F. ROY (p. 18-26).
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III

L’ARRESTATION

Presque aussitôt dix ou douze hommes firent irruption dans la chambre plutôt qu’ils n’y entrèrent ; le bruit qui continuait au dehors laissait deviner qu’un grand nombre d’autres se tenaient sur les escaliers et dans les corridors, prêts, si besoin était, à venir en aide aux premiers.

Tous ces hommes étaient armés ; il était facile, du reste, de les reconnaître pour des gardes du roi ou plutôt de Monsieur le Cardinal.

Seuls, deux d’entre eux, à la mine sournoise et chafouine et aux regards louches, vêtus de noir comme des huissiers, n’avaient pas d’armes apparentes ; ceux-ci, selon toute probabilité, étaient plus à craindre que les autres, car sous leur obséquiosité féline, ils cachaient sans doute une volonté implacable de faire le mal.

L’un de ces deux hommes tenait quelques papiers de la main droite ; il fit deux ou trois pas en avant, jeta un regard soupçonneux autour de lui, et se découvrant respectueusement :

— Au nom du roi, messieurs ! dit-il d’une voix brève et tranchante.

— Que voulez-vous ? demanda le comte de Barmont en s’avançant résolument vers lui.

À ce mouvement, qu’il prit pour une démonstration hostile, l’homme noir recula vivement avec un geste de frayeur mal dissimulé ; mais, se sentant appuyé par ses acolytes, il reprit aussitôt son sang-froid et répondit avec un sourire de mauvais augure.

— Ah ! ah ! monsieur le comte Ludovic de Barmont, je crois ? fit-il avec un salut ironique.

— Au fait, monsieur ; au fait ! reprit le gentilhomme avec hauteur. Je suis effectivement le comte de Barmont.

— Capitaine des vaisseaux du roi, continua imperturbablement l’homme noir ; commandant pour le présent la frégate de Sa Majesté l’Érigone ?

— Je vous ai dit, monsieur, que je suis celui que vous cherchez, reprit le comte.

— C’est effectivement à vous que j’ai affaire, monsieur le comte, répondit-il en se redressant. Cordieu ! mon gentilhomme, vous n’êtes pas facile à atteindre ; voici huit jours que je cours après vous, je désespérais presque d’avoir l’honneur de vous rencontrer.

Tout cela fut dit d’un air obséquieux, d’une voix mielleuse et avec un sourire doucereux à faire damner un saint et, à plus forte raison, celui auquel ce singulier homme s’adressait et qui était doué d’un caractère rien moins qu’endurant.

— Vive Dieu ! s’écria-t-il en frappant du pied avec colère, aurez-vous bientôt fini, mon maître ?

— Patience, mon gentilhomme, répondit-il du même ton placide, patience ! mon Dieu que vous êtes vif ! Puis, jetant les yeux sur les papiers qu’il tenait à la main : Donc, puisque, de votre aveu même, vous reconnaissez être bien le comte Ludovic de Barmont, capitaine commandant la frégate de Sa Majesté l’Érigone, en vertu des ordres dont je suis porteur, au nom du roi, je vous arrête pour crime de désertion, ayant sans autorisation abandonné votre bâtiment en pays étranger, c’est-à-dire dans le port de Lisbonne en Portugal. Puis, relevant la tête et fixant ses yeux louches sur le gentilhomme : Rendez-moi votre épée, monsieur le comte, ajouta-t-il.

M. de Barmont haussa dédaigneusement les épaules.

— L’épée d’un gentilhomme de ma race ne sera jamais remise aux mains d’un cuistre de ta sorte, dit-il avec mépris ; et, dégainant son épée, il en brisa froidement la lame sur ses genoux, et jeta les morceaux à travers les vitres qui se brisèrent en éclats.

Puis il saisit les deux pistolets qu’il portait à sa ceinture et les arma.

— Monsieur ! monsieur ! s’écria le sbire en se reculant avec épouvante, c’est rébellion, songez-y, rébellion aux ordres exprès de Sa Majesté et de Son Éminence le cardinal ministre.

Le comte sourit avec mépris, et levant ses pistolets en l’air il les déchargea ; les balles allèrent se loger dans le plafond. Les saisissant ensuite par le canon, il les lança à la volée à travers la fenêtre, puis croisant ses bras sur la poitrine :

— Maintenant, dit-il froidement, faites de moi ce que vous voudrez.

