Les Bigarrures/Chapitre 6

Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 75-113).

DES AUTRES
EQUIVOQUES PAR AM-
PHIBOLOGIES VULGAIREMENT
appellez des Entends-trois.

CHAP. VI.


NOus suivrons encores ces Equivoques par les amphibologies, ou amphibologies qui sont Equivoques à deux ententes, que nos bons peres ont surnommé des Entends-crois. Dont nous avons encor ce proverbe ordinaire, que quand quelqu’vn feint ne pas entendre ce que l’on luy propose, & respond d’autre, on dit qu’il fait de l’entend-trois. Or ces amphibologies ont esté estimées si frequentes entre les Grecs & Latins, que les Philosophes ont dit & jugé tous les mots du monde estre sujets à diverses interpretations. Comme Chrysippus dans Aulugelle lib. 11. cap. 12. Ciceron en son second de Oratore, suivant ceste opinion dit, nullum oße verbum quod non fit ambiguum : & en l’oraison pro Cacinna, que ce ne sera jamais fait qui voudra chiquoter tous les mots, ce qu’il appelle verba aucupari. Et que jamais nous ne pourrions tirer service de nos serviteurs. Les responses d’Esope à son maistre Xantus en sont preuve sufisante, quand il porta le plat remply de delicates viandes à la chienne, au lieu de le porter à la femme, pource que Xantus luy avoit dit, Portez cela à m’amie. Quand il fit cuire une lentille, Quand il apporta le bassin sans eau, & puis apres de l’eau dans la main. Or on voyoit aysément que c’estoit d’une malice affectée, que je trouve estre sans grace, & estime qu’Esope estoit digne de ne manger qu’une lentille pour un repas, & de boire un seau d’eau, & d’estre bien bastonné par sa maistresse. Car il sçavoit bien qu’une lentille n’estoit pas suffisant repas, & que l’eau ne servoit de rien ainsi apportée sans bassin, ny le bassin sans eau. Et croy qu’il n’y a gueres de personnes aujourd’huy, que si leurs valets vouloit plaisanter de ceste sorte, qu’ils ne leurs fissent rebattre leurs plaisanteries Esopiques, d’autre sorte que ne fit ce Philosophe Xantus. Car encores seroient ils excusables, si par bestise cela leur advenoit comme un pauvre garçon qui n’avoit jamais ouy parler de rafreschir du vin, son maistre luy ayant dit. Mettez ce vin dans l’eau fresche pensant bien faire, il renversa son pot dans une sapine d’eau. Les Latins en quelques endroits les ont aussi appellez vices d’oraison : comme Quintil. lib. 7. Cap. 10. qui en rapporte plusieurs comme :

Jubeo poni statuam auream hastam lenenceme,
Haret meus uxoris meb dari damnas est os.
Argenti, quod, elegerit pondo centum,
Nos stantes illos de prehendimus.

Il est ambigu au premier, si la statuë ou la lance seulement sera d’or.

Au second, si le choix de l’argent est à la femme ou à l’heritier.

Et au dernier si les trouvans ou trouvez ploroient. Le mesme autheur en rapporte d’autres plaisans & gracieux, lib.6. cap.4. de resu & lib. 1. cap. 10. Comme aussi Ciceron. inter locos oratorios, en a apporté quelques-uns.

Les Dialecticiens tiennent pour maxime, que l’argument est sophistique, quand il y a une amphibologie en iceluy. Et le bon accurse sur la Loy, ea eft natura de reg. jur. & l. natura de verbo. signif. ff. appelle telle cauillation, Sophisma. Dont est provenuë la degeneration de se beau non Sophiste, qui de son origine signifioit celuy qui enseignoit la Philosophie, ainsi que rapportent Philostratus & M. Victorinus. Et maintenant, selon Suidas, est appellé, ὁ ἐπηρεάζων ἑκὼν ἐν τοις λόγοις  : c’est à dire, celuy qui in verbis violans calumnian struit & cauillatur : Au lieu qu’au commencement, quand ce beau nom de Sophiste estoit en la splendeur, les faiseurs de tels argumens estoient appellez Plani sinco phantæ, comme tesmoigne Plutarque. Avant que passer plus outre, je mettray icy ces deux, ou trois exemples.

Quisquis erat littus, littus proscindit arator,
Ast operam perdens littus perhibetur arare.
Ergo operam perdens littus præscindit aratro,

C’est autre est gentil,

Filia subtilia mea nec subtilia fila !

Item.

Mala mali malo mala contulit omnia mundo
Mala enim maxillam malum mali ponum dæmonis significat.

Omnia mala sunt vitanda,
Poma sunt mala,
Ergo poma sunt vitanda.

Item.

Mus caseum rodit,
Mus est syllaba :
Ergo syllaba caseum rodit.

Item.

Populus est arbor,
Multitudo civium est populus.
Ergo multitudo civium est arbor.

Pontanus recite, que de son temps il y avoit un celebre Sophiste Parisien, qui avoit grande reputation pour sçavoir faire de tels arguments : car il se vantoit mesme de faire victus Charon.

Morieris Charon, & sic argumentor,
Omnis Caro moritur,
Tu es Charo,
Ergo morieris.

Et estant sur la barque il disoit.

Remus frater fui Romuli,
Plures ist hic remos habemus ;

Il adjousta encor,

Paulus est quem navigamus :
Paulum autem lignum est :
Ergo lignum navigamus :

Cestuy-cy n’est pas moins ingenieux.

Le Mouton est un signe celeste.
J’ay mangé du mouton
J’ay donc mangé d’un signe celeste,

Item.

Gemmæ sunt lapidi preciosi,
Gemmæ sunt in vitibus :

Ergo lapidi pretiosi sunt in vitibus.

Il n’est pas encor trop mal sans y penser : car si les pierres precieuses ne sont aux vignes, ce qui en provient fait de beaux rubis sur les nez.

Les Jurisconsultes n’ont pas voulu estre exempts de ces argumentations, car ils ont bien fait ces suivans,

Testamentum lex eft : §. disponat de nubt. coll. 9.
Solas princeps potest condire legem, l. fin. C. de cl.
Ergo solus princeps potest facere testamentum.

Item.

Quod in nullius bonis est, occupalisfit.l.3.ff.de acq. rer. domin.
Res sacræ in nullius bonis sunt 11. ff. de rer. devisi.
Ergo res sacræ primo accupanti conceduntur.

Ce qui a esté fort bien pratiqué durant les troubles, par quelques uns.

Un autre Docteur Archisopphiste les a ainsi voulu faire punir :

Calumniator lege Rhenia punitur, l. ff. ad S.C. Turpil.
Utens fallaciis velsophismatis est calumniator,
Accur, in gl. dicte l. natura ff. de verb. sign.
Ergo utens fallaciis Rhemialege puniendus est.

Mais il seroit par ce moyen le premier sujet à la peine.

Or sans plus s’amuser à garder un ordres certain, je vay entasser pelle mesle les exemples, selon qu’ils me sont survenus l’un apres l’autre en fantasie.

Nos Annales apportent en la vie du Roy Philippes Auguste, que la Comtesse de Flandres Espagnole, s’estant enquise par sort quelle seroit l’issue d’une bataille que son fils Ferrand avoit entreprinse contre le Roy, de receut response, Qu’on se combattroit, que le Roy seroit abbatu, foulé au pieds des chevaux, sans sepulture, & Ferrand receu à Paris en grand pompe & triomphe apres la victoire. Mais il n’advint pas comme elle pensoit : parce qu’encor que le Roy fust abbatu, foulé aux pieds des chevaux, il ne mourut pas, mais triumpha à Paris de Ferrand, qu’il prit prisonnier. Voyla comme son sort damnable la deceut & trompa par un Entends-trois.

Qui fut semblable à celuy donné par l’oracle d’Appollon au Roy Crœsus, qui avoit envoyé demander s’il feroit la guerre à Cyrus Roy des Perses. Car l’Oracle donna response, que s’il entreprenoit la guerre contre iceluy, un grand Empire seroit subverty. Mais ce fut en fin celuz de ce Roy Crœsus & non le Cyrus, comme il avoit mal pris Autheur Herodote livre premier.

Le mesme Crœsus fut aussi, deceu par la responce d’un autre Oracle, qui luy fit entendre que son Royaume ne seroit jamais gaignée, que par un mulet : ce qu’estimant impossible, il fut trompé. Car Cyrus estant bastard, que les anciens & modernes appellent Mulet, luy fit sa reste (comme cy-dessus est dit) & entendoit d’un Mulet à quatre pieds, au lieu qu’il devoit entendre d’un Mulet a deux pieds.

