Victor Palmé ; G. Lebrocquy (p. 265-278).


CHAPITRE XXI

Mme ANDRÉ LÉO[1]




I


C’est un nom, fait avec les deux noms de ses enfants. Gracieuse idée de mère qui a épuisé dans ce mot toute sa grâce ; car, d’elle-même, Mme André Léo est peu gracieuse. Un tel pseudonyme laisse si bien rayonner la femme, que quand il commença de poindre, il y a quelques années, dans la littérature, on ne dit point « André Léo » ainsi qu’on avait dit, tout d’abord et longtemps, masculinement, et sans se gêner, « George Sand. » On dit Mme André Léo, et presque avec respect.

C’est qu’elle est plus femme que Mme Sand, Mme André Léo ; c’est qu’elle a davantage la caractéristique de la femme, la préoccupation maternelle. Je ne la connais pas personnellement ; et, d’ailleurs, on peut douter de tout, quand on pense que Mme de Sévigné n’aimait sa fille que dans l’absence et qu’elle n’était rien de plus qu’une grande artiste en sentiment maternel… Grande artiste, Mme André Léo ne l’est d’aucune manière ; mais elle n’en a pas moins l’accent maternel, bien plus que Mme Sand, qui a un autre accent moins pur… Mme André Léo, qui a failli (j’en ai vu l’heure) détrôner Mme Sand dans l’opinion, qui l’a sacrée la première femme de son temps, est un bas-bleu foncé, trop conglutiné dans son indigo, pour être jamais la créature, enflammée et inspirée, qu’on appelle une grande artiste. Son esprit a, pour cela, trop de côtés déplaisants, ambitieux, pédantesques. C’est une espèce de Mme de Genlis de la libre pensée. Seulement, au lieu du coqueluchon du xviiie siècle, elle a mis le bonnet rouge des tricoteuses… Mme de Genlis, tout bas-bleu qu’elle fût, échappait aux défauts de tous les bas-bleus en général, et de Mme André Léo en particulier, par sa haine du philosophisme révolutionnaire et par l’idée chrétienne qui souvent affermit son bon sens. Mais Mme André Léo qui, au contraire, a la philosophie et la révolution au plus profond de sa cervelle, Mme André Léo, cette pédante et cette endoctrinante, sans les qualités de Mme de Genlis… Vous voyez bien ce qu’il en reste !

Il en reste une Institutrice, — l’institutrice qu’on retrouve sans cesse dans Mme de Genlis. On se rappelle que Mme de Genlis l’avait été, de fonction. Mme André Léo a bien pu l’être. Je me suis laissé dire qu’avant d’être délibérément femme de lettres, elle et son mari avaient professé quelque part… Le mari est mort, la femme, — sans école, — dans ses livres, professe toujours. Elle y a suprêmement ce ton maîtresse d’école, faisant la classe à la Démocratie, cette enfant terrible qui a tant besoin de leçons ! Elle n’écrit point de traités d’éducation individuelle, comme l’auteur d’Adèle et Théodore. Ses romans, à elle, ont une prétention plus haute. Ils ont pour visée l’éducation du peuple et la correction de la bourgeoisie, — de cette bourgeoisie, haïe et méprisée, qui périt (croit-elle naïvement Mme André Léo) pour n’avoir pas donné au peuple la forte instruction qui aurait tout sauvé. Ses romans, au fond, ne sont guère que des Almanachs du Bonhomme Richard, sous forme romanesque… Mme Sand, je l’ai dit, descend de Rousseau et Mme Colet, de Diderot. (Pauvre Diderot ! d’avoir une pareille fille ; mais les libertins ne savent pas tous les bâtards qu’ils font ; sans cela ils ne les feraient pas !) Mme André Léo, à son tour, descend de Franklin, et elle n’en a pas la bonhomie. La bonhomie, comme le mot le dit, n’est pas une qualité de femme. Je vous défie de vous figurer Franklin avec un cotillon. L’utilité, chez Mme André Léo, étrangle perpétuellement la poésie, quoiqu’elle parle beaucoup d’idéal, cette femme pratique. Mme André Léo ne se débarrasse jamais entièrement de ce ton d’institutrice, qui apprend ses devoirs et ses droits au pauvre monde, et qui gâte, à toute place, le talent qu’elle aurait peut-être sans cet insupportable ton. La raideur de l’institutrice, — de ce piquet intellectuel qu’on appelle une institutrice, — supprime les mollesses de la femme, qui feraient son génie, comme les rondeurs font sa beauté, et durcit, quand elle l’a, jusqu’au sentiment maternel. Mme André Léo, toute mariée qu’elle ait été (est-ce à l’autel de la Nature ? comme dit Michelet) et toute mère qu’elle se trahisse encore, fait l’effet d’une vieille fille, à l’imagination de son lecteur. C’est, du reste, l’effet que font les bas-bleus, quand ils ne sont pas hardiment des courtisanes qui s’affirment. Mme André Léo n’a point de souplesse. Les reins de son esprit sont soudés, et c’est l’institutrice qui se dégage avec le plus de netteté de tout l’ensemble de ses livres, à cette Enseignante, — il faut bien le dire, un peu cuistre, — qui professe l’instruction obligatoire et la morale indépendante et qui écrit des romans pour élargir, à la mesure d’un plus grand cercle, la petite classe qu’elle faisait peut-être autrefois, et pour, de cette manière, continuer son ancien et rogue plaisir de professer.

