Les Batteuses d’hommes (éd. Dorn)/Kasimira

Les Batteuses d’hommesR. Dorn (p. 21-37).

Kasimira




De temps immémorial, la belle femme hongroise a joué le premier rôle dans l’histoire du Tout-Vienne élégant. Cela tient à cette particularité de sa race et de son pays, que la Hongroise est un composé de toutes les séductions dont une seule suffirait pour rendre une femme ravissante : beauté ardente, esprit vif, aptitudes aux affaires publiques, magnanimité, générosité, amour de l’indépendance poussé jusqu’à la sauvagerie, tempérament d’amazone, fierté aristocratique, et piquante nonchalance de l’horizontale. En un mot, toutes les qualités et tous les défauts séduisants, qui peuvent rendre un homme extrêmement heureux ou misérable. Une belle Hongroise sera la femme la plus vertueuse ou la plus malfaisante, selon le milieu où le hasard l’aura jetée, suivant les conditions d’existence que le destin lui aura faites, et la direction bonne ou mauvaise, que les influences ambiantes auront imprimé à l’un ou à l’autre de ses penchants.

Kasimira, l’héroïne de cette histoire, avait en germe tout ce qu’il fallait, pour faire soit une madone, soit une Astartée. Si, bientôt, les sombres puissances l’emportèrent sur les influences célestes, c’est peut-être uniquement, parce que sa famille donna à sa vie, dès le début, une direction pernicieuse.

À l’âge de seize ans, on la maria à un vieillard qu’elle ne put ni aimer ni estimer et qui ne sut lui inspirer que de la crainte. Elle était de haute naissance mais pauvre. Pour ne pas la laisser déchoir davantage de son rang, on jugea qu’il fallait, à tout prix, lui faire faire un riche mariage.

Les conséquences de ce faux calcul furent ce qu’elles sont presque toujours. Lorsque des parents, croyant bien faire, foulent aux pieds l’idéal, latent dans le cœur de leur enfant, ils font, le plus souvent, naître à sa place le dégoût, le haine, le vice ; bien heureux quand l’existence dévoyée n’aboutit pas au crime, au lieu du bonheur calme et de l’estime générale.

Kasimira n’était pas d’un caractère et d’un tempérament à se résigner et à souffrir en silence. Ce mariage austère et sans joies fit promptement, de cette jeune fille précoce et ardente, une femme bizarre, capricieuse, positive, entêtée et orgueilleuse. Elle s’habitua vite à chercher au dehors les satisfactions dont elle était privée dans son intérieur. Mais elle était obligée à beaucoup de prudence afin de ne pas éveiller la jalousie de son vieux mari au tempérament bilieux et vindicatif ; elle tenait surtout à conserver le luxe et la splendeur asiatiques dont elle était entourée. La nécessité de dissimuler et de se contraindre la rendait chaque jour plus astucieuse, plus assoiffée de plaisirs, et plus dépravée.

Kasimira était de cette race sauvage de femmes qui jouent un rôle typique dans l’histoire et dans les légendes de la Hongrie ; de ces femmes qui, pour se conserver éternellement fraîches et jeunes, éternellement belles, n’hésitaient pas à se baigner dans le sang humain, attelaient leurs amants à la charrue, et les accablaient de coups de fouet, qui les faisaient coudre dans des peaux d’ours, et lâchaient sur eux des meutes féroces.

Celle-ci possédait une beauté démoniaque. Sa taille haute et svelte révélait, à chacun de ses mouvements, la souplesse, l’élasticité et l’énergie de la race féline, si gracieuse et si cruelle. Des cheveux noirs comme l’aile du corbeau, et d’une rare abondance, encadraient son charmant visage, dont le teint un peu foncé et légèrement teinté de rouge, rappelait l’Orient. Sous le voile mystérieux de longs et noirs cils, flamboyaient deux grands yeux énigmatiques.

Comme amazone, Kasimira, à force d’audace et de grâce diabolique, attirait l’attention générale, non seulement à Vienne, mais encore dans son pays natal, où elle demeurait tout l’été, allant d’une de ses propriétés à l’autre, excitant l’admiration des femmes presque autant que celle des hommes. Quiconque l’approchait, attiré dans son cercle enchanteur, ne tardait pas à éprouver la puissance magnétique de cette nature souveraine, à laquelle personne ne songeait à résister. C’était à qui s’y soumettrait avec le plus d’empressement et d’enthousiasme. Pourtant, au milieu du cercle où elle régnait environnée d’hommages, en souveraine incontestée, elle se montrait souvent plus impérieuse et plus cruelle que le despote le plus exécrable.

