Les Bigarrures/Chapitre 10
CHAP. X.
Pres les Anagrammatismes, nous
parlerons des vers Retrogrades par
lettres & mots : parce qu’aulieu qu’és
Anagrammes il faut transporter les
lettres, sans ordre certain, en ces vers
Retrogrades par lettres il faut Anagrammatiser d’ordre, prenant la derniere lettre pour
venir à la premiere. L’on dit que le Diable, portant S. Antible à Rome, fur ses espaules, composa celuy-cy,
Signa te sina temere me tangis & angis :
Roma tibifubdito motibus ibit amor.
Retournez les lettres de ce Distique, vous lirez les deux mesmes vers. Comme de ces suivans,
Si bene te tua laus taxat sua laute tenebis.
Entre les vers de Rabanus, au milieu des croix il a inseré ces suivans :
En la figure 27. en la 18. ligne du milieu, qui tire du haut en bas,
Si do tibi metra sonohis te Jesus in odis.
Et en la ligne 18. du milieu, traversant à la lettre N. de Sono, il y a le mesme vers retrograde,
Si do nisus et si honos artem ibis & odis,
Et en la 28. figuré il y a cest autre de 27. lettres qui se list de mesme, à l’endroit qu’à l’envers.
Oro te ramus aram arasumar & oro.
Jacques Peletier tres docte Medecin, Philosophe, & Mathematicien, m’a dit que feu Guillaume des Autels luy en avait donné six de ceste façon, mais il ne peut se souvenir sinon de ce premier :
Ira te lepide si vis edi Peletari.
Ces deux autres sont de la façon du mesme.
Nemose diri subsis Busiridis omen.
Rara teres animi limina seret arar.
Qui a esté cause que je me suis parforcé de faire ces suivans,
Ut sero memores oro sero memores tu,
Et cestuy,
Sacco tu suberis sanas se rebus ut occas.
Je ne sçay de la façon de qui est suivant assez bien rencontré,
Et necat eger amor non Roma rege sacente,
Roma reges vna non anus eger amor :
Sur ce mot de Roma Scaliger a faict ce gentil Distique,
Roma quod inverso delectaretur amore,
Nomen ab inverso nomine cepit amor.
Je n’en ay point veu en nostre langue de semblable, sinon l’Anagramme retrograde d’un homme cholerique, nommé le Feure, qui portoit en sa devise son nom ainsi retourné,
Eruefel.
On y peut adjouster une joueuse de Luc, qui joüoit aussi du Luc renversé,
Venant aux vers Retrogrades par mots, il y en a qui ont mesme sens à l’endroit, qu’à l’envers : & d’autres qui ont sens contraire.
De ceux qui ont sens de mesme, ils peuvent eschapper sans y penser, & ne sont pas de grand peine, comme ces vers.
Deficiet cito iam corruptum tempore flumen
Tramite decurrit quod modo præcipui
Dans Virgile se lisent ces deux suyvans, lesquels estans retrogradez, la quantité est bonne,
Musa mihi causas memora quo numine læso,
Læso numine quo memora causas mihi Musa.
Et cestuy-cy,
Quid faciat lætas segettes quo sidere terram,
Terramsedere quo segette : lætas faciat quid.
Ce vers suyvant est Hexamettre & Pentamettre à l’envers, de fort belle invention, extraict d’une vieille Bible, auquel sont introduicts Abel & Cain sacrifians, desquels le premier dit,
Sacrum pingue dabo, nec macrum sacrificabo :
Et Cain respond,
Sacrificabo macrum, nec dabo pingue sacrum.
De ceux qui ont sens contraire, ces deux exemples sont vulgaires, faits par Philelphe sur le Pape Pie second.
Pauperibus sua dat gratis, nec munera curat
Curia Papalis, quod modo percipimus.
Laus tua, non tua fraus, virtus non copia rerum,
Scandere te fecit hoc decus eximium.
Corditio tua fit stabilis, nec tempore paruo,
Vivere te faciat hic Deus omnipotens.
Le docte Pasquier a ainsi traduict le second Distique, en deux vers Retrogrades, que j’avoy attribué par
les premiers impressions à l’Official Langrois :Bien fait, non dol, los non faveur,
Fait t’a gaigner tres-grand honneur.
Honneur tres-grand gaigner t’a fait,
Faveur non los, dol non bienfait.
Tous les Poëtes de nostre siecle en ont quasi fait, comme du Bellay ces suivans, sur l’Empereur Charles le Quint, & Philippes Roy des Espagnes, qui sont imprimez entre ses Epigrammes Latins,
Cæsareum tibi sit felici fydere nomen.