Ses livres sont assez nombreux. Les premiers parurent dans les années qui suivirent 1860. Mais sa réputation ne date que d’Un Mariage scandaleux publié, je crois, en 1869. Jusque-là, elle était restée obscure ; elle n’était pas sortie de cette carapace d’obscurité, dont l’épaisseur, toujours difficile à percer, est proportionnelle au talent qu’on a et à la bêtise de la foule. Mais à dater d’Un Mariage scandaleux, elle fut regardée par cette partie de l’opinion démocratique qui se croit littéraire, comme une seconde Mme Sand, — la Mme Sand de la Démocratie sévère ; par conséquent, une Mme Sand bien supérieure à la première, par le sérieux, la direction et la portée. Rien d’étonnant. Il y a dans Mme Sand quelque chose qui doit mortellement déplaire aux Inséductibles de la Démocratie. Je l’ai écrit de son vivant, alors qu’on élevait la réputation de Mme André Léo contre la sienne. Il est quelque chose de primitivement comme il faut en Mme Sand, dans cette femme comme il ne faut pas. Elle a fait tout ce qu’elle a pu pour chasser de ses veines la goutte de sang aristocratique qui y coulait. Mais cette goutte de sang, qui y est restée, faisait, aux yeux des démocrates, des purs, des absolus, des vrais citoyens, qui l’y voient toujours, tache dans son rubis, à cette Rouge[2] ! Chez Mme Sand, la femme a beau descendre, on voit bien qu’elle descend, ce qui implique qu’on vient de plus haut que ceux à qui on se donne[3]. Quoique la malheureuse ait volontairement dérogé, quoiqu’elle se soit prostituée aux idées de son siècle, elle n’est cependant pas pour rien la petite-fille du maréchal de Saxe, fût-ce, comme dirait Saint-Simon, par le mauvais côté de la courte-pointe. L’élément résistant en elle, c’est la race, — la race qu’on dégrade, mais qu’on n’abolit pas, quand même on coucherait avec tous les valets de Mme de Warrens, les uns après les autres ! Mme Sand rappelle le marquis de Lafayette, qui, platement révolutionnaire, et voulant s’aplatir encore davantage, est toujours resté, de manière et d’esprit, un grand seigneur. Dans un temps où la poésie du siècle était l’adultère, il fallut les adultères de toute sa vie et son existence de bohème (délicieusement affolante au regard des esprits d’alors) pour qu’on pardonnât à Mme Sand de n’être pas, en réalité, aussi voyou qu’elle se vantait d’être. Elle n’était pas tout à fait de la sainte canaille. Mme André Léo n’avait pas de tels empêchements à sa gloire. Elle avait le bonheur et l’honneur d’être petitement née. Elle ne déconcertait point, par les débordements de sa vie, l’hypocrisie d’un parti qui nous a volé Tartuffe, à nous autres dévots, et qui, malgré sa haine du blanc, n’en a pas moins ses sépulcres blanchis ! Matrimoniale, elle n’écrivait point l’apologie de l’adultère. Comme Mme Sand, elle ne fondait pas les Rosières du Vice, et ne couronnait pas de roses et de chêne des courtisanes. Elle devait être correcte de mœurs. On la sent puritaine. Dans Mme Sand, il y a du xviiie siècle, même aux dernières années de sa vie, quand elle caressait de sa vieille main de douairière, autrefois charmante, les cheveux des jeunes gens, assis au piano, dans son salon de Nohant ! Dans Mme André Léo, il n’y a que du xixe siècle — du xixe siècle positiviste, impie, moraliste sans Dieu rémunérateur, qui veut que la vertu des femmes soit d’être des hommes… Sa prétention d’épurer l’amour et d’établir les unions libres, si chère aux bas-bleus, ne lui appartient pas ; c’est celle de son temps. Réformatrice sans originalité, bas-bleu, encore plus maussade que sévère, prêcheuse infatigable d’infini et d’idéal, sa préchaillerie ne l’a conduite qu’au fini et au très-réel de la Commune, dont elle a partagé l’exil. C’est la Commune qui a interrompu sa renommée et qui l’a replongée dans l’obscurité et dans le silence. Elle s’est terrée à Genève et s’y tait. Republiera-t-elle quelque jour ?… Les bas-bleus ne se taisent pas si vite ! Il n’y a pas, pour eux, de Trappe, ni de silence, ni de repentir…