C’est le propre des Demons par tous les Oracles, de faire des responces ainsi ambiguës, à ceux qui les interroguent, lesquels prenans selon leur affection icelles, les estiment soudain estre à leur advantage (comme chacun croit aisément ce qu’il se persuade) dont advient que tous sont ordinairement pipez, comme cestuy vulgaire.

Aio te Aeacida Romanos vincere posse.

Bodin en sa Demonamie, en recite un plaisant exemple d’un nommé Constantin, estimé sçavant en la Pyrothegnie & art metalique, & dit, Que les compagnons d’iceluy ayans longtemps soufflé, sans aucune apparence de profit, demanderent au Diable conseil s’il faisoient bien, s’ils en viendroient à bout. Il fit responce en un mot, Travaillez. Les soufflans bien aises continuërent : & soufflerent si bien, qu’ils multiplierent tour en rien, comme dit du Bellay, & souffleroient encores n’euft esté que Constantin leur remonstra l’ambignité de la responce du Diable, & que ce mot, Travaillez, vouloit dire qu’il falloit quitter l’alchemie, & s’employer au travail de quelque honneste exercice de quelque bonne science, pour y gaigner sa vie : & que s’estoit pure folie de penser faire l’or en si peu de temps, que Nature a grand peine peut transformer en mille ans.

Ce suivant est tiré d’Esope, en la vie d’Alexandre le Grand, livre non encore imprimné, que je sçache. Il dit donc que Alexandre, desirant sçavoir ceux qui avoient tué Darius ; disoit, Je suis bien joyeux d’avoir subjugué un si grand ennemy que Darius, combien que je n’aye fait moy-mesme l’execution, mais j’ay bonne envie de rendre graces condignes à ceux qui m’ont fait parroistre par ce moyen leur bonne volonté, les priant de ce declarer : car je jure & proteste par la majesté de mes pere & mere, que je les efleueray & rendray sublimes & tres-cognus. Ce qu’entendu, Bezales & Ariobarzanes se vindrent presenter à Alexandre, & declarans que s’estoient eux qui avoient fait ce coup, demanderent le guerdon, suyvant la promesse. Sur ce Alexandre les fait empoigner ; & ordonna qu’ils fussent pendus en un lieu fort eminent. Ce qui fut contre l’esperance de tous, Et toutesfois il souloit dire qu’il n’avoit point faussé sa foy : pource que, selon ton dire, il les avoit rendus sublimes haut eslevez & bien cogneus.

L’on dit que Cardan en avoit autant pronostiqué de son fils, executé par Justice, pour avoir tué sa femme suspecte d’adultere.

Or s’ensuyvent maintenant des folastres & gaillards de nostre temps sans tourmenter la memoire de si loing.

L’on use en France ordinairement à la fin des missyves, de ces mots, De vostre maison de Paris, &c. Ce qu’un certain voulut un jour prendre à bon escient, disant à un bon personnage qu’il trouva en sa maison, Or sus, ceste maison est mienne vous me l’avez ainsi asseuré par vos lettres. Le bon homme à la bonne foy luy va dire, Certainement Monsieur vous ne devriez pas prendre mes lettres à bon escient, Car si ainsi estoit, le gibet seroit vostre maison, pource qu’estant pressé aux champs de vous escrire, je me suis mis à l’ombre d’une muraille de Mont-faucon.

Un certain Conseiller allant au Palais sur un mulet, qui ne vouloit pas aller, disoit de cholere à son serviteur, Veux tu faire aller cette beste. Ce serviteur ingenieusement fit response, Qu’au diable soit l’asne, tant il me fait de maux. À vostre advis, parloit-il du maistre ou du mulet.

À propos de Conseiller & de mulet, le Soliciteur d’un grand seigneur avoit promis à un Conseiller, apres le gain de la cause, deux beaux & bons mulets. La cause gaignée, il somma le soliciteur de sa promesse, en disant, Et bien ces mulets vont-ils bien l’amble ? Les voicy en paste, Monsieur, fort bien apprestez dit le soliciteur : qui portoit deux Poissons ainsi nommez, bien mis en patte, sous son manteau, mais ce n’estoit pas de ceux que Monsieur demandoit : car il des vouloit à pied, seellez & bridez. Aussi cela fut cause qu’en execution d’arrest il y eut vingt ou trente incidens, & pense qu’à la fin on fut contraint de reparer les griefs alias, &c.

Comme quelque temps apres, le Sieur Paucras vit au valet qui ramenoit de l’abbreuvoir un mulet qui faisoit un peu le farouche, il luy demanda. Mon amy, à qui est ce mulet ? C’est a un tel dit le valet. Lors le sieur Pancras repliqu’à plaisamment, Ô la bonne beste ! À vostre advis, de qui entendoit il parler.

Un autre, à l’issue du Conseil, priant un de ses Collegues à disner, assez froidement. L’invité luy respondit Je vous prierois moy-mesme, mais je croy que je n’ay rien de bon. Le serviteur qui les suivoit, sans estre interrogé, dit. Pardonnez-moy, Monsieur vous ayez une teste de veau.

Il advint du regne du grand Roy François, curieux sur tout de la justice, que s’enquerant d’un President d’un certain Parlement, comme elle estoit administrée par luy, il fit ceste response, Sire, le mieux du monde, car je vous ay fait faire un beau gibet à trois estages, a chacun desquels vous pendrez quatre homme bien à l’aise. Le Roy qui cogneut le grand discours & Rhetorique fort sublime de son President, luy dit : On vous donnez garde, si ne faictes bien vostre charge, que ce ne soit pour vous, & que n’y soyez pas trop à l’aise.

Comme on venoit de publier l’Ordonnance de Blois, un Religieux vint demander à maistre Dandin Cassadier, à l’issuë de l’audience, si l’Edict tiendroit ; suivant iceluy en l’article 30. les Religieux & Religieuses vivroient en commun, Lequel luy dit que ouy, & qu’il presentast requeste de bonne heure, à fin d’estre envoyé en quelque convent de femmes, pour choisir le premier des plus belles.

Brusquet (les apophthesmes duquel, s’ils estoient par escrit, surmonteroient en gaillardise de beaucoup ceux qui ont esté colligez par les Latins) voyant qu’une grand Dame estoit accouchée à la Cour, achepta cinq ou six cens escus du Palais, qu’il alla espancher parmy la ruë, devant sa maison criant, Largesse, largesse, Et interrogé à qu’elle occasion, dit qu’il ne disoit pas, largesse pour ces escus, mais largesse à cause que la nouvelle accouchée l’avoit bien large.

Un certain Poërastre, estant prié de faire un vers, fit response qu’il ne pouvoit entrer en fureur Poëtique, s’il n’estoit piqué. Lors celuy qui le prioit ; l’ayant vivement picqué d’une espingle aux fesses, Or composez maintenant Monsieur je croy que vous ferez de bons Vers, car je vous ay bien picqué.

Un bon frelaut tenant le verre au poing, & le monstrant à un sien compagnon comme pour l’inviter à boire luy disoit, Monsieur, voylà vostre amy : Celuy auquel on parloit, estimant que cela s’entendoit de ce luy qui parloit, le remercioit affectionnément, les assistans, qui voyoient bien qu’on entendoit du vin, se prenoient à rire, Depuis j’ay veu usurper bien gaillardement, & de bonne grace ceste façon de parler, en plusieurs compagnies.

Un Cordelier se trouvant en une troupe de Damoiselles, fut invité à son tour de dire un petit conte. Mais il fit response à celle qui parloit à luy, Madamoiselle, je ne sçaurois faire un conte : mais, si vous voulez, je feray bien un petit Cordelier. L’on dit que cela advint à un d’autre profession. Mais en un mot, c’est tousjours de mesme & le nom n’apporte gueres plus de grace l’histoire.

À propos des Cordeliers, deux estans rencontrez par trois excellens personnages de longue robbe qui estoient montez sur des mulets : L’un d’iceux par gausserie, leur dit (car nottez qu’on le tenoit pour enfariné.) Ou vont ces asnes ? À quoy l’un de ces Cordeliers prenant la parole pour son compagnon, ne fit autre response, sinon, Sur des mulets, Je vous laisse à penser, si ces Messieurs furent bien payez, & tout contant.

