Les Boers et la Politique anglaise

Les Boers et la Politique anglaise
Revue des Deux Mondes3e période, tome 44 (p. 695-707).
LES BOERS
ET
LA POLITIQUE ANGLAISE

La sinistre tragédie dont Saint-Pétersbourg a été le théâtre a fait oublier un peu les combattans du mont Majuba et le drame qui s’est passé tout récemment dans l’Afrique australe, dans le voisinage du tropique du Capricorne, en pleine Cafrerie. Un petit peuple dans les veines duquel coule du sang hollandais mêlé d’un peu de sang de huguenots français, et qui possède vingt mille fermes éparses dans un territoire plus grand que la France, se gouvernait en république au milieu des Bechouanas, des Bassoutos, des Amasuazis et des Zulus. En 1852, l’Angleterre avait solennellement reconnu son indépendance ; sous des prétextes plus ou moins spécieux elle se l’est annexé en 1877. Les Boers en ont appelé, ils n’ont pas craint de jeter le gant à leurs maîtres, et les glorieux combats par lesquels s’est signalée leur résistance ont ému l’Europe. Non-seulement en Hollande, dans leur mère patrie, mais à Paris et ailleurs ont été signées des adresses pour recommander au gouvernement anglais de ne pas abuser de sa force, de faire justice à ces petits qui réclamaient leur liberté confisquée et leurs droits méconnus. Parmi les hommes d’état qui sont aujourd’hui au pouvoir en Angleterre, plusieurs avaient protesté jadis contre l’annexion de la république du Transvaal. Ils s’en sont souvenus. Ils ont proposé aux Boers les conditions d’une paix équitable, et les Boers ont été, paraît-il, assez sages pour les accepter. Quand on a du sang hollandais dans les veines, il en coûte peu d’être raisonnable, et la raison consiste à ne pas trop chicaner sur les incidens, pourvu qu’on gagne le principal.

La révolte des Boers a été une surprise pour l’Angleterre. Jusqu’aujourd’hui les Boers ne se révoltaient pas. Quand ils n’étaient pas contens, ils s’en allaient, ce qui s’appelle trekken dans leur langue, et c’est le mot dont ils usent le plus, car ils ont passé un demi-siècle à s’en aller, ils semblaient voués à l’exode perpétuel. Lorsque les Anglais se furent emparés de la colonie du Cap, les colons hollandais eurent beaucoup de peine à s’accommoder de leurs nouveaux maîtres. Six de ces rénitens furent pendus pour servir d’exemple aux autres, et on força leurs amis à assister à l’exécution. La potence se rompit sous le poids des six condamnés, on dut employer plusieurs heures à la réparer. Les victimes avaient eu le temps de reprendre vie, et leurs amis, qui n’avaient pas quitté la place, implorèrent leur grâce; maison les rependit, et cette fois la potence ne rompit point. Jamais les Boers n’ont oublié cet incident, ni l’endroit où il se passa.

Quand plus tard, en 1834, l’esclavage fut aboli, les maigres indemnités allouées aux propriétaires d’esclaves furent acquittées de mauvaise grâce, et à la mauvaise grâce s’ajouta la mauvaise foi. C’en était trop. A la fin de 1836, dix mille colons avaient émigré avec leurs femmes, leurs enfans et leurs bœufs. Quelques-uns avaient troqué leur maison contre un chariot, et ils s’en allaient devant eux, s’appliquant à mettre plusieurs centaines de lieues entre l’Anglais et leur bonheur. Ils s’établissaient de préférence dans quelque contrée réduite en désert par un Attila noir ou cuivré, et dont l’éléphant, le rhinocéros, la girafe et l’antilope avaient repris possession. Mais à peine étaient-ils installés, à peine avaient-ils construit leurs fermes, leurs étables, leurs réservoirs, ouvert des routes, mis la terre en culture, l’Angleterre, qui semblait les avoir oubliés, se souvenait d’eux pour leur dire : « Vous êtes mes sujets, des sujets évadés, et vous m’appartenez. J’ai les bras infiniment longs; où que vous alliez, vous serez sous ma main. » Ils avaient colonisé Natal, Natal leur fut repris. Ils avaient fondé une république entre l’Orange et le Vaal, la république d’Orange a été annexée, jusqu’à ce que le conquérant, y trouvant son compte, la remit en liberté, en lui enlevant toutefois quinze ans plus tard certains champs de diamans qui lui parurent de bonne prise. Ceux qui avaient passé le Vaal se croyaient en sûreté, ils comptaient sur les distances et sur la parole de l’Angleterre; leur espérance a été déçue, ils ont dû subir la loi commune qui veut qu’au Zulu succède l’éléphant, à l’éléphant le Boer et au Boer l’Anglais. Le Zulu ravage, l’éléphant se repaît, le Boer défriche, et quand il a déniché, l’Anglais lui dit : « Tu es chez moi. » Ce genre de politique sud-africaine a été pratiqué depuis longtemps par les chercheurs de truffes. Leur truie, unissant une finesse d’odorat sans égale à une extrême délicatesse de friandise, ils la chargent de déterrer le précieux végétal. Pendant qu’elle fouille avec son groin, le chercheur la suit d’un œil attentif; au moment où elle découvre la truffe et s’apprête à la manger, il écarte la pauvre bête en lui assénant un coup sec sur le nez et il lui jette en guise de consolation quelques glands qu’elle dévore, faute de mieux. Le travail est pour elle, la truffe est pour lui. Les Anglais considéraient les Boers comme leurs porcs truffiers ; mais quand on a dans ses veines du sang hollandais et huguenot, à la lenteur des pensées on joint l’amour de l’indépendance, la fierté de l’âme, la ténacité du vouloir, et on estime que, si l’homme peut se passer de truffes, le pain qu’il mange ne lui profite qu’à la condition d’être vraiment à lui. Les Boers sont ainsi faits ; ils n’ont de goût que pour les repas qu’assaisonne la liberté, l’ombre d’un Anglais qui passe suffit pour gâter leur plaisir, et le pain qu’ils mangent devient amer à leur bouche.