Je ne crois point, en effet, que Mme André Léo se repente. Elle restera le genre de femme qu’elle est. Elle doit avoir cette espèce de caractère qui est de la volonté continue… Elle l’a prouvé, du reste. Dans un de ses romans (l’un des plus longs et des plus travaillés), elle a montré cette volonté, continue et indépendante, en se séparant bravement des frères et amis, ces enchaînés d’opinion qui voudraient enchaîner tout le monde au nom de la liberté, sur une des questions qui tiennent le plus au cœur de la Démocratie, et que cette recommenceuse éternelle de révolutions et de questions révolutionnaires a recommencé d’agiter !


II


C’est la question du Divorce. Mme de Staël l’a touchée un jour, avec l’éclat d’esprit qui caractérise sa manière ; mais bas-bleu ce jour-là, car, malheureusement, cette adorable femme avait des jours de bas-bleuisme, elle avait montré que nulle créature de son sexe n’a la pensée assez mâle pour résoudre une question à la taille du grand Bonald, puisqu’elle-même, Mme de Staël, ne le pouvait pas ! Mme André Léo qui n’est pas une Mme de Staël, et qui est peut-être assez démocrate pour la mépriser, Mme André Léo, qui doit haïr le catholique Bonald, comme étant trop homme, a voulu se colleter à son tour, avec cette question du Divorce, qui, pour la femme, enferme toute sa destinée ; mais, chose dont il faut lui tenir compte, elle a méprisé les opinions athées de son parti. Je trouve, en effet, dans son roman intitulé : Le Divorce, ces paroles qu’elle met dans la bouche du personnage qui représente l’opinion philosophique de l’auteur. « L’avenir consiste dans la recherche des lois naturelles, révélation incontestable et sûre de la pensée divine. Or, dans le mariage, l’individu peut-il être considéré comme s’il était seul ? Ils sont trois désormais ; lien vivant, indivis, impartageable, qui rive ensemble les deux époux. Le mariage est une loi dont les hommes, pauvres sacriléges, ont voulu faire une institution… Si j’étais législateur, j’écrirais un seul article dans le code humain. L’Amour OU le mariage étant d’institution divine est nécessairement indissoluble. La loi civile ne peut l’établir. Elle le constate, soit en vertu de la libre déclaration de l’homme et de la femme, soit par l’acte de naissance de leur premier-né. » Ces paroles, malgré ce qu’elles ont d’incorrect, grammaticalement et métaphysiquement, montrent assez bien l’embarras douloureux d’un esprit primitivement assez juste, qui souffre de sa justesse, pour s’être fourvoyé dans les idées décadentes d’un temps qui a passé par le panthéisme de Hegel, et qui s’est retourné vers le naturalisme de Darwin. Mme André Léo, probablement née avec cet instinct religieux qui fait tendre en haut la créature humaine, y tend encore, dans les idées qu’elle vient d’exprimer ; mais tendance vaine ! elle a beau se débattre dans le vague de la philosophie, elle y demeure, affirmative de langage, mais sans un principe auquel elle puisse rattacher la législation qu’elle invente. Pour qui croit que les lois naturelles sont encore à découvrir, il n’y a pas d’institution possible dont on puisse affirmer autre chose qu’une nécessité de fait, sans mortelle inconséquence ; et voilà pourquoi la petite théorie, religieuse et sentimentale de Mme André Léo, s’est brisée en quatre morceaux ! Mme André Léo n’a pas étouffé toute la femme dans ce bas-bleuisme qui a pour visée de la supprimer. Elle l’a faussée en elle, mais elle ne l’a point supprimée… et dans sa théorie, prétentieuse de cerveau, apparaît encore cette mamelle de la femme que les odieuses Amazones du bas-bleuisme contemporain se coupent, pour mieux combattre contre nous !