Le Duc Antoine de Lorraine avoit fait condamner un faux monnoyeur de Carolus, à estre pendu & estranglé. Et quelque temps apres, comme ce mesme Duc eust annobly un riche usurier, un Seigneur de la Cour luy dit, s’il ne craignoit point d’estre suject à la peine de ses loix : car il avait fait pis que ce monnoyeur, parce qu’il avoit faict un faux noble.

Il advint au Parlement de Bourgongne qu’un Advocat de la vieille paste, plaidant s’arresta fort longuement sur ceste periode, pour retrouver sa memoire, Et Messieurs de la vint. Ce que ayant repeté deux ou trois fois, un jeune sçavant homme luy dit par derriere, en se joüant, Un regnard. Lors ce bon vieillard d’Advocat dit, sans y penser, De la vint un Regnard, Mais voyant tant le peuple rire, reprenant sa memoire, il se tourne devers la Cour & dit Messieurs, il y a icy des fols, l’on m’a fait faillir. Qui fut cause que chacun se prit derechef à rire à gorge desployée : tant pource qu’il ne sçavoit qu’il vouloit dire, que pour ce disant, il y a icy des fois qu’on pouvoit interpreter qu’il injurioit tous ceux de l’assemblée indifferemment. Mais en fin le President Feure digne d’eternelle memoire, pour son sçavoir & majesté en justice, s’estant levé, & pris advis de la Cour prononça cest arrest : La Cour ordonne que la partie se pourvoira d’Advocat, & en viendra à la huictaine. Et cependant fit mettre ce bon vieil Advocat au siege de Baillifs, & dit que pour sa caducité la Cour le dispensoit de plus plaider,

Quelques fois sur tels entends-trois on rencontre bien. Comme par un Augure que prie Auguste lors qu’il estoit en volonté de s’emparer de l’Empire, & de chasser Lepidus & Antonius, ses deux Collegues au Triumvirat, d’un asne que conduisoit un paysant fort pres de luy, auquel Auguste demande son nom. Qui luy dit, qu’il s’appelloit Eutyche, c’est à dire, bien fortuné. Puis encor Auguste demanda le nom de l’asne (car notez que les asnes en ce temps-là avoient des noms, aussi bien qu’aujourd’huy.) À quoy ce paysant respondit, qu’il avoit nom Nicos, c’est à dire victorieux. Dont il print asseurance, que bien fortuné, il seroit victorieux sur ses compagnons. Ce qui advint.

Le semblable succeda à Paule Æmile, esleu chef de l’armée Romaine contre Perse Roy de Macedoine. Car comme il retournoit de l’assemblée du Senat, il rencontra sa petite fille, qui pleuroit, & luy dit, M’amie, de quoy plorez-vous ? Lors l’enfant respondit, Perse est morte, mon pere ; Entendant par ce nom, une petite chienne, ainsi nommée. Ce que le pere prit pour bon augure contre le Roy Perses, lequel depuis il vainquit.

L’on lit le mesme de Vespasian, qui priant seul en un Temple, afin qu’il peust sçavoir qu’elle seroit sa fortune, se retournant à l’improviste, apperçeut derriere luy un sien serviteur, qu’il avoit laissé malade en la maison, nommé Basilide, dont il prit esperance de quelque Royaume ou Empire. Et de fait, contre l’attente de tous, devint & fut crée depuis Empereur.

Pompee vaincu par Jules Cæsar és champs Pharsaliques, n’eut pas si heureux prognostiqué les susdicts Car comme il s’enfuyoit, pres l’Isle de Cypre, il apperçeut un fort beau Palais ; & s’enquerant du nom, on luy dit, qu’il s’appelloit, KAKOBAΣIAEA, c’est à dire, meschant Roy. Dont il se print à gemir, presageant à peu pres, qu’il alloit vers le perfide & ingrat Ptolomee, auquel il avoit fait tant de biens, qui luy fit meschamment perdre la vie.

Pour diversifier nos Entends-trois, j’entrelarderay ces deux ou trois Latins suivans. Le premier se prendra sur l’interpretation d’un vers de Virgile, au commencement du quatriesme de l’Eneide, ou Didon eschauffee de l’amour d’Énée, est introduite, parlant ainsi.

Quis novus hic noftris successit sedibus hospes,
Quamsese ore ferens, quam forti pectori & armis.

Ce que les Interpretes & translateurs de Virgile, avec le commun calcul de tous, interpretent selon des Masures.

Combien vaillant d’armes & de courage.

Du Bellay a passé ce vers de la version, comme il ne s’assujettist gueres aux vers, ny aux mots. Sur lequel vers tombant un jour en bonne & doctement gaillarde compagnie, je proposay qu’il se devoit entendre ainsi, à parler bon François.

Voyez son port & qu’il est bien quarré.

Car nous appellons vulgairement un homme bien quarré, qui a forte poictrine, & large aspaules. Et pour monstrer que ceste louange estoit propre aux anciens : j’allegue Virgile au mesme lieu.

Os humerosque Deo similis.

Et combien que là dessus il me fut respondu par un gentil personnage, que Armus s’entendoit des brutes, tesmoin Horace,

Fæcundi leporis sapiens sectabitur armos :

Je luy fis response, que les Grammairiens l’appeloient proprement des brutes ; mais qu’il s’entendoient aussi bien de l’homme, Tesmoin Armilla mot Latin qui signifie Un haut de bressats, qui couvre les espaules : parquoy j’estimoye que l’Equivoque du mot Armis avoit deçeu les Interpretes…

Un Capitaine qui avoit fait tresves de trente jours avec ses ennemis, ne laissoit toutes les nuits de les surprendre, & gaster leurs champs. Dont se voyant repris, pour avoir violé le droict de la guerre, il dit qu’il n’avoit faict tresves que de jour & non de nuit : Feignant par là ne pas entendre la Loy, More. ff. de Feriis, qui entend, selon la coustume ordinaire le jour de vingt quatre heures, à sçavoir depuis minuict jusques à la minuict subsequente.

Bodin, & autres devant luy, rapportent que Louys onziesme, feignant d’avoir affaire du Comte de sainct Paul, son Connestable, luy manda qu’il avoit affaire d’une bonne teste, mais ceste bonne teste, fut celle de ce mal-advisé Connestable : Car il fut decapité, comme recite nostre Saluste François Philippes de Commines.

Ayant leu ce que dessus aussi au logis d’un President duquel je suis entier amy, deux ou trois jours pres j’envoyay mon homme, pour emprunter ce livre, qui en l’absence de luy, s’addressa à la Damoiselle sa femme, & luy dit, que je la priois de m’envoyer le Bodin de son mary. Dont ceste honneste & gracieuse Damoiselle, me voyant le jour mesme, me dit Comment, Monsieur, qu’est ce à dire, que voulez : vous faire du boudin de mon mary ? n’avez-vous pas assez du vostre ? Encor qu’elle sçeut bien que c’estoit que je demandois.

Chacun sçait assez l’erreur vulgaire que S. Jean mangeoit aux deserts des sauterelles & petites bestes qui viennent par les prairies, à cause de l’Equivoque du mot Grec αχρις, qui signifie telle espece d’animaux, comme tient Nicolas Perot. Et ne me soucie du contraire que tient Erasme in c. 3. Mat.

Un certain Predicant, qui vouloir pindariser en chaire, & choisir des mots courtisans, pour applaudir à quelques Damoiselles fraischement revenuës de la Cour avoit coustume d’inventer des mots : Et entr’autres, il appelloit la destinee, fatum en Latin, le fat en François. Surquoy un gentil personnage rencontra ce distique.

Frere Jean Chaße poi tu te romps trop la teste
De nous prescher le fat escrit par Ciceron,
Ne t’eschauffe pas ; tant, va tu n’es qu’une beste,
Veux-tu monstrer le fat ? oste ton Capperon.

