pompée et de Caton, au temps où Néron lui laissait lire ses poèmes en public. Plus tard, il est vrai, lorsque sa poésie fut confinée dans le silence du cabinet, il déclama contre la divinité des tyrans, blâma la lâcheté des peuples qui « ne savent pas que l’épée leur est donnée pour que nul ne soit esclave, » et conspira avec Pison pour le renvoi de son dieu à l’Olympe. Au moins la flatterie délicate d’Horace voilait, sous un nuage de poésie mythologique, ce qu’avait de révoltant la divinité de son Auguste ; mais cette adulation des basses époques de l’empire, sans mesure et sans pudeur, d’autant plus qu’elle est sans talent et sans foi, outrant tout parce qu’elle ne croit à rien, et mettant d’autant plus volontiers l’homme à la place de la Divinité qu’elle n’honore pas la Divinité, a un caractère particulièrement misérable qu’on reconnaît, ce me semble, dès les premières lignes.

Aussi Néron croit-il à sa divinité. Un naufrage lui enlève des objets précieux : Les poissons, dit-il, me les rapporteront. Le monde plie si profondément sous ses lois ! non, « les princes ses prédécesseurs n’ont jamais su tout ce qu’il leur était permis de faire. » L’art a su le servir d’une façon si miraculeuse ! non, « ce qu’il a ordonné ne peut être impossible[39] » ; et un Grec homme d’esprit, qui lui a promis de s’élever sur des ailes, se fait nourrir dans le palais en attendant qu’il devienne oiseau[40].

Les merveilles de son palais ne suffisent plus à Néron. Que Rome s’étende jusqu’à l’embouchure du Tibre, et qu’un vaste canal mène les flots de la mer battre les vieilles murailles de Servius Tullius ; qu’une piscine immense, couverte d’une voûte, et bordée de portiques, s’étende de Misène au lac Avernes, et serve de réservoir aux eaux chaudes de Baya ; que de là, un canal de 160 milles (53 lieues), assez large pour le passage de deux grands navires, aille, à travers des terres arides, de hautes montagnes et le sol détrempé des marais Pontins, joindre le port d’Ostie : entreprise ruineuse dont la postérité reconnaîtra à peine les vestiges. — César, comme dit Suétone, a une passion, mais une passion étourdie, de gloire et d’immortalité. Il a égalé Apollon par son chant, le Soleil par son talent à conduire un char ; il veut être Hercule, et un lion est préparé (bien préparé sans doute), qu’aux premiers jeux de l’arène il doit, seul et sans armes, assommer de sa massue ou étouffer en ses bras.

Quant aux dieux ses frères, il n’est pas de jour où son orgueil ne les insulte, où sa faiblesse ne tremble devant eux. Au scandale de Rome, et au risque de la fièvre, il se baigne dans l’eau sacrée de la fontaine Marcia ; — mais il redoute les songes, les présages le rendent pâle. Il a long-temps adoré la déesse Syrienne ; — mais elle tombe en disgrace, il la souille de son urine. Il profane l’oracle de Delphes, viole une vestale ; — mais une petite statue de jeune fille, talisman donné par un homme du peuple, a remplacé Astarté disgraciée, et, comme peu après une conspiration s’est découverte, Néron fait d’elle le plus grand de ses dieux, lui sacrifie trois fois par jour, et lui demande la science de l’avenir.

Mais ce que l’impiété ne lui fera pas oublier, ce que la superstition ne pourra écarter de lui, c’est l’ombre d’Agrippine qui le poursuit avec les fouets et les torches des furies. Aux portes d’Athènes le souvenir d’Oreste et des Euménides, aux portes de Lacédémone le nom de l’austère Lycurgue l’a arrêté ; à Delphes, l’oracle l’a comparé aux Alcméon et aux Oreste meurtriers de leur mère, et, dans sa colère, il a confisqué les terres du dieu, fermé l’ouverture souterraine par où la prêtresse recevait l’inspiration. Bizarre mélange d’audace et de crainte ! le sénat le félicite et le monde l’adore ; mais, lorsqu’il est venu à Éleusis et qu’il a entendu le héraut écarter de ces mystères, révérés encore, les impies et les scélérats, le matricide s’est humblement retiré sans oser demander l’initiation.

Il tourne les yeux vers l’Orient, dont les sciences occultes sont, pour ce siècle, un objet de craintive curiosité. Tiridate lui a amené des magiciens. La divination par l’air, par le feu, par les étoiles, par les haches, par les lanternes, l’évocation des morts, le colloque avec les enfers, il veut tout apprendre d’eux. Avec eux, il conjure l’ombre d’Agrippine, lui offre des sacrifices, immole des hommes à leurs expériences, curieux et ardent à cette étude[41], autant même qu’il le fut à celle du chant, tant il voudrait faire violence à la nature et s’élever au-dessus des lois de l’humanité ! Mais la magie n’est qu’une chimère ; son crime est de ceux que l’antiquité déclare inexpiables, et pour lesquels, en effet, elle ne sait pas d’expiation.

Ainsi, au suprême couronnement de cette société que j’ai montrée ayant pour base le droit absolu de l’homme sur l’homme et s’échelonnant ensuite de servitude en servitude, s’agite une perpétuelle orgie, les Sénécion, les Tigellin, les Poppée, le Triboulet de cette cour, le fou bossu Vatinius, toute la fastueuse valetaille du palais ; orgie vulgaire, si monstrueuse qu’elle soit, qui court la nuit, brisant les boutiques et insultant les femmes ; qui, assise sur des vaisseaux garnis d’or et d’ivoire, descend le fleuve en face d’un rivage semé de retraites infâmes et au milieu des appels de la débauche, ou, à la fin d’un souper de douze heures, se jette de main en main la hache sanglante qui gouverne le monde : — et au milieu d’elle, mais non au-dessus, — un personnage flasque et mal proportionné, au cou épais, à la peau tachetée, au ventre proéminent, aux yeux vert-de-mer, louches, clignotans et hagards, avec une coiffure étagée et relevée en chignon derrière la tête, des pantoufles aux pieds, une étoffe épaisse autour du cou, une longue robe de festin, lâche et toute parsemée de fleurs ; une femme en un mot : — Néron.

Tel est le monde romain, la consommation de toute l’antiquité : le culte des Césars est le dernier degré de l’idolâtrie, c’est-à-dire de l’adoration de l’homme et de l’adoration du mal : les mœurs de leur époque sont le dernier degré de l’impureté, de l’inhumanité et de la division, les trois grandes conséquences de l’idolâtrie. «  Œuvres de la chair, oubli de Dieu, souillure des ames, trouble des naissances, inconstance des mariages, empoisonnemens, sang et homicides, larcin et tromperie, orgies, sacrifices obscurs, veilles pleines de folie, hommes tués par la jalousie ou contristés par l’adultère… toutes choses confondues,… et une grande guerre d’ignorance que la folie des hommes appelle la paix[42] ! » il semble que ces traits des livres saints aient été écrits pour prophétiser et pour peindre le siècle des Césars. — Et d’un autre côté, « tous les fruits de l’esprit : la charité, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la longanimité, la douceur, la foi, la modestie, la tempérance, la chasteté[43] ; » les quatre caractères opposés aux quatre caractères de l’antiquité : la foi pure à l’idolâtrie, la charité à l’esprit de haine, la justice à l’homicide, la chasteté à la corruption ; voilà quelle guerre commence aujourd’hui !