À Vienne, elle était obligée à mettre un frein à sa passion de centaure. Une promenade au Prater et à la Ringstrasse ne pouvait suffire à cette infatigable dompteuse de chevaux.

Pourtant, il lui fallait s’en contenter. Le théâtre, le jeu, les réunions, la lecture, les passions qu’elle-même éveillait parmi la foule des hommes qui l’approchaient, lui prenaient la plus grande partie de son temps. En revanche, en été, quand elle était réinstallée dans son vieux château de magnat, elle ne cessait de parcourir la plaine immense, soit à cheval, soit conduisant elle-même son attelage à quatre chevaux, à la façon d’un héros troyen. Ou bien encore, elle se plaisait à mettre aux abois quelque pauvre renard, ou à poursuivre sans merci un malheureux lièvre, accompagnée d’une suite de jolies femmes et d’hommes enthousiastes, qui s’excitaient mutuellement à sauter devant elle les haies, les fossés, et les obstacles les plus dangereux qu’ils rencontraient, indifférente qu’elle était à leur chûte, insoucieuse de savoir s’ils s’étaient brisés un bras, une jambe, ou même cassé le cou.

Ainsi qu’il arrive souvent dans la noblesse hongroise, son mari s’était généreusement chargé de faire faire ses études au fils de l’un de ses petits employés, devenu orphelin tout jeune encore, et qui montrait beaucoup d’intelligence.

Ce jeune garçon s’appelait Stephan Bakaczi. Il fut placé d’abord dans le collège d’une petite ville, au fond de la Hongrie. Ensuite, le magnat le fit venir chez lui, à Vienne, afin de lui faire achever ses études à l’Université. La première impression que Stephan fit sur son protecteur et sa jeune femme lui fut si favorable qu’on résolut de le traiter comme le fils de la maison.

Stephan était un joli blond de vingt ans, bien bâti, frais, blanc et rose comme une jeune fille. Dans ses yeux bleus, on lisait en même temps une certaine simplicité et un noble enthousiasme. Il était un peu timide et gauche, mais Kasimira se chargea de le former et de le produire : ce serait pour elle une distraction. En effet, il n’y avait pas six mois que l’intelligent étudiant était à l’école de la jeune femme, qu’il avait acquis toute la distinction propre à l’aristocratie.

Au mois de mai, les deux époux s’en allèrent, comme tous les ans, passer l’été dans leurs terres de Hongrie et Stephan resta à peu près seul à Vienne, avec le maître d’hôtel, afin d’y continuer ses études. Le temps des vacances venu, il alla rejoindre ses protecteurs.

Un malheureux hasard fit que Kasimira se trouva seule au château. Son mari, qui s’intéressait beaucoup à la politique de son pays, était parti pour Pesth. En son absence, la jeune femme avide de conquêtes et de plaisirs, était, plus que jamais, condamnée à la prudence, car elle ne doutait pas que son mari ne la fît constamment espionner. Elle ne recevait personne, trouvait la vie fort monotone, et s’ennuyait terriblement.

L’arrivée de Stephan, lui promettant un passe-temps et un changement de vie, était donc pour elle un véritable événement. Elle alla l’attendre à la gare de la station la plus voisine, et le ramena au château, conduisant elle-même son attelage à quatre.

Jusque-là, Stephan n’avait eu de rapports avec la belle magnate qu’en présence de son mari et des étrangers qui se succédaient au palais ; maintenant, il lui allait falloir vivre presqu’en tête-à-tête avec cette femme oisive et passionnée, condamnée à la prudence et au mystère.