L’on peint par semblable Equivoque, deux vieil lards aupres de Susanne, combien que ce fullent seulement deux Prestres de la Loy qu’on appelloit πρεσβύτερος, en Grec, non pas pour leur aage, mais pource qu’ils estoient en ceste charge signifiant ce mot Presbyteri des Prestres & des anciens. Tout ainsi que les Conseillers d’aujourd’huy font appellez Senatores de Senio : mot qui signifie, ancien parce qu’anciennement on ne mettoit en telles charges que de vieilles gens. Qui occasionna un vieil Senateur de Paris de dite, Que non amplius in Senatum, sed in Juvenatumibat : Comme tesmoigne dire, Par là, qui falloit denommer le Parlement non pas de ce nom de Vieil & ancien, mais du mot juvenat, qui signifie assemblée de jeunes gens, à cause de la multitude des jeunes Conseillers qu’on y a receu. Sans m’esgarer trop hors de ce propos, je pourray dire en cest endroict l’equivoque de ces Docteurs ou douceurs qui sont si curieux de pileo & birreto doctorali, qu’ils ne sçauroient aller à la selle sans cornettes de sorte qu’ils ont donné lieu au proverbe, Bœufs portes cornes & veaux cornettes.

Ce que je vy n’agueres usurper fort à propos, sur des jeunes Advocats, qui furent si temeraires, que de la porter entre des vieux & sçavans Conseillers & autres Advocats, qui leur en donnerent une vive attache en ma presence. Mais pour cela ils n’en seront plus sages.

Les Cousturiers ont une aumoire qu’ils appellent la Ruë, ou ils jettent toutes les bannieres : puis quand on s’en plaint, ils se baillent à 100000. panerées de Diables qu’ils n’ont rien desrobbé, & n’y a resté sinon je ne sçay quels bouts, qu’ils ont jetté dans la ruë.

Rabelais n’a-il pas gentillement descrit l’entends-trois de Raminagrobis, qui invitoit ses Clienlures par ces mots : Or ça mon amy, que demandez-vous au Conseil, Or ça vostre question est telle, Or ça, or, je l’entends bien, Or là mon amy, il ne reste plus que vous conseiller, Or çà, or là : Puis l’ayant bien payé & satisfait, il disoit. Or bien de par Dieu : Or bien vostre cas ne sçauroit mal aller. Par lesquels trois dissillabes, or çà, or là, or bien, il faisoit entendre qu’on vint à luy, qu’on mist en sa gibeciere de l’or, & quand on y en avoit mis, que tout alloit bien.

Un certain des plus diserts & sçavans Advocats de son siecle, plaidant un jour contre un abbé de Cisteaux, pour un pauvre homme, allegua en pleine audience que sainct Ambroise disoit, qu’il se falloit garder du devant d’une femme, du derriere d’une mulle, & d’un moyne de tous costez. À l’issuë du Palais, cest Abbé vint rencontrer l’Advocat, & luy dit qu’ils s’estonnoit comme il avoit allegué ce proverbe de S. Ambroise que jamais n’en avoit fait mention. L’Advocat asseurement fit response, qu’il n’avoit rien alleguer qui ne fut veritable. Cest Abbé estonné de ceste asseurance, quoy qu’il fut tres-docte, & des plus deligens Theologiens, n’osa pour l’heure repliquer : mais s’en va en son Abbaye, où il fit regarder à dix ou douze des plus advancez de ses Religieux, les œuvres de Saint Ambroise : en fin, apres s’estre longuement rompu la teste, veu tous les indices, & bien fueilleté, retourna devers cest Advocat contre lequel il gaigna vingt escus, que ce proverbe n’estoit aucunement dans sainct Ambroise. En fin l’Advocat luy monstra ce passage, authentiquement imprimé avec Comptes de Bonaventure des Periers, où il allegue Sainct Ambroise, non pas ce sçavant & Chrestien Docteur de l’Église, mais un Abbé de sainct Ambroise nommé Colin, qu’on souloit surnommer à la Cour, de Sainct Ambroise, Qui fut cause que l’Abbé perdit sa gageure & depuis furent grands amis l’Advocat & luy, à la charge qu’on n’allegueroit plus contre luy ce Sainct Ambroise là.

Beaucoup de gens aussi furent merveilleusement scandalisez de ce mesme Abbé, pource qu’on fit bruit qu’à son retour de Rome il avoit donné deux poullains à une Damoiselle. Mais a chasteté ne laissa pas de demeurer en bonne reputation : car on sçeut au vray que tels poulains n’estoient pas des tiercelets de verole : mais que c’estoient deux beaux jeunes poulains du haras de l’Abbaye, dont c’est Abbé estoit assez liberal, envers plusieurs qui n’en demandoient pas, & envers d’autres aussi qui prenoient bien la peine d’en demander.

Le magnifique Megret discourant un jour avec un vieil Capitaine François, du fait de la guerre ; il luy, advint de dire, qu’il falloit suivre une certaine admonition de S. Paul. Lors le Capitaine entrerompant sa parole, dit, Que dites-vous, S. Paul ? Je commandois desja, qu’il estoit encores page : estimant que on luy alleguast un Capitaire, nommé sainct Paul. Quoy cognoissant Megret luy dit : je vous veux alleguer S. Paul l’Apostre. A quoy derechef ce Capitaine fit response, il ne sçauroit rien dire de faut de la guerre d’aujourd’huy : car de son temps il n’y avoit point d’artillerie.

J’ay appris d’un magnifique Messer, que suyvant la commune façon de parler en France, quelqu’un ayant dit à un Italien : Monsieur ce chien est-il de vostre race ? il se mit en telle cholere (sentant, peut estre sa conscience chargée) qu’il cuida tuer le François, qui luy faisoit cest interrogat. Mais en fin ayant appris que l’on parloit ainsi vulgairement, il s’appaisa : & soupa depuis avec ce François, qui mourut cinq jours apres.

Une Damoiselle d’honneur & de vertu vint un jour de colere vers son mary exclamer : Comment mon mary que diriez-vous ? un meschant Prestre a monté trois fois sur moy pour six blancs, Le mary sage, & des plus advisez de sa robbe, se pensa de premier front alterrer : mais ayant entendu que la femme venoit de voir des meubles exposez en vente, & que le Prestre avoit surhausse sur elle de six blancs, qu’on dit vulgairement monter, il se print le premier, à rire de ceste montée sans descente.

Un autre, ayant veu deux jeunes joüaillers. Allemans, qui vendoient des pierres precieuses, entre les quels il avoit deux beaux pendans, d’esmeraudes dit le soir à son mary. Mon Dieu, mon mary, je voudroy qu’eussiez veu ces beaux jeunes Allemans, je suis infiniment amoureuse de leurs beaux pendans, j’en voudrois avoir l’un pour grand cas : Le mary, du premier coup pensa que la femme parloit d’autres pendants, & de ceux dont elle eust esté encor plus amoureuse, si elle les eust veu.

Un President d’assez bonne paste, voyant les deux fils d’un sien Collegue nouvellement mariez, lesquels long-temps auparavant il n’avoit veu, leur dit en une bonne compagnie, sans y mal penser comme je croy. N’estes-vous pas tels & tels ? Il-me semble (dit-il) quant à vous addressant sa parole au plus jeune, que vous estes Jean : Sur ce l’aisné print la parole, & dit Monsieur, c’est moy qui suis Jean. Dont chacun, qui cognoissoit qu’il estoit vrayement, & de nom & d’effect, eut depuis occasion d’engausser.

À Dijon au mois de May, chacun an l’on a coustume par privilege exprés, de mener sur l’asne les maris qui battent leurs femmes, où il se fait tres-belle assemblée de plusieurs voisins & autres masquez en fort brave appareil : Or il s’en fit un par l’infanterie qui fut fort superbe, l’an mil cinq cens quatre vingts & trois, d’un estrange qui battit sa femme auquel comme chacun accouroit de curiosité pour le voir, entr’autres un de longue robbe bien eschauffé, le cherchoit de ruë en ruë. Lequel estant rencontré par deux Damoiselles, l’interrogerent, Où allez vous Monsieur. Je cherche l’asne, dit il. Sur celuy fut respondu, Nous l’avons trouvé, Monsieur. Je croy qu’il cogneut bien apres, que l’on avoit ainsi parlé pour la rencontre de luy-mesme.

Quelqu’un voyant en place marchande aller des CC deux, à deux, disoit,

Hos brevitas sensus fecit conjungere binos.

Quand on voit deux bestes parler ensemble, on le peut aussi bien dire par forme de Proverbe.

Un bon compagnon voyant une nouvelle accouchée d’un beau garçon, luy disoit : L’on void bien par le boulet le qualibre de la piece, mais si vous voulez, je vous enseigneray une recepte, qu’on ne le verra jamais plus grand que l’œil. La femme qui n’entendoit pas qu’il vouloit dire ; Aussi grand que l’œil le void, luy respondit par cholere, qu’elle ne l’avoit pas trop grand : tant il fasche à une femme qu’on luy die qu’elle l’a trop grand. Aussi les femmes ont un proverbe, Que quand l’enfant est passé, c’est tout ainsi qu’une pierre jettée dans l’eau, de laquelle on ne sçauroit remarquer la trace.