Né en même temps que le christianisme, comme une inspiration du mal suprême pour combattre le suprême bien, le pouvoir des Césars fut satanique dans son essence. Ce trône d’où Néron s’entendit appeler dieu, et se proclama dispensateur des couronnes, me représente, si j’ose le dire, le pinacle du temple où Satan plaça le Sauveur, et d’où il lui fit voir tous les royaumes de la terre, en lui disant : « Tout ceci est à moi, et je te le donne si tu tombes à mes pieds et si tu m’adores. » Comme le Satan de Milton, qui porte en lui l’enfer tout entier, César, l’incarnation du mal, le Satan terrestre, porte sur sa tête une triple couronne d’orgueil, de danger et de remords, dont nul front ne fut plus étroitement ceint que celui de Néron. Son inquiétude et sa peur étaient gigantesques comme son pouvoir ; il se sentait, comme dit le poète, « appuyé sur des états chancelans, et sentait trembler sous lui le faîte d’où il voyait le monde à ses pieds ! » Le moment approchait où ses prétoriens allaient lui apprendre que « l’épée, une fois tirée, appartient au soldat et non au chef[44]. » Le monde le soutenait tout en le subissant ; pour que Néron tombât, le monde n’avait qu’à se retirer. Remarquez l’expression de Suétone et des autres historiens : « Après l’avoir souffert près de quatorze ans, le monde le quitta[45] ; » mot qui, vous allez le voir, raconte à lui seul la chute de Néron.

D’où sa ruine pouvait-elle venir ? Du parti stoïque et patricien ? Ce parti s’était reconnu impuissant à la guerre civile. Du peuple de Rome ? Du sénat, de l’armée, des provinces ? Disons ce qu’était tout cela, et surtout le peuple, incompréhensible au premier coup d’œil dans l’histoire des Césars, où il apparaît tantôt factieux et redoutable, tantôt flatteur et méprisé.

Mais d’abord, quelle grandeur n’a pas à elle gens qui l’applaudissent, même sans intérêt et de bonne foi ? Au 8 thermidor, il y avait un peuple pour encenser Robespierre à sa fête des Tuileries ; au 9 thermidor, un autre peuple pour le maudire sur l’échafaud de la place Louis XV. Pénétrons plus avant. Un passage précieux de Tacite nous montre le peuple de Rome divisé en deux classes[46] : l’une dépend des sénateurs ou des chevaliers, est cliente des grandes maisons, mange leur pain, pense avec elles, n’a pas besoin de César, et par conséquent le déteste ; l’autre partie du peuple, au contraire (depuis que l’aristocratie n’est plus assez riche pour nourrir le peuple tout entier), n’a de patron que César ; elle le craint peu, par conséquent elle l’aime ; « mauvaise valetaille de la cité, amateurs de cirques et de théâtres, hommes couverts de dettes qui se mettent à la solde de la cour ; » grand point de mire des Césars, quand l’étourdissement de leur fortune permit aux Césars d’avoir une politique.

D’ailleurs, Néron est grand. Non-seulement, en ses jours de bénignité, il fait de royales économies et tranche au vif dans son budget, autrement magnifique que nos budgets modernes, et qu’un peu plus tard on estima près de huit milliards[47] ; non-seulement, en un moment de bonne humeur, il fait cadeau à ses sujets de 60 millions de sesterces par an ; non-seulement il a pensé à abolir tous les impôts indirects et à ne laisser subsister que l’impôt personnel : Néron est grand surtout quand il dépense son budget, lorsqu’en un jour il distribue 400 sesterces par tête, et, pour que le crédit n’en soit pas ébranlé, fait porter publiquement au trésor une somme de 400 millions de sesterces (80 millions de francs) ; lorsque pendant plusieurs jours de fête il fait jeter au peuple des milliers de billets, loterie grandiose où tout le monde gagne, l’un de riches étoffes, l’autre des tableaux, un cheval, un esclave, où les gros lots gagnent des perles, des pierres précieuses, des lingots, jusqu’à des navires, des maisons ou des terres, et les moins heureux ont pour consolation du blé, des oiseaux rares, des plats recherchés. Aussi ces hommes redoutent-ils l’absence de Néron, parce qu’alors le pain renchérit et les spectacles font relâche ; ils regrettent peu les journées qu’on leur fait perdre sur les bancs du théâtre, ils ne se plaignent pas des larges frumentations au moyen desquelles ils restent les bras croisés sous les portiques ; ils vont de grand cœur, lorsque Néron est enrhumé, faire des sacrifices pour sa voix céleste, dont ils peuvent bien se moquer tout bas ; ils ne gémissent pas d’être, avec toute la population de Rome, organisés, enrégimentés, disciplinés en claque théâtrale pour l’honneur de l’impérial histrion, applaudissant en mesure, criant vivat à point nommé au signal des chefs et sous le fouet des centurions : en tout cela ils ne voient pas la plus légère atteinte à leur dignité.

Cette popularité de Néron fut durable : l’incendie de Rome, qui lui porta un rude coup, ne la détruisit pas tout-à-fait ; elle survécut même à Néron. Fut-il donc un grand prince pour avoir plu aux lazzaroni de son temps, ou son temps fut-il bien misérable d’avoir eu des admirateurs et de la popularité pour Néron ?

Parlons maintenant du sénat. — Ce qu’a été et ce qu’est aujourd’hui même encore la chambre des lords dans la Grande-Bretagne, le sénat le fut dans la république : l’aristocratie constituée en pouvoir légal, le faisceau des anciennes familles fortifié chaque jour par l’étroite et cordiale association des familles nouvelles. Le sénat n’était que par l’aristocratie, et l’aristocratie était par elle-même. Aussi les plus grands démocrates de Rome, Marius et César, ne pensèrent pas à dissoudre le sénat, et j’ai lu de même, dans un écrivain radical, que, si la chambre des lords était supprimée, l’aristocratie y gagnerait en puissance plus qu’elle n’y perdrait.

Au contraire, ce qu’est notre chambre des pairs, un grand et vénérable conseil, non une des forces vives de la nation, le sénat le fut à peu près sous les empereurs. Nulle part, en ce siècle, ne se trouvait une telle réunion de personnes illustres de toutes manières. Les grands noms et les grandes fortunes y étaient de droit ; les vertus, les talens, les renommées, y arrivaient comme sous la république. Mais ce grand corps ne reposait plus sur rien, et n’était plus, pour parler le style d’aujourd’hui, la traduction légale d’un fait réel ; c’était une assemblée d’hommes considérables, et non plus une puissance. Malgré l’antiquité de son nom et ses siècles de souvenir, il n’eut jamais qu’une action médiocre dans les grandes crises ; plus puissant aux affaires qu’aux révolutions, plus fait pour un utile service que pour une résistance hardie. Et si, quant à la valeur morale, il y a une différence infinie entre le sénat de Rome et le nôtre ; si le sénat fut servile, adulateur, sanguinaire par lâcheté, tandis que, courageuse à ne pas verser le sang, la chambre des pairs est notable par un caractère de moralité, cette différence n’est que la mesure exacte de la différence qui existe entre cette époque et la nôtre. Nous méprisons le sénat romain, et notre vertu le condamne : le sénat romain était cependant honoré de son siècle ; il était le symbole de ce qu’il y avait encore de moralité par le monde. Se rapprocher de lui était signe de vertu chez un empereur ; le menacer, indice de despotisme. Comme celle de Sénèque et de Burrhus, sa probité lâche et imparfaite, conseillère honnête des princes aux jours de leur vertu, gémissante et peureuse adulatrice en leurs mauvais jours, fut encore à cette triste époque le triste drapeau des honnêtes gens.