Elle n’est point de ces Abominables. Elle n’a pas la grâce. Elle n’a pas le charme. Mais elle est femme encore… Elle n’a pas, comme Mme Louise Colet, cette insolence (à fouetter) de Théroigne de Méricourt, dans son amazone écarlate, elle n’a point de cravache que nous puissions retourner contre elle. Elle a peut-être été bien élevée. Il faut qu’elle l’ait été, pour avoir gardé son atome de femme, à travers ce pédantisme dont elle est affligée et une éducation que j’imagine être de seconde main, et qu’elle doit peut-être à son mari. Elle a, dans ses livres, l’œil baissé, la contenance pudique… quelque chose d’opiniâtrément subsistant et de ressemblant à la décence romaine ; mais le fuseau de la Matrone est tombé dans l’encre moderne et elle l’a taché de cette encre. Avec cette air vieille fille que le bas-bleuisme endoctrineur lui a donné, Mme André Léo croit, comme les vieilles filles, à l’amour qu’elle confond avec le mariage, dans sa théorie ; menée, malgré elle, à cette conclusion que le but de la vie, c’est le bonheur du cœur, — la grande idée, hélas ! pour toutes les femmes, même pour Mme de Staël, la plus intelligente de toutes, qui a écrit l’Influence des passions, ce livre qui veut être un livre philosophique, et qui n’est que le magnifique cri d’une magnifique sensibilité !


III


Pas de grâce ! Pas de charme ! Par conséquent pas de grande artiste, et même pas d’artiste du tout ! Ce roman du Divorce, un de plus soignés de Mme André Léo, — esthétiquement — n’existe pas. C’est, comme tous ses autres romans, une thèse plus ou moins cachée… On s’y perd dans les personnages et aucun n’a de physionomie qui s’impose à l’imagination et qu’on se rappelle. Chose à noter, dans les romans écrits par des femmes ! Preuve irréfragable de leur profonde médiocrité ! On ne s’en souvient plus, peu de temps après qu’on les a lus. Écrits avec du fusain, qui est une poussière, ils s’en vont, comme la poussière, au moindre souffle… On se rappelle Mme André Léo, bien plus par les idées qu’elle défend que par ses ouvrages… Or, si l’artiste n’y est point, à quoi bon des romans ? Pourquoi pas simplement des Traités ? Mais c’est que le roman porte, bien plus loin que le Traité, l’idée qu’on veut populariser, et c’est là de l’utilité encore. Mme André Léo se distingue par le prosélytisme d’une philosophie qui est, à peu près, celle de Proudhon. Mais Proudhon, appliqué au roman, doit donner quelque chose comme l’ennui d’un Grandisson dépassé… L’avocasserie pour les droits de la femme détermine beaucoup plus les livres des bas-bleus que la vocation des belles œuvres. Littérairement, et dans l’ordre démocratique, Mme André Léo est à peu près ce qu’est Mgr de Ségur dans l’ordre catholique, mais sous une forme romanesque, imitée de Mme Sand, — de la Mme Sand des dernières années, enrhumatismée de philosophie et qui a perdu la petite fleur de bohème adultère, par laquelle elle a réussi.

