Les Ballons
Revue des Deux Mondes3e période, tome 67 (p. 113-141).
LES
BALLONS


I

Pierre Montgolfier, riche fabricant de papier à Vidalon-lès-Annonay, eut un grand nombre d’enfans. Nous n’en connaissons que deux, Joseph et Étienne. Joseph, l’aîné, né en 1740, avait, paraît-il, un caractère fort indépendant et presque sauvage ; il s’échappait à treize ans du collège de Tournon pour aller vivre de coquillages au bord de la mer. Retrouvé bientôt, dans un grand délabrement, et réintégré dans sa pension, il y rapporta le même dégoût des études littéraires qu’on lui imposait et qu’il détestait. En revanche, il fut pris d’un sérieux enthousiasme pour les mathématiques, la physique et la chimie, et, quand il se sauva une deuxième fois, c’était pour fabriquer du bleu de Prusse et diverses drogues qu’il vendait lui-même. Étienne, au contraire, de cinq ans plus jeune, écolier modèle, réglé dans ses goûts, promettait de devenir et fut toute sa vie un homme du monde accompli, un littérateur plutôt qu’un savant.

C’est Joseph qui eut la première idée des ballons. On raconte diversement comment elle lui vint ; les uns disent, — il faut toujours qu’il y ait une histoire, — que c’est en voyant monter au plafond le jupon de Mme Montgolfier, sa mère, jupon qu’on faisait chauffer pendant l’hiver sur un mannequin d’osier. C’est une histoire sans authenticité, fabriquée pour donner au récit une couleur littéraire. Suivant d’autres, Joseph étant d’Avignon cherchait au coin de son feu le moyen d’entrer à Gibraltar, alors assiégé par les Anglais, lorsqu’il vit une feuille de papier, échauffée par le foyer, monter dans la cheminée avec la fumée. Il faut oublier ces histoires ridicules : la simple vérité est que Joseph Montgolfier, qui avait étudié et mesuré la dilatation des gaz, savait que l’air, suffisamment échauffé, devient deux fois plus léger et peut s’élever en emportant son enveloppe. Il fit en petit une épreuve qui réussit à son gré, se confia à son frère Étienne, l’associa à sa fortune, et fit avec lui la célèbre expérience qu’il a lui-même racontée avec autant de simplicité que de clarté.

« La machine aérostatique, dont l’expérience fut faite devant Messieurs des états généraux du Vivarais, le jeudi 5 juin 1783, était construite en toile doublée de papier, cousue sur un réseau de ficelles fixé aux toiles ; elle était à peu près de forme sphérique et sa circonférence était de 110 pieds ; un châssis en bois la tenait par le bas. Ce châssis laissait libre, au bas du ballon, une ouverture pour l’introduction du gaz intérieur, qui pesait moitié moins que l’air extérieur ; la machine pouvait s’élever et entrainer un poids de 490 livres.

« Deux hommes suffirent pour la monter et la remplir de gaz, mais il en fallut huit pour la retenir, qui ne l’abandonnèrent qu’à un signal donné ; elle s’éleva par un mouvement accéléré, mais moins rapide à la fin de son ascension, jusqu’à la hauteur d’environ 1,000 toises ; un vent à peine sensible vers la surface de la terre la porte à 1,200 toises du point de départ ; elle resta dix minutes en l’air ; la déperdition du gaz, par les boutonnières et les trous d’aiguille et autres imperfections de la machine, ne lui permirent pas d’y rester davantage. Le vent, au moment de l’expérience, était au midi et il pleuvait ; la machine descendit si légèrement qu’elle ne brisa ni les épis ni les échalas de la vigne sur lesquels elle se reposa. »

On remarquera que Montgolfier laisse croire qu’il avait introduit dans le ballon un gaz spécial très léger ; il n’avoue pas avoir simplement chauffé l’air intérieur par un feu de paille mêlée de laine mouillée, se réservant le bénéfice du secret avec l’intention probable de tirer parti de sa découverte, ce qui était aussi naturel que légitime. Une expérience, si belle, si complète et si peu attendue, accomplissait un rêve caressé par tous les hommes depuis l’antiquité, jamais réalisé, mais toujours vivant. Dans ce temps où les journaux n’existaient pas, la nouvelle fit aussitôt le tour de la France et chacun voulut répéter l’épreuve.

Il y avait alors, à Paris, un jeune professeur, déjà connu pour son imagination et son habileté, le physicien Charles ; il eut l’idée, neuve alors, et dont on a tant abusé depuis, de faire payer les frais du spectacle à ceux qui le viendraient voir. Il ouvrit une souscription publique et commença la construction de son ballon au mois d’août de la même année 1783. Il ne connaissait pas le gaz dont les frères Montgolfier s’étaient servis, mais il savait que le chimiste Priestley avait découvert, quelques années auparavant, l’air inflammable ou hydrogène, qui était cinq fois et demie moins lourd que l’air. Soit qu’il crût que c’était celui des frères Montgolfier, soit qu’il obéît à une inspiration personnelle, il décida que le ballon serait rempli d’air inflammable. C’était une heureuse idée que l’avenir a ratifiée et qui permettait de diminuer considérablement les dimensions du ballon. Celui de Charles, loin de mesurer 110 pieds de circonférence, n’en avait que 38, c’est-à-dire le tiers.

La souscription close, et elle le fut aussitôt qu’annoncée, Charles fît un ballon de soie, bien solide, bien cousu, assez mal verni, et se mit en devoir de le gonfler place des Victoires, dans l’atelier des frères Robert. Il rencontra dans cette opération des difficultés inattendues. Si l’hydrogène est le plus léger de tous les gaz, il est aussi celui qu’on peut le moins aisément tenir enfermé dans une enveloppe cirée, ce qui tient à une propriété tout à fait inconnue à cette époque et qu’on nomme exosmose. Le remplissage, commencé le 23, n’était pas fini le 25. Chaque journée se passait à introduire des torrens d’un gaz qui fuyait chaque nuit ; il fallait toujours recommencer. On y dépensa 500 kilogrammes de fer et 250 kilogrammes d’acide sulfurique. Enfin, le 25, comme il paraissait à moitié plein, on sortit le ballon ; on s’assura qu’il se soulevait, et on décida de le transporter de la place des Victoires au Champ-de-Mars, ce qui se fit à minuit. Il était étendu sur une charrette, précédé et suivi par les gens du guet à pied et à cheval, éclairé par des torches et escorté par la population, qui se découvrait sur le passage du cortège. La journée du 26 fut employée à terminer les préparatifs et, à cinq heures, au milieu d’une foule immense, au bruit du canon et par une pluie battante, l’aérostat fut abandonné à lui-même. Il monta rapidement, entra dans un nuage, ce qui fut salué par une clameur immense ; il en sortit bientôt pour aller plus haut et plus loin, et finalement se perdit dans l’espace.

Nous devons ce récit à Faujas de Saint-Fond, savant distingué, professeur au Muséum, dont l’admiration nous paraît quelque peu exagérée, surtout si l’on songe qu’elle s’appliquait à un tout petit ballon de 4 mètres de haut, dont la force d’ascension, qui ne dépassait pas 20 livres, était à peine capable de soulever un chat. Il alla tomber à Gonesse : ce n’est pas le moins curieux de son histoire. En voyant cette masse informe écrasée sur la terre, à demi gonflée, s’agitant au vent, on la prit pour la peau d’un animal monstrueux. Elle fut exorcisée, attachée à la queue d’un cheval et traînée. Le plus courageux des assistans lui tira deux coups de fusil, et de la blessure s’échappa comme un soupir avec une diabolique odeur. Le ballon fut découpé, déchiré, haché, et quand on vint de Paris pour le recueillir, il n’en restait que des débris.

On ne saurait imaginer la frénésie d’admiration qui s’empara de la population parisienne. Le roi voulut être témoin d’un départ. On prépara pour lui, dans la cour de Versailles, une montgolfière à son chiffre, ornée des attributs de la mythologie. Elle était immense (57 pieds de haut) et, malgré cette énorme dimension, elle se gonfla rapidement, s’éleva jusqu’à la hauteur de 280 toises pour aller tomber, huit minutes après, à Vaucresson. C’est la première qui ait enlevé des animaux, un mouton, un coq et un canard, qu’elle déposa sains et saufs dans un carrefour de la forêt ; le mouton paraissait inconscient du voyage qu’il venait d’exécuter et tout à fait insensible à l’honneur de l’avoir accompli le premier.

Ces diverses épreuves étaient loin de contenter l’impatience et la curiosité du public. Il demandait et espérait davantage, que l’homme profilât lui-même de cet étrange et merveilleux mode de locomotion, et, comme il y avait deux systèmes rivaux qui se partageaient l’opinion, la montgolfière à feu et le ballon à hydrogène, la première pleine de dangers, mais facile à remplir, le deuxième offrant plus de sécurité, mais moins de commodités, il fallait des expériences pour décider entre eux.

L’Académie des Sciences s’en chargea ; elle fit construire à ses frais, dans les jardins du marchand de papier Réveillon, au faubourg Saint-Antoine, la plus grande montgolfière qu’on eût encore vue ; elle avait 70 pieds de diamètre et ne jaugeait pas moins de 6,000 pieds cubes. Tous les jours, en présence de l’Académie et d’un public nombreux, on la gonflait, puis on pesait sa force d’ascension, c’est-à-dire le poids qu’elle pouvait enlever, et on la laissait refroidir pour recommencer le lendemain. La manœuvre était dirigée par Etienne Montgolfier, qui se faisait aider par un jeune homme nommé Pilatre de Rozier. Ce dernier, né à Nancy, avait professé la physique à Reims. Il possédait des connaissances scientifiques assez étendues, avait beaucoup d’agilité, une grande adresse et une dose de témérité peu commune. Tous les jours, il montait dans une galerie qui entourait le bas du ballon et se laissait enlever, d’abord timidement, à une faible hauteur ; puis tous les jours, il augmentait l’altitude de l’excursion, en présence du public, qui l’encourageait et qu’il aimait à satisfaire. Il finit par atteindre 324 pieds ; de là il dominait Montmartre, embrassait tout l’horizon et ne cessait d’affirmer que ces voyages étaient absolument sans danger. Giroud de Villette et, plus tard, le marquis d’Arlandes, major d’infanterie, qui avaient accompagné Pilatre, confirmaient ses récits et partageaient sa sécurité. Tout était mûr pour essayer dans l’atmosphère un voyage en ballon libre.