Restent maintenant les provinces ou plutôt les légions, car toute puissance était dans la force matérielle : elle seule, grâce à l’absence de communauté entre les hommes, vivait, pensait, délibérait ; Rome, c’étaient les prétoriens ; les provinces, c’étaient les légions. Au commencement de chaque règne, il y avait un instant de faveur pour les provinces. Tant de spoliations avaient existé, que la poursuite en était, pour le nouvel empereur, un facile moyen de se rendre populaire. Les procès contre les magistrats déprédateurs remplaçaient au sénat les procès contre les ennemis de César ; et Tibère, qui fonda en même temps toutes les traditions impériales, se fit du soulagement des provinces un moyen de succès, comme, des accusations contre les spoliateurs, une transition à ses terribles accusations de majesté. Mais, à mesure que le vertige impérial montait à la tête du prince, la peur et la volupté, l’argent à répandre et les têtes à faire tomber, firent d’abord négliger, puis opprimer les provinces. On sacrifiait facilement les intérêts éloignés aux passions plus voisines, la Gaule ou l’Espagne au peuple de Rome, les légions aux prétoriens. Quand on avait ajouté aux spectacles et à la paie, que le peuple au théâtre et les cohortes au camp criaient bravo, on se croyait en sûreté.

Les provinces n’étaient pas à la hauteur de la servilité romaine. Tacite nous peint un provincial, homme simple, qui arrive au spectacle à Rome pendant que chante César, reste tout étonné de cet empereur qui joue un rôle et de ce peuple qui l’applaudit, se perd au milieu de cet enthousiasme discipliné, laisse tomber ses mains de fatigue, crie quand il faudrait se taire, se tait quand il faudrait crier, trouble les chefs de claque, et reçoit les coups de canne des centurions[48].

Les légions étaient en discrédit comme les provinces (cette défaveur était même une tradition d’Auguste). Tandis que les prétoriens, qui faisaient les empereurs, étaient choyés et engraissés par eux, vingt légions[49] (120,000 hommes) étaient toutes les forces romaines de l’empire, éloignées les unes des autres et de Rome (car le centre de l’empire se maintenait presque sans soldats) ; disséminées sur le Rhin, le Danube, l’Euphrate, le Nil, au pied de l’Atlas, enfermées dans la prison maritime de l’île de Bretagne ou dans la péninsule ibérique, elles étaient l’objet d’une défiante et jalouse attention. On ne permettait volontiers ni l’industrie aux populations, ni la guerre aux soldats. Parmi les gouverneurs, les uns étaient des affranchis de César, créatures du palais, qui achetaient leurs charges à prix d’argent, et regagnaient leurs avances en faisant marché de la justice ; c’est à ceux-là que Néron disait, lorsqu’ils partaient pour leurs provinces : Tu sais de quoi j’ai besoin. Les autres étaient des chefs militaires, suspects par cela même. Un général romain, dans les Gaules, eut la pensée d’un canal de la Saône à la Moselle, magnifique communication entre les deux mers ; ses amis l’avertirent qu’il paraîtrait rechercher la popularité, et ferait peur à César : crainte, dit Tacite, qui arrêtait tous louables efforts. Galba, en Espagne, après avoir fait long-temps une sévère police contre les maltôtiers romains, changea de système, disant qu’après tout, à qui ne fait rien, on ne demande pas de compte[50]. Quant à la guerre, déjà Tibère, voyant l’empire entamé par les barbares, avait mieux aimé dissimuler ces plaies que de la permettre à personne[51], tant une victoire lui semblait chose redoutable ! Il en advint que, poussées en arrière par César, Auguste et Germanicus, qui pressentaient là les destructeurs de Rome, les races germaniques, à la vue du long repos des armées romaines, se dirent que « César avait ôté à ses généraux le droit de mener à l’ennemi[52], » revinrent peu à peu à la charge, se poussèrent les unes les autres contre le colosse, y mordirent, et, au bout de quelques siècles, furent irrésistibles. Déjà, sous Néron, à travers les bois et les marécages, les Frisons, amenant avec eux dans de légères barques leurs enfans et leurs vieillards, envahissent des terres romaines destinées à la charrue, mais abandonnées ; déjà les Germains le long du Rhin, les Parthes à l’orient, les Maures au midi, insultent les frontières de l’empire, et harcèlent ce grand corps, qui, mal gouverné, ne se défend qu’avec lourdeur. Chaque jour depuis, la tâche des empereurs, en combattant les barbares, devint plus sérieuse, et les derniers Césars, plus courageux en général et plus dignes, purent rejeter leurs affronts sur les Césars de la première race.

Mais, si abaissées qu’elles fussent, au jour où Néron dut périr, ce furent les provinces qui donnèrent le signal aux légions. La Gaule, riche et vigoureuse, entrée fortement dans la vie romaine, déjà ruinée sous Caligula, accablée d’impôts par Néron, secoua la tête. Ces hommes, nos aïeux, étaient « d’une âpre et difficile nature, embarrassante pour les Césars, quand ceux-ci manquaient de pudeur, de mesure ou de dignité[53]. » Le propréteur Vindex, Gaulois de naissance et descendant des anciens rois d’Aquitaine, au lieu d’une armée qu’il n’avait pas, convoqua une assemblée nationale. Ces vieilles races celtiques s’indignèrent à l’entendre parler de cet empereur qu’il avait vu chanter et déclamer sur la scène. Tout le centre de la Gaule, Arvernes, Séquanais, Viennois, prirent les armes, et Vindex eut autour de lui cent mille hommes. Mais toute nationalité était faible contre Rome. Il fallait que cette révolte d’une « province désarmée[54], » de nationale devînt militaire. Aussi Vindex fit-il un appel aux chefs de troupes romaines ; il écrivit à Galba, proconsul d’Espagne, lui demandant de « se mettre à la tête du genre humain. » Galba, ancien noble (il descendait de Pasiphaé, mère du Minotaure, ce qui constituait, sans doute, une très illustre origine), vieux soldat, qui s’était confiné dans d’obscures victoires sur les Bretons et les Africains, pour échapper à la cruauté de Caïus et au dépit amoureux d’Agrippine, envoyé dans l’Espagne tarragonaise en un temps où Néron « ne craignait pas encore les hommes placés haut[55] ; » Galba n’avait pas tardé à s’y effacer : il ménageait les traitans qu’il soupçonnait d’affinité avec Néron ; d’un autre côté, il plaignait le pauvre peuple, laissait circuler des satires contre le prince, et, dans la crainte d’une disgrace, ne voyageait pas sans un million sest. en or. Un tel homme ne pouvait devenir empereur qu’en un péril extrême ni se révolter que par prudence. — Or, il reçut à la fois la lettre de Vindex, une autre du gouverneur d’Aquitaine qui l’appelait à son secours contre Vindex, enfin un message intercepté, par lequel Néron donnait ordre de l’assassiner. Dès-lors les oracles et les prodiges ne manquèrent pas, selon l’habitude de ce siècle, pour l’encourager dans son entreprise. Il n’avait qu’une légion, mais il comptait, comme Vindex, sur le mouvement national. Comme lui, dans une assemblée de la province, en face des images de ceux que Néron avait fait périr, il harangua le peuple, envoya des proclamations par toute l’Espagne, leva des légions espagnoles, forma un sénat d’Espagnols, et fit mettre aux portes de sa chambre une garde de chevaliers. C’était une Rome ibérique qui se soulevait contre la vieille Rome.