Les romans de Mme André Léo sont certainement plus honnêtes que les libertinages de Mme Sand, mais leur morale ne vaut pas les petits livres du prêtre. Ce bas-bleu philosophe ne peut pas avoir la naïveté, l’humilité, la charité du doux prêtre qui, comme Notre Seigneur Jésus-Christ, se fait suavement petit avec les petits pour mieux les enseigner. Mme André Léo n’a, elle, de charité que pour l’orgueil de l’ouvrier qu’elle développe autant qu’elle le peut… et dont, partout, dans tous ses ouvrages, depuis un Mariage scandaleux, qui est une mésalliance, jusqu’aux Désirs de Marinette et Double Histoire, elle aiguise les haines et encourage les mépris contre la Bourgeoisie, en vue des soulèvements qui, demain, vont éclater… Elle chauffe à outrance cette marmite au pétrole, qui peut tout brûler, avec l’air de n’y pas toucher, cette innocente, réfugiée à Genève ! Est-ce hypocrisie ou aveuglement inepte ?… Ignorante, le croira-t-on ? cette Institutrice du peuple, cette doctoresse du baccalauréat, ignorante, comme une carpe, des choses qu’elle devrait le mieux savoir, puisqu’elle les attaque et qu’elle a l’ambition de les détruire, elle est surtout, et mesquinement, jalouse des Frères de la Doctrine chrétienne, de ces robustes éducateurs du peuple, tirés des entrailles mêmes du peuple et à qui elle voudrait arracher l’enseignement pour le remplacer par le sien. Vous êtes orfévre, Madame Josse ! Elle déteste, en eux, le christianisme qu’ils apprennent à la jeunesse future, parce que le Christianisme c’est le passé du monde et de la France, et « ce qu’on doit haïr, c’est le passé, » dit-elle avec la rigueur d’un axiome. Pour en arriver là, elle ramasse, d’une main sans fierté, les plus sottes idées de ce sot temps sur le Péché originel et sur la Grâce, qui sont tout le christianisme, et elle les lui lance à la tête, ces sottes idées qu’elle sait peut-être sottes… « Quand je vis, dit-elle quelque part avec la nonchalante fatuité d’une raisonneuse dépaysée, qu’Il (Dieu, — notre Dieu, à nous !) ne valait pas mieux que les hommes, j’y renonçai. » Dieu fut bien attrapé et elle le remplaça par l’Idéal, cette billevesée allemande, dont elle a dit ailleurs : « Le créateur de l’idéal, c’est l’amour. » Si elle s’entend, c’est une athée. Mais qu’est-elle, si elle ne s’entend pas ?…

Elle est un cerveau brouillé et en révolte, et dont la révolte manque même de puissance. On l’a vu, et j’ai pris plaisir à le reconnaître : Mme André Léo a, dans la question du Divorce, été moins femmelette femelle que les femmelettes mâles de son parti ; mais en dehors de cette question, elle n’est plus qu’un bas-bleu de la troupe et qui ne sort jamais du rang… Elle a toutes les idées communes aux bas-bleus. Elle a la négation raisonnée de toute autorité et de toute hiérarchie, la fureur de l’égalité avec l’homme, dans l’intelligence, dans les œuvres, dans l’amour et surtout dans le mariage… Les femmes du temps de Molière ne faisaient que les savantes, et lui, en faisait des personnages de comédie. Elles ne s’occupaient que des sonnets de Trissotin et des ballades de Vadius. Mais à présent qu’elles ont passé du monde littéraire dans le monde moral et social, elles veulent absolument être de petits hommes — et les maris de leurs maris !

Sodome intellectuelle, vers laquelle nous marchons à grands pas. Il ne faut pas s’épouvanter des mots, lorsqu’on n’a pas peur des choses. Voilà où nous allons, si on laisse faire ces fourmis travailleuses qui nous préparent la société de l’avenir ; si de temps en temps, un vigoureux coup de pied du Bon Sens, dans leur fourmilière, n’écrase pas quelques-unes d’entre elles…


IV


Quant à Mme André Léo, elle s’écrase elle-même sous ses livres et sous leur lourdeur. Elle n’est, en fait de talent, ni une Cléopâtre, ni une Armide. Il est des talents dangereux. Ce n’est pas le sien. Ennuyeux, il le serait davantage. C’est une de ces femmes qui doivent croire que l’ennui, dont elles nous accablent, est une dignité. Elle dépasse en pédantisme de toute sorte, toutes les plus fortes pédantes de l’Angleterre, cette terre natale des bas-bleus, qui les a vomis sur le monde et à qui je voudrais les faire ravaler !