Le premier eut lieu le 17 octobre 1783 dans les jardins de La Muette. Ce ne fut pas sans de grandes hésitations qu’il fut autorisé. Le roi et Montgolfier lui-même étaient anxieux. Lancer en l’air deux personnes dans une galerie de bois, avec une provision considérable de paille, près d’un ardent foyer qui pouvait y mettre le feu et le communiquer sur son passage de haut en bas, paraissait une témérité coupable. Le roi consentit à la fin, à la condition de remplacer les aéronautes par deux condamnés, à qui l’on ferait grâce, mais Pilatre ne voulait céder ni l’honneur du danger ni la gloire du succès. Ce fut le marquis d’Arlandes qui tranquillisa les consciences par ses récits et leva les difficultés en se proposant lui-même pour être le compagnon de Pilatre. Tout alla bien ; ils atteignirent 3,000 pieds, traversèrent Paris tout entier et descendirent au moulin de Croulebarbe. La montgolfière avait donc suffi pour les porter ; mais si elle s’échauffait vite, elle se refroidissait plus rapidement encore. On ne put la maintenir en l’air qu’à la condition de forcer le feu et d’épuiser la provision de combustible.

La réponse de Charles à ce défi de Pilatre ne se fit point attendre. Accompagné de Robert, Charles partit du jardin des Tuileries avec le même concours de spectateurs, les mêmes coups de canon, le même enthousiasme du public. Il avait perfectionné sa machine, inventé la soupape, le lest, le filet, la nacelle, rendu l’enveloppe imperméable, accéléré le remplissage, amené enfin l’art de l’aérostation à un degré de perfection qui n’a guère été dépassé. Ce fut une remarquable ascension ; en deux heures, le ballon avait atteint Nèfles, à 9 lieues de Paris. Au moment même où y arrivait le duc de Chartres, qui avait suivi au galop, à travers champs, Robert descendit, Charles resta dans la nacelle, et le ballon, allégé, commença un nouveau voyage. Le hasard voulut qu’il rencontrât deux courans contraires ; le premier l’éloignait, le second le ramena au point de départ. A partir de ce moment, la supériorité du ballon sur la montgolfière ne fut plus contestée.

Je n'ai pas le dessein de suivre en détail l’histoire des nombreuses ascensions que tout le monde voulut exécuter, depuis les savans, comme Proust, Lalande, Guyton de Morveau, jusqu’à des princes, du sang, le duc de Chartres et le comte d’Artois ; on allait jusqu’à conquérir et défendre ses places le pistolet au poing, sans se préoccuper des dangers qui coûtèrent la vie à un grand nombre de personnes. On se souvient encore à Paris de Mme Blanchard, qui fut précipitée sur un toit de la rue de Provence un soir de fête publique. Son mari, qui avait la prétention de diriger les ballons par des rames de son invention, faillit avoir un sort pareil en traversant le pas de Calais, vis-à-vis de Boulogne. Déjà sa nacelle baignait dans la mer lorsqu’un vent local vint heureusement relever le ballon et le conduire à terre. Green, venant aussi d’Angleterre sans courir d’aussi grands dangers, fit un voyage plus long, mais non plus agréable. Il s’était engagé pendant la nuit au-dessus du détroit, il reconnut les feux de Douvres et de Calais et, sans oser descendre, s’était livré au vent. À minuit, il était à Liège, dont il vit les lumières et les hauts fourneaux. La nuit était si sombre qu’il lui semblait marcher entre des tables de marbre noir. Quand le jour parut, il vit une campagne couverte de neiges et se crut en Pologne ; il n’était heureusement qu’en Hanovre.

Pendant que ces expériences se multipliaient, il se fit une invention dont je dois dire un mot, celle du parachute. L’antiquité paraît l’avoir connu. Au temps d’Alexis Comnène, un Sarrasin, dont la robe fort longue était soutenue par des cerceaux d’osier, s’élança obliquement du haut d’une tour. Au XVe siècle, Léonard de Vinci, qui fut aussi bon mécanicien que grand artiste, inventa un appareil qu’il dessina et décrivit comme il suit, dans les manuscrits que garde la bibliothèque de l’Institut. « Si un homme a un pavillon (tente) de toile empesée dont chaque face ait 12 brasses et qui soit haut de 12 brasses, il pourrait se jeter de quelque hauteur que ce soit sans crainte de danger. » Malgré celle assurance, Léonard n’en fit point l’épreuve, et c’est l’aéronaute Garnerin qui perfectionna l’appareil et osa le premier se fier au parachute.

« Le 1er brumaire, à 6 heures, suivant l’astronome Lalande, le citoyen Garnerin s’éleva à ballon perdu dans la plaine de Monceaux. Lorsqu’il eut dépassé la hauteur de 350 toises, il coupa la corde qui joignait le parachute et son char avec l’aérostat ; ce dernier fit explosion, et le parachute, dans lequel le citoyen Garnerin était placé, descendit très rapidement ; il fit un mouvement d’oscillation si effrayant qu’un cri d’épouvante échappa aux spectateurs, et les femmes sensibles se trouvèrent mal. Cependant le citoyen Garnerin descendit tranquillement ; il monta à cheval aussitôt, revint au parc recevoir les félicitations de la foule et continua son chemin jusqu’à l’Institut national, qui était en séance, et où il annonça son succès. » Le parachute devint ensuite le spectacle ordinaire des fêtes publiques. La nièce de l’inventeur, Élisa Garnerin, se fit même une réputation dans cet exercice, qu’elle exécutait avec audace. Le ralentissement de la chute peut être tel que Sivel, à Naples, mit 43 minutes pour descendre de 1,800 mètres.

Les hommes qui avaient concouru à ces travaux eurent des sorts très différens. Les deux Montgolfier furent comblés des faveurs du roi ; leur père fut anobli. Joseph reçut la croix de Saint-Michel, Etienne une rente de 1,000 francs ; 40,000 livres furent mises à leur disposition pour continuer les expériences. On leur doit l’invention du bélier hydraulique, machine singulière qui révèle une grande faculté d’observation et qui aurait suffi, à illustrer leur nom si les ballons ne l’avaient déjà porté si haut ; Joseph mourut le dernier, en 1810 ; il était membre de l’Institut. Charles devint un des professeurs les plus adroits et les plus célèbres de son temps. Faujas, l’historien des ballons, se fit connaître à la suite de Buffon et fut un des créateurs de la géologie. Enfin le plus audacieuse des trois, celui qui le premier se confia au chemin de l’air, mourut à vingt-neuf ans dans une ascension malheureuse dont les détails sont mal connus. Il avait eu l’idée aventureuse de combiner la montgolfière et le ballon afin de s’élever ou de s’abaisser sans jeter du lest, par la seule action de la chaleur. Sans tenir compte des conseils de Charles, qui lui représentait le danger qu’il y avait à associer l’hydrogène et le feu, il part de Boulogne le 15 juin 1785, à 7 heures, en vue de traverser le détroit ; il prend avec lui un de ses constructeurs nommé Romain, mais refuse, malgré une forte somme, de laisser monter le marquis de Maisonfort, parce que l’expérience n’est pas assez sûre, et qu’il ne veut pas exposer la vie d’un autre. On vit le ballon s’élever et s’engager sur la mer ; il était déjà à 700 mètres d’attitude et à 5 kilomètres du rivage quand un vent contraire commença de le ramener. On prétend avoir vu tout à coup les voyageurs exécuter des mouvemens d’alarme, pendant qu’une flamme violette apparaissait au sommet de leur machine ; puis tout fut précipité, non dans la mer, comme on l’a quelquefois raconté inexactement, mais sur le sol, à 300 pas du rivage, en face de la tour de Croy, non loin du lieu où Blanchard, plus heureux, avait atterri. Romain respirait encore, Pilatre était fracassé : il n’avait que vingt-huit ans et demi. C’est le marquis de, Maisonfort, si miraculeusement échappé à la mort, qui a raconté la catastrophe et rendu les derniers devoirs aux deux victimes.

II

La direction des ballons, que Charles croyait possible, ne devait pas être réalisée de si tôt. C’est un problème complexe que l’on a été longtemps à comprendre. Tout le monde a voulu s’en mêler, surtout les ignorans. Ils pensaient généralement que, si les vents suffisent à diriger les vaisseaux, ils peuvent rendre le même service aux ballons. On leur répondait que les conditions n’étaient pas les mêmes, que les navires prennent un point d’appui sur l’eau et que les ballons n’en ayant pas ne sont pas dirigeables par le seul effet du veut. C’est ce que nous allons chercher à expliquer.

Quand un ballon est captif, on voit la corde qui le tient s’incliner et osciller, suivant que les rafales augmentent ou diminuent. Dans ces conditions il résiste au vent, comme un arbre, une maison, comme la voile d’un navire retenu par l’eau, comme un cerf-volant tirant sur sa corde. Tous ces objets opposent une résistance parce qu’ils sont fixés ou qu’ils ont un point d’appui ; s’il vient à leur manquer, ils cèdent un vent et le suivent. « Le ballon que vous avez vu avant le départ fouettant l’air avec fracas de son taffetas encore assez flasque, luttant contre les cordages qui le retiennent à terre, tantôt soulevant les hommes de manœuvre cramponnés à la nacelle et aux cordes de l’équateur, tantôt repoussé contre le sol avec une telle violence qu’il semble vouloir s’y écraser, — ce ballon, une fois libre, part et file dans l’air sous l’ouragan, sans contre-heurt, sans secousse, sans oscillation, sans vibration. C’est l’athlète qu’on voulait lier ; il était indomptable, dans l’indignation de sa force contre tout joug. Le voici libre, il est tranquille. » (Nadar.)