L’éveil était donné, le secret de l’empire trahi ; on apprenait qu’un empereur pouvait se faire ailleurs qu’à Rome[56]. Tout l’Occident s’agite ; des généraux qui avaient repoussé et même trahi de précédentes insinuations de Vindex, à la nouvelle du mouvement de Galba, se lèvent pour être ses auxiliaires ou ses rivaux. Othon, en Lusitanie, se joint à Galba ; homme de cour, Othon prête à Galba sa vaisselle et ses esclaves, plus dignes d’un empereur. Rome en était au point que cette pompe fût un accessoire obligé de l’usurpation.

Pendant ce temps, que faisait Néron ? À la première nouvelle, il s’est peu ému. Il était à Naples, sa bonne ville ; il a tressailli de joie à l’idée du pillage des Gaules ; il est allé voir des athlètes. — Les nouvelles sont plus graves ; il ne s’inquiète pas encore, reste huit jours sans donner un ordre ni faire une réponse. — Rome est remplie de proclamations injurieuses de Vindex. Néron écrit cette fois au sénat qu’il ne peut venir, parce qu’il a mal à la gorge, et qu’il endommagerait sa belle voix ; que d’ailleurs Vindex est bien sot de l’appeler « mauvais musicien, » lui qui a donné tant de soins et d’années à cet art ; que chacun peut voir si personne chante mieux que lui ; que l’absurdité de ce reproche doit faire mesurer la valeur des autres. — Les nouvelles sont plus inquiétantes encore : il part pour Rome ; mais, sur la route, un bas-relief qu’il rencontre, et qui représente un Gaulois traîné aux cheveux par un Romain, lui semble un présage favorable ; il oublie ses craintes, saute de joie, envoie un baiser au ciel. Arrivé à Rome, il délibère quelques instans avec les principaux du sénat, puis il passe le reste du jour à leur montrer un orgue hydraulique d’invention nouvelle : « Nous entendrons cela sur le théâtre, dit-il, avec la permission de Vindex. » — Mais survient la grande nouvelle : Galba s’est révolté ! Cette fois Néron tombe comme mort, demeure long-temps sans mouvement et sans voix. Revenu à lui, il se frappe la tête ; sa nourrice veut en vain le consoler : « c’en est fait de lui. Il lui arrive ce qui n’est arrivé à nul autre prince ; il perd son empire avant de mourir. » Un César s’attendait bien à être assassiné, non pas à être détrôné. — Je ne sais quelle nouvelle plus favorable lui est apportée. Son ame futile a secoué toute sa peur ; il est à table ; il chante des couplets contre Vindex et Galba ; il accompagne de ses gestes le son d’une musique folâtre. Il se fait porter au théâtre en cachette, et envoie dire à un acteur qu’on applaudissait : « Tu abuses de mon absence ! »

L’ivresse impériale l’a repris. « Tous les généraux conspirent avec Galba ; il va les envoyer tous tuer, il va faire mourir tous les exilés, égorger tout ce qu’il y a de Gaulois dans Rome, mettre le feu à la cité, empoisonner le sénat dans un festin, et, si le peuple y trouve à redire, lâcher sur le peuple les bêtes du cirque, dignes auxiliaires de sa police. » Extravagances d’un poltron enivré ? fables inventées par la colère du peuple ? voilà du moins quels projets on prêta à Néron. — Mais, avant tout, il faut la guerre : mot étrange pour Néron qui n’a jamais guerroyé que de loin. Le sénat a déclaré Galba ennemi public, sauf à rendre plus tard le même édit contre Néron. César rappelle ses troupes prêtes à partir pour le Caucase, forme une légion de soldats de marine, ses gardiens de Misène et les complices de la mort d’Agrippine. Il est magnifique envers les dieux ; il leur voue, s’il est vainqueur, un spectacle où il se fera entendre à eux sur l’orgue, la flûte et la cornemuse, et terminera en dansant le ballet de Turnus. Ses préparatifs se poussent à la hâte. Des chariots sont déjà faits pour porter ses orgues ; les courtisanes du palais coupent leurs cheveux, s’arment de haches et de boucliers, forment une légion d’amazones. Lui-même, après avoir, en signe de guerre, arboré les faisceaux, sortant de table appuyé sur l’épaule de ses amis, l’ame attendrie par les joies du festin, ne rêve plus que le drame larmoyant, au lieu du mélodrame sanglant de la veille : « Une fois arrivé dans la province, en présence de l’ennemi, il s’avancera sans armes, et, sans dire une parole, il se mettra à pleurer. Tous seront touchés, on s’embrassera, et l’on chantera un hymne de triomphe qu’il fait déjà composer ! »

Cependant Rome murmure ; une levée se fait ; on ne peut enrôler que des esclaves. Néron exige d’énormes impôts ; on refuse de payer. — « Qu’il aille, dit le peuple, faire rendre gorge à ses délateurs ! » Le peuple souffre de la disette, pendant qu’un navire d’Alexandrie apporte, au lieu de blé, de la poudre du Nil pour les élégans lutteurs du palais. La nuit retentit de quolibets contre Néron[57], et tout à coup ce pouvoir colossal ne se fait plus obéir dans les carrefours de Rome. Puis viennent les rêves et les présages. Néron a vu des fourmis qui le dévorent (Tibère eut une imagination pareille) ; il a vu son cheval favori, Asturcon, changé en singe, sauf la tête qui hennit en mesure ; le mausolée d’Auguste s’est ouvert, et une voix en est sortie qui appelait César par son nom ; et dans le dernier rôle qu’il a chanté, Néron est tombé en prononçant ce vers : « Père, mère, épouse, me poussent à la mort ! » Enfin il se voit en songe au théâtre de Pompée ; les statues des quatorze nations de l’empire s’ébranlent de leur place, descendent vers lui et l’investissent : image vive de ce mouvement national qui portait le monde contre lui, et que pourtant il ne connaissait pas encore tout entier ; car la révolte marchait sans obstacle. Galba, dont Néron avait confisqué les biens à Rome, confisquait en Espagne ceux de Néron, et trouvait des acheteurs ; Vindex, dont il avait mis la tête à prix, répondait : « Néron promet dix millions de sesterces à qui me tuera ; je promets ma tête à qui m’apportera celle de Néron ! » quand tout à coup surgit un mouvement nouveau, que l’insuffisance des récits venus jusqu’à nous, et surtout la perte des écrits de Tacite, ne nous permettent pas de bien apprécier. Virginius, commandant de la Germanie supérieure, marcha contre Vindex. Mais après une entrevue ils étaient sur le point de s’entendre, quand les légions commencèrent d’elles-mêmes l’attaque. Vingt mille Gaulois périrent ; Vindex se tua. Virginius, en patriote romain ou en sage ambitieux, refusa l’empire de la main des soldats, et proclama souverain le choix du sénat et du peuple : prudent refus qui lui valut le rare bonheur d’échapper pendant trente ans aux défiances de tous les Césars, et de mourir, à quatre-vingt-trois ans, chargé d’honneurs, vénéré de Rome parce que sa vertu l’avait mis en dehors d’elle, loué solennellement par Tacite, et, comme dit Pline, ayant assisté au jugement de la postérité sur lui-même[58].