Je cognois une femme de bona volgia, qui joüoit fort volontiers à toutes sortes de jeux, nommément au Tarot. Advenuë la mort de son mary, l’on disoit qu’elle ne joüeroit plus au Tarot, pour quelle avoit perdu son excuse : toutes fois elle n’a pas laissé d’y jouer depuis.

Un autre galleuse disoit en jouant aux cartes, Mon Dieu ? que j’ay une & belle main. Ouy, si elle n’estoit verolée, respondit un qui perdoit, de grand d’espit.

N’est-il pas bon d’un certain transplanteur d’arbres qui les vendoit cheremment, sous l’asseurance qu’ils seroient ayiourd’huy plantez & demain repris. Dont beaucoup de personnes qui prenoient plaisir aux fruictiers, furent deccus : car ils acheterent un escu l’arbre, lequel combien qu’il fust planté en leur presence, fut le soir mesme desrobé, & repris pour etre vendu à un tiers, selon que jà l’on l’avoit prins auparavant à un autre. On a voulu imputer ceste faute à Jean Dey de Plombieres, mais il ny daigneroit penser.

J’ay ouy raconter que certaines Religieuses malades interrogée par un Medecin, si elles avoient bon ventre, firent response, Que ouy, & qu’elles faisoient tous les ans chacun un enfant. Voylà comme la double intelligence du mot, Bon Ventre, leur fit declarer leur secret sans y penser.

Durant les bruits de peste advint qu’une Damoiselle de Lyon estant bossuë, devint malade d’une fiévre fort violente. L’on disoit, à la terreur des voisins, du commencement qu’elle avoit une grande fiévre avec la bosse tres apparente, dont elle ne gueriroit jamais. Mais en fin on trouva que ceste bosse n’estoit point contagieuse.

Et le voisin d’un autre, qui avoit tresbien frotté sa femme, disoit qu’il ne s’oseroit retirer en sa maison, joignante celle de son voisin, parce que la femme d’iceluy estoit frappée : Equivoquant sur la batture, & sur le terme ordinaire de ceux qui sont tombez en danger de peste.

À l’assaut d’une ville, un grand Seigneur qui avoit le col tort, s’en estoit approché, de sorte qu’un boulet d’artillerie avoit chatouillé ses aureilles d’assez pres : L’on alla semer par tout le camp, qu’il estoit mort, sous ombre que un gausseur alla dire qu’un boulet l’avoit laissé le col tort.

Un certain Seigneur s’ennuyant apres disner, demanda s’il y avoit point moyen de recouvrer des billards, pour passer le temps. À quoy pour satisfaire un jeune homme de la troupe, qui desiroit luy complaire, ne sçachant que c’estoit du jeu des billards, ou paraventure le dissimulant, s’en alla chercher deux hommes qui avoient les jambes de travers & leur fit entendre que ce Seigneur les demandoit, & les envoya devers luy : Quoy voyant tout estonné leur dit qu’il ne les avoit pas demandé. Et s’encherchant depuis de l’occasion, trouva que s’estoit des billards, non pas tels qu’il les demandoit ; dont ces pauvres billardiers furent aussi peneux, que fondeurs de cloches.

Mais frere Sanson Cordelier n’avoit-il pas bonne grace, qui reprochoit aux portiers de Dijon, avec grande exclamation, qu’ils faisoient mauvaise garde ; d’autant qu’on l’avoit destroussé pres de leurs barrieres, sans que jamais personne s’en fust donné garde, ny dit mot à ceux qui faisoient tels actes. Dequoy les plus furieux irritez, prenans leurs harquebuzes vouloient courir apres ces destrousseurs : quand on s’apperçeut que c’estoit un vigneron, qui luy avoit destroussé sa robbe qu’il portoit retroussee, par les champs.

Il y a plusieurs Provinces où l’on appelle un vaisseau contenant le quart d’une queuë de vin une Fillette. Or advint en l’une d’iselles, qu’un homme de longue robbe, reprochant à un autre qu’on avoit veu entrer des filles en la maison. On luy respondit sans songer : Si les filles y sont entrées, elles en sont sorties. Mais on a veu chez vous entrer des fillettes, qui y sont demeurées sans en sortir. De quoy tout confus ce preneur de fillettes, ne reprocha onc plus les filles a son compagnon.

Les gens du College de Boncourt à Paris ont ce serment, Que jamais ne se mettent à table, que le principal ne soit venu : mais ils entendent par ce mot de Principal, le vin & non pas le principal du College. Car sans le vin ils ne pourroient disner à l’aise, & si seroient bien sans le Principal.

Un Advocat qui abhorroit les trop grands faiseurs de reverences, pource qu’il disoit que c’estoit autant d’argent contant, ayans veu diligemnment : un gros sac, qu’un porte-espee à la moderne luy avoit mis en main, pour en faire rapport, craignant la morte paye, dit au Soliciteur, qu’il ne pourroit rapporter ce sac, s’il ne voyoit la principale piece qui defalloit au sac. Dont le Solliciteur tout estonné, apres avoir bien diligemment revisité l’inventaire, se plaignoit au Procureur, que l’Advocat n’avoit pas bien veu les pieces de son maistre. Mais le Procureur entendant leur textes sans gloses, luy dit que l’Advocat entendoit par la principale piece, l’escu, sans lequel son Advocat estoit en danger d’estre muet.

L’imprimeur Bourguignon fit une fois gageure, à peine de ne boire vin de trois ans, & que s’il en beuvoit, il payeroit deux escus. Advint qu’il gaigna, & neantmoins le jour mesme ne laissa de boire du vin, comme auparavant de sorte qu’on luy vouloit faire payer la peine : Mais il s’en exempta tres-bien : car il dit qu’il ne boiroit du vin qui fut de trois ans, qu’on dit trois fueilles : mais se contenteroit d’un bon vin nouveau, de deux ans au plus. Et avoit raison : car l’un & l’autre estoit meilleur que celuy de crois fueilles, & ainsi entendoit il boire du vin de trois ans.

La Dame de Grabec voyant un Officier du Roy, qui avoit mis tout son bien en l’achapt de son Estat, l’avoit fait si bien valoir en trois ans, qu’il ne devoit plus gueres de reste. Elle souloit dire, qu’untel s’acquitoit bien de son estat. Dont aucuns estonnez, disoient qu’il ne le pouvoient croire, d’autant qu’ils pensoient qu’elle voulust dire, qu’il faisoit bien sa charge.

Un Soliciteur disoit à une jeune Damoiselle. Quand il vous plaira, je vous communiqueray privément toutes mes pieces. Et moy les miennes respondit elle. Estoit-ce pas pour se mettre d’accord sans plaider ?

Le Roy Henry estant en grand soucy pour sçavoir qui est-ce qu’il pourroit envoyer devant Bologne, que chacun jugeoit imprenable, Brusquet se trouvant present, dit, Sire vous ne sçauriez envoyer un plus propre & asseuré personnage qu’un certain Conseiller de Paris, (qu’il luy nomma) car il prend tout. Denotant par ce gentil mot ambigu, la sordité du personnage, qui sçavoit mieux, qu’il ne pratiquoit la Loy, solent. ff. de offi. procons & leg.

L’on dit que le mesme brusquet voyant plusieurs empeschez à seller une excellente mule : mais farouche au possible, leur dit : Allez vers le Secretaire d’untel, qui lors estait Chancelier, ou Garde des seaux, car il scelle tout.