Que sont miss Edgeworth, miss Inchbald Simpson, miss Martineau et toutes les misses du diable de l’Angleterre, qui ont écrit des livres moraux sur l’éducation et sur le mariage, en comparaison de Mme André Léo, l’auteur du Mariage scandaleux et des Filles de M. Plichon ? Que sont-elles, toutes ces sèches et longues institutrices anglaises, qui sentent leur esclavage et qui tordent leurs malheureuses échines sur le pal qui les embroche, et sur lequel elles tournent, au feu du désir… de n’être plus des institutrices, auprès de cette sybarite de Mme André Léo, qui trouve cette fonction d’institutrice savoureuse et voluptueuse et qui, mêlant l’amour de la science à l’amour chaste de l’amour, crée, dans ses romans, des Abeilards sans catastrophes, lesquels font, en même temps, à leurs maîtresses la classe de l’amour ; puis, après les épousailles, ouvrent une école et sont ensemble pour la vie, conjugalement, institutrices et instituteurs. Tout ne finit point par des chansons, dans les romans de Mme André Léo ; mais tout y finit par des Instituteurs et des Institutrices ! Mme André Léo nous donne même le programme de leurs institutions et le voici pour qu’il vous serve : Minéralogie et physique, zoologie et agriculture, philosophie et pas d’histoire…, vous savez pourquoi ? Tous ses romans pourraient s’appeler Bucolique et Zoologie ! Les Pasteurs de Virgile n’y sont pas, mais les agriculteurs du Progrès, avec leurs charrues mécaniques et l’économie philanthropique de la sueur humaine sur le sillon, car le travail, c’est la liberté ! Mme André Léo, cette multiplicatrice d’institutrices comme elle, est aussi une institutrice agricole. Elle ne se contente pas de peindre la campagne, elle la cultive et la fume… On est étonné dans ses œuvres de l’amour de la nature qui se voit, à côté de la nature qui rapporte… On est étonné de ces descriptions, romantiques et mièvres, sous la plume d’un écrivain si sérieux, quand tout à coup au milieu d’elles, dans le plus brillant de leurs draperies et de leurs déroulements de paysages, il se fait un trou ; et la tête de l’institutrice passe par ce trou et nous lâche des phrases de cette institution : « l’âme échappant aux lois dont elle fait partie, habite le monde absolu des idées où la durée s’absorbe dans l’éternité de l’être. » Et pour dire… quoi ? toute cette éruption de petite vérole panthéistique ? Pour dire qu’entre amoureux qui vont ensemble, le temps paraît court ! Et encore pour dire… qu’on vit l’ombre de deux personnes assises au soleil, elle écrit doctement : « Les deux corps, producteurs de l’ombre, venaient de s’asseoir ! » Quelle production que ces producteurs ! Ce sont là des façons de s’exprimer qui sentent la caque de ce hareng, et ce sont ces charmants langages qui empêcheront, malgré la purulence démocratique universelle, les romans de Mme André Léo de s’asseoir dans l’opinion et dans le succès. On le comprend ; il y a trop de ridicule égayant l’ennui et par trop d’ennui attristant le ridicule, dans ces romans anti-bourgeois, et d’un style bourgeois pourtant, où Dieu c’est l’idéal, et l’idéal un champ de pommes de terre, et la Providence l’affinité ! Mme André Léo, cette pecque, est un bas-bleu qui ne ressemble en rien aux bas-bleus cocottes, à bottines et à traînes. Elle, c’est le bas-bleu économique, en sabots et en lunettes, et fière également de ses lunettes et de ses sabots.

Mais ce n’est pas encore celui-là qui dévirilisera la France !!!




  1. Les filles de M. Plichon. — Attendre et espérer. — Le Divorce. — L’Idéal au village. — Le Mariage scandaleux, etc., etc.
  2. La Veilleuse.
  3. Id.