En même temps, une de ces alarmes dont rien ne peut rendre compte détruisait les espérances de Galba : ses soldats lui obéissaient mal, une partie de sa cavalerie fut au moment de l’abandonner. Des esclaves, apostés par un affranchi de Néron, furent surpris prêts à le poignarder. Quand il sut la mort de Vindex, il se retira dans une ville d’Espagne, écrivit à Virginius, puis songea à se donner la mort. Le mouvement soulevé contre Néron était donc étouffé comme de lui-même, et par cette seule terreur que la puissance impériale inspirait. — Mais Néron ne le sait pas : il vient d’apprendre les défections nouvelles qui ont suivi celle de Galba ; il se lève au milieu du repas, renverse la table, brise deux coupes de cristal qu’il aimait ; Rome, les provinces et l’armée lui manquent à la fois ; il demande du poison à Locuste, se retire dans une villa, et pense à fuir.

L’Orient peut lui servir de refuge. Les astrologues, en lui annonçant sa chute dans Rome, lui ont promis l’empire de l’Asie. Des Juifs flatteurs ont fait de lui leur messie ; ce peuple, depuis un demi-siècle que les prophéties sont accomplies, partout en quête de son Christ, applique à Néron, comme plus tard à Vespasien, ces oracles répandus, selon Tacite, dans tout l’Orient, et lui promet la royauté de Jérusalem[59]. Et ne serait-il plus roi, il sera encore grand artiste : la lyre, ornement de sa grandeur, sera la ressource de sa disgrace ; il ira chanter à Alexandrie (remarquez cet attrait pour l’Égypte commun à Caligula, à Germanicus, à Vespasien) ; « le virtuose ne trouve pas de terre qui ne le nourrisse[60]. » — Mais la lâcheté de Néron enhardit chacun à lui résister. Les officiers du prétoire refusent de le suivre dans sa fuite ; l’un d’eux même lui dit : « Est-il donc si dur de mourir[61] ? » Il ira demander aux Parthes un asile, il ira se jeter aux pieds de Galba ; il ira au Forum en habits de deuil ; du haut des rostres, il implorera la pitié du peuple, demandant comme retraite la préfecture de l’Égypte. Il ne peut se faire à envisager la mort, et il a déjà dans son portefeuille une harangue toute prête à adresser au peuple. Mais non ; la populace, avant qu’il ne fut au Forum, l’aurait déchiré. Que fera-t-il donc ?

Tout pourtant demeure dans l’ordre accoutumé ; les prétoriens veillent à sa porte. Après une longue agitation, Néron s’est assoupi ; au milieu de la nuit, il se réveille ; les prétoriens ne sont plus à leur poste ! Il envoie chez ses amis ; nul ne répond : Tigellin l’a abandonné ! Suivi de quelques affranchis, il va frapper de porte en porte ; les portes demeurent fermées. Il revient dans sa chambre ; les officiers de sa chambre ont pris la fuite. Son lit a été pillé, et on n’a pas même eu la triste pitié de lui laisser sa boîte de poison. Y aura-t-il du moins un gladiateur pour le tuer ? Il ne s’en trouve pas. « Je ne puis donc, s’écrie-t-il, trouver ni un ami ni un ennemi ! » C’est bien le mot de Suétone : le monde le quitte.

Il faut expliquer cette catastrophe dernière. Celui qui renverse Néron n’est ni Vindex, ni Galba ; c’est un ignoble personnage, — bâtard, disait-on, d’une courtisane et d’un gladiateur, selon lui, de Caligula : — Nymphidius, devenu préfet du prétoire pour avoir aidé à la découverte de la conspiration de Pison. Cet homme se mit en tête de terminer une lutte dont l’issue était encore douteuse. Il comprit que les soldats devaient se dégoûter un peu de cet empereur fugitif, et ne pas tenir beaucoup à verser leur sang pour sa royauté égyptienne. Il leur persuada que Néron était déjà parti, se fit de son chef le mandataire de Galba, promit en son nom 30,000 sest. à chaque prétorien et 5,000 à chaque légionnaire, ce qui, au compte de dix mille prétoriens et de cent vingt mille légionnaires seulement, faisait une somme de 180,000,000 francs : promesse impossible à tenir, que Galba n’avait pas faite, et que pourtant il paya de sa vie.

Les prétoriens, seule force de l’empire, quittèrent donc leur maître. Pour ce qui me reste à dire, je citerai Suétone. Il est bon de juger de son style, et de voir si l’on peut accuser de partialité ce procès-verbal écrit avec tant de minutie et d’indifférence.

« Néron voulut se jeter au Tibre ; mais il s’arrêta, et comme il désirait, pour se recueillir, un lieu un peu plus retiré, Phaon, son affranchi, lui offrit sa maison hors de la ville, entre la voie Salaria et la voie Nomentana, vers le quatrième mille. Il était nus-pieds et en tunique ; il revêtit une pœnula de couleur terne, mit un mouchoir devant sa figure, et monta à cheval, accompagné seulement de quatre hommes, dont l’un était Sporus. Déjà effrayé par un tremblement de terre et par un éclair qui se montra devant lui, il entendit, en passant auprès du camp, les cris des soldats qui le maudissaient et faisaient des vœux pour Galba. Un passant même vint à dire : « Voilà des gens qui poursuivent Néron ! » et un autre leur demanda : « Quelles nouvelles y a-t-il à Rome de Néron ? » L’odeur d’un cadavre jeté sur la route effraya son cheval ; ce mouvement découvrit sa figure, et un ancien soldat du prétoire le reconnut et le salua. Arrivés au lieu où il fallait quitter la route, ils abandonnèrent leurs chevaux au milieu des buissons et des épines, et ce fut à grand’peine que, par un chemin semé de roseaux et en étendant ses habits sous ses pieds, il put parvenir au mur de derrière de la villa. Phaon l’exhorta à se cacher dans une sablonnière, en attendant qu’on lui préparât les moyens d’entrer secrètement dans la maison ; il répondit qu’il ne voulait pas être enterré vif, demeura là quelque temps, et but dans le creux de sa main un peu d’eau de la mare voisine. « Voilà donc, dit-il, le breuvage de Néron[62] ! » Ensuite, il enleva de sa pœnula, déchirée par les buissons, les épines qui y étaient entrées, et puis, se traînant sur les pieds et les mains, par un passage étroit qu’on venait de creuser sous terre, rampa jusque dans la cellule la plus proche, où il se coucha sur un lit garni d’un mauvais matelas et d’une vieille couverture. Tourmenté par la faim et la soif, il refusa néanmoins du pain noir qu’on lui offrit, mais but un peu d’eau tiède. Chacun le pressant ensuite de s’arracher au plus tôt à tous les outrages qui le menaçaient, il fit creuser devant lui une fosse à sa mesure, ordonna de réunir, s’il se pouvait, quelques débris de marbre, d’apporter de l’eau et du bois pour rendre les derniers soins à ses restes, pleurant à chaque parole et répétant : « Quel grand artiste le monde va perdre ! » Cependant arriva un courrier de Phaon, dont il saisit les dépêches, et il lut que le sénat l’avait déclaré ennemi public et condamné au supplice des lois anciennes ; et comme il demanda quel était ce supplice, on lui répondit que le condamné, dépouillé de ses habits, était obligé de placer sa tête dans une fourche, et que là on le battait de verges jusqu’à ce qu’il mourût. Effrayé, il saisit deux poignards qu’il avait sur lui, en essaya la pointe, et les cacha ensuite, l’heure fatale, disait-il, n’étant pas encore arrivée ; puis il exhortait Sporus à pousser des lamentations funèbres et à se frapper la poitrine, il suppliait l’un de ses compagnons de l’encourager par son exemple à mourir, il se reprochait sa propre lâcheté : « Je vis pour mon déshonneur. C’est honteux, Néron, c’est honteux ! Il faut du cœur aujourd’hui. Allons, réveille-toi. »