Il est libre d’obéir à l’air qui l’entraîne et d’en suivre les mouvemens ;, et quand il l’a fait, le vent peut être fort ou faible, un ouragan ou un zéphyr, l’aéronaute ne le sent plus parce qu’il en fait partie ; les nuages qui sont autour de lui, voyageant de conserve, gardent leurs positions relatives, et comme il juge du mouvement par le déplacement des objets et que ce déplacement n’a pas lieu, il se croit immobile avec ce qui l’entoure, comme nous croyons être immobiles dans un wagon, sur un vaisseau ; comme nous croyons l’être sur la terre qui cependant nous emporte. Il voit la fumée d’un cigare, la flamme d’une bougie monter tranquillement, les cordes du ballon pendre verticalement sans bouger, les plis d’un drapeau rester au repos, et ses propres mouvemens s’accomplir au milieu des tempêtes les plus affreuses comme dans le calme le plus complet : en ballon, il n’y a pas, il ne peut y avoir de vent.

Non-seulement nous n’avons aucune conscience du mouvement qui nous emporte, mais quand la vue de la terre nous manque, nous n’avons aucun moyen de le constater. La boussole, l’observation des astres, nous montrent bien de quel côté se place, par rapport à nous, le nord ou le sud, mais ne nous disent aucunement de quel côté notre marche est dirigée, puisque nous croyons être immobiles. Au-dessous des nuages, nous pouvons mesurer l’angle que fait avec notre boussole la ligne suivant laquelle fuient les objets qui s’éloignent en sens contraire de notre mouvement : au-dessus, nous sommes absolument perdus sans possibilité de savoir où nous sommes, si nous marchons et de quel côté nous marchons.

Puisque le ballon suit le mouvement de l’air, puisque, le vent, si puissant qu’il soit, ne s’y fait pas sentir, on ne peut s’en servir pour modifier en rien la direction vers laquelle nous sommes entraînés fatalement. Aucune forme spéciale de l’aérostat, aucun organe, ni gouvernail, ni aile, ni roue, ni hélice, rien ne peut changer ces conditions ni faire que le ballon obéisse à la puissance du vent, puisqu’il n’y en a pas.

La conséquence nécessaire de cette théorie est que, si on veut diriger un ballon, il faut une force ; il faut le munir d’un moteur capable de l’entraîner, d’un propulseur qui puisse au besoin lui faire remonter les courans d’air. Quand on veut faire marcher une voiture, on y attèle un cheval, un wagon exige une locomotive, un bateau des rameurs travaillant : l’oiseau n’a pas seulement des ailes, il produit la force musculaire qui les anime ; de même, le ballon doit être remorqué par une machine faisant du travail. Que cette machine soit un moteur animé, électrique, à vapeur, à gaz, peu nous importe en théorie, mais, quelle qu’elle soit, il en faut une. Telle est l’indiscutable nécessité que nous devons subir pour diriger un ballon.

Ce n’est pas tout d’avoir un moteur, nous devons encore chercher comment nous l’emploierons. C’est ici que se place la terrible question du point d’appui, de l’action et de la réaction. Prenons des exemples : on tire un coup de canon : la poudre enflammée produit un gaz qui se détend, c’est la force ; il chasse le boulet, c’est l’action ; mais la pièce recule, c’est la réaction. Seulement la pièce prend moins de vitesse que le boulet, parce qu’elle est plus lourde. Un animal détend ses muscles pour sauter, soyez sûr que la terre recule, mais elle est si incomparablement grosse que son recul est insensible. On exprime autrement ce phénomène en disant que le boulet prend son point d’appui sur la pièce, et l’animal qui saute, sur la terre. L’eau fait le même office : dans un bateau à roues, les palettes chassent l’eau en arrière, mais le navire avance, et s’il est à hélice, vous voyez un courant d’eau vivement lancé qui recule. Enfin, l’air obéit à la même loi et fait la même fonction : il sert d’appui ; et pour conclure : si nous fixons à la nacelle une hélice dont l’axe soit horizontal et que nous la fassions mouvoir, elle avancera grâce à la pression qu’elle exerce sur l’air postérieur ; elle entraînera nacelle et ballon, et tout le système, deviendra un navire véritable avec cette seule différence qu’il sera dans un autre fluide, dans l’air au lieu de travailler dans l’eau. Pour compléter la ressemblance, il conviendra de lui donner une forme allongée et de le munir d’un gouvernail, placé à l’arrière, formé d’une toile lisse et tendue qu’on pourra tourner vers la droite ou la gauche, remplissant les mêmes fonctions et obéissant aux mêmes principes que le gouvernail des vaisseaux.

Cette construction réalisée, le ballon pourra être dirigé comme on le voudra dans une atmosphère en repos ; mais dans un couvrant d’air il faut y ajouter une dernière et essentielle condition. Quand l’air est complètement immobile, l’aérostat n’a dans toutes les directions qu’une seule et même vitesse, celle que lui donne son moteur et qu’on peut appeler sa vitesse propre. Quand l’atmosphère est en mouvement, il en a deux : la sienne et celle du courant d’air qui s’y superpose. Si toutes deux sont parallèles et de même sens, elles s’ajoutent ; mais si on met le cap à l’opposé du vent, elles se retranchent, et il peut arriver les trois cas suivans : 1° la vitesse propre est supérieure à celle du courant : alors le ballon peut marcher contre le vent, qu’il dépasse ; 2° toutes deux sont égales : dans ce cas ; elles se détruisent et on reste en place ; 3° le vent est supérieur à la marche du moteur, et on recule. La première condition seule permet d’avancer contre le vent et comme ce vent n’est pas chose constante, qu’il est, suivant les cas, nul, modéré ou violent, le ballon sera dirigeable à certains jours, ne le sera pas dans d’autres, dirigeable si le vent est moindre que la vitesse propre, indirigeable en tout sens, s’il est plus fort ; d’autant plus souvent dirigeable que le moteur sera plus puissant, la vitesse propre plus grande. La question est du ressort de la mécanique : faire un moteur léger et fort. En résumé, la solution du problème exige quatre conditions : 1° un moteur ; 2° une hélice ; 3° un-gouvernail ; 4° un vent inférieur à la vitesse propre.


III

Nous connaissons maintenant la théorie rationnelle des ballons ; parcourons rapidement l’histoire des tentatives exécutées pour les diriger.

L’idée en est venue dès qu’ils ont été connus. Guyton de Morveau et le duc de Chartres employèrent désirâmes avec quelque succès ; puis un nommé Vallet songea aux ailes des moulins à vent ; il en fit disposer quatre à l’avant d’un bateau qui traversa une rivière contre le vent quand on les faisait tourner vite. Le docteur van Hecke employa une vis d’Archimède : le nom d’hélice n’était pas encore employé ; il ne devait venir que longtemps après, lorsque Sauvage eut adapté aux navires ce mode de locomotion ; mais l’organe avait déjà été essayé dans l’air ; il était connu, il avait donné de sérieux résultats.

Un officier du génie, fort distingué, passa dix ans de sa vie à faire des projets pour la construction des ballons. Monge le considérait comme l’un des meilleurs esprits de son temps : il s’appelait Meusnier, il devint général, fut membre de l’Institut, et mourut à quarante ans au siège de Mayence. C’est de lui que le roi de Prusse disait : » Je perds un ennemi qui m’a fait bien du mal, mais la France perd un grand homme. » Les papiers de Meusnier ont été conservés et nous font connaître ses plans relatifs à un ballon de 80 mètres de longueur de 43 de haut, qui devait porter trente passagère munis de vivres pour soixante jours. Ce ballon devait être allongé, avoir un gouvernail, et pour propulseur une hélice, mais activée à bras d’homme. Meusnier estimait qu’elle pourrait donner une vitesse propre de 1 mètre à la seconde, ce qui est manifestement insuffisant pour se diriger dans l’air. Meusnier semble ne vouloir lui demander qu’un appoint En ce temps, le docteur van Hecke avait affirmé que l’on trouvait toujours dans les hauteurs de l’air des courans soufflant de toutes les directions, et qu’il suffisait de monter jusqu’à rencontrer la bonne. Adoptant cette base d’opération que rien ne justifie, Meusnier avait donc imaginé, pour monter ou descendre, un procédé ingénieux, mais impraticable. Son ballon devait avoir deux enveloppes : l’extérieure, forte et résistante, complètement fermée et toujours tendue ; l’intérieure, plus légère et imperméable, devait contenir l’hydrogène, et l’intervalle entre les deux, plein d’air, était mis en communication par un tube avec un soufflet. Voulait-on descendre, on y introduisait de l’air par pression, ce qui augmentait le poids, et, quand il fallait monter, on vidait au contraire cet espace intermédiaire. Par ce moyen, sans aucune perte de lest ni de gaz, on changeait le niveau jusqu’à atteindre le courant d’air convenable. Il n’est pas nécessaire de réfuter un pareil procédé, et cela prouve qu’il faut se garder, en exhumant les travaux anciens, de les exagérer, aux dépens des modernes, plus qu’il n’est raisonnable de le faire.