Carole, nec fatum sit tibi Cæsareum,
Aliud,
Coniugium tibi rex fæcundent numine longo
Semine, nec sterilis sit tua progenies.
Murmelius a mis cestuy-cy, comme sien, en ses Quantitez,
Donet munere mel non fel pax candida nobis.
Frere Jacques Perchet avoit fait peindre sa Chappelle à sainct Benigne De Dijon, dedans laquelle estoit cest ingenieux octostique, contenu dans un grand rouleau, que tenoient un Ange & un Diable : Et estoit escrit du costé de l’Ange.
Lis à l’endroit, sauvé seras,
Et du costé du Diable,
Lis à l’envers, damné seras.
Delicias fuge, ne frangaris crimine, verum
Cælica tu quæras, nemale dispereas,
Respicia tua, non cuiusuis querito gesta
Carpere, sed laudes, nec preme veridicos.
Judicia fore te præsentem conspice toto
Tempore nec Christum te rogo despicias :
Saluificum pete, nec secteris demonia Christum
Dilige, nequaquam tu mala concupito,
À l’envers le sens est ainsi contraire :
Concupito mala tu, nequaquam dilige Christum,
Dæmonia secteris, nec pete saluificum :
Despicias rogo te Christum nec tempore toto
Conspice præsentem te fore judicio :
Veridicos preme, nec laudes, sed carpere gesta
Quærito cuiusuis, non tua respicias,
Dispereas male, nec quæras tu Cœlica verum
Crimine frangariis, ne fuge delicias.
Martial se jouant de ces vers, monstre qu’anciennement on s’y plaisoit, par ces vers,
Nec retro lego Soradem Cynedum.
Entendant de senario dictilictico catalectico, ex quo recurribat Sotadeus, dont Scaliger a donné cet exemple,
Fata sibi medulus fabricans est perfidus hostis.
Et donne encor ce suivant d’un Pentametre, qui se retourne à l’envers en un lambique senaire,
Altera regressu metra recursa meant.
Meant recursa metra regressu altera.
Et ailleurs il ameine jeu en cét Iambique, qui se retourne en Trochaique :
Diserta vox amica lex, jus optimum.
Optimum jus ; lex amica, vox diserta,
Je n’en ay point remarqué de François que ces deux cy-dessus mis, & comme j’en discourois avec feu ce gentil Poëte Belleau, luy disant, que j’estimois qu’il fust impossible d’en faire en nostre langue, qui eussent la candeur du Latin, & sans estre extremement forcez, il me fit entendre qu’il en avoit un Sonnet entier, qui commençoit.
Appas fascheux & doux, doux & fascheux trespas.
Trespas fascheux & doux, doux & fascheux appas.
Mais il ne s’en peut ressouvenir, & ne l’ay point remarqué en ses œuvres. Non plus qu’un Ode qu’il fit sur la traduction Latine de son Papillon que fit imprimer un jeune Escolier, l’an 1565. Chez Guillart : laquelle Ode est neantmoins tres-digne de son autheur, & mérite bien d’estre imprimee avec ses autres escrits.
Sidonius Appollinaris est le premier que nous cognoissions s’estre exercé en ceste forte de vers : comme j’ay esté adverty par une epistre du docte Pasquier : Car ceux dont il allegue des vers auparavant, sont incogneus. Et quant a Virgile, ce sont vers eschappez sans y penser. Depuis Rabanus Maurus s’y est fort exercé : & de nostre aage, plus heureusement que jamais, on y a donné atteinte, comme nous avons monstré cy-dessus. Dont pour preuve asseurée je te donneray celuy-cy de la façon du docte Pasquier, lequel m’a donné advertissement de ceste Adjonction :
Mens bona non nova fraus, pietas non Aulica fecit,
Curia id editum, Rex bone, pacificum.
Plebs pia, non fera lex poterit nunc vivere terum,
Crescere nonlabi nis puto, sordidule,
Imperium Deus hoc seruas non perdis amore,
Feruida sit nec pax hæc tegit insidias.
Magnifice tibi Rex succedant optima, nunquam
Pralia sint, immo pax tibi perpetuo.
Au sixiesme livre de ses Epigrammes, cét Hexamettre Pentametrisé est ainsi : où deux de Religions contraires sont introduicts. Le premier dit,
Patrum dieta probo, nec sacris belligerabo.
L’autre respond, en retrogradant les mots.
Belligerabo sacris, nec probo dicta Patrum.
J’ay remarqué dans un Bartholomy, Poëte du temps du Roy François, ce Distique ingenieux :
Es puer haud malus es, atas non plurima vibex,
Flectere te coget hoc prius ingenium.
Ingenium prius hoc coget te flectere vibex.
Plurima non atas, es malus haud pueres.