« Mais déjà arrivaient des cavaliers avec l’ordre de le saisir vivant. Au bruit des pas, il s’écria en tremblant : « Le galop des coursiers a frappé mon oreille[63] ! » Enfin, aidé par Épaphrodite, son secrétaire, il se perça la gorge. Il respirait encore, lorsqu’arriva le centurion, qui, étanchant la plaie avec son habit, feignit d’être venu le secourir. Tout ce que dit Néron fut : « Il est trop tard ! » et : « Voilà donc cette foi jurée ! » Il mourut sur cette parole, ses yeux sortant de leurs orbites et prenant un regard immobile qui fit frissonner les assistans. Ce qu’il avait le plus instamment demandé à ses compagnons, était que personne ne s’emparât de sa tête, et qu’on le brûlât comme on pourrait, mais tout entier. On obtint cette permission d’Icélus, affranchi de Galba, à peine sorti des fers, où, à la première nouvelle des troubles d’Espagne, on l’avait jeté. »

Ce récit n’est-il pas plein de vie et de lumière ? Cet empereur qui la veille ne croyait pas devoir plus de compte d’une vie humaine que d’un écu de sa bourse, non pas attaqué, non pas menacé par une révolte présente, mais nuitamment et à petit bruit déserté par la garde de service, et perdu uniquement parce qu’il est seul ! renversé moins par la force d’autrui que par sa peur, par l’esprit universel de trahison, par la nouvelle de la révolte au moment où la révolte s’éteint ! cet homme qui, n’étant ni poursuivi, ni condamné encore, ayant le monde ouvert, renonce et à ses projets de défense et à ses projets de fuite, et voit bientôt, si lâche qu’il soit, que sa seule ressource est de mourir ; qui est reçu par grace, et en grand secret, dans la cave de son affranchi, accompagné de deux autres et d’un misérable, jouet dégradé d’une cruauté infâme, son dernier pourtant et son plus fidèle serviteur ! et l’affranchi d’un vieillard absent et d’un empereur douteux encore, sans mission de personne, découvrant à l’instant cette retraite si soigneusement cachée, et dans sa miséricorde accordant le bûcher au dernier des Césars !

Cependant le sénat, hardi de la seule inaction des prétoriens, proclame Galba. Le peuple applaudit, court par la ville avec le bonnet de l’affranchissement sur la tête, brûle l’encens aux temples, renverse les statues de Néron, met à mort les ministres de ses cruautés. D’un autre côté (tant il est vrai qu’une partie du peuple l’aimait sans oser le défendre), ses funérailles s’achèvent en paix avec une certaine pompe, et dans le monument somptueux des Domitius, du haut de la colline des Jardins, son tombeau domine le Champ-de-Mars, sans craindre la vengeance des Romains, si âpre envers les morts. Pendant plusieurs années même, on jettera des fleurs sur sa tombe. Après la chute de Galba, une réaction aura lieu en faveur de la mémoire de Néron. Othon, entrant à Rome, s’entendra saluer du nom de Néron, rendra leurs charges à ses créatures, laissera relever ses statues[64]. Enfin, cet éternel emblème de la puissance césarienne, suprême exécration des uns, regret profond des autres, reste immortalisé par tous. Le peuple dit que Néron n’est pas mort, et, pendant vingt ans, de faux Nérons se montrent entourés de partisans[65] ; son image reparaît aux rostres, des proclamations annoncent son retour avec d’effroyables vengeances, tandis que jusqu’à la fin du IVe siècle, à l’encontre du culte voué à Néron par tous les instincts dépravés de son temps, un grand nombre de chrétiens, l’immortalisant d’une autre façon, croient que, caché dans une retraite mystérieuse, il doit, au dernier jour, reparaître au monde, rétablir le culte des idoles, et accomplir tout ce qui a été prophétisé de l’antechrist[66].

Avec Néron finissait la dynastie des Césars. Il y avait un bois de laurier planté par Livie, où chacun des empereurs venait cueillir des couronnes pour son triomphe, et ajouter un plant nouveau. On remarqua qu’à la mort de chacun d’eux, l’arbre qu’il avait planté mourut aussi, et, peu avant la mort de Néron, le bois tout entier périt. Un coup de tonnerre fit tomber la tête de toutes les statues des empereurs et brisa le sceptre que tenait celle d’Auguste. — Ainsi ces quatre familles, si riches, si nombreuses, si puissantes, des Jules, des Claude, des Domitius, des Agrippa, confondues en une seule (sans parler de tant d’autres qui, liées avec elles, subirent la même fatalité), étaient venues s’user à tenir le sceptre impérial. Ni les lumières de la Grèce qui avait civilisé le monde, ni la puissance de Rome qui se l’était si fortement subordonné, ne les défendirent contre cet accablement presque inévitable de la pensée humaine vis-à-vis d’une position qui est au-dessus de l’homme. Cette dynastie, décimée tour à tour par la tyrannie de son chef, l’ambition de ses membres ou le ressentiment des proscrits, se fit à elle-même une telle guerre, qu’en un demi-siècle, et après avoir donné six maîtres au monde, elle fut épuisée. Dans la généalogie dressée par Juste Lipse, je trouve sur quarante-trois personnes trente-deux morts violentes. On sait quelle fut la fin de tous ces Césars : depuis le coup de poignard de Brutus jusqu’au larmoyant suicide de Néron, nul ne mourut sans un crime, et Auguste même, selon bien des opinions, fut empoisonné par Livie. De ces six princes, après des mariages nombreux et féconds, trois seulement laissèrent une postérité, toujours promptement et misérablement éteinte ; aucun n’eut son fils pour successeur. Le destin que j’ai souvent rappelé de la fille et de la petite-fille d’Auguste, le fils de Tibère empoisonné par Séjan, son petit-fils tué par Caligula, sa petite-fille par Messaline, la fille de Caligula justiciée à deux ans, Octavie, Antonia et Britannicus, toute la postérité de Claude immolée par Néron, leur frère adoptif, montrent ce que devenait la ligne directe des Césars. Quant à ce que l’on gagnait à être femme d’empereur, sur seize femmes qu’eurent les cinq héritiers du premier César, six périrent de mort violente, sept furent répudiées, trois seulement, par une prompte fin ou par un heureux veuvage, échappèrent au divorce et au supplice. Rien ne fut pareil en fait de cruauté, parce que rien ne fut pareil en fait de puissance.