Après Meusnier, il faut attendre jusqu’en 1842 pour rencontrer une idée plus féconde. Marey-Monge proposa l’emploi d’une machine à vapeur, idée certainement hardie à deux titres, à cause du danger d’incendie et à cause du poids. À cette époque, on évaluait à 1,000 kilogrammes le poids moyen d’un cheval-vapeur, avec son approvisionnement d’eau et de charbon. Cette conception ne fut pas et ne pouvait être admise à cette époque ; mais elle fut reprise en 1855 par Henri Giffard, celui-là même qui devait donner à l’industrie le précieux injecteur qui porte son nom. Giffard adopta le ballon allongé, à deux pointes, maintenu rigide ; par un axe dorsal, ayant hélice et gouvernail et soutenant une machine allégée qui ne pesait plus que 30 ou 40 kilogrammes par cheval. Elle était à haute pression, à deux corps, avec une chaudière tabulaire, avec des condenseurs pour régénérer l’eau, etc. ; surtout elle avait un foyer intérieur et une cheminée renversée du haut vers le bas. Giffard calcula qu’il faudrait 37 hommes pour faire un travail équivalant à celui d’un cheval-vapeur et qu’ils pèseraient cinquante fois plus. Il avait fait le plan d’un très grand aéronef qui aurait pu porter 100 personnes, avec des vivres suffisans, qui eût été capable de faire le tour de la terre en 41 jours, et le voyage n’aurait coûté que 95 francs par tête.

Mais il y a loin d’un projet à sa réalisation. Quand Giffard voulut construire un ballon dans des conditions plus modestes et plus commodes, il éprouva des mécomptes. L’ascension se fit heureusement, la machine évoluait ; mais, quand il fallut descendre, elle ne put garder son équilibre, elle tomba sur sa pointe, et le ballon, s’échappant du filet, se perdit. Giffard ne se tenait pas pour battu et entendait bien recommencer ; il ne fallait que de la persévérance, il en manqua et aussi manqua d’argent. Puis il fut distrait par ces beaux ballons captifs que nous avons vus à Londres et aux Tuileries et qu’un vent d’hiver creva.

Ou comprit pour la première fois en 1870, pendant le siège de Paris, tout le parti qu’on pouvait tirer des ballons libres. Un grand nombre de messagers risquèrent leur vie, et quelques-uns la perdirent, en allant au-delà des lignes prussiennes porter en province les nouvelles de Paris. Un système de poste aérienne s’organisa, accessible aux particuliers, et qui ne fut pas par trop insuffisant. Mais si on pouvait sortir librement par ce procédé, il n’était pas facile d’entrer ; car, il y avait une impossibilité complète de partir d’un point éloigné, de se confier à l’air avec la certitude de passée précisément au-dessus de Paris et d’y atterrir au milieu des rues. On dut se résigner à l’emploi des pigeons voyageurs porteurs des correspondances réduites, au départ, à une dimension microscopique par la photographie, et grandies, à l’arrivée, par le procédé inverse. C’est alors que M. Dupuy de Lôme, qui jamais ne s’était occupa de cette question des ballons, se mit à l’étudier, sans se préoccuper des travaux antérieurs, et la résolut avec clarté. Il reconnut que l’on ne possédait aucun moteur capable de lutter contre le vent, qui est habituellement très fort à cette époque de l’année ; que les circonstances pressaient, qu’on n’avait pas le temps de se livrer à des études complètes, mais qu’on pouvait toujours, sinon marcher contre les vents, au moins imprimer à un ballon une vitesse latérale suffisante pour arriver, par exemple, à Rouen ou à Nantes quand le vent menait à Cherbourg, et qu’il suffisait, pour cela, de donner par une hélice une vitesse propre perpendiculaire à celle du courant d’air, afin que le ballon pût prendre une direction intermédiaire.

Frappé de ces idées et pressé par le besoin du moment, le gouvernement offrit à M. Dupuy de Lôme les fonds nécessaires à la réalisation de sa théorie, et imposa, pour ainsi dire, cette grave responsabilité à son patriotisme : il accepta, se mit aussitôt à l’œuvre, régla les conditions de stabilité de l’appareil et résolut de faire mouvoir l’hélice par une équipe de huit vigoureux marins habitués au cabestan. Il fit un ballon allongé, pour diminuer la résistance de l’air ; mais il reconnut que, pour le maintenir horizontal et stable, il fallait qu’il fût toujours gonflé, afin d’éviter l’accident survenu à Giffard. Il imagina alors de placer dans l’intérieur un petit ballonnet plein d’air, sorte de vessie natatoire, que l’on gonflait ou vidait par un ventilateur.

Malheureusement, quelque diligence qu’on ait faite, la machine n’était point terminée avant la capitulation. On continua néanmoins la construction commencée, et elle fut essayée le 2 février. 1872. Cela n’avait plus qu’un intérêt scientifique, mais cet intérêt était considérable. Le ballon fut rempli d’hydrogène pur, préparé par l’action de l’acide sulfurique sur le fer, et M. Dupuy de Lôme, qui n’avait voulu laisser à personne la direction de l’appareil, partit par un assez mauvais temps. Après avoir marché d’abord en suivant le vent, il mit l’hélice en fonction, puis fit agir le gouvernail, dont l’effet se produisit aussitôt ; finalement, il fixa l’axe dans une direction perpendiculaire à celle du courant d’air, et le ballon suivit exactement la diagonale entre les deux vitesses : l’une, la vitesse propre, était de 2m,5 ; l’autre, celle du vent, était égale à 14 ou 15 mètres, la déviation calculée devait être de 15 degrés ; on la trouva sensiblement égale à 12 degrés, ce qui était une vérification suffisante des principes posés.

Après cette expérience, tout le monde voyait que la solution du problème se réduisait à armer la machine de Dupuy de Lôme d’un moteur léger et puissant. Il y avait les machines à vapeur du général Du Temple, qui avaient fini par ne plus peser que 3 kilogrammes par force de cheval, et avec lesquelles le succès eût été assuré, lorsque les frères Tissandier songèrent à un moteur qui, après avoir été l’objet des recherches savantes de » l’ingénieur Froment, était depuis longtemps oublié. Ils le firent construire par la maison Siemens, adoptèrent pour générateur d’électricité des piles réduites au poids le plus faible possible et conservèrent l’hélice, le gouvernail et La forme allongée. Ils réussirent par ce moyen à donner à leur ballon une vitesse propre de 2m, 8, c’est-à-dire suffisante pour le faire mouvoir dans tous les sens au milieu d’un air dont la vitesse eût été inférieure à 2m, 8. Ils firent deux ascensions, le 8 octobre 1883 et le 26 septembre 1884, réussirent à donner au ballon une direction presque contraire à celles du vent, une fois même à marcher contre lui ; il était clair que rien ne manquait à la complète solution qu’une force plus grande du moteur. C’est à ce moment que nous avons appris que les capitaines Renard et Krebs, partis de Meudon le 9 août 1884, après s’être laissé emporter par le vent, avaient rebroussé chemin et qu’ils étaient revenus au point de départ. Il nous reste à dire comment ce résultat avait été obtenu.


IV

Lorsque Giroud de Villette monta pour la première fois en ballon captif, avec Pilatre de Rozier, dans le jardin de Réveillon, il fut frappé de la vue qui se déroulait, et de la netteté du paysage qu’il avait sous les yeux ; il comprit le secours que les ballons captifs pourraient apporter à un général d’armée pour découvrir les mouvemens de l’ennemi. Aussi la convention, sur la proposition de Monge, décida-t-elle la formation de deux compagnies d’aérostiers.

Conté, qui « avait tous les arts dans la main, toutes les sciences dans la tête, » s’occupa, dans un atelier situé à Meudon, de la conduction d’un ballon destiné à la guerre. Comme la poudre était rare et qu’on voulait -ménager le salpêtre et le soufre, il lui était interdit d’employer l’acide sulfurique nécessaire alors à la préparation de l’hydrogène. Conté tourna la difficulté en fabriquant ce gaz par voie sèche, par l’action de la vapeur d’eau sur du fer rouge. Il y avait une autre difficulté, celle de rendre l’enveloppe de ballons parfaitement imperméable à ce gaz si peu coercible. Alors Conté inventa un vernis si parfait que le ballon pouvait être transporté tout gonflé à la suite de l’armée et s’élever où l’on voulait. Il fit plus encore en imaginant une télégraphie spéciale qui tenait l’aéronaute en communication constante avec la terre par des signaux qui formaient un alphabet complet. On sait que la direction de ces ballons fut confiée à un officier de mérite nommé Coutelle, et qu’à la bataille de Fleurus Coutelle fit connaître tous les mouvemens de l’armée ennemie et contribua au gain de la bataille.

Nous ne nous étendrons pas sur ce sujet. Ce service fut supprimé sous le premier ’empire : Napoléon croyait n’en pas avoir besoin. On a raconté que cette suppression avait une autre cause, que Garnerin, au soir du couronnement, le 2 décembre 1804, lança de Paris un ballon illuminé par des verres de couleur, qui voyagea toute la nuit, arriva le lendemain à Rome, passa sur le dôme de Saint-Pierre et s’arrêta dans la campagne, au tombeau de Néron. Napoléon, qui était superstitieux, y vit un présage, et pour le détourner, supprima les ballons militaires, On a écrit que celui de Fleurus fut vendu aux enchères publiques. Je tiens d’une personne en position d’être bien informée que cette vénérable et glorieuse relique était conservée à Metz, et qu’elle est tombée aux mains de l’armée allemande.

Mais l’école d’aérostation fut rétablie par la seconde république, installée au parc de Chalais, près de Meudon, d’abord sous la direction du colonel Laussedat ; elle ne cessa de se livrer avec le plus grand soin et une autorité qui grandit tous les jours à l’étude des ballons captifs ou libres et de leur application à l’art de la guerre. C’est là que les capitaines Renard et Krebs ont trouvé toutes les ressources nécessaires pour construire leur aéronef. Il ressemble beaucoup à ses devanciers, dont il ne diffère que par des détails ; son moteur est entretenu par l’électricité, comme celui des frères Ti²sandier, mais il agit avec plus d’énergie ; il donne à l’appareil une vitesse propre de 5m,6 à la seconde, avantage immense, qui dès le premier jour, au milieu d’un air à la vérité très calme, a suffi à vaincre le peu de vitesse que l’atmosphère avait ce jour-là.