Kasimira n’avait rien à faire, et elle voulait s’amuser à tout prix. Elle se mit à flirter avec le jeune homme, sans aucunement penser plus loin. Mais il arriva ce à quoi elle n’avait peut-être pas songé. Timide, innocent, sans expérience de la vie, complètement nourri d’illusions, Stephan prit au sérieux ce qui n’était qu’un jeu pour la belle inoccupée, et, au bout de quelques jours, en tomba amoureux fou. Quand Kasimira se fut rendue compte de la profondeur et de la pureté de la passion qu’elle venait d’inspirer si imprudemment, elle s’abandonna sans résistance à tous ses instincts, et se mit à aimer à sa façon le pauvre étudiant, passant sur lui les caprices et les fantaisies les plus excentriques, parfois les plus cruelles, qui lui venaient à l’esprit. Elle le tourmentait sans cesse, de toutes les façons imaginables. Un jour, elle lui versa de la bière dans son vin, et le força à boire cette mixture infernale jusqu’à la dernière goutte. Une autre fois, elle ordonna à sa camériste de lui mettre des orties dans son lit.

Tout à coup, l’idée lui vint de le faire monter à cheval. L’infortuné disciple d’Horace et de Virgile objecta en vain qu’il ne s’était jamais exercé à l’équitation ; il lui fallut suivre Kasimira au manège, où elle se mit elle-même en devoir de lui donner des leçons.

C’était un tableau à la fois comique et cruel. À chaque instant, le pauvre diable abandonnait la bride pour se cramponner à la crinière de sa monture, tandis que sa féroce maîtresse, debout au milieu du manège, la cigarette aux lèvres, ne cessait d’exciter le cheval à grands coups de fouet. Stephan tomba plusieurs fois, mais toujours il remonta, stimulé par les rires et les moqueries de son tyran, et en dépit des meurtrissures de ses bras et de ses jambes.

Mais ce divertissement barbare était loin de satisfaire les instincts cruels de l’amazone ; pour contraindre son malheureux adorateur à rester à cheval, elle eut recours à un moyen énergique, très usité en Hongrie ; elle le fit attacher par




les genoux aux étriers, sauta elle-même en selle, et saisissant la bride du cheval de Stephan, elle partit au galop, entraînant avec elle sa pauvre victime, à travers la plaine.

Après une course sauvage de plus d’une heure, elle ramena le jeune homme au château, plus mort que vif. Quand on l’eut détaché, il était incapable de descendre seul de cheval ; les palefreniers dûrent le soulever dans leurs bras, et le porter jusques dans sa chambre. Loin de manifester la moindre pitié, Kasimira se prit à rire et à railler son innocent souffre-douleur.

Étendu sur un vieux sofa râpé, tous ses membres endoloris et comme roués, l’infortuné jeune homme réfléchissait et cherchait à comprendre comment il avait pu exciter à ce point l’aversion de cette femme qu’il aimait tant ; car la façon dédaigneuse et cruelle dont elle le traitait, depuis quelque temps, ne pouvait être inspirée que par la haine. Sur ces entrefaites, il arriva une chose que Stephan n’aurait jamais osé espérer, Kasimira entra dans sa chambre, s’assit à son chevet, lui témoigna une grande compassion, et continua de causer avec lui avec une amabilité qu’il ne lui avait jamais connue.

Il fut à la fois surpris et charmé ; pourtant, ce ne fut pas tout. Soudain, cette femme, si fière et si belle, entoura de ses bras la tête de Stephan, et la couvrit de baisers. Troublé jusqu’au plus profond de son âme, éperdu, ravi, le pauvre garçon oublia subitement ses souffrances et la course folle qui les lui avait causées ; il oublia jusqu’aux ricanements encore plus cruels de cette femme qu’il adorait ; il se jeta à ses genoux, l’enlaça de ses bras qu’elle avait torturés, lui balbutia les mots d’amour les plus doux, lui dit tout ce qu’il éprouvait avec une puissance de sentiment et une éloquence d’expression dont il ne se serait pas cru capable quelques minutes plus tôt.

Cette même nuit, Kasimira fut à lui, ou, plutôt, il fut à elle ; car cette femme ne se donnait jamais complètement, elle attirait dans ses bras avec une passion furieuse l’homme aimé pour l’instant, et le repoussait ensuite avec dédain le jour où elle ne l’aimait plus.

Enfin, il fut à elle, et, à partir de ce jour, le vieux château, naguère solitaire et désert, sembla tout-à-coup peuplé d’une multitude de petits lutins joyeux et d’amours espiègles, qui en firent un séjour tout enguirlandé de roses.