Ce n’est pas que ces Césars ne fussent bien élevés, polis, n’eussent toute la grace et toute l’élégance de leur siècle. J’ai dit un mot des goûts érudits de Tibère. Caligula, si fou qu’il pût être, était passionné pour l’éloquence. La science et la littérature débordaient chez Claude ; il haranguait en grec et en latin. Néron avait reçu la poésie en partage. Tous parlaient grec, cette langue des poètes et des artistes, comme un diplomate russe parle français. Les Agrippine et les Julie, ces belles femmes aux traits nobles et sévères, avaient aussi leurs prétentions à la littérature et à l’esprit. C’étaient tous des gens du monde, ayant le goût des lettres, une conversation fleurie et de belles manières. Ils avaient pourtant mérité leur malheur. Nulle famille ne fut plus coupable envers le genre humain, moins encore parce qu’elle l’opprima que parce qu’elle le corrompit. Elle lui enseigna la corruption par son exemple, qui la montrait plus infâme et plus triomphante que jamais ; par sa tyrannie, dont la perpétuelle menace jetait dans tous les excès les ames qui voulaient s’étourdir, trop lâches pour regarder le danger en face ; enfin, par le fait seul de son existence et de son pouvoir, qui semblait un démenti perpétuel donné à la Providence. Elle imprima à cette époque ses deux grands caractères, le fatalisme et la servilité, la négation de Dieu et l’adoration de la créature, accoutuma tout homme à trembler sous un maître et à faire trembler un esclave, à corrompre l’un et à dégrader l’autre, mettant plus de pouvoir et de richesse où il y avait plus de vice, et plaçant à la tête de l’univers, et souvent au-dessus d’elle-même, tout un peuple de tyrans esclaves, centurions et tribuns dans le camp, procurateurs dans les provinces, affranchis et eunuques au palais. Et remarquez comme cet esprit pénétra profondément la société romaine : depuis Néron, si l’on excepte les quinze ans de Domitien, il y eut, pendant tout un siècle, un progrès suivi dans la moralité des souverains. Rome suivit-elle le même progrès ? en devint-elle plus courageuse et meilleure ? Non, elle se donna tout aussi corrompue, tout aussi lâche, tout aussi délatrice, au fils indigne de Marc-Aurèle.

Il serait curieux de montrer par les détails comment, depuis les siècles les plus reculés, l’antiquité préparait ce résultat, et par quel degré passa cette chute progressive de l’homme. On verrait peut-être combien cette pente était naturelle, et l’on comprendrait que du beatus de Rome, de l’affranchi de César, couché sur son lit d’ivoire, ses esclaves à ses pieds, bien gorgé de ses murènes nourries d’hommes, regardant les gladiateurs dont le sang rejaillit sur sa table, — ou de la pauvre veuve chrétienne qui, au risque de sa vie, va dans l’ergastule du riche bander les plaies de l’enchaîné et laver les pieds des saints, — celui qui est le plus dans la nature est certainement le premier.

Je me permets de le dire, après avoir traversé avec labeur cette triste, mais importante histoire, nulle autre ne démontre plus pleinement, par sa seule évidence et en dehors du raisonnement philosophique, cette radicale faiblesse, et, si j’ose le dire, cette incivilisation naturelle du génie humain, quand une force du dehors ne le soutient pas. L’antiquité l’avait bien senti : à elle toutes ses admirations reculaient, tout son idéal était dans le passé ; la fable des quatre âges, fable universelle et primitive, exprimait bien cette persuasion de la décadence nécessaire des choses humaines. Homère et les poètes nous peignent sans cesse l’homme plus faible, sa taille plus petite qu’au siècle des héros. Ces périodes de grandeur et de chute, de virilité et de vieillesse, cette « envieuse loi du destin par laquelle toute chose, arrivée à son apogée, redescend bientôt et avec une tout autre vitesse jusqu’au degré le plus bas[67], » sont des images qui se retrouvent partout ; et à la fin de la république romaine, où tout ce qui avait soutenu le monde semblait s’abîmer, où le patriotisme et la foi manquaient à la même heure, il était bien permis de peu croire à la perfectibilité indéfinie de la race humaine.

Je trouve à cette époque deux pensées et deux sentimens divers : dans le petit nombre, rare et incertaine foi de quelques ames initiées, une mystique espérance à un avenir qui ne dépend en rien des forces humaines ; dans le grand nombre, un regret infructueux du passé, un fatalisme sans remède, une pensée toute désespérante et abandonnée. Le genre humain est le Prométhée d’Eschyle, le dieu-homme, condamné à un supplice sans espérance et sans fin, « jusqu’à ce qu’un dieu vienne l’affranchir en se chargeant de ses souffrances. » Cette double pensée se peint bien dans Virgile. Lorsqu’il est croyant, initié, prophète (vates), qu’avec un admirable instinct de poète il recueille les vérités éparses que chantent les oracles, que cachent les mystères, que les sibylles jettent au vent, il annonce le principe d’une ère nouvelle ; dans un enfant, « auquel ses parens n’ont pas souri et que sa mère vient d’enfanter après dix mois de douleur, » il découvre « un rejeton descendu du ciel, le grand accroissement de Jupiter : » alors, dans un magnifique élan, il invite toute la création à saluer ce fils des dieux, il voit déjà « le monde tressaillir sur son axe ébranlé, le ciel, la terre, les eaux, toute chose se réjouira la vue du siècle qui doit venir. » Mais, lorsque ensuite l’inspiration a défailli et que les oracles ne lui parlent plus, qu’il retombe sur la pauvre et imbécile nature humaine, frappé de cette fatalité qui emporte toute chose vers le pire, il compare le destin du monde à une barque que les efforts des rameurs ont à grand’peine poussée quelque peu contre le cours du fleuve ; si les bras se ralentissent un moment, le fleuve ressaisit la nef, et la puissance impétueuse des eaux la rejette bien loin en arrière.

Sic omnia fatis,
In pejus ruere ac retrò sublapsa referri :
Haud aliter quam qui adverso vix flumine lembum
Remigiis subigit, si brachia fortè remisit ;
Atque illum in præceps prono rapit alveus amni
.
(Georg.)

Et nous, ne croyons pas plus au fatalisme dans le bien qu’au fatalisme dans le mal. Que des siècles de progrès ne nous poussent pas à une espérance orgueilleuse, comme des siècles de décadence poussaient l’antiquité au désespoir. Si le monde est fatalement conduit vers le bien, à quoi bon travailler pour lui ? Si le progrès se fait par la seule force des choses, pourquoi se mettre en peine du progrès ? Ce vague optimisme dont on veut faire toute une philosophie, cette croyance à un progrès inévitable, quoiqu’il ne soit jamais défini, ne tombe-t-elle pas vers un quiétisme orgueilleux, qui, comptant sur la raison des choses ou sur quelque divinité aussi vague, se croiserait les bras et la laisserait faire ? Le monde a marché, certes, depuis le temps où Néron le gouvernait ; mais comment a-t-il marché, sinon par le secours de Dieu d’un côté, et de l’autre par ses propres efforts ? Il en est du monde comme de l’homme ; son salut est au prix de la grace du ciel, toute-puissante, mais qui ne se donne qu’à condition et veut être secondée par notre faible labeur.

Le christianisme est, divinement parlant, la cause de la civilisation moderne et son principe dans le passé ; humainement parlant, il en est le motif, la raison logique, la justification et le soutien dans le présent. La civilisation, si vous ne la faites absolument matérielle, repose sur des idées, et les idées ne sont efficaces que parce qu’on y croit. L’auteur, l’inspirateur, le persuasor de ces idées a été le christianisme, et, si l’on pénètre au fond des choses, lui seul leur donne force aux yeux de la raison. La civilisation sans lui, inconséquente et absurde, n’est plus qu’une habitude contre laquelle la nature humaine travaille sans cesse.

Néron était parfaitement logique, de même qu’il était parfaitement homme, conséquent autant qu’il était naturel, sans qu’il fût pour cela ni meilleur, ni plus excusable, ni plus raisonnable même. La fréquente répétition de crimes pareils aux siens pendant quatre siècles, l’exemple que lui avaient donné Tibère, Caligula, et ceux qui gouvernaient sous Claude, l’imitation que firent de lui tant d’autres, Commode, Domitien, Caracalla, Héliogabale surtout, qui s’appliqua à le contrefaire et à le calquer, prouvent qu’il cédait à un entraînement de sa position non pas irrésistible, mais puissant, naturel et vrai dans une situation contre vérité et contre nature, et que ce type de frénésie sanguinaire ne fut, après tout, que le produit régulier de son siècle et l’expression vive de l’humanité à son époque.