C’est un beau résultat, mais on y était préparé : il ne faut pas que l’opinion publique croie qu’il y avait un secret pour la direction des baillons, et qu’il a tout à coup été découvert par les derniers chercheurs. Il y avait un problème travaillé par beaucoup de personnes, résolu théoriquement, et même pratiquement dans l’air calme, et la solution vient d’être étendue jusqu’au cas où la vitesse de l’air est de 5 mètres : elle s’arrête là. Il faudra, pour dominer une vitesse supérieure, de nouveaux travaux, une meilleure machine : mais l’auteur inconnu de ce progrès désiré et prochain n’effacera pas plus les succès de MM. Renard et Krebs, que ceux-ci les progrès qu’on doit à leurs prédécesseurs.


V

Un siècle a passé sur la découverte de Montgolfier, des milliers d’ascensions ont été osées, ont entretenu et fini par user la curiosité publique, et il faut bien reconnaître que les espérances du premier jour n’ont pas été réalisées. L’aéronautique est restée un amusement pour le plus grand nombre, un vulgaire métier pour quelques-uns ; mais l’humanité jusqu’à présent, n’a pas pu ou n’a pas voulu l’employer à ses besoins : à deux exceptions près, l’art de la guerre, dont nous avons dit un mot, et les observations scientifiques, dont nous allons parler. On est monté en ballon, et on a été aussi haut que possible dans le seul dessein de découvrir les mystères de ces hautes régions ; des mystères, il n’y en a pas, mais il y a la vie des élémens, dont nous dépendons.

Le premier point qui attire l’attention de l’aéronaute scientifique est de savoir à quelle hauteur il est à chaque moment : j’ai remarqué que le public comprend peu cette question. Je vais donc l’expliquer.

La calotte d’air qui enveloppe la terre est attirée, accumulée et maintenue par la pesanteur, et, de même que dans un tas de pavés ceux du bas portent le poids de ceux d’en haut, de même la couche d’air qui confine à la terre subit la pression des régions supérieures. On mesure cette pression par le baromètre ; c’est une sorte de balance formée par un tube de verre à deux branches séparées par du mercure : l’une est vide, l’autre ouverte dans l’air qui presse sur le mercure et le fait monter de l’autre côté jusqu’à ce qu’il fasse équilibre. La pression de l’air est donc mesurée par la hauteur du baromètre, et l’aéronaute reconnaît qu’il monte quand il voit le mercure baisser dans son tube, et qu’il descend quand il le voit s’élever. Grâce à une formule théorique donnée par Laplace, on mesure l’altitude du ballon à un moment donné par la hauteur du baromètre. Quand elle est de 0m,760, on est au niveau de la mer ; si elle est réduite à 0m,600, on se trouve à 2,000 mètres environ, et quand elle n’est plus que de 0m,325, on peut conclure que le ballon a atteint l’altitude de 7,000 mètres. En résumé, on peut dire que le baromètre est l’échelle avec laquelle l’aéronaute mesure le chemin qu’il fait dans les hauteurs de l’air.

Le premier voyage consacré à des observations scientifiques fut entrepris, en juillet 1804, par le physicien anglais Robertson, qui partit de Hambourg avec un ami nommé Loëth, et vint débarquer à Hambourg après cinq heures de route. Ils avaient atteint la hauteur de 6,831 mètres. Dans une seconde ascension qu’il entreprit à l’instigation de l’académie de Saint-Pétersbourg, Robertson ne s’éleva pas aussi haut ; nous ne parlerons que du premier voyage, encore pour en dire peu de bien, car les observations qu’on en rapporta se trouvèrent presque toutes erronées. L’une d’elles excita à un haut degré l’attention de Laplace et des membres les plus savans de l’Institut. Robertson prétendait que les oscillations d’une aiguille aimantée se ralentissaient à mesure que le ballon s’élevait.

Cette observation, si elle eût été vraie, aurait entraîné de graves conséquences théoriques ; mais comme on doutait de son exactitude, il fut résolu qu’elle serait recommencée, et l’Institut confia cette délicate et dangereuse mission à deux physiciens, jeunes alors, mais qui avaient déjà donné leur mesure par de remarquables travaux, à Gay-Lussac et à Biot. Un premier voyage entrepris en commun fut interrompu par la volonté de Biot sans avoir atteint une grande hauteur. Un second fut accompli le 14 septembre 1804 par Gay-Lussac, qui, cette fois, était seul et s’éleva des jardins du Conservatoire des arts et métiers jusqu’à l’altitude de 7,016 mètres. Il fit avec un calme admirable ses observations et quand elles furent terminées, il descendit heureusement entre Rouen et Dieppe.

Il n’avait éprouvé que faiblement l’effet physiologique connu sous le nom de mal des montagnes ; il avait eu très soif, ce qui tenait à la sécheresse de l’air ; il avait vu que l’électricité est positive, que, contrairement à l’assertion de Robertson, l’aiguille aimantée ne se ralentit pas, que la température avait régulièrement baissé jusqu’à 9° au-dessous de zéro, que la hauteur barométrique était réduite à 0m,328, ayant baissé de plus de moitié, et enfin que la composition de l’air s’était maintenue invariable, aussi riche en oxygène, aussi propre à la respiration qu’à la surface du sol.

Plus on monte, plus on veut monter. Au mois de juillet 1850, Barral et Bixio, encouragés par Arago, partaient de l’Observatoire. Ils avaient calculé leur force ascensionnelle et croyaient qu’elle les mènerait à 12,000 mètres. Ils avaient compté sur la solidité du ballon que leur avait fourni un ancien aéronaute, Dupuis-Delcourt. Mais, vieux, un peu usé, altéré par un long séjour en magasin et d’ailleurs trop serré dans son filet, le ballon se déchira dès le départ et tomba dans une vigne des environs. On le répara rapidement, et l’épreuve fut recommencée le vendredi 24 juillet. Le temps était fort mauvais ; il pleuvait et faisait grand vent ; les circonstances étaient d’autant plus graves que le ballon n’était pas solide ; néanmoins le départ fut résolu. Il commença avec une rapidité vertigineuse. Entrés presque aussitôt dans les nuages, les voyageurs n’en sortirent plus et, sauf de rares éclaircies, demeurèrent enveloppés d’une couche brumeuse qui avait plus de 7,000 mètres de profondeur. Au moment d’en sortir, à 7,000 mètres, quand déjà le globe du soleil semblait vouloir se dégagea les conditions changèrent brusquement. La température, qui s’était maintenue à — 9 degrés, baissa avec une rapidité incroyable jusqu’au froid excessif de — 39 degrés, et l’on rencontra de nombreuses aiguilles de glace qui s’accumulaient sur le carnet de notes. C’est à ce moment où l’observation offrait un si puissant intérêt que le ballon se fendit de nouveau. Les voyageurs jetèrent tout leur lest, ce qui était une imprudence, et ce fut inutilement, car ils ne purent dépasser 7,049 mètres, un peu plus que la hauteur limite de Gay-Lussac. Le ballon, qui continuait à se vider par la déchirure, prit une descente accélérée qu’on ne put retenir. La chute fut un désastre ; elle se fit au hameau des Peux, près de Coulommiers ; les voyageurs avaient eu le bonheur de sauver tous leurs instrumens, mais ils n’avaient exécuté qu’une partie des observations projetées. Nous y reviendrons.

En Angleterre, l’importance des voyages aériens, reconnue depuis longtemps, engagea le comité de direction de l’observatoire de Kew à les multiplier. Pendant l’année 1852, M. Welsh exécuta quatre ascensions dont l’une fut poussée jusqu’à 6,989 mètres. Un peu plus tard, en 1858, l’Association britannique, réunie à Leeds, résolut la fondation d’un comité des ballons, composé des hommes les plus marquans de la Société royale, de tous ceux qui, par la nature de leurs travaux, peuvent s’intéresser à la météorologie. Pour exé-cuter les voyages, elle choisit M. Glaisher, de l’observatoire de Greenwich ; elle ne pouvait rencontrer un homme plus prudent et plus courageux, un observateur plus exact et plus habile. La manœuvre du ballon était faite par un aéronaute de profession, M. Coxwell.

En France, ni le gouvernement ni les associations scientifiques ne suivirent un si bel exemple. Les ballons furent laissés à la merci des événemens et à l’initiative de quelques hommes de bonne volonté, de courage et de désintéressement. On doit citer les noms de Flammarion, des frères Tissandier, de Fonvielle, et ne pas oublier celui d’un artiste spirituel et ardent, M. Nadar, qui eut une idée originale : il fit construire un immense ballon, le Géant, jaugeant 6,000 mètres cubes ; il voulait par l’attrait d’ascensions extraordinaires et de départs à grand spectacle, obtenir du public les sommes nécessaires à la construction de machines volantes plus lourdes que l’air, désirant faire payer aux ballons les frais d’entreprises destinées à les détrôner. Le malheur voulut que la tentative n’eût point de succès ; elle finit par une catastrophe. Nadar a raconté avec sa verve habituelle la chute de son ballon à la lisière d’un bois pendant un ouragan, le traînage de la nacelle, les accidens qui survinrent et les dangers auxquels il a miraculeusement échappé.