Si les Boers ont peu de sympathie pour les Anglais, les Anglais, jusqu’aujourd’hui, avaient considéré les Boers d’un œil superbe et un peu méprisant. M. Émile Montégut a consacré à ces Bataves africains des pages aussi instructives que vivantes et colorées ; peut-être a-t-il plus insisté sur les fâcheux côtés de leur caractère que sur leurs vertus[1]. Quant aux Anglais du Cap ou de Natal, ils n’ont jamais voulu voir que leurs défauts, qu’ils se plaisent à exagérer et à noircir ; à parti-pris point de conseil. Ils les accusent de n’être qu’une race grossière de paysans calvinistes, et la grossièreté mise à part, les Boers n’ont jamais prétendu être autre chose. Ils leur reprochent leurs maisons sans plafonds et sans parquets, percées de rares et étroites fenêtres semblables à des trous de boulets, few in number and resembling shotholes, la passion déplorable que leur inspire la viande de gnou fortement faisandée, leur sordide parcimonie, l’habitude qu’ils ont d’économiser les bouts de chandelle en se couchant comme des poules après avoir expédié le repas du soir, lu leur Bible et récité leurs prières. Ils leur reprochent aussi l’étroitesse et la somnolence de leur esprit, leurs préjugés, l’âpreté de leurs dogmes qui les rend peu tendres pour les indigènes, peu gracieux pour leur prochain. Ils leur reprochent surtout leur attachement à la routine, leur aversion pour les nouveautés, le médiocre parti qu’ils tirent des ressources du pays où ils se sont établis, leurs fermes immenses dont ils ne cultivent que quelques acres, juste de quoi pourvoir à la subsistance de leurs familles. En Afrique ou ailleurs, l’Anglais aime à faire grand ; le Boer fait tout petitement, il vit de ménage, et on assure que c’est lui rendre service que de l’annexer pour lui élargir l’esprit, pour lui donner le goût des entreprises, pour remuer ces eaux dormantes, pour transformer ces lourdauds en hommes d’affaires et de progrès.

Les Boers ont trouvé un chaud défenseur, un éloquent avocat, dans un Écossais, M. Alfred Aylward, qui les connaît bien, ayant passé dix années parmi eux[2]. Il déclare que « ces paysans de haute taille, puissans, robustes, endurcis aux fatigues et aux longues marches, simples et frugaux, ont toute l’étoffe désirable pour constituer une nation, que ce sont des hommes qui font honneur à leur espèce, splendid specimens of humanity. » Il a réfuté tous les jugemens injurieux qu’on avait portés sur ses cliens. Si leurs maisons sont fort simples, c’est qu’ils les bâtissent de leurs mains, se servant à eux-mêmes de charpentiers et de maçons. Si leurs appartemens n’ont pas de planchers, c’est que, pour avoir des planches, ils doivent les faire venir à grands frais de Natal ou de Cape-Town. Si leurs habitudes sont un peu sordides, c’est qu’ils se souviennent des leçons d’abstinence que leur ont données les déserts où ils ont si longtemps cheminé. S’ils économisent les bouts de chandelle, c’est que, dans leurs tristes odyssées, ils n’avaient pas d’autres lampes qu’un morceau de chiffon trempé dans la graisse d’un animal fraîchement égorgé. S’ils ne cultivent qu’une faible partie de leurs vastes domaines et se contentent de récolter le grain qu’il suffit à leur subsistance, c’est qu’il n’y a pas de marchés dans leur voisinage, que les distances sont énormes et les transports infiniment coûteux. Si on les accuse d’être inhumains pour les indigènes, durs pour leurs serviteurs, c’est qu’on les calomnie, car les noirs qui les servent refusent de changer de maître et leur font l’amitié d’apprendre leur langue, tandis que l’Anglais du Cap, pour avoir commerce avec ses domestiques, est obligé d’apprendre le cafre à la sueur de son front.

