Les Blasphèmes/Le Mystère de la Création

Les Blasphèmes
G. Charpentier et Cie, éditeur (p. 70-71).

II

LE MYSTÈRE DE LA CRÉATION

Vous ne connaissez pas le grand X ! Hein ! quoi ! Non ?
Non, pas même de vue ; et pas même de nom,
Car il n’en a pas. Mais, qu’importe ? C’est un être
Dont on raconte un tas de faits qu’il faut connaître.
On dit même que dans des temps peu reculés,
Pour n’y pas avoir cru d’aucuns furent brûlés.
Voyons donc quelques traits de sa biographie.
C’est d’un cœur simple et pur que je les versifie.
Un soir que le grand X avait mangé beaucoup
Et beaucoup bu, gavé jusques en haut du cou,
L’estomac alourdi, la pense ballonnée,
Il se plaignit de son amère destinée.
En effet, rien n’étant, le bougre n’avait pas
De cuvette où vomir le trop de son repas.
D’ailleurs, pour en chercher, il était sans lumière.
Mais, bah ! Quand on s’appelle X, la Cause Première,
On trouve contre tout des trucs illimités.

Il y réfléchit deux ou trois éternités.
Puis il saisit ce rien qui n’était pas encore,
Ce rien mystérieux que son néant décore,
Ce rien, sans doute las d’être un rien incompris,
Ce rien qui n’est que rien pour nous, faibles esprits,
Mais qui devait pourtant être un peu quelque chose ;
Car il le prit, lui, l’X, lui, la Première Cause,
Souffla dessus, lui mit un endroit, un envers,
En fit une cuvette et vomit l’univers.
Voilà, certe, une étrange et ridicule histoire.
Dire que c’est pourtant la vérité notoire
Des prêtres, qui, parlant de cet acte profond,
S’ils changent les détails, sont d’accord sur le fond !