Le premier résultat de ces pénibles ascensions est la connaissance qu’on a acquise des effets physiologiques exercés sur les êtres vivans aux limites d’altitudes où la vie peut se conserver. Pendant les années 1862 et 1863, M. Glaisher fit trente ascensions ; la plus émouvante date du 5 septembre 1862. Lorsqu’il eut dépassé 7,000 mètres, M. Glaisher commença à sentir le mal des montagnes. La respiration devenait de plus en plus pénible et courte, les pulsations du cœur plus fréquentes, comme, si l’organe s’efforçait de suppléer au manque d’oxygène par la rapidité de ses fonctions ; les tissus se gonflaient sous l’action d’une pression intérieure devenue prédominante, la face paraissait plus grosse, les lèvres plus épaisses et noires ; puis la paralysie survint, élective et progressive ; elle se prit aux bras, aux jambes, aux muscles du cou ; la tête tomba ; on était dans l’impossibilité d’agir, de soulever même le doigt pour éviter la mort ; la vue s’obscurcissait et, quoique les idées fussent saines, nettes et sans souffrance, le corps peu à peu cessait de vivre. Enfin, l’évanouissement fut complet et dura treize minutes. Les dernières observations furent faites à 8,838 mètres et ne furent reprises qu’au réveil. Pendant cette éclipse de l’intelligence, le ballon avait continué de monter jusqu’à un maximum et commencé à descendre. Jusqu’où s’était-il élevé, c’est ce qu’il est impossible de déterminer exactement. M. Glaisher croit avoir atteint 11,000 mètres : on en peut douter ; ce qui est sûr, ce dont nous devons nous contenter, c’est qu’il avait dépassé 8,800 mètres, dépassé le Gaourichnaka, la plus haute montagne du Népaul et du monde, et que personne avant lui n’avait été si haut.

Après ces belles et dangereuses observations, il est permis de conclure que l’homme ne peut dépasser la limite moyenne de 8,000 mètres sans perdre ses facultés. Cependant, de récentes expériences permettent d’espérer que cette limite sera reculée un jour. M. Paul Bert fit construire en tôle de fer une enceinte assez vaste pour qu’on pût y enfermer des hommes ; on les introduit par une porte qui se ferme ensuite hermétiquement et on les observe par des fenêtres à travers lesquelles ils peuvent à leur tour communiquer par écrit avec l’extérieur. Cette enceinte est en relation avec des réservoirs, avec des machines propres à dilater ou à comprimer l’air ou à introduire d’autres gaz. On peut ainsi faire varier de toutes les manières possibles les conditions de l’existence des patiens. Quand il raréfiait l’air comme cela arrive pendant les ascensions, M. Bert voyait naître et se développer les phénomènes que nous venons de décrire ; les mêmes causes produisaient les mêmes effets. Il fit ensuite une autre épreuve, conserva dans l’enceinte la même quantité d’oxygène et diminua peu à peu la pression en réduisant la proportion d’azote. Il eut la satisfaction de reconnaître que les animaux continuaient à vivre dans ce milieu toujours aussi riche en air vital, mais dont on supprimait progressivement la proportion de ce gaz inutile et sans action qu’on a si justement nommé azote. M. Paul Bert, qui se soumit lui-même à l’expérience, affirme n’avoir rien éprouvé d’insolite jusqu’à la pression de 150 millimètres ; il aurait même continué l’épreuve plus loin, si les préparateurs, effrayés de leur responsabilité, ne s’étaient décidés, en le trompant, à laisser rentrer l’air et à lui ouvrir sa prison. Il est donc bien certain que ce n’est pas à la décompression seulement, et que c’est surtout à la diminution d’oxygène qu’il faut attribuer l’asphyxie dont M. Glaisher faillit être la victime.

Confians dans ces résultats, qu’ils avaient eux-mêmes expérimentés, et voulant reculer la limite des ascensions possibles, deux hommes courageux, Sivel et Crocé Spinelli, firent un premier voyage à grande hauteur (7,320 mètres) le 22 mars 1874. Ils avaient emporté des ballonnets remplis d’air suroxygéné à divers degrés, qu’ils commencèrent et continuèrent à respirer dès l’altitude de 3,600 mètres. L’épreuve fut satisfaisante. Le retour des forces, de l’appétit, de la vision, de la vigueur générale suivait immédiatement l’inhalation de l’oxygène ; la reprise du malaise des montagnes accompagnait aussitôt la respiration de l’air normal raréfié. Cela vint confirmer les expériences faites en vase clos et décider Sivel et Crocé Spinelli à entreprendre ce voyage fatal qui devait leur coûter si cher. Ils partirent le 15 avril 1875, accompagnés de M. Gaston Tissandier, emportant 150 litres d’oxygène, provision bien insuffisante, car trois personnes devaient en consommer au moins 150 litres par minute. Ils en avaient été prévenus par M. Bert ; mais, résolus à braver tous les dangers, ils persistèrent, décidant qu’ils n’emploieraient l’oxygène que dans le cas d’absolue nécessité. C’est cette imprudente décision qui causa leur perte. Quand ils voulurent recourir au remède, il n’était plus temps ; leurs bras étaient paralysés. On sait ce qui arriva. Ils avaient dépassé 8,000 mètres. Après une heure de sommeil léthargique, M. Tissandier se rappelle avoir vu ses deux amis évanouis au fond de la nacelle ; puis, quelque temps après, Crocé, qui s’était réveillé, jeta par-dessus bord les instrumens, les couvertures, tous les objets à sa portée, sans qu’on puisse savoir à quelle ivresse il obéissait. Aussitôt le ballon remonta jusqu’à une hauteur inconnue et, quand finalement il redescendit et que Tissandier fut revenu de son évanouissement, ses deux compagnons étaient sans vie. Sivel avait la figure noire, les yeux ternes, la bouche ouverte et remplie de sang ; Crocé, les yeux à demi fermés et la bouche sanglante. C’est tout ce qu’on sait de ce lamentable événement, qu’un peu de prudence aurait conjuré. La compassion du public pour un si grand malheur s’est traduite en une souscription qui a dépassé 100,000 francs, et un tombeau a été élevé. Il est beau d’honorer le malheur : il ne faut pas cependant que l’opinion s’égare. Sivel et Crocé Spinelli ne sont point, comme on l’a dit, des martyrs de la science ; ils ont été surtout les victimes d’une imprévoyante témérité, car les dangers qu’ils bravaient leur étaient connus, et le remède, ils ne l’ont point employé. La science n’a rien gagné à leur mort si ce n’est la preuve, chèrement achetée, de l’impossibilité de vivre à des hauteurs dépassant 8,000 mètres : cette preuve n’était pas nécessaire.


VI

Au premier coup d’œil qu’il jette dans l’atmosphère, un observateur se sent découragé par la multiplicité des effets. Rien n’est mobile et fuyant comme l’air. Soumise au vent, qui prend toutes les vitesses et souffle dans tous les sens, au réchauffement solaire, au froid de la nuit, aux influences des lieux, à l’humidité, à la sécheresse, à la pluie, au beau temps, l’atmosphère semble obéir à tous les caprices et ne suivre aucune loi ; mais le ballon va nous apporter un précieux moyen de nous reconnaître au milieu de ces complications. C’est un observatoire volant qui nous transporte en un instant dans toutes les couches, nous fait visiter le détail des actions en chaque point, au moment qu’elles s’accomplissent, et nous permet ensuite d’en reconstituer l’ensemble ; et, tandis que les observatoires de montagne sont des lieux d’exception, entourés de sommets perturbateurs, qui n’observent les mouvemens aériens qu’après en avoir modifié les conditions, les ballons sont de simples témoins sans action, dont le seul rôle est de surprendre les élémens dans leur travail. Cherchons donc les lois (s’il y en a) des mouvemens atmosphériques. Commençons par la température.

Il faut d’abord se figurer que dans cet espace immense qui s’étend entre le soleil et la terre, — 40,000,000 de lieues, — il n’y a pas de matière pondérable (du moins nous l’admettons), et que la température y est très basse ; on ne la connaît pas. A la vérité, Pouillet a cru pouvoir la fixer approximativement à — 142 degrés, mais ni lui ni d’autres ne l’ont jamais mesurée. Contentons-nous donc de cette affirmation vague : elle est très basse. Mais, au voisinage de la terre, à une centaine de lieues tout au plus, l’air commence à se montrer, d’abord très rare, puis se condensant et s’accumulant peu à peu, de proche en proche jusqu’au sol, jusqu’à la pression finale de 0m,760. C’est cet ensemble que les rayons solaires sont obligés de traverser avant de nous parvenir. Ils franchissent d’abord le vide sans y rien perdre de leur intensité ; aussitôt qu’ils entrent dans l’atmosphère, dont la transparence n’est pas absolument complète, ils sont absorbés partiellement par les molécules d’air qu’ils échauffent en y laissant ce qu’ils perdent eux-mêmes ; cette perte qu’ils font, cette chaleur que gagne l’air, vont en s’exagérant jusqu’en bas ; après quoi, le sol qui a recueilli tout ce que l’air avait laissé passer, le renvoie par une marche inverse depuis le bas jusqu’en haut.

Ce mécanisme est vérifié par une première et curieuse conséquence. Un thermomètre, quand il est placé vers les limites supérieures de l’air et à l’ombre, marque un froid considérable, le froid de l’espace en cet endroit ; mais s’il est exposé aux rayons du soleil, il en reçoit toute l’énergie, qui n’a point encore été diminuée, et monte à un degré considérable. M. Flammarion, à 4,150 mètres, a noté — 9° à l’ombre, et + 19°,3 au soleil ; la différence était presque égale à 30°. Mais, sur le sol, il en est tout autrement ; le rayonnement solaire étant très affaibli par les absorptions qu’il a subies, et réchauffement de l’air très augmenté par les gains que ce gaz a faits, la différence entre les températures au soleil et à l’ombre est beaucoup moins sensible. Cela nous apprend qu’il ne faut pas mesurer la température ambiante au soleil, ce serait apprécier la chaleur versée par l’astre, mais à l’ombre, c’est-à-dire la chaleur acquise par l’air au moment considéré.