— Vous êtes rendu, monsieur le comte ? demanda le sbire avec une terreur mal dissimulée.

— Oui, dès ce moment, je suis votre prisonnier.

L’homme noir respira ; bien que sans armes, le fier gentilhomme l’effrayait encore.

— Seulement, continua celui-ci, laissez-moi dire deux mots à cette dame, et il désigna du geste doña Clara qui, soignée par dame Tiphaine accourue au bruit malgré les prières et les ordres de son mari, commençait à reprendre connaissance.

— Non, non, pas un mot, pas une syllabe ! s’écria le duc en se jetant entre sa fille et le comte ; emmenez ce misérable, emmenez-le !

Mais le recors, heureux de la facilité avec laquelle le comte s’était rendu à lui, et ne voulant pas exciter sa colère, heureux surtout de faire preuve d’autorité sans courir de risques, s’interposa bravement.

— Permettez, permettez, monsieur, dit-il, ce gentilhomme a à parler à cette dame, laissez-le décharger son cœur.

— Mais cet homme est un assassin ! s’écria le duc avec violence, devant vous gît encore le cadavre de mon malheureux fils, tué par lui.

— Je vous plains, monsieur, répondit le sbire sans s’émouvoir ; à ceci je ne saurais porter remède : adressez-vous à qui de droit pour en avoir raison. Cependant, si cela peut vous être agréable, soyez convaincu que je prends bonne note de l’accusation que vous portez, et que je m’en souviendrai en temps et lieu ; mais vous devez être aussi pressé d’être débarrassé de nous, que nous avons, nous, hâte de partir ; laissez donc ce gentilhomme faire tranquillement ses adieux à la jeune dame, ce ne sera pas long, j’en suis convaincu.

Le duc lança un regard farouche au recors, mais ne voulant pas se compromettre avec un tel drôle, il ne répondit pas et se recula d’un air sombre.

Le comte avait assisté sans témoigner ni impatience ni humeur à cette altercation ; le front pâle, les sourcils froncés, il attendait, prêt à se porter sans doute à quelque extrémité terrible si sa demande ne lui était pas octroyée.

Le recors n’avait eu qu’un regard à jeter sur lui pour deviner ce qui se passait dans son cœur ; aussi, peu jaloux de voir s’élever un nouveau conflit, avait-il prudemment manœuvré pour l’éviter.

— Voyons, dit-il, parlez, mon gentilhomme, nul ne s’y oppose.

— Merci, répondit sourdement le comte, et s’approchant de doña Clara qui le regardait venir en fixant sur lui un regard ardent :

« Clara, lui dit-il d’une voix ferme et profondément accentuée, m’aimez-vous ?

Elle hésita un instant et courba la tête en poussant un profond soupir.

— M’aimez-vous ? reprit-il.

— Je vous aime, Ludovic, répondit-elle d’une voix faible et tremblante.

— Vous m’aimez comme votre époux devant Dieu et devant les hommes, et comme le père de votre enfant ?

La jeune fille se leva, son œil noir lança un éclair, et étendant les bras devant elle :

— En présence de mon père prêt à me maudire, dit-elle d’une voix étranglée par l’émotion, devant le corps de mon frère mort, à la face des hommes qui m’écoutent, je jure, Ludovic, que je vous aime comme le père de mon enfant, et que, quoi qu’il arrive, je vous serai fidèle.

— Bien, Clara, répondit-il, Dieu a reçu votre serment, il vous viendra en aide pour le tenir ; souvenez-vous que, morte ou vivante, vous m’appartenez de même que moi je suis vôtre, et que nulle puissance au monde ne pourra rompre les liens qui nous unissent. Maintenant, adieu, et ayez bon courage.

— Adieu ! murmura-t-elle en retombant sur son siège et cachant sa tête dans ses mains.

— Marchons, messieurs ! Faites de moi ce qu’il vous plaira, dit le comte en se retournant vers les recors et les gardes émus malgré eux par cette scène.

Le duc s’élança d’un bond de tigre vers sa fille, et lui saisissant d’un geste frénétique le bras droit qu’il meurtrit, il l’obligea à relever vers lui son visage inondé de larmes ; et fixant sur elle un regard chargé de toute la rage qui gonflait son cœur :

— Ma fille ! s’écria-t-il d’une voix que la fureur rendait sifflante, préparez-vous à épouser sous deux jours l’homme que je vous destine. Quant à votre enfant, vous ne le verrez jamais, il n’existe plus pour vous. L

La jeune fille poussa un cri de désespoir et tomba privée de sentiment entre les bras de dame Tiphaine.