M. Aylward affirme que les Hollandais de l’Afrique australe ne sont pas des êtres hostiles à tout progrès, qu’à mesure qu’ils s’enrichissent, ils perfectionnent leurs maisons, qu’elles finiront par avoir des plafonds et des planchers. Il vante l’intelligence éveillée et l’ouverture d’esprit de leurs enfans, l’ardeur que mettent les petits Boers à se débourrer et à se dégauchir. Il affirme aussi qu’il n’en faut pas croire les spéculateurs et les aventuriers sur les richesses naturelles du Transvaal, que les gens qui veulent faire grand doivent s’en aller en Australie et dans la Nouvelle-Zélande, que la terre africaine est dure à mettre en valeur, que la méthode pratiquée par ces paysans dont on se moque est la bonne, qu’ils font plus pour le progrès que tous les aventuriers qui les plaisantent, que tout colon anglais qui veut réussir doit prendre exemple sur eux et tâcher de devenir « un Boer, un Boer riche, un Boer à la main heureuse, un Boer bien lavé et bien habillé, mais un Boer enfin, un vrai Boer. » — « Si j’étais, nous dit-il, un fermier anglais possédant quelques ressources, mais pas assez pour fournir aux besoins grandissans de ma famille croissante, je m’en irais volontiers au Transvaal, dans ce vaste pays qui ne connaît ni les prétentions, ni le faste, ni la sotte et inflexible tyrannie de certaines conventions sociales. La gaîté qu’on y respire, l’économie qui y règne, sa stagnation même, tout m’y plairait. Je serais heureux dans une maison bâtie en briques sèches, dussé-je me passer de parquets pendant quelques années et apercevoir quelquefois au-dessus de mon étable, dans mon grenier, des serpens traîtreusement blottis parmi mes bottes d’avoine. Mes enfans auraient la santé en partage, un héritage assuré, des chevaux à monter, plus d’occupation qu’ils ne voudraient pour leurs mains, sinon pour leur âme, et quand ils écorcheraient le hollandais et le cafre, quand ils ne verraient des villes que de loin en loin pendant quelques jours, quand ils n’auraient fréquenté l’école que pendant deux ans, ils apprendraient le monde dans les livres et les journaux et deviendraient des hommes bons, honnêtes, utiles autant qu’heureux. Non, je ne regretterais pas que mes enfans fussent des Boers... Il y a dans l’Afrique du Sud, ajoute-t-il, des hommes dont les idées sont trop grandes pour leur condition et pour celle du pays qu’ils habitent. Dans l’orgueil de leur miraculeux savoir, dans l’enthousiasme de leur zèle honorable, mais mal réglé, ils ne voient pas que ce n’est pas le Boer qui a fait l’Afrique telle qu’elle est, mais que c’est l’Afrique qui a moulé l’industrieux Hollandais à son image et qui en a fait le fermier improgressif, semble-t-il, dont le monde raille la simplicité et les ignorances. »

Admettons que M. Aylward soit disposé à voir les Boers en beau, il n’en est pas moins vrai que ces paysans calvinistes ont une âme fortement trempée et des qualités rares. Il s’est fait en eux une alliance de penchans contraires qui semblent s’exclure et qu’ils concilient comme par miracle. Ils poussent l’amour de leur indépendance jusqu’à la sauvagerie, et en général leurs fermes sont distantes les unes des autres de 14 ou 15 kilomètres. Ils entendent être maîtres chacun chez soi, tout voisinage les inquiète et les moleste, il leur déplaît de voir fumer à l’horizon la cheminée de leur prochain. Et cependant, en dépit de l’espace et des distances, ils ne laissent pas de faire corps, de se toucher les coudes, et ces solitaires conservent le sentiment de la vie commune. On a remarqué combien ils sont friands d’éloquence et de longs discours. Aux jours de grandes fêtes, comme l’a dit M. Montégut, on les voit quitter leurs tanières et affluer des districts les plus lointains dans Pretoria, Potchefstroom ou Blœmfontein, encombrant les places de leurs chariots attelés de six paires de bœufs et attendant leur tour de pénétrer dans l’église, où le service sacré doit être renouvelé plus d’une fois pour suffire à leur appétit. Mais ce n’est pas seulement pour entendre des sermons qu’ils s’arrachent à leur chère solitude, ils s’assemblent aussi pour délibérer en commun sur les affaires publiques, et la séance durât-elle du matin au soir, la patience de leurs oreilles est à l’épreuve de tout. Ils ont un cœur de citoyens et de patriotes, ils se sentent nation ; le Transvaal est pour eux une Hollande africaine, où ils ont à jamais fixé leur résidence et leurs désirs. On a avancé que la patrie est un bon champ, dont le possesseur, logé dans une maison bien ou mal tenue, peut dire : « Ce champ que je cultive, cette maison que j’ai bâtie sont à moi, j’y vis sous la protection de lois qu’aucun tyran ne peut enfreindre. Quand ceux qui possèdent comme moi des champs et des maisons s’assemblent pour leurs intérêts communs, j’ai ma voix dans cette assemblée, je suis une partie du tout, de la communauté, de la souveraineté. Tout ce qui n’est pas cette habitation d’hommes libres n’est qu’une écurie de chevaux sous un palefrenier qui leur donne à son gré des coups de fouet. » Les Boers ont la sainte horreur du palefrenier et des coups de fouet, et ayant trouvé la liberté dans le Transvaal, ils s’en sont fait une patrie. Cette terre où l’on rencontre le lion, le scorpion, la tarentule et la vipère à cornes leur est aussi chère que la Touraine au Tourangeau. — « Chaque nation a son pays, est-il dit dans leur chant national ; nous demeurons sur terre africaine. Pour nous il n’y a pas de meilleur pays dans tout ce vaste univers. Nous sommes fiers de porter ce nom : libres enfans de l’Afrique du Sud. » Et en marchant contrôles Anglais, ils chantaient d’une seule voix cet autre couplet : « Chaque nation a son droit, fùt-elle faible et petite. Il y a un œil qui voit tout, il y a un bras qui réprime l’insolence. Que Dieu regarde nos oppresseurs et veille sur l’Afrique du Sud ! »

