Les Bretons à Blois à la fin du Ve siècle


LES BRETONS À BLOIS
À LA FIN DU Ve SIÈCLE
LA PRISE DE LA VILLE PAR LES FRANCS.
L’HISTOIRE ET LA LÉGENDE.
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S’il fallait ajouter foi à certain récit légendaire, Blois aurait été, vers la fin du Ve siècle, sous la domination bretonne.

Voici ce qu’on lit dans le Liber de compositione castri Ambaziae (livre de la construction du château d’Amboise) : « Clovis, le grand roi catholique, la dixième année de son règne, en revenant du pays des Saxons, arriva rapidement sur les bords de la Loire pour chasser les Bretons, qui, établis dans la place forte de Blois, ravageaient la région entre Tours et Orléans, se cachaient dans les bois et assassinaient les voyageurs. Les Bretons furent battus et obligés de fuir ; après sa victoire, le roi des Francs détruisit Blois qu’il rebâtit peu après dans un endroit plus élevé et plus convenable. Il y établit ses soldats et lui donna le même nom. Il aima beaucoup cette ville, car il l’avait magnifiquement construite »[1].

Mais les faits rapportés par l’auteur du Liber ne peuvent être acceptés qu’après sévère contrôle [2].

Le chroniqueur — ou pour parler plus exactement, le compilateur — écrivait au milieu du XIIe siècle : il était moine bénédictin de l’abbaye de Pontlevoy ; renseignement fort précieux, comme nous allons le voir tout à l’heure.

Son Liber de compositione castri Ambaziae n’est qu’un recueil de traditions populaires fort curieuses, mais assemblées sans critique, et qui prétendent expliquer l’origine d’un certain nombre de villes et de châteaux dont nos aïeux ne connaissaient pas l’histoire [3].

Essayons de démêler la vérité. D’abord, notons une erreur du chroniqueur : la dixième année du règne de Clovis correspond à 491 ; or, le roi mérovingien était à cette époque païen et non catholique, sa conversion ne datant que de la bataille dite de Tolbiacus (496).

Quant à l’expédition de Clovis dans la Saxonia, il faut sans doute l’identifier avec celle qui fut dirigée contre les Thuringiens. Ces Thuringiens, apparentés aux Saxons, furent en effet soumis en 491.

Ce qui est vrai, c’est qu’à la chute de l’empire Romain d’occident (476), une grande partie de l’ouest et du centre de la Gaule appartenait aux Armoricains, de plus en plus mêlés de Bretons émigrants ; et l’Armorique d’alors, ce n’était pas seulement la presqu’île actuelle de Bretagne, mais encore la seconde Lyonnaise, la troisième Lyonnaise, la quatrième Lyonnaise ou Senonaise (dont dépendait notre territoire), la première et la seconde Aquitaine [4].

Vers 468, à la prière de l’empereur Anthémius, 12,000 Bretons, commandés par leur roi Riothimus, allèrent s’établir dans le Berry pour prévenir les attaques du roi des Visigoths, Euric, qui songeait à conquérir toute la Gaule et à la détacher de l’empire Romain. Riothimus fut vaincu [5] ; mais il n’est pas téméraire de supposer que des bandes bretonnes se maintinrent dans la vallée de la Loire, par laquelle elles étaient venues.

Ainsi le fait même de la domination bretonne à Blois, rapporté par le compilateur du XIIe siècle, est parfaitement admissible et concorde bien avec les données de l’histoire générale.

La date de 491, correspondant au retour de Clovis du pays des Saxons ou plus exactement des Thuringiens, peut aussi être acceptée ; car nous savons par l’histoire générale que c’est avant 497 que Clovis s’avança jusqu’à la Loire et établit définitivement sa domination dans le pays compris entre ce fleuve et la Seine.

La tradition populaire recueillie par le religieux de Pontlevoy contient donc une part de vérité, et il est très possible que la place forte de Blois, soumise aux Bretons et dépendant de l’Armorique, ait passé, vers l’an 491, sous la domination franque.

Quant à la reconstruction de Blois par Clovis et à l’affection de ce roi pour notre ville, il ne faut voir là qu’une flatterie du chroniqueur à l’égard des comtes de Blois. L’abbaye de Pontlevoy leur devait beaucoup : rien d’étonnant à ce que le moine ait pris plaisir à leur faire croire que « le grand roi Clovis ait magnifiquement construit et beaucoup aimé leur capitale ».


Jacques soyer.


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  1. Publié dans les Chroniques d’Anjou par Marchegay, Salmon et Mabille (Société de l’Histoire de France), t. I, p. 23 : Clodoveus, rexmagnus catholicusque, qui, anno decimo regni sui, Britones ab oppido Blesis qui ripas Ligeris inter Turonim et Aurelianim impugnabant, nemoribusque occultantes viatores interimebant, cum sibi a Saxonia revertenti ostensum esset, festinus descendit, Britonibus fugatis et peremptis, Blesim delevit. Paulo tamen altius in competentiori loco castrum illud restauravit, suosque ibidem posuit, eodemque nomine vocavit, illud nempe diligens, utpote quod multum pulchrum fecerat nimis exaltavit. — V. le même texte dans le Spicilegium d’Achery, in-fo, t. III, p. 570.
  2. Bergevin et Dupré, Histoire de Blois, tome I, chapitre 1, ont admis sans discussion le fait rapporté par le chroniqueur. — L. de la Saussaye, Histoire du Château de Blois, p. 48, est plus circonspect ; il remarque que le fait « n’est rapporté que par un seul chroniqueur du XIe siècle (sic) ». D’ailleurs, il a mal compris le passage, puisqu’il dit que les Bretons avaient détruit Blois, ce qui est un contre-sens.
  3. V. à ce sujet l’Introduction aux chroniques des comtes d’Anjou par Émile Mabille (Société de l’Histoire de France, 1856-1871), p. XLII-XLVI.
  4. Cf. P. Viollet, Hist. des Inst. polit, et adm. de la Fr., t. I, p. 178-179.
  5. Ibidem, p. 181-182.