Il est évident que cette absorption partielle de la chaleur solaire augmente en même temps que la densité de l’air à mesure qu’on approche du sol, et qu’on doit inversement rencontrer des froids de plus en plus vifs en montant avec le ballon. C’est en effet ce qui a lieu. C’est peut-être le phénomène le plus important de la météorologie, le plus favorable à notre existence, le plus étonnant de la physique du globe, de voir la terre, dans un espace si refroidi, conserver cependant une température élevée grâce à ce vêtement atmosphérique qui l’enveloppe, chaud à son contact, d’autant plus froid qu’on s’en éloigne davantage. L’antiquité connaissait le fait, par les voyages en montagne, par les neiges qui couronnent éter¬nellement les pics élevés ; toutes les ascensions l’ayant confirmé, on s’est cru en droit de généraliser les expériences de Gay-Lussac et de dire qu’en moyenne la température baisse d’un degré par 160 mètres d’élévation ; mais cela n’est qu’une vérité d’approxima¬tion, la réalité est bien autrement compliquée, comme l’a si bien reconnu M. Glaisher.

Dès sa première ascension, le 12 janvier 1854, il était parvenu à une altitude de 2,000 mètres ; le thermomètre, après avoir conti¬nuellement baissé, avait atteint 2 degrés au-dessous de zéro ; tout faisait croire qu’il allait continuer cette marche descendante, lors-qu’on le vit rester quelque temps stationnaire, puis remonter, atteindre 6 degrés au-dessus de zéro, conserver cette température extraordinaire jusqu’à 5,000 mètres et ne recommencer sa course descendante qu’au-delà de cette hauteur.

Depuis cette observation, la première de ce genre, M. Glaisher a retrouvé des perturbations semblables dans presque toutes ses ascensions ; il a traversé des couches séparées souvent par des pla¬fonds de nuages qui retenaient d’une part la chaleur de la terre et s’interposaient comme des écrans pour arrêter les rayons solaires, et, à chaque interruption de la continuité, il a constaté des changemens brusques de la température. Après M. Glaisher, M. Alluard a reconnu les mêmes perturbations au puy de Dôme. La plus curieuse de toutes, que nous avons déjà citée, avait été déjà observée par Barral et Bixio. On se rappelle qu’à 6,000 mètres ils étaient plon¬gés dans un nuage épais avec une température qui avait lente¬ment, mais régulièrement, baissé jusqu’à — 10° et qui ne différait pas sensiblement de celle que Gay-Lussac avait notée à la limite de son excursion. En s’élevant à 6,500 mètres, ils virent le temps s’éclaircir, le thermomètre baisser très rapidement et atteindre tout à coup l’énorme froid de — 39 degrés quand le ballon arrivait lui-même à la limite de son ascension, à 7,050 mètres de hauteur. C’était la plus basse température qu’on eût encore reconnue ; elle paraissait si extraordinaire à cette époque qu’en la faisant connaître à l’Académie des Sciences, Arago se crut obligé d’insister particu¬lièrement sur la réalité des observations. Aujourd’hui, elles n’éton¬nent plus personne ; on en connaît la cause, elles dépendent sur¬tout du vent, comme nous allons le montrer.


VII.

Qu’est-ce que le vent ? Un déplacement de l’air ; qu’est-ce qui le cause ? Une rupture de l’équilibre atmosphérique déterminée à son tour par l’inégale température des contrées voisines. Le vent est le plus irrégulier, le plus variable des phénomènes. À une petite hauteur, tous les accidens de terrain altèrent sa force et sa direction : quand la vitesse était de 2 mètres par seconde à Greenwich, elle devenait de 15 ou 20 mètres à 7,000 mètres d’élévation. Les montagnes sont des obstacles qu’il faut contourner ou franchir, les vallées sont des couloirs que le courant enfile : la France a le mistral, qui descend le Rhône, et l’Égypte un vent du nord qui remonte le Nil. Sur les côtes qui sont en contraste avec la mer, plus chaudes en été, plus froides en hiver, il y a des vents de terre ou de mer. Pilatre de Rozier fut d’abord poussé vers l’Angleterre, puis ramené sur le rivage où il tomba. M. Tissandier, partant de Calais, d’abord chassé sur la Mer du Nord avec la perspective de n’en pas sortir, rencontra heureusement un vent contraire qui le reconduisit au lieu même d’où il était parti. On voit que, tout près du sol, on est le jouet d’accidens particuliers ; mais quand on s’élève à de grandes hauteurs, les influences locales s’effacent et l’on rencontre des vents réguliers obéissant à des causes générales. Ce sont ces vents qui doivent nous intéresser : il faut aller les chercher en ballon. C’est ce que fit M. Glaisher.

C’est l’action du soleil qui les fait naître ; sans elle, l’air prendrait et garderait un équilibre stable ; avec elle, il subit des réchauffemens périodiques et, comme il est très mobile, qu’il faut peu de chaleur pour l’échauffer, peu d’échauffement pour le dilater beaucoup, il suffit d’une journée pour imprimer à la masse entière du gaz qui nous enveloppe un déplacement considérable que chaque jour voit se renouveler, et qui est une des conditions de la vie matérielle du globe.

Rappelons la célèbre théorie que l’astronome Halley a proposée pour expliquer ces mouvemens. Sur un cercle parallèle à l’équateur, voisin de lui, et changeant de place avec les saisons, le soleil est vertical à midi. C’est là qu’il a le plus de force, c’est là que l’air est le plus échauffé. Étant chaud, il est plus léger et il monte comme s’il était dans une montgolfière. S’il monte, il détermine un appel d’air nouveau pour le remplacer aux lieux qu’il quitte et deux courans par aspiration se précipitent, rasant la terre, venant, l’un du nord, l’autre du midi : ce sont deux vents inférieurs, réguliers, qu’on nomme alizés. Les points du globe que le soleil frappe verticalement et où ils se rencontrent forment l’anneau d’aspiration. Ces courans se rejoignent en montant, et, comme la colonne de fumée sur un volcan, ils s’étalent, puis, changeant de direction, ils commencent à s’écouler vers le nord et le midi, et poursuivent leur route. De là une circulation continue qui se résume pour notre hémisphère en un premier vent inférieur, boréal, l’alise, et en un second supérieur, austral, surchauffé, le contre-alizé. Permanens, très réguliers au voisinage de l’anneau, ils s’affaiblissent peu à peu en s’éloignant, leur régularité diminue et fait place dans les latitudes élevées à toutes les variabilités atmosphériques qui caractérisent nos climats ; et comme toute circulation est nécessairement fermée, il faut qu’après une excursion plus ou moins longue dans l’atmosphère nord, le contre-alizé retourne au sud. Il est difficile de savoir par quel chemin il y revient et comment la circulation se complète ; on croit pourtant l’avoir deviné, et voici comment les choses peuvent se passer.

J’ai supposé, pour simplifier la question, que la terre est immobile ; en réalité, elle fait un tour en 24 heures, et si un courant d’air parti du nord et dirigé vers le sud arrivait droit à l’équateur, il verrait défiler devant lui tous les points de ce cercle, d’occident en orient, avec une vitesse d’environ 460 mètres par seconde. Mais pour les habitans de cet équateur qui se croient immobiles, ce courant paraîtrait avoir d’orient en occident la même vitesse de 400 mètres à la seconde. Bien qu’en réalité les choses ne se passent pas aussi simplement, il en résulte cependant que l’alizé, qui descend le long des côtes d’Afrique sur la surface de l’Océan-Atlantique, a vers l’ouest une vitesse latérale apparente qui le porte vers l’Amérique équatoriale. C’est alors qu’il se transforme en contre-alizé qui retourne vers le nord, qui perd peu à peu sa vitesse latérale par la même raison qu’il l’avait gagnée, et qui tend à en acquérir une autre vers l’est. Alors il contourne le golfe du Mexique, parcourt l’Amérique du Nord, puis s’infléchissant peu à peu vers l’est, pénètre dans l’Atlantique qu’il traverse en diagonale pour aborder finalement les côtes d’Europe. C’est la marche du Gulf-Stream, des cyclones et de toutes les bourrasques, marche si bien connue qu’on peut nous annoncer leur départ d’Amérique et leur arrivée certaine à une date prévue. Ces courans abordent au nord sur la Norvège, ou sur l’Angleterre et à Calais, ou bien à Brest, ou à Coimbre (collis imbrium), suivant les circonstances locales qui, sans altérer le sens de ces mouvemens, modifient quelque peu leur parcours et leur lieu d’arrivée. On ne peut refuser à cette théorie le plus haut degré de vraisemblance ; mais combien de détails ne laisse-t-elle pas indéterminés ! que d’influences elle oublie, celle des continens, des mers, des montagnes ou des plaines ! Elle se borne à prévoir l’existence de deux familles de courans aériens généraux, l’un qui descend du nord et doit s’incliner vers l’ouest, l’autre revenant du sud et tournant à l’est. Quel chemin suivent-ils, on l’ignore ; comment se raccordent-ils dans les contrées moyennes ou boréales ? sont-ils juxtaposés ou superposés, et surtout pourquoi se succèdent-ils alternativement dans un même lieu pour y apporter la pluie ou y laisser pénétrer le soleil ? On voit qu’en donnant une explication générale, Halley a ouvert la porte à une infinité de questions qui ne pourront être résolues que par de nombreuses excursions dans les hauteurs, mais sur lesquelles néanmoins il nous donne de précieuses indications ; il nous apprend, par exemple, que le courant boréal s’infléchit peu à peu vers l’ouest et le vent austral vers l’est, c’est-à-dire à la droite d’un observateur qui marcherait dans leur direction. Or nous devons à M. Flammarion, comme résultat de ses nombreuses ascensions, cette précieuse remarque, que tous les vents auxquels il s’est abandonné l’ont conduit suivant des courbes toujours tournantes, et tournant vers sa droite ; nous savons, d’autre part, que le courant boréal est toujours sec, le courant austral toujours humide : c’est ce que nous allons expliquer en complétant comme il suit l’histoire de la grande circulation aérienne.