Ce qui a fait prendre le change à l’Angleterre sur les vrais sentimens des Boers, c’est la facilité trompeuse avec laquelle s’accomplit tout d’abord l’annexion. Le conquérant avait bien choisi son heure. La république s’était donné un administrateur qui, avec les meilleures intentions du monde, avait compromis ses affaires. M. Burgers avait étudié la théologie dans une université d’Europe, il en était revenu rationaliste en religion comme en politique, en politique comme en religion. Les rationalistes ont quelquefois le tort d’aller trop vite. Dès qu’il fut devenu président, M. Burgers entreprit de tout réformer, les écoles, les cours de justice, la monnaie. Il conçut aussi le projet de construire un chemin de fer qui devait mettre le Transvaal en communication avec la mer, relier Pretoria à la baie de Lagoa, et qui eût été pour le pays un bienfait de grand prix. Il négocia des emprunts à cet effet, mais le chemin de fer ne se fit pas. Au mois de janvier 1877, la république devait plus de 200,000 livres sterling, et ses créanciers devenaient pressans. Elle traversait une crise financière. La législature ou volksraad était assemblée ; on discutait, on ergotait, on se chamaillait. L’anarchie régnait sinon dans la rue, du moins dans les têtes. Sur ces entrefaites, on apprit qu’un commissaire anglais, sir Theophilus Shepstone, venait d’arriver à Pretoria, accompagné de son état-major. Il était muni d’un blanc-seing de sa très gracieuse souveraine, qui l’autorisait à annexer tous les territoires qu’il trouverait à sa convenance, à la condition toutefois qu’il consulterait les populations et qu’il obtiendrait leur agrément. Mais il n’eut garde de dire ce qu’il venait faire, ni même qu’il vînt pour faire quelque chose. Il s’enveloppait dans un profond mystère, et chacun se demandait : Que veut-il ? Quand on le pressait de questions, il répondait qu’il était venu en conseiller, en ami, après quoi il rentrait dans son silence. Jamais on n’avait poussé plus loin l’art de se taire.

M. Aylward nous raconte que, depuis son séjour dans le Transvaal, il ne peut plus douter de l’action magnétique, de l’étrange fascination qu’exerce le regard du serpent. Un jour qu’il chassait, dans le temps où il n’était encore qu’apprenti émigrant, ce qu’on appelle à Natal a jimmy, il lui arriva d’en rencontrer un qui était de belle taille. Le monstre, se dressant tout à coup, braqua sur lui des yeux énormes, des yeux qui s’agrandissaient de seconde en seconde, des yeux tour à tour couleur d’opale ou d’escarboucle qui passèrent de la grosseur d’un shilling à celle d’une saucière et bientôt parurent remplir tout l’espace, tandis que le malheureux chasseur restait là, cloué sur la place, pétrifié, ensorcelé, immobile, à cela près qu’il contrefaisait gauchement sans y penser tous les mouvemens onduleux que le serpent imprimait à sa tête et à son cou. La présence de M. Shepstone produisit sur les Boers et sur leur volksraad le même effet magnétique que les yeux du serpent sur M. Aylward. On répétait chaque jour : Que veut-il? qu’est-il venu faire? Mais on n’osait le questionner, il n’était pas d’un commerce facile et il goûtait peu les indiscrets.