Je n’obmettray le conte d’un Advocat Esperlucat, si delicat qu’il perdit une cause pour vouloir faire la petite bouche : Car comme la principale piece de son sac luy fut mise en Ny, il ne l’osa alleguer parce qu’elle estoit cottee con. Qui fut cause que son client bailloit au diable le sor, & luy disoit qu’il devoit plustost alleguer toutes les pieces depuis K. & q. jusques à con : & depuis l’appelloit l’Advocat qui n’osoit dire le gros mot : Comme sont aucunes femmes, qui n’osent dire laboravi, vitulos, mais labora chose, & chose tulos, ny confiteor, mais chose fiteor. Pensez l’habille homme, qui craignoit de donner un Entend-trois de con, au conspect de justice,

À propos d’inventaire comme, deux parties eussent un procez de grande importance au Parlement de Mirelingue, dout estoit rapporteur un Conseiller docte en la langue Grecque, & qui sçavoit incliner où il vouloit. L’une d’icelles s’en doutant bien, & craignant qu’une piece par elle produite, sous la cotte H. ne fust pas bien veuë, alla supplier le premier President, qu’il luy pleust en faire faire lecture. Avint que ce Conseiller rapporta ce procez assez fidellement, horsmis ceste H. Lors le President luy dit, Voyons la cotte H. Dont le Rapporteur tout estonné & surpris songeant à ce qu’il vouloit dire, pour s’excuser jetta un grand souspir par forme d’interjection Latine, Ah. À quoy le President, avant qu’il eust commencé son excuse, luy dit, Je voy bien que c’est, vous pensez à la langue Grecque : non est enim aspirationis nota apud Græcos.

Ces quatre suyvans sont imprimez par Henry Estienne, en son Apologie d’Herodote, mais pour leur naïsve grace bis repetita placebunt.

Un Ambassadeur Allemant envoyé au Pape, par un Prince d’Allemaigne, prenant congé de sa saincteté, le Pape luy dit en Latin ; Vous direz à vostre Maistre, nostre tres-cher fils, que je me recommande à luy. À quoy cest Allemnant, contrefaisant paraventure l’impatient ; & feignant n’entendre le terme ordinaire du Pape, qui nous appelle tous ses enfans spirituels, il fit response, que son maistre n’estoit point fils de Prestre.

Celuy n’estoit pas si lettré, auquel on avoit donné une lettre pour porter à la Royne de Navarre, & luy avoit on dit, Baissez-là, avant que la luy presenter, Car de plain saut, estant en presence de la Royne, il l’alla baiser en la bouche & luy presenta apres ses lettres, telle quelles sortoient de sa main.

Une mere voyant que la fille ne remercioit point son fiancé, quand il beuvoit à elle, luy remonstra qu’elle n’estoit pas honneste : & luy dit, Dites, une autresfois, Je l’ayme de vous, grosse beste. Or la fille pensant avoir bien retenu la leçon, n’oublia pas quand il beut de rechef à elle, de dire, Je l’ayme de vous grosse beste.

Que vous semble de celuy qui mangea le papier ou estoit escrite la recepte du Medecin, pour ce qu’il luy avoit dit, Allez, & prenez demain matin cela ?

Un sergent dressa l’exploit qui s’enfuit : À vous Monsieur le Lieutenant S. Je sous-signé certifie qu’en vertu de vostre mandement de p, à la Requeste de s. j’ay procedé par execution de d. lequel ne ma voulu delivrer aucuns meubles, mais m’a dit que par la morbieu il me tueroit, si je ne passois outre : & que j’estois un coupaut double coupaut. Ce que je certifie estre veritable, & c. Or sus ceste certification estoit elle pas plaisante & digne du cocu Sergent ?

Des femmes avoient elles pas bonne grace, Quelques folastres parlant devant elles des basses marches, disoient, Vous parlez tousjours de meschancetez allez, allez, cela est bon & bien joly par dedans, mais il n’est pas beau d’en tant parler.

Un Pinsegrineur d’Amadis de Gaule disoit un jour en une compagnie, que s’il vouloit, il trouveroit des meilleurs termes du monde : voulant monstrer qu’il s’estoit estudié à parler proprement. Mais un bon villageois rencontra gentillement, luy disant : Monsieur songez vostre saoul, vous n’en sçauriez trouver de meilleurs que la Saint Martin, ou la Toussaincts, qui sont les termes accoustumez, esquels on paye les rentes & autres causes Seigneuriales.

Un Officier du Roy nouvellement insinué, qui pour se depaïser & faire l’habille, marche en dringue morigue, & parle en Iste-miste de peur de faire des enfans, pratiqua une recepte, que luy avoit appris mere Pinette : Sçavoir, qu’il falloit mettre deux pots de terre au chevet de son lict, & que tant qu’ils seroient separez, & que les deux culs n’approcheroient point, il ne feroit point d’enfans. Mais pour tout cela, il n’a pas laissé de faire des enfans : car il ne comprint pas bien l’Entends trois, qu’il vouloit dire, Qu’il ne devoit approcher son cul de celuy de sa femme.

Un docte & sçavant President, voyant un Advocat, qui alleguoit Alvarotus de fundis, & se tourmentoit pour deriver un mot Grec, il dit tout haut. Hé ! le bon homme allegue du Grec, où il n’entendit jamais rien. Il se trouvoit ambigu, si c’estoit de l’Advocat, ou de Alvarot, que le President vouloit parler. Mais je croy qu’il entendoit de tous deux.

J’ay veu & ouy dire plusieurs Enigmes, par semblables Entends-trois, comme quand on dit, l’ay veu un four à cheval. Cela se peut entendre ou d’un four à cheval, ou d’un homme estant à cheval, voyant un four.

Les Parisiens font grand feste quand ils disent qu’ils ont veu le grand saint Christofle de nostre Dame de Paris, à genoux, & que nostre Dame est sur le pillier qui tourne.

Le bon Azo, grand Jurisconsulte de son siecle, & qui a le premier glosé les Loix, contre l’Edit de Justinian, ayant un jour disputé à Bologne contre un Sophiste, luy donna un grand coup de cousteau, à l’occasion de quoy il fut condamné à mort. Et comme apres la sentence prononcée, il exclama fort haut, Ad bestias, Ad bestias, voulant entendre la Loy ad bestias. ff. de pœnis, qui veut que la peine des excellens en quelque profession soit amoindrie, Les juges pensans qu’il les appellast bestes, & les renvoyast aux bestes : ne cesserent jamais, bestes qu’ils estoient fait mention de ceste histoire. lib. 1. parergon. c. non ult non credit. Mais de disputer contre, ce seroit folie : car cela ne feroit revivre ce bon Docteur.

Feu Monsieur le Cardinal de Givry, Prelat de Religion & pieté grande portoit en sa devise, Abundantia diligentibus te, qui est la fin d’un verset au Psaume 121. Pour denoter, qu’a l’homme craignant & aymant Dieu, rien ne peut defaillir. Mais ayant donné charge à un sien domestique de la faire engraver en une table d’attente, sur le portail d’un superbe bastiment qu’il faisoit faire, c’est homme ne prenant pas la devise de si haut, fit oster le (te) & mettre tant seulement, Abundantia diligentibus pour dire, Abondance aux diligens.

L’on lit aux histoires Romaines, que sous l’Amphibologie du nom de Cité, les pauvres Carthaginois furent merveilleusement frustrez de leur esperance. Car se fians à la parole des Romains, qui leur avoient promis que leur Cité ne seroit point ruinée, mais demeureroit en toutes ses premieres franchises, immunitez, & libertez, ils se rendirent à leur mercy. Quoy fait les Romains firent commandement à ses pauvres Carthaginois, de vuider hors de leur ville, leur enjoignant d’emporter ce qu’ils pourroient, & puis firent destruire Carthage avec le feu. Dequoy se plaignans ces pauvres gens, on leur dit, que la promesse leur seroit tenue parce que la Cité qui consistoit en eux-mesmes, non en des murailles demeureroit en son entier.

Je ne sçay si l’on pourroit excuser les Romains d’une si captieuse façon de parler : qui doit seulement avoir lieu plustost pour conserver, que destruire, pour absoudre que pour condamner. Comme le monstra bien l’Empereur Aurelian, lequel ayant mis le siege devant la ville de Tyane, jura qu’il n’eschaperoit pas un chien qui ne fust mis à mort. Toutesfois ayant forcé la ville, il deffendit de tuër personne, & lors que on luy rememora, qu’il ne gardoit pas le serment par luy, fait, il dit qu’il n’avoit entendu parler que des chiens, lesquels il fit tous tuer à l’instant. Et Sainct François fit aussi de mesme, au regard d’un larron, auquel il sauva la vie : ainsi qu’il est rapporté par angel. in l. §. si tibi judicium ff. decondict. obturp : caus. Car estant interrogé s’il n’avoit point veu passer ce larron qui taschoit de se sauver en la ville de Perouse, il mit la main en son oreille ; & dit, il n’est pas passé par là.