Le comte, qui en ce moment sortait de la chambre, s’arrêta court, se retourna vers le duc, et, étendant le bras vers lui :

— Bourreau ! s’écria-t-il d’une voix stridente qui glaça de terreur les assistants, sois maudit ! Je jure, sur ma foi de gentilhomme, de tirer de toi et des tiens une vengeance si terrible, que le souvenir en demeurera éternel ; et si je ne puis t’atteindre, toi, la nation tout entière à laquelle tu appartiens se courbera sous le poids terrible de ma haine implacable. Entre nous maintenant, c’est une guerre de sauvages et de bêtes fauves, sans trêve ni merci. Adieu !

Et laissant l’orgueilleux Espagnol épouvanté de cet effroyable anathème, le gentilhomme sortit d’un pas ferme en lançant un dernier regard d’amour à la femme qu’il aimait et dont peut-être il était séparé pour toujours.

Les corridors, les escaliers et le jardin de l’auberge étaient remplis d’hommes armés : c’était évidemment un miracle que les deux matelots fussent parvenus à s’échapper et à tirer au large sains et saufs ; cela donna bon espoir au comte et il descendit d’un pas assuré, surveillé attentivement par son escorte qui ne le perdait pas de vue.

Les gardes avaient été avertis de longue main qu’ils auraient affaire à un officier de marine d’une violence de caractère inouïe, d’une vigueur prodigieuse et d’un courage indomptable ; aussi la résignation de leur prisonnier, résignation qu’ils croyaient feinte, ne leur inspirait-elle qu’une confiance fort médiocre et se tenaient-ils continuellement sur la défensive.

Lorsqu’ils débouchèrent dans le jardin, le chef des recors aperçut le carrosse qui stationnait toujours devant la porte.

— Eh mais, dit-il en ricanant et en se frottant les mains, voici justement notre affaire ! Dans la hâte que nous avons mise à arriver, nous avons oublié de nous munir d’un carrosse ; veuillez monter, je vous prie, monsieur le comte, dit-il, en ouvrant la portière.

Le comte monta sans se faire prier. Le recors s’adressa alors au cocher immobile sur son siège.

— Descends, drôle ! dit-il d’un ton de commandement ; au nom du roi, je mets ce carrosse en réquisition : affaire d’État ! Cède ta place à un de mes hommes ! L’Éveillé, ajouta-t-il en se tournant vers un grand coquin à la mine effrontée, si maigre que toujours on le voyait de profil, et qui se tenait auprès de lui, monte sur le siège à la place de cet homme et partons !

Le cocher n’essaya pas de résister à cet ordre péremptoire ; il descendit, et fut aussitôt remplacé par l’Éveillé. Le recors entra alors dans la voiture, s’assit en face de son prisonnier, ferma la portière, et les chevaux, enlevés par un vigoureux coup de fouet, s’élancèrent en avant, entraînant à leur suite le lourd véhicule autour duquel se groupèrent les vingt et quelques soldats de l’escorte.

Pendant assez longtemps le carrosse roula sans qu’un mot fût échangé entre le prisonnier et celui qui le gardait.

Le comte songeait, le recors dormait, ou plutôt feignait de dormir.

Au mois de mars, les nuits sont courtes déjà ; le jour ne tarda pas à paraître et de larges bandes blanchâtres commencèrent à nuancer l’horizon.

Le comte, qui jusqu’à ce moment était demeuré immobile, fit un léger mouvement.

— Est-ce que vous souffrez, monsieur le comte ? demanda le recors.

Cette question lui fut adressée avec une intonation si différente de celles employées jusque-là par celui qui l’avait fait prisonnier ; il y avait dans le son de sa voix un accent si réellement doux et compatissant, que le comte tressaillit malgré lui et regarda fixement son singulier interlocuteur ; mais autant qu’il put s’en apercevoir à la faible clarté du jour naissant, l’homme qui se trouvait devant lui avait toujours la même physionomie chafouine et le même sourire ironique stéréotypé sur les lèvres. Le comte crut s’être trompé ; et, se rejetant en arrière, il répondit ce seul mot :

— Non ! d’un ton sec, destiné à rompre toute velléité d’entretien entre lui et son garde du corps.