Cependant la vérité peu à peu transpira. Des bruits sourds circulaient de bouche en bouche et remplissaient d’aise certaines gens pour qui l’Afrique n’est pas une patrie comme pour les Boers, mais un endroit où l’on vient remplir ses poches. Ce parti d’annexionnistes de belle humeur comprenait tous les chercheurs d’aventures, de hasards et d’affaires véreuses, la race roulante et vagabonde, les pieds poudreux, les batteurs d’estrade dont les papiers ne sont pas en règle, les hommes à grandes idées, à grandes espérances et à petits capitaux, les commis-voyageurs à jabots et à manchettes, les spéculateurs qui revendent avec bénéfice des fermes qu’ils n’ont pas achetées et qui aspirent à mettre en actions des mines qui n’existent pas, les land-jobbers, les swindlers de toute espèce, tous ceux qui s’appelaient eux-mêmes « les hommes de développement, development-men, » et qui regardaient avec mépris les paysans calvinistes, leurs préjugés et leurs pratiques routinières. Ils se flattaient que l’annexion anglaise allait tout changer, tout transformer, qu’ils obtiendraient des concessions de mines et de travaux publics, des emplois, des fournitures, que l’or britannique pleuvrait sur les collines et sur les plaines comme une manne bénie, qu’on le ramasserait à la pelle, que les potirons du Transvaal doubleraient de taille et que désormais tous les œufs de poule auraient deux jaunes. Les Boers, interdits, ne savaient que penser, ils cherchaient à douter encore de leur malheur, ils regardaient du coin de l’œil l’homme prodigieux qui se taisait depuis deux mois, ils retenaient leur souffle pour mieux écouter son silence, et M. Shepstone jouissait en secret des angoisses de ce volksraad qu’il s’apprêtait à dissoudre. Ce n’était pas une affaire, il n’avait qu’à siffler et à lever un doigt.

Tout à coup la nouvelle se répandit que des troupes avançaient et se massaient sur la frontière. Alors on prit peur, on s’effara, on se résolut à aller trouver sir Theophilus, à lui demander s’il ne restait pas quelque moyen de conjurer cette annexion dont la menace pesait comme du plomb sur les cœurs. Cette fois l’oracle parla. Sans qu’un muscle bougeât sur son impassible visage, sans même lever les yeux pour considérer ses interlocuteurs, sir Theophilus murmura doucement : « Il est trop tard : It is too late ! »’Et sans s’être soucié d’obtenir ce consentement que ses instructions lui enjoignaient de réclamer, contrairement aux vœux de la législature et des neuf dixièmes de la population, en dépit de toutes les protestations du gouvernement de la république, sir Theophilus ajouta : « Dorénavant le Transvaal sera une possession anglaise. » Sur quoi il arbora le drapeau de la reine. Ainsi fut exécuté ce tour hardi d’escamotage, et il faut avouer que M. Shepstone fut en cette occasion un grand artiste, un merveilleux prestidigitateur, l’un des plus adroits de tous ceux qui ont jamais dit à leur prochain : Rien dans les mains, rien dans les poches, et pourtant le tour est joué. « Un Anglais résolu, a dit M. Anthony Trollope, arriva dans une république avec vingt-cinq agens de police et un drapeau et il en prit possession. — Plairait-il aux habitans de la république de me prier de la prendre ? demanda-t-il, et à cela se borna son enquête. — Non, répondirent le peuple et son parlement, et nous refusons même d’examiner une proposition si monstrueuse. — Soit, je prendrai la république sans qu’on m’en prie, répliqua sir Theophilus. Et il la prit. »

Pendant quelques mois, M. Shepstone put croire que tout se passerait en douceur, que les Boers se résigneraient à leur sort et même qu’ils y prendraient goût. Grâce aux hommes de développement, l’annexion fut fêlée. Il y eut des réjouissances, des bals, des banquets, des adresses de félicitations, beaucoup de bouteilles de Champagne furent débouchées. Quel est le fait accompli en l’honneur duquel on n’ait pas bu beaucoup de Champagne ? L’annexion était un fait accompli, et au surplus sir Theophilus était, lui aussi, un gentleman accompli. Les hauts fonctionnaires qu’il envoya dans toutes les parties du Transvaal pour y porter la bonne nouvelle étaient comme lui de vrais gentlemen, ils trouvèrent partout des visages réjouis pour leur faire accueil. En pareil cas, ce sont les seuls qui se montrent, ils servent de paravens ; les visages tristes se cachent.