Le mesme Docteur, in l. Qui vas, §. qui ex voluntate ff. de fure. dit qu’il mit la main en sa manche. Flo. in §. Ja tibi judicium, afflictus in constitut. in quæst. col. 3. Joan. de ana. in c. qui cum fure. c. defurt. Nevizanus Sylva nupt. 1. 3. in verbo. monitorie. num. 31. dient qu’il mit la main à son chaperon. Voylà une diversité bien estrange, & qui a beaucoup empesché de Docteurs.

J’ay expressement allegué ces authoritez, pour monstrer que ces Ampibologies sont mesmes escrites par les Jurisconsultes : & qu’à faute d’intelligence d’icelles, plusieurs ont estimé les Antimonies des loix irreconciliables, combien qu’elles fussent tres-faciles à accorder. Comme pour exemple, le mot exhibere. que signifient le plus souvent hominem aut rem in medium producere, & quelquesfois est de mesme signification que le mot probare. l .fin de æ. dil. edict, a causé une contrarieté entre les Loix. I. l. redhibere, l. quod si nolit. §. si mancipium ff. du ædil. edict. Et la susdite. l. finale. aisée à dissoudre par l’intelligence dudit mot, si on le prend au second cas pour ce mot, prouver, veu qu’autrement l’intellect seroit absurde, Cum notum sit mortuum exhibere non posse l. fi homo morstuus. ff. de vercoblig.

Un Gentil-homme passant par une maison dite la Vulpiere, qui appartenoit à un juge mal famé, disoit un Procureur, Vrayement le nom est propre à la maison du maistre. Mais le Procureur rencontra bien mieux, luy disant. Monsieur croyez qu’il y fera bon vivre, car il y a force provisions. Voulant par la taxer ce juge, qui à tort & a droit condamnoit toutes personnes par provision, affin de passer outre à l’execution de ses sentences, nonobstant appel, & avoit le profit de ladite execution. Qui estoit une partie de l’injuste gain, dont on disoit qu’il avoit basty ceste maison.

Un jeune apprenty de justice nouvellement pourveu d’une inferieure judicature ayant par advis de quelques graduez, condamné un coupe-bourse d’avoir l’aureille coupée, apres avoir luy-mesme dressé la sentence, ne se souvint pas d’adjouster si c’estoit la d’extre ou la senestre. Les graduez, qui ny prindrent garde de si pres, mais l’ayant signée in fide parentum, luy envoyerent pour la prononcer. De sorte que quand ce vint à en faire lecture judicialement, en presence de l’accusé, quand il ouyt ces mots. Avons condamné & condamnons ledit accusé à avoir l’aureille coupée, il demanda, soudain au Juge : Laquelle, Monsieur, Dont le Juge tout estonné & surpris, dit en touchant sa propre aureille dextre. C’est celle-là. Or dit le criminel, je n’en appelle pas, & si voulez, moy mesme la coupperay. De quoy tous les assistans se prenans à rire, le Juge repliqua, j’entens la tienne dextre. Ce que entendu par ce pauvre couppe bourse il dit j’en appelle donc, Et de fait il fut dit qu’il avoit esté asiniquement jugé, par le juge, a quo, bien appellé par l’appellant : & faisant ce qui devoit estre fait on ordonna que le juge porteroit dessus son bonnet des aureilles d’asne, & l’accusé renvoyé absous. Mais je croy que cest arrest ne fut pas executé, pource qu’on remonstra à la Cour que ce luge avoit de ces aureilles là naturellement entées dans sa teste.

Un autre Juge, mais il estoit Royal, & Lieutenant en une Seneschaussée de par le monde, voyant un chappeau verd qui tumultoit pendant la tenuë de ses jours, fit premierement deffence generale à tous, de se comporter modestement. En fin voyant que ce chappeau verd ne cessoit de faire du bruit, luy dit en cholere, Chappeau verd, je vous condamne en une amende de vingt livres. Celuy qui portoit ce chappeau, sans en appeller, comme il estoit conseillé prins ce chappeau verd, & le jetta sur le burreau, disant, Faictes luy payer l’amende. Et cela fait, debusqua promptement, de sorte que je n’ay point de souvenance de l’avoir veu depuis.

Un Gentil-homme de marque sollicitoit un certain procez à Dijon, & en discourant avec le Conseiller, qui estoit son Rapporteur, luy recomnmandant la justice de sa cause (nam cupiunt etiam jura rogari) le Conseiller luy fit responce qu’il prenoit trop de peine pour une affaire de peu d’importance, à laquelle il y avoit peu, ou point de difficulté. Quelques jours apres ce Gentil-homme se sentant bien asseuré sur ceste responce, fut condamné : Et comme il s’en plaignoit à votres sçavant & incorruptible President, il luy fut respondu par iceluy, Qu’il n’y avoit que tenir à sa cause, & qu’à peu avoit-il tenu, qu’on ne l’eust condamné en l’amende de fol appel : Lors ce Gentil-homme esmerveillé, dit, Et quoy : mon Rapporteur m’avoit asseuré, qu’il ny avoit point de difficulté en ma cause, Vrayement, dit lors le president, il a dit vray : mais vous avez mal pris son dire. Car il entendoit, qu’il n’y avoit point de difficulté que ne fussiez condamnné.

Une defenderesse en action d’injures, pour avoir appellé une femme, putain, fue condamnée par sentence, confirmée par Arrest de declarer en presence de la partie, qu’elle declaroit l’avoir appellée putain : dont elle se repentoit, & la tenoit pour femme de bien, chaste, & pudiuee. Quand ce vint à l’execution de cest Arrest, par devant le commis : elle dit : il est vray, je l’ay dit : je la tiens & repute pour femme de bien, je m’en desdy, j’ay menty je la tiens pour chatte & publique, Surquoy la partie injuriée de rechef, voulut insister à autre reparation plus claire. Mais il n’en fut autre chose, pource que la grace de la responce fut telle, qu’il sembloit à l’ouyr parler qu’elle parlast nettement & de cœur, comme je croy quelle faisoit.

Une femme en absence de son mary ayant fait venir de nuit un Prestre, pour la garder des esprits, & coucher avec elle, comme ils tabutoient : & renvoient le Diable en Enfer, un jeune enfant, aagé d’environ quatre ans & demy, qui estoit dans le mesme lit, s’esveilla, & voyant ce Prestre, demanda à sa mere, qui c’estoit : La mere qui sçavoit bien que le pere ne faudroit à sa venuë de l’interroger, & que l’enfant ne faudroit de le declarer, elle luy fit entendre que c’estoit Dieu. Le pere estant de retour, & demandant à cet enfant, qui avoit couché, avec sa mere, il respondit, que personne n’y avoit couché, sino Dieu & luy, Qui fut cause que pour l’heure le fait fut secret : mais un mois apres, comme il advint que ce Prestre marchoit devant la boutique de ce marchand : cest enfant l’ayant bien regardé, & se tournant vers son pere, luy dit, Voy-là Dieu, qui a couché avec ma mere. Voyla comment le pot aux roses fut descouvert.

Il n’y a point de doute, que qui se voudroit peiner en Latin & en François, on en trouveroit cent mille de mesme façon, dont aucuns seroient desagreables & fascheux, autres seroient bien a propos rencontrez, Donat en a voulu faire une enumeration, par certain ordre : mais à fin de les eviter, comme un grand vice de parler. Toutesfois si cela en propos commun eschape, & que par une soudaine & inopinée response, un mot ambigu soit relevé & retorqué contre celuy qui le profere, je trouve que cela à tres-bonne grace, & tant s’en faut qu’on le doive attribuer à vice, que cela me semble fort elegant, & au pis aller, facecieux infiniment, & propre à rire. Comme si dessus il y a des exemples à suffisance outre lesquels il s’en fait aussi souvent par la transposition des mots : comme un Advocat qui disoit en plaidant, il est question d’un char, Messieurs de foing. Et autres infinis.

Si la copie ne couroit par tout de deux Epistres d’un Gentil-homme à une Damoiselle, & d’elle à luy, qui sont de semblable façon, je les eusses icy inserées, mais il n’y a si petit Imprimeur & Portepapier, qui n’en face tous les ans. Toutesfois afin que l’on ne die que je l’ay publié en voicy un sommaire exemple, selon que proprement il m’est venu en la memoire.

Epistre d’un Gentil-homme à une
Merdoiselle.