Malheureusement, cette ravissante idylle ne dura pas assez longtemps. Le vieux magnat ne tarda pas beaucoup à revenir ; et, depuis ce jour, les deux amoureux furent à peu près privés de leurs doux tête-à-tête.

Mais Kasimira n’était pas d’un caractère à supporter longtemps cette contrainte. Pendant que son mari jouait aux échecs avec Stephan, elle restait des heures entières à réfléchir, étendue sur un divan, ou bien montait à cheval, s’élançant à travers la poussta[1], dévorant l’espace, ses cheveux dénoués, flottant au gré du vent.

Quoi qu’elle fît, chez elle ou au milieu de la poussta, elle sentait vaguement monter à son cerveau et s’agiter comme autant de démons, un tas de pensées mauvaises. Ce fut un hasard qui lui révéla ce qui se passait en elle, et ce qu’elle désirait ardemment, depuis longtemps, sans le savoir.

En ce temps là, le brigandage florissait en Hongrie. Il ne se passait pas de jour où l’on n’entendit parler de quelque vol important, audacieux, ou d’un assassinat épouvantable. Le gouvernement avait proclamé la loi martiale : des colonnes militaires parcouraient continuellement le pays, la potence ne chômait plus. Néanmoins la répression, quoique implacable, n’apporta aucun remède à la situation.

Selon la coutume régnante, le mari de Kasimira conclut avec les brigands une espèce de traité conditionnel, par lequel il s’engageait à leur verser une somme déterminée et à les entretenir princièrement chaque fois qu’ils viendraient lui demander l’hospitalité. À ces conditions, le magnat et ses gens étaient assurés contre toute attaque, contre tout meurtre ou toute déprédation de la part des brigands.

Un beau jour les brigands firent annoncer leur visite. On se prépara à leur faire faire ripaille et à les divertir. De la cave, on monta des futailles de vin vieux, on engagea des musiciens tsiganes et des filles. Bientôt survinrent les brigands qui firent bonne chère, eurent franches lippées et se réjouirent à leur guise. Ils étaient en train de valser gaiement aux sons d’un czardas[2], quand un de leurs espions accourut tout à coup leur annoncer l’imminente arrivée des dragons.

En un clin d’œil, ils furent sur leurs chevaux, toujours sellés d’avance, piquèrent des deux et brûlèrent la politesse aux envoyés du roi.

Le châtelain fut vivement contrarié de cet incident : les brigands, pensa-t-il, n’allaient pas manquer de penser qu’il les avait trahis, et se vengeraient sur lui !

Comme il exprimait ces appréhensions à Kasimira, ce fut, pour celle-ci, comme un trait de




lumière. Jamais plus belle occasion ne s’offrirait à elle de devenir indépendante, tout en continuant à vivre dans une opulence princière.

Sous l’obsession de cette pensée criminelle qui lui faisait oublier toute prudence, elle alla, la nuit venue, rejoindre son jeune amant.

Enlacée à lui, dans l’enivrement des caresses, elle exposa à Stephan son plan diabolique. Le jeune homme en demeura épouvanté et la conjura de renoncer à son abominable projet. Mais, elle, invoqua l’amour, la passion que lui, Stephan, avait su lui inspirer, lui fit entrevoir le bonheur sans nuages qui les attendait, une fois libres l’un et l’autre, au sein du luxe et des richesses : elle fut, tour à tour, suppliante et menaçante, et finit par laisser à son amant le choix entre la perte de sa possession ou un crime.

Quand elle l’eut quitté, Stephan, éperdu de jouissance, et que l’idée de l’abandon de sa superbe maîtresse avait rendu lâche et infâme, se résolut au plus abominable des forfaits : il tuerait ou laisserait tuer son bienfaiteur.

Quelques jours plus tard, le magnat fut obligé de se rendre chez un de ses voisins pour y traiter de l’achat d’une forêt. Il partit seul, à cheval, de grand matin. Il devait être de retour dans la soirée : le lendemain, il n’avait pas encore reparu !

Kasimira fit alors seller son cheval et, accompagnée de plusieurs de ses gens, se mit à fouiller et à battre les alentours à la recherche de son époux. Finalement, ce dernier fut découvert gisant au milieu d’une mare de sang dans un fossé de la grand’route : il avait été assassiné et volé.