M. Aylward résidait à Lydenberg, dans le district montagneux qui s’étend jusqu’à la frontière nord-est du Transvaal, quand le lieutenant-général, sir Arthur Cunynghame, chevalier commandeur de l’ordre du Bain, y fit son apparition en compagnie de l’honorable capitaine Coghill, son aide de camp, et du capitaine Clarke, commissaire spécial. Un si grand homme, représentant sa majesté, avait droit à des égards tout particuliers. On s’industria pour lui faire fête. On fouilla dans de vieilles valises qui avaient été rarement déballées ; on mit à l’air des habits de gala qui n’avaient pas vu le soleil depuis bien des mois et qu’on brossa avec le plus grand soin. Le général fat logé dans la plus belle maison de la ville. Cette splendide demeure avait des parquets, des plafonds, une vérandah et même des rideaux ou quelques lambeaux de calicot qui en tenaient lieu ; le propriétaire s’était ruiné à la bâtir et à la meubler. Sir Arthur était un homme d’humeur joviale et de manières engageantes, le cœur sur la main. Ou jugea à propos de le convier à un banquet dans la plus vaste salle d’une baraque en briques, qui possédait jusqu’à trois fenêtres. Quoique le cuisinier fût Français, la chère laissait à désirer. Il se trouva que la soupe était sucrée, que les viandes étaient crues ; en enfonçant le couteau dans la dinde et dans le cochon de lait, on en fit jaillir le sang, mais le whisky était vieux, les vins étaient exquis. On s’anima, on plaisanta, on prononça des discours. Quelques-unes des plaisanteries manquaient de sel, quelques-uns des discours manquaient de gaîté; toutefois la soirée se passa bien. Enfin sir Arthur prit la parole, et le whisky aidant, son éloquence fit merveille. En commençant, il parla « des collines de Lydenberg, » sans leur accoler aucune épithète ; avant qu’il fût au milieu de sa harangue, elles étaient devenues « les collines dorées de Lydenberg, » et un peu plus tard « les collines dorées de notre beau Lydenberg, » et finalement « les collines dorées et admirablement fertiles de notre tout particulièrement beau district. » Il en dit tant qu’on fiait par l’en croire. Les hommes de développement, development-men, l’applaudirent à outrance, et on voyait dans leurs yeux dilatés et luisans des enfilades de collines d’or, des mines, des concessions, un avenir enchanteur, une longue suite d’années grasses succédant aux années maigres dont les Boers se contentent et qui suffisent à la médiocrité de leurs désirs et de leurs pensées.

Cependant les Boers s’étaient remis par degrés de leur surprise, de leur émoi, de leur stupeur. Plus ils réfléchissaient, plus ils s’avisaient qu’ils avaient été les victimes d’un véritable tour de gobelets, et ils regrettaient amèrement leur république escamotée par un habile homme comme une muscade. Ils s’indignèrent de la fausseté des prétextes qu’on leur avait allégués pour les réconcilier avec leur servitude. On leur avait dit en les annexant qu’on était venu les protéger contre les Zulus et leur puissant roi Cetiwayo, qui avait juré de les conquérir. Mais ils sa sentaient de force à se protéger eux-mêmes, ils ne craignaient point les Zulus. Ils ne prenaient pas au sérieux Cetiwayo et son despotisme noir tempéré par la polygamie. C’était à leurs yeux un épouvantail dont se servait l’astuce anglaise pour les réduire à l’obéissance par la peur. Un vieux fermier du Transvaal avait dit : « Les mécréans prétendent que si les hommes ne craignaient pas le diable, les curés n’auraient pas de quoi vivre. Avant peu les plaisantins politiques pourront dire que les Zulus sont un diable complaisant qui fait vivre les Shepstone. » Au surplus était-il certain que, devenus Anglais, les fermiers du Transvaal n’eussent plus rien à craindre, qu’ils pussent dormir sur leurs deux oreilles, que l’Angleterre s’entendît mieux qu’eux à tenir en respect des voisins incommodes, égorgeurs et pillards? Le résident de Lydenberg répondit un jour au premier ministre d’un roi cafre qui lui vantait la puissance de son maître: « Les Anglais ne sont pas des Boers, ils ont des soldats qui ne vivent que pour se battre, et le drapeau qui flotte sur leurs forts vaut des millions d’hommes, car ils peuvent envoyer régiment après régiment pour le défendre. » Le ministre cafre ne se laissa pas intimider par cette vantardise britannique ; il répliqua en souriant: « Si mon maître lisait vos gazettes, les contes qu’elles débitent lui en imposeraient peut-être; mais soyez sûr qu’il a plus peur de cent chiens enragés que d’un million de soldats en papier. » Ce Nestor au teint de suie avait raison, et ce n’est pas aux fermiers du Transvaal, c’est aux Anglais que les Zulus ont déclaré la guerre.

On avait dit aussi à ces paysans qui sont de très grands propriétaires et qui ont besoin d’avoir beaucoup de bras à leur service que la chrétienne Angleterre les annexait par philanthropie, qu’elle entendait défendre contre eux leurs serviteurs qu’ils maltraitaient, les indigènes qu’ils réduisaient en servitude. Mais ils savaient que, malgré leur rudesse naturelle, malgré la pesanteur de leurs mains, ils avaient plus d’égards pour leurs domestiques que tel missionnaire anglais, et en vérité sir Theophilus n’a pas trouvé dans le Transvaal un seul esclave à affranchir. On leur avait dit encore qu’on venait les sauver du désordre, de la confusion, de l’anarchie, et ils avaient peine à se persuader qu’ils fussent tombés dans l’anarchie. On leur avait affirmé que, laissés à eux-mêmes, ils ne pourraient parer à leur détresse financière, mais ils n’ignoraient pas que leurs frères de l’état d’Orange s’étaient trouvés comme eux dans de très grands embarras et qu’en peu de temps, grâce au président capable qu’ils s’étaient donné, ils avaient réussi à rétablir leurs finances. Non-seulement les prétextes qu’on leur alléguait étaient faux, les promesses qu’on leur avait faites n’avaient point été tenues. On s’était engagé à consulter leurs goûts, à respecter leurs lois, et on les gouvernait par des commissaires et par des ukases, on les excluait de toute participation à leurs propres affaires, on supprimait leur législature, on transformait leurs tribunaux, et sir Theophilus recrutait sa police parmi les Zulus de l’état de Natal. Ces commissaires, cette police noire, ces dénis de justice eurent raison de leur flegme et firent bouillonner leur sang. Ils s’émurent, ils protestèrent, ils envoyèrent des délégués en Europe pour plaider leur cause, pour réclamer leurs droits et leurs libertés auprès de la reine et de ses ministres; mais quand ces délégués furent de retour et voulurent rendre compte de leur mission à leurs mandataires convoqués en meeting à Pretoria, sir Theophilus fit prendre les armes à ses soldats et braqua ses canons sur l’assemblée.