AYant eu la commodité, Madamoiselle depuis huict jours, de vous voir en une dance, Madamoiselle publique, j’ay esté soudain surpris d’une passion, Madamoiselle amoureuse, qui me rend quasi tout hors de moy, & mon ame du tout, Madamoiselle esgarée. De sorte que si n’avez du moins quelque volonté, Madamoiselle petite, d’user envers moy de compasion, Madamoiselle miserable, je croy que la Parque, Madamoiselle infernale, ne me lairra longuement vivre sur ceste terre, Madamoiselle basse & fragile, pour respirer un service : Madamoiselle tres humble, jusques à idolatrer la trace, Madamoiselle de vos pas, saluant vos bonnes graces d’un salut, Madamoiselle tres-infirme. Et adieu cependant d’une parole, Madamoiselle piteuse, & langoureuse.

Responce de la Gentil-hommesse au Merdoiseau.


J'Ay veu, Monsieur depuis hier, par vostre laquais, Monsieur mal en ordre & bien crotté, un mot de lettre, Monsieur fort divers, & qui provient d’un cœur, Monsieur bien affligé, je recognois ce qui est en moy, Monsieur du tout imparfaict, & qui n’a moyen d’estre, Monsieur le larron, d’un homme tant soit-il Monsieur chetif & miserable, aussi n’en suis-je pas plus glorieuse, Monsieur de rien. Que si vostre dire toutesfois n’est, Monsieur mensonger, usez de mon conseil, combien qu’il soit, Monsieur debile, & peut estre à vostre gré, Monsieur impertinent, baignez vous dans un puits Monsieur d’eau froide, & si le remede n’est, Monsieur pas sain cherchez conseil, Monsieur ailleurs, Vous disant au surplus adieu, de parole celle que merite vostre escrit, Monsieur tout deschiré & embrené.

Une certaine Damoiselle interrogée de quels villages elle desiroit estre Dame en Bourgongne, elle fit responce, elle ne voudroit que ces quatre suivans.

Long Vi, Foumy, Souvans, Montconis.

Encores qu’il y en ayt d’autres aussi beaux, comme Sicons, Cuc, dont on apporte le plus beaux poix du monde, vulgairement appelez les poix du Cuc. Tesmoin la Procureuse, qui disoit qu’il y avoit un vilain Gentil-homme, qui luy avoit promis des poils de cul, au lieu de pois du Cuc.

Il y a long-temps que j'ay leu la valeur des monnoyes, qui fut mise en lumiere un certain temps que l'on les descrioit.

Une Portugaise vaut deux Espagnoles,
Un Angelot, deux Diablotins,
Un Escu deux Tergues,
un Pistolet deux bidets,
un Ridé deux plis,
un Salut deux reverences,
un Franc à cheval deux serfs à pied.
un Noble deux vilains,
un Gros deux petits,
un Sol, qui se prononce un sou, comme un fol
un sou, deux affammez,
un Carolus deux Joannes,
un Double deux Simples,
un Blanc deux noirs,
une Impériale deux Romaines,
un Lion deux Leopars,
les Royaux deux ordinaires
un Henry deux Philippes,
un Philippus deux Pierrouts,
un Pierrout deux Patards,
un Patar deux Patatics,
une Jocondole deux trifstandales,
un Hardy, deux Couards,
un Tolosat deux Mouliners,
un Polonois, trois francs & un peu plus selon l'Edit dernier

Or je me restraindray pource que ce chapitre est trop long, & finiray expressement par cest Entends-trois des basses marches, à cause qu’il est certain que personne ne sçauroit parler si religieusement, que l’on ne rencontre sur cela qui nous est naturel, & si commun à tous : que l’Autheur des folastres Baliverniers a fait ce suyvant.

Chacun travaille à son mestier,
Le Laboureur à la roye.
Le Munier par où l’eau saut ;
Le Pelletier par où la peau faut,
Le Boulenger sur le sac au bran,
Le Boucher sur le fac aux tripes,
Le Maçon sur le fondement,
Le Charpentier à lam ortaise,
Le Mareschal sur le souflet.

Et infinis autres qu’aisément tu pourras recercher de toy-mesme, si tu as envie d’y passer le temps.

Je me suis encor advisé de clorre ce chapitre par ce Sonnet Amphibologique, du jeu des Cartes que composa un gaillard Escollier a Tholose, lan 1570.

Le Roy, les Huguenots, & tous leurs adherans,
Font aux Cartes gros jeu, & bien souvent rechangent
Capitaines, soldats, à la pille se rangent
Et quand à ce jour là sont bien peu differens.
À premiere le Roy dit qu’il tiendra les rangs
Ancuns d’aupres de luy cherchant le Per, estrangent :
La Rofle est un beau jeu, s’ils boivent trop ou mangent,
Le Tru est trop commun, point n’en sont desirans :
Si des femmes en tient à la carte virade :
Et pour les prisonniers, c’est à la Condamnade,
S’il faut payer rançon, au Cent on va contend,

Bref le hazard est grand pour le gain qu’on attend :
Mais je me doute bien qu’apres longue bravade,
La plus grand part en fin joüera au mal contend.

ADJONCTION
de l’Autheur.

Le bon Duc Philippes de Bourgongne, comme il prenoit plaisir souvent de se joüer avec les Seigneurs de la Cour, il les mit en alarme estant au pays de Flandres sous ombre qu’il leur dit : Preparez-vous je viens recevoir nouvelles certaines, que nous aurons aujourd’huy Bataille. Or notez, que par Bataille, il entendoit un sien Escuyer, lequel il cherissoit fort.

Jacques Butigarius, Docteur Italien, celebre de son siecle, passant par le marché, marchanda des figues, & voyant qu’une fausse vieille luy surfaisoit par trop, il en marchanda la moitié, au mot de la vieille : puis apres il voulut partir chasque figue l’une apres l’autre par la moitié. Quoy voyant ceste vieille, fut contrainte luy faire bon marché à son mot. Ainsi qu’aprend la son in l, rogasti. §. si secum, dit Nevizanus, in sylva nuptiali.

ADJONCTION
d’autruy.

Les meusniers aussi ont une mesme façon de parler que les cousturiers, appellant leur asne, le grand Diable, & leur sac, Raison. Et rapportait la farine à ceux ausquels elle appartient, si on leur demande s’il en ont point pris plus qu’il ne leur en faut, respondent, Le grand Diable m’emporte, si j’en ay prins que par raison, mais pour tout cela disent qu’ils ne desrobent rien, car on leur donne.

Cela me fait souvenir d’un certain Regent de Paris, qui parlant de Carmes de Despautere, où il avoit fait son cours beaucoup de fois, disoit que la meilleure leçon qu’il eut jamais pratiquer audit Despautere estoit Hic dat or. Je croy qu’il entendoit de ses landis, quand il recevoit de l’or.

Continuant nos plaisantes Rencontres equivocantes je te veux faire un conte, dont m’a fait part un personnage de ma cognoissance : Un certain Frere Cordelier, du pays Chartrain, homme de bonne compagnie, & facecieux au possible, estant à un festin, disoit le mot, & bien aspre aux pots, je pensois dire à propos, semper hic erro. Apres avoir bien ry & gaussé, on luy demanda s’il s’en vouloit retourner si tost, & s’il avoit si haste, II respondit. On m’a osté ma monture en chemin, & aurois bon besoin d’estre remonté par quelques unes de mes bonnes dames du bout d’enhaut. Si on se prit à rire, je vous le laisse à penser, Ha ! mais dira quelque naquemousche, cela me scandalira bien fort, un Cordelier, un moine ? dira cela ? bon. Mais pour responce, je vous dy & vous declare, qu’un Cordelier est un homme, qui boit du bon, comme un autre homme. Il ne se trouvera point qu’il luy soit defendu de rire par sa reigle. Mais passons plus avant.

Tu as peu voir le conte de l’Allemant rapporté par l’autheur, fol.73, mais le patois est gentil, à qui le peut naysvement exprimer, selon la prolation alemanique, Car aucuns qui font valoir la glose mieux que le texte, disent que l’ambassade allemant, cogneu du pape pour un plaisant Robin se presentant à la Saincteté, dit en son patois, salue Tomine Papa ; Et le Pape luy respondit, Et bene Colgange, quomodo valet meus filius, tuus Princeps : L’autre respondit, Certe meous Brinceps non est filius sacerdotis, &c.

On fit de mesme n’y a pas long-temps, une information à Orleans, pour cause d’injure contre un pourpoint jaune : mais quand ce vint à decreter, il y en eut de bien camus.