F. de Champagny.
  1. Voir la livraison du 1er avril.
  2. Pline, Hist. Nat., VII, 8.
  3. Quasi insonti.
  4. Suet., Ner., 33.
  5. Forsitan legem Juliam timeo. (id., ibid.)
  6. Agentem in matrimonio Ruf. Crispini. (Ibid.)
  7. Ce fait est raconté un peu diversement par les historiens. — Voir Tacite, XIII, 46. — Hist., 1,3. — Suet., In Ner., 33. — In Oth., 5. — Plutar., In Galbâ.
  8. Nec posse matrimonium amittere. (Tacite, XIII, 46.)
  9. Suet., Ner., 46. — Tertull., De Animâ, 44, 49.
  10. « Comme il visitait Domitia malade, cette femme, selon une coutume familière aux vieillards, lui dit en caressant sa barbe naissante : « Quand je l’aurai vue coupée, je veux mourir. » Néron se tournant vers ses voisins : « Je la couperai sur l’heure, » dit-il comme en la raillant, et il ordonna aux médecins de la purger fortement. Elle n’était pas morte encore qu’il s’empara de ses biens et supprima son testament. » (Suet., 34. — Xiphilin., 61.)

    La coupe de la première barbe était à Rome une cérémonie religieuse et une solennité de famille.

  11. Uxorem nemo duxit nisi qui abduxit… Nulla sine divortio acta. (Seneq., Benef., I, 9 ; III, 16.)
  12. Tacite, Annal., XV, 32. — Juvénal, VI. — Suéton., Domit., 4. — Stalius, I. Silv.Mart., I.
  13. Ut studia sua publicaret. (Tacite.)
  14. Principe senatuque auctoribus… Qui vim quoque adhibeant. (Tacit., Ann., XIV, 20.)
  15. Qui sedet…
    Planipedes audit Fabios, ridere potest qui
    Mamercorum alapas
    .

    (Juvénal, VI, 189.)

  16. Notissimus eques romanus elephanto insedit. (Suét., 12.)
  17. V. Tacite, Annal., XIV, 14, 15, 20, XV, 32. — Suét., In Ner., 11, 12. — Sénèq., ep. 100.
  18. Duci partium.
  19. Et centum Græcos nudo centûsse licetur. (Perse.)
  20. Tacit., Ann., XV, 40.
  21. Suét., In Ner., 31. — Plin., XXXV, 7.
  22. Tanquâm inclusâ luce, non transmissâ. (Plin., XXXVI, 22).
  23. Quia exteræ superstitiones valescant. (Tacit., Ann., XI, 15.
  24. Phil. I.
  25. Suét., In Ner., 16.
  26. Odium generis humani. — Le sens que je donne à ce passage me paraît le plus antique, sans être pour cela moins latin. — Bossuet, Discours sur l’Histoire universelle, II, 26, donne les deux sens.
  27. Tunicâ præsente molestâ…… (Martial, X.)

    Ausi quod liceat tunicâ punire molestâ……
    Pone Tigellinum, tæda lucebis in illâ
    Quà stantes ardent qui fixo gutture fumant
    .
    ................

    (Juvénal, VIII.)
    Et latus mediam sulcus diducit arenam. (Idem.)
  28. Adactum per medium hominem qui per os emergat stipitem… tunicam alimentis ignium illitam et intextam. (Ep. 14.)
  29. Si ex intervallo repetitus, et per siccata vulnera recens demittitur sanguis. (Ep. 85.)
  30. Inter hæc aliquis (qui est-ce donc ?) non gemuit : parùm est, non rogavit ; parùm est, non respondit ; parùm est, risit et ex animo. (Ep. 78.) Invictus ex alto dolores suos spectat. (Ep. 85.)
  31. Non crimine, non accusatore existente, quia speciem judicis induere non poterat, ad vim dominationis conversus. (Tacit., Ann., XV, 69.)
  32. Velut in agmen et numerum. (Tacit., XV, 71.)
  33. S. Justin, Apolog., I.
  34. Plin., Hist. Nat., XXX, 2.
  35. Annal., XVI, 1. — Suét., 31.
  36. Latifundia perdidere Italiam, jàm et provincias. (Plin., XVIII, 6.)
  37. Plutarq., In Galbâ.
  38. Tanquâm humanum fastigium egresso. (Tacite.)
  39. Nil non fieri posse quod jussisset.
  40. Dion. Chrysost., Orat., 21.
  41. Plin., XXX, 2. — Suét., 34.
  42. Galat., V, 19 et suiv.Sapient., XIV, 22 et suiv.
  43. Galat., V, 22-23. — Sapient., XV, 5.
  44. Scit non esse ducis, strictos, sed militis, enses.

    (Lucain, Phars., V.)

  45. Suét., 40. — Tacit., Hist., i, 4. — Eutrope.
  46. Tacit., Hist., I, 5.
  47. Suét., In Vespas., 16.
  48. Tacit., XVI, 5.
  49. C’était du moins le compte de Joseph (de Bello, II, 28) vers la fin du règne de Néron. Il n’y avait dans l’intérieur de la Gaule que 1200 soldats.
  50. Suét., In Galba, 10.
  51. Ne cui bellum permitteret. (Tacite.)
  52. Ereptum legatis jus ducendi in hostem. (Tacit., XIII, 53.)
  53. Mentes duræ, retorridæ, et sæpe imperatoribus graves. (Lamprid., In Alex. Sever., 59.) — Quibus insitum, leves et degenerantes a civitate romanâ et luxuriosos principes ferre non posse. Pollio. (Gallien, 4.)
  54. Inermis provincia. (Tacit., Hist., I. 46.)
  55. Plut., In Galb.
  56. Tacit., Hist., I, 4.
  57. Etiam Gallos eum cantando excitasse…Noctibus jurgia simulantes… vindicem poscebant. (Suet., 45.)
  58. Suæ posteritati interfuit. — Sur ce mouvement et sur Virginius lui-même, voyez Dion., 63 ; Plut., In Galb. ; Suét., In Ner., 47, In Galb., 11 ; Tacit., ibid. ; Plin., Ep., II, 1, VI, 10, IX, 19.
  59. Suét., In Ner., 40. — id., In Vesp. — Josèphe. — Tacit., Hist., V.
  60. τὸ τέχνιον πᾶσα γαια τρέφει. (Suét., ibid.)
  61. Usque adeo ne mori miserum est ? (Virg.)
  62. Hæc est Neronis decocta. — Decocta était une eau chauffée que l’on faisait ensuite rafraîchir dans la neige. Cette recherche était de l’invention de Néron. (Plin., XXXI, 5.).
  63. Homère, Iliad., X.
  64. Suét., In Oth., 7. — Plut., In Oth.Tacit., Hist., 78.
  65. Tacit., Hist., II, 8. — Xiphilin., 64. — Zonar., Annal., II. — Suét. In Ner., 57.
  66. Augustin., De civit. Dei, XX, 19 ; Lactance, De Mortib. persecutorum, rapportent cette opinion, et Sulpice Sévère, Hist., 2, la partage.
  67. Sénèq., Controv., I, præf., 7.