Pendant que les Boers réfléchissaient et s’agitaient, le petit parti qui avait souhaité et préconisé l’annexion se trouvait déçu dans ses espérances. Les spéculateurs, les hommes d’aventure, les hommes à jabots et à manchettes n’étaient pas contens; les hommes de développement s’avisaient que, sous le régime anglais, le Transvaal était bien lent à se développer et leurs poches bien lentes à se remplir. L’état financier du pays ne tendait point à s’améliorer, la dette s’était accrue, le chemin de fer de la baie de Lagoa était encore à l’étude, l’or britannique n’avait point opéré de miracles, les concessions étaient rares, les entreprises demeuraient en suspens, et quoi qu’en eût dit le général Cunynghame, « les collines dorées de notre admirable district de Lydeoberg » ressemblaient beaucoup aux sévères collines d’avant l’annexion. La bonhomie de sir Arthur n’avait pas produit de plus beaux résultats que le silence de sir Theophilus, on en était encore aux vaches maigres, les vaches grasses se faisaient attendre, on commençait à n’y plus croire, et c’est ainsi que par degrés tout le monde se mettait d’accord pour faire grise mine à l’Angleterre. Cependant les délégués qu’on envoyait coup sur coup en Europe en revenaient sans avoir rien obtenu. Toute patience a ses bornes, même la patience hollandaise. Les Boers se résolurent à revendiquer par les armes ce qu’on refusait à leurs requêtes et à leurs justes remontrances. Ils se soulevèrent, le sang coula, ils remportèrent des succès inespérés, et ils prouvèrent par leur courage héroïque à quel point ils étaient dignes de leur liberté.

Il est plus facile de ne pas faire de fautes que de réparer celles qu’on a faites, et on peut croire que, si le gouvernement anglais avait été mieux informé, mieux renseigné, il se fût gardé de mettre la main sur le Transvaal. Il eût compris que cette conquête sans gloire n’était pas une conquête sans péril, qu’elle ne lui profiterait guère, que pour la conserver, il faudrait un jour verser du sang et imposer d’inutiles sacrifices aux contribuables du Royaume-Uni. Mais les grandes puissances coloniales qui ont des possessions dans le monde entier ressemblent à ces grands seigneurs qui ont hérité de vastes terres où ils ne mettent jamais les pieds, et qui les font administrer par des intendans à la bonne foi desquels ils sont obligés de s’en remettre. Les grands seigneurs sont souvent trompés par leurs intendans, les gouvernemens se laissent souvent gouverner et compromettre par leurs agens : — « Un secrétaire d’état pour les colonies, a dit M. Aylward, est presque toujours à la merci de ses subordonnés, lesquels sont en règle générale des hommes remplis d’eux-mêmes, pénétrés de leur importance, esclaves de leurs théories personnelles ou aveuglés sur les vrais intérêts par les traditions ou par les habitudes d’esprit qu’ils ont contractées dans l’exercice de leur métier. Dans les colonies, les fonctionnaires publics forment une classe; leurs entours constituent ce qu’on appelle la société et font bande à part, sans se mêler jamais aux gens du pays et sans se douter qu’ils en sont méprisés. Quels que soient les préjugés qui ont cours dans cette société semi-officielle, ils servent de règle, de credo, de religion au gouvernement local, dont elle adopte par un juste retour toutes les opinions ; car elle brille d’un éclat emprunté, et elle ne serait plus la société, si elle perdait son caractère officiel. Il est bien rare qu’une colonie réussisse à s’émanciper de cette clique qui pèse sur elle comme un cauchemar, qu’un gouverneur parvienne à s’affranchir de ses funestes influences. Mais si les subalternes employés par l’office des colonies lui représentent les colons anglais sous un faux jour, combien plus fausses et plus difficiles à contrôler sont les idées qu’ils lui donnent touchant les populations sujettes et les tribus avoisinantes ! Chaque jour le gouvernement anglais est requis par ses satrapes d’endosser la responsabilité de quelque agression de haute main, d’approuver la saisie d’un nouveau territoire ou de pressurer quelque peuple indépendant, et le proconsul justifie sa requête en alléguant les opinions préconçues de sa clique, de ses entours et de la société. » Que d’heureux ne font pas les annexions ! Elles procurent aux fournisseurs de l’ouvrage et du profit, elles réjouissent les généraux qui aiment à se battre, les capitaines qui cherchent de l’avancement, les politiciens qui ont le goût de faire parler d’eux ; elles promettent des places aux affamés qui les quémandent et à tous ceux qui ont un frère cadet ou un fils à pourvoir. Mais tout cela coûte fort cher, et les gouvernemens ainsi que le commun des mortels ont souvent plus à se plaindre de leurs amis que de leurs ennemis. Ou avait persuadé à l’Angleterre que les Boers goûteraient sa domination, et quand ils se sont soulevés, on lui a affirmé que ces couards ne sauraient ni ne voudraient se battre sérieusement. Aujourd’hui, comme le disait le Times, il n’est personne qui ne rende justice à leur bravoure personnelle, à leur entente de la guerre et à la fatale justesse de leur tir.