Quand il descend vers le sud en rasant la surface de l’océan, l’alizé s’échauffe chemin faisant et se charge de vapeur d’eau ; arrivé à l’anneau, sous le soleil vertical, il monte, se refroidit, et abandonne une partie de sa vapeur, qui se condense, forme ces nuages ordinairement orageux, ces pluies torrentielles si connues, tombant chaque soir à heure fixe, dans un ciel obscurci, que les marins nomment le pot au noir. On peut dire que l’air ascendant abandonne son trop plein d’humidité, que ces pluies limitent son refroidissement, et qu’à la fin de son ascension il a accumulé toute la provision possible de chaleur et de vapeur. C’est alors qu’il part pour les régions tempérées, qu’il va arroser et réchauffer. Le courant austral est le porteur d’eau de notre hémisphère. Toutes les fois qu’il règne, c’est la pluie ; au contraire, l’alizé nord commence quand le courant austral cesse, quand l’air desséché se dirige vers le sud, se charge de vapeur au lieu d’en céder et se réchauffe au lieu de se refroidir. Les deux courans ont donc des caractères différens, on les reconnaîtra à leur température et leur humidité ; cherchons donc comment on mesurera cette humidité à tout moment, à toute hauteur, dans un ballon. Cela exige encore une courte explication. Un mètre cube d’air ordinaire pèse environ 1,300 grammes. Mais il n’est jamais sec et contient toujours de la vapeur d’eau, qui est un gaz incolore comme l’air et presque transparent. S’il en contient 1,300 milligrammes, on dira que sa richesse hygrométrique est un millième. En général, la richesse est le rapport du poids de vapeur à celui de l’air qui la contient.

Ce rapport est toujours très petit et ne dépasse pas 8 ou 9 millièmes, et il est variable. S’il y a très peu de vapeur, l’air est sec ; à mesure qu’elle augmente, il devient de plus en plus humide ; mais elle ne peut dépasser une limite, un maximum, sans se condenser ; quand elle l’atteint, on dit que l’air est saturé. Pour atteindre cette saturation, il faut d’autant plus de vapeur que la température est plus haute : si l’air est saturé à 10 degrés, il cesse de l’être à 20 degrés ; mais il revient à la saturation quand on le ramène à 10 degrés ; il la dépasse à 5 degrés, et on voit se produire alors un changement important : cette vapeur, qui ne peut être contenue tout entière dans un espace trop petit, se condense en partie, donne naissance à des brouillards, aux nuages, à la pluie, à tous les météores aqueux. Dans toutes ses ascensions, M. Glaisher a mesuré les conditions hygrométriques par les instrumens connus et en a publié les résultats, qui nous conduisent aux remarques suivantes :

On reconnaît tout d’abord que la richesse hygrométrique de l’air est la plus grande possible au niveau du sol ; elle était, en moyenne, égale à 8 millièmes dans toutes les ascensions exécutées aux diverses saisons de l’année, puis elle baissait rapidement à mesure qu’on montait, et, à partir de 2,000 mètres, elle restait à peu près constante ou ne diminuait que fort peu jusqu’à 7,000 mètres, ce qui est la limite possible des attitudes observées.

Le 26 juin 1863, M. Glaisher s’éleva à Wolverton ; le temps, très beau le matin, s’était progressivement gâté, et vers midi une véritable tempête s’était accusée. L’ascension, retardée et rendue périlleuse par la violence du vent, commença à une heure, et le ballon rencontra des couches successives de brouillards et de pluie depuis le sol jusqu’à l’attitude de 7,140 mètres. La richesse hygrométrique était considérable et diminuait progressivement, mais lentement. À la limite de l’ascension, elle était encore très notable et se continuait très probablement au-delà. Le décroissement de la température était lent et se limitait à 8 degrés au-dessous de zéro. On avait donc rencontré des couches chaudes et humides ; on s’était trouvé dans le courant austral.

Mais, le 8 avril de la même année, M. Glaisher rencontra des circonstances entièrement opposées ; après avoir percé une couche peu épaisse de nuages, il avait nagé dans le ciel bleu. La température avait ensuite baissé rapidement, et la richesse hygrométrique avait diminué si vite qu’elle était nulle à 4,000 mètres. À cette élévation, il n’y avait plus de vapeurs appréciables dans l’atmosphère, le ballon avait voyagé dans le courant boréal.

On sait par les expériences de Tyndall que la vapeur d’eau se laisse difficilement traverser par les rayons solaires et qu’elle enveloppe la terre d’un manteau qui recueille la chaleur solaire pendant le jour et l’empêche de se dissiper pendant la nuit. Tyndall décrit à ce sujet dans un éloquent tableau les désastres qu’une seule nuit causerait à l’Angleterre si l’air était privé de vapeur… L’invasion du sol par un froid qui dépasserait toute prévision, les cours d’eau congelés, toute végétation supprimée, toute vie anéantie, etc. Eh bien, au 18 avril 1863, à partir d’une médiocre hauteur, l’air ne renfermait aucune trace de vapeur. Je n’ai pas entendu dire que les malheurs prédits par l’éminent physicien aient menacé la terre, mais il faut se rappeler que c’est à cette époque du printemps que l’on voit se produire, au lever du soleil, ces gelées désastreuses, ces froids de la lune rousse qui préoccupent avec tant de raison les agriculteurs de tous les pays. On en voit la cause, elle est tout entière dans l’absence de la vapeur d’eau dans les régions élevées.

Puisque dans ces ascensions on a pu mesurer le poids de vapeur contenue dans tous les points d’une colonne d’air haute de 7,000mètres, on peut en faire la somme et savoir quelle serait la hauteur d’eau qui couvrirait le sol si toute cette vapeur y tombait en pluie à un moment donné. On trouve qu’elle serait de 0m,014 en avril, de 23 en juin, de 35 en août, et qu’à partir de là, après avoir augmenté, elle diminue jusqu’en hiver ; c’est pour cela que la quantité de pluie est maximum en été, minimum en hiver, qu’elle augmente par le courant austral et qu’elle diminue par le vent du nord, et l’on constate que, dans toute saison, l’atmosphère contient assez de vapeur pour fournir à la terre la quantité de pluie dont elle a besoin.

Le mécanisme de la formation de cette pluie est un des plus curieux phénomènes naturels. Pour l’expliquer, il faut d’abord se rappeler la célèbre observation de Barral et Bixio que nous avons précédemment racontée. Après avoir rencontré jusqu’à 6,000 mètres une température modérée de 10 degrés au-dessous de zéro, au milieu de brouillards continus, ils virent enfin le ciel s’éclaircir, la température baisser rapidement jusqu’à — 30 degrés, et des cristaux de glace très déliés nager dans l’air environnant ; circonstances qui ont été observées depuis par M. Glaisher un grand nombre de fois. Voici comment on les explique. Les dernières couches du courant austral rayonnent de la chaleur vers l’espace qui est limpide et se refroidissent ; cela amène une sursaturation, une précipitation d’eau qui, à cette température, se gèle en fines aiguilles cristallines. Ce sont celles qu’ont vues Barral et Bixio. Elles tombent dans les couches inférieures qui ne sont point saturées, et s’y évaporent de nouveau. En résumé, une certaine somme de vapeur a quitté la couche supérieure, qui s’est desséchée, et s’est finalement transportée aux tranches inférieures, qui sont devenues plus humides et qui prennent le rôle qu’avait joué celle du dessus. Ce mécanisme se continue par cascade, de haut en bas, et se caractérise par une descente de l’eau dont toute la provision finit par gagner la terre, non en une seule fois, mais peu à peu, tout en marchant ; il se caractérise aussi par une descente progressive de la chaleur, qui est remplacée par le froid, jusqu’à ce que, arrivé au pôle, le courant austral n’ait plus rien gardé ni de la chaleur ni de la vapeur dont il avait été faire provision sur l’anneau d’aspiration.

Ces exemples, que je ne veux pas multiplier, nous font comprendre les services que les ballons ont rendus et peuvent rendre dans l’avenir à la météorologie. En terminant le récit de ses périlleux voyages, M. Glaisher regrette que l’Angleterre soit une île de trop petite étendue pour qu’il soit possible de les prolonger la nuit et les continuer longtemps. Il fait appel à la France, patrie des ballons pour continuer son œuvre. J’ajoute bien volontiers mes vœux aux siens, sans espérance de les voir exaucer : c’est une œuvre de longue patience et de trop grosse dépense pour être aujourd’hui tentée, mais qu’un avenir prochain accomplira sans aucun doute. Les ballons nous feront connaître les lois de l’électricité atmosphérique, sur laquelle on ne sait rien, ou les variations des courans aériens que nous ne connaissons pas davantage. Que de découvertes bienfaisantes ne pouvons-nous pas attendre de ce côté ! D’autre part, quelle effrayante aggravation les aérostats vont prochainement apporter dans l’art des batailles ! On ne peut songer sans effroi au sort des habitans d’une ville assiégée sur laquelle un ballon viendra verser une pluie de dynamite. Quant à un service de transport ou de voyage, je me prends quelquefois à penser que l’humanité a trop espéré des ballons, qu’elle a fait un rêve et qu’elle n’en tirera pas ce qu’elle avait espéré. Mais qui peut prévoir l’avenir des inventions humaines quand elles commencent ? Plus que jamais, on peut répéter le mot de Franklin au sujet des ballons : C’est l’enfant qui vient de naître.


J. JAMIN.