Kasimira sauta à bas de son cheval et se jeta sur le cadavre du magnat, son feu mari, en jetant des cris de désespoir. On dut la ramener au château à moitié évanouie.

Toutes les recherches faites pour découvrir l’assassin demeurèrent vaines. On finit par être convaincu que ce crime était l’œuvre des brigands qui s’étaient ainsi vengés de la prétendue trahison du châtelain.

Mais un beau jour, le chef de la sûreté reçut un billet rédigé en latin bizarre, dans lequel on l’assurait, au nom des brigands, qu’aucun d’eux n’était coupable de cet assassinat gratuitement mis à leur charge, et qu’ils lui conseillaient d’en rechercher l’auteur dans « l’entourage immédiat » du magnat.

Le magistrat se rendit aussitôt au château en vue d’en interroger le personnel.

Fort calme, bien que visiblement en proie à la plus vive affliction, Kasimira, aux questions du magistrat, répondit qu’elle ne soupçonnait personne autour d’elle et qu’elle était, au contraire, absolument certaine que le meurtre du feu magnat, son mari, était un acte de vengeance de la part des brigands.

Néanmoins, en magistrat consciencieux, le chef de la sûreté se mit en devoir d’interroger minutieusement tous les hôtes du château, les uns après les autres. Le résultat de cette enquête fut nul. Le magistrat demeura convaincu qu’aucune des personnes qu’il avait interrogées n’avait trempé dans l’assassinat du magnat.

Stephan se trouvait alors absent du château.

Comme le magistrat s’éloignait, suivi de ses pandours, Stephan, rentrant tout à coup, se rencontra avec lui dans la cour du château. Le jeune étudiant pâlit soudain à la vue du magistrat qui ne lui avait cependant jeté qu’un coup d’œil distrait. Aussitôt, un soupçon terrible vint à l’esprit de l’inspecteur de la sûreté qui se mit incontinent en devoir d’interroger le nouvel arrivé et donna l’ordre à son escorte de surseoir au départ.

Stephan se troubla et ses réponses parurent tellement embarrassées, tellement incohérentes, que, finalement, il fut mis en état d’arrestation. Une heure après, poussé dans ses derniers retranchements il avouait son lâche et abominable forfait. Aussi bien, comme il affirma opiniâtrement n’avoir aucun complice, il fut sommairement jugé et condamné à être pendu le jour même.

Comme on s’emparait du malheureux et lui liait les mains au dos, il se prit à trembler de tout son corps, et, fixant le château de son bienfaiteur, se mit à sangloter et à verser de chaudes larmes. Il aperçut alors, au milieu de son angoisse, à l’une des fenêtres du château, la femme méprisable dont l’influence diabolique avait fait de lui, âme simple et honnête, un abominable criminel.

Le beau monstre féminin ne broncha point, soutint son regard et ne témoigna pas la plus légère émotion. Quelques instants plus tard, le corps du malheureux Stephan se balançait inerte à la potence.

Ce terrible événement n’empêcha pas Kasimira de se rendre ce même jour dans une ville de bains bohémienne. Au milieu des bruyants plaisirs de l’élégante société de ce lieu enchanteur, elle eut tôt fait d’oublier les mânes outragées de mari et d’amant. L’hiver suivant, on la vit à Paris aux côtés d’un bel et élégant Polonais qui, ainsi que d’aucuns le soutenaient, n’était qu’un aventurier de la pire espèce. Elle se rendit ensuite à Vienne où, obéissant à la fougue de ses passions, elle se livra aux pires orgies.

Quelques années s’écoulèrent, puis on vit à Bade une femme prématurément âgée, au visage malicieux de vampire et au regard éteint, transportée dans un fauteuil roulant. Chacun s’éloignait d’elle et évitait de lui parler. Elle était alors paralysée et ne pouvait que difficilement s’entendre par signes avec un vieux serviteur qui la traînait çà et là dans le parc.

C’est cette même femme qui, jadis, avait été la superbe et joyeuse amazone : Kasimira !…

Il lui fallait maintenant supporter le châtiment mérité de ses œuvres sanguinaires !



  1. La plaine en hongrois.
  2. Orchestre hongrois.