Le gouvernement britannique a pris une détermination qui l’honore, il vient de donner un noble exemple à tous les faiseurs d’annexions ; en vérité nous en connaissons qui ne l’imiteront pas. Le cabinet libéral et M. Gladstone, quoiqu’il dût leur en coûter de laisser les armes anglaises sous le coup d’une défaite, ont résolu de réparer l’injustice commise et de composer avec les Boers. En réglant les clauses de cette transaction, ils avaient à concilier la générosité avec la politique et à tenir compte de la dignité de l’Angleterre aussi bien que de ses intérêts. Il a été stipulé que les insurgés licencieraient leur armée, que les garnisons anglaises occuperaient les forts jusqu’à la conclusion définitive de l’arrangement projeté, que le Transvaal reconnaîtrait la suzeraineté de la reine Victoria, qu’il y aurait un résident anglais à poste fixe dans la capitale future du pays, moyennant quoi une entière autonomie et le droit de se gouverner comme il leur plaira seront assurés aux Boers. Les Anglais ont applaudi à cette solution, hormis quelques tories à tous crins qui l’ont qualifiée de déshonorante. Quant aux Boers, ils sont trop sages pour que leurs premiers succès les aient grisés et leur aient enflé le cœur ; ils ont agréé les conditions qu’on leur faisait. Assurément, quand on en viendra aux détails, il y aura des points chatouilleux à traiter. Il est permis de croire aussi qu’un résident à poste fixe qui sera chargé de protéger les indigènes contre la république et de contrôler sa politique étrangère, pour peu qu’il ait l’humeur processive, chicaneuse, brouillonne et le goût des menées secrètes, des intrigues sourdes, risquera de devenir un personnage fort incommode. Il sera bon d’attacher un grelot au cou de ce chat, c’est une opération délicate. Espérons que les proconsuls et les satrapes ne s’appliqueront pas à brouiller les cartes et que les intentions généreuses de M. Gladstone seront généreusement interprétées. Dans les conversations entre le fort et le faible, il faut que le fort soit loyal et le faible circonspect. Quand la bonne foi discute avec le bon sens, on finit toujours par s’entendre.

Si tout se passe comme nous le souhaitons, les Boers, instruits par l’expérience, se feront un devoir de ne pas donner aux indigènes des sujets de plainte dont on ne manquerait pas de s’armer contre eux ; ils n’écouteront que d’une oreille les paroles dorées des hommes de développement, ils sauront résister aux impatiences de certains rationalistes qui voudraient les faire aller trop vite ou les engager dans de périlleuses entreprises. Malheur à une république qui laisse le désordre s’introduire dans ses finances, le vide se faire dans ses caisses! On profite de ses embarras qu’on exagère, et un beau matin sir Theophilus Shepstone, se présentant en sauveur, la juge bonne à prendre et la met dans sa poche. Quand les Boers auront recouvré leur liberté et appris à en faire un bon usage, il sera prouvé que dans les environs du tropique du Capricorne, en dépit des Zulus, des lions, des loups, des vipères cornues, du serpent imamba et du voisinage de la terrible mouche tsetsé, il peut y avoir une république tranquille, prospère, contente de son sort. Nous en croyons sans peine M. Aylward, lorsqu’il nous affirme qu’un moyen d’être parfaitement heureux est d’être tout simplement un Boer. N’est-ce pas une vérité éternellement vraie que le bonheur n’a pas toujours besoin de confort, ni même de planchers, qu’il n’habite guère dans les palais, surtout quand ils sont minés par les nihilistes, mais qu’on peut le rencontrer dans une pauvre maison, méchamment hourdée et de piètre apparence, dont les rares fenêtres qui ressemblent aux boulins d’un pigeonnier ne sont jamais si étroites qu’il n’y puisse passer sa tête? Encore n’aime-t-il guère à se montrer; il craint les envieux et il se cache.


G. VALBERT.

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1879.
  2. The Transvaal of to-day, by Alfred Aylward.