Mais celui-ci était probablement en humeur de causer, car il ne se rebuta pas et, feignant de ne pas remarquer la façon dont ses avances avaient été reçues, il continua :

— Les nuits sont glacées encore, l’air entre de tous les côtés dans ce carrosse et je craignais que le froid vous eût saisi.

— Je suis habitué à souffrir le froid et la chaleur, répondit le comte ; d’ailleurs, il est probable que si mon apprentissage n’est point fait encore, je vais en subir un qui m’habituera à tout endurer sans me plaindre.

— Qui sait, monsieur le comte ? fit le recors en hochant la tête.

— Hein ? dit celui-ci ; ne suis-je donc pas condamné à une longue captivité dans une forteresse ?

— C’est ce que porte l’ordre dont je suis chargé d’assurer l’exécution.

Il y eut un instant de silence ; le comte regardait distraitement la campagne que les premières lueurs du jour commençaient à éclairer ; enfin il se retourna vers le recors.

— Puis-je vous demander où vous me conduisez ? lui dit-il.

— Je n’y vois pas d’inconvénient, reprit celui-ci.

— Et vous répondrez à ma question ?

— Pourquoi pas ? Rien ne s’y oppose.

— Ainsi nous allons ?…

— Aux îles Sainte-Marguerite, monseigneur !

Le comte tressaillit intérieurement. Les îles de Lérins ou Sainte-Marguerite jouissaient, à cette époque déjà, d’une réputation presque aussi terrible que celle qu’elles acquirent plus tard, lorsqu’elles servirent de prison à ce mystérieux Masque de Fer qu’il était défendu même d’entrevoir sous peine de mort.

Le recors le regardait fixement sans parler.

Ce fut encore le comte qui reprit l’entretien.

— Où sommes-nous ici ? demanda-t-il.

Le recors se pencha, regarda au dehors, puis reprit sa place.

— Nous arrivons à Corbeil, dit-il ; on va changer de chevaux.

— Ah ! fit le comte.

— Si vous désirez vous reposer, je puis donner l’ordre d’arrêter une heure. Peut-être éprouvez-vous le besoin de prendre quelque chose ?

Ce singulier homme acquérait peu à peu, aux yeux du comte, tout l’intérêt d’une énigme.

— Soit, dit-il.

Sans répondre, le recors baissa les mantelets.

— L’Éveillé ! cria-t-il.

— Quoi ? demanda celui-ci.

— Tu nous arrêteras à l’auberge du Lion d’Or.

— C’est bon !

Dix minutes plus tard, le carrosse faisait halte rue Saint-Spire, devant une porte au-dessus de laquelle criait, sur une tringle de fer, une enseigne représentant un énorme chat tout doré, une des pattes de devant appuyée sur une boule : on était arrivé.

Le recors descendit suivi par le comte, et tous deux entrèrent dans l’auberge ; une partie de l’escorte demeura en selle dans la rue, le reste mit pied à terre et s’installa dans la salle commune.

Sur un signe du recors, qu’il paraissait bien connaître, l’aubergiste le précéda, son bonnet de coton à la main, et le conduisit dans une chambre du premier étage, assez bien meublée, et dans la cheminée de laquelle brûlait un bon feu ; puis il se retira sans prononcer une parole, contre la coutume de ses confrères.

Le comte avait machinalement suivi le recors, et arrivé dans la chambre, il s’était installé sur une chaise auprès du feu, trop préoccupé de ses propres pensées pour attacher grande attention à ce qui se passait autour de lui.

Lorsque l’aubergiste les eut laissés seuls, le recors ferma la porte en dedans en poussant un verrou, et venant se placer devant son prisonnier :

— Maintenant, parlons à cœur ouvert, monsieur le comte ! dit-il.

Celui-ci, étonné de cette brusque interpellation, releva vivement la tête.

— Nous n’avons pas de temps à perdre pour nous entendre, monsieur le comte. Écoutez-moi donc sans m’interrompre, continua le recors. Je suis François Bouillot, le frère cadet de votre père nourricier, me reconnaissez-vous ?

— Non, répondit le comte après l’avoir pendant un instant examiné attentivement.

— Cela ne m’étonne pas, vous n’aviez que huit ans la dernière fois que j’eus l’honneur de vous voir au château de Barmont ; mais peu importe ! je vous suis dévoué et je veux vous sauver.

— Qui m’assure que vous êtes bien François Bouillot, le frère de mon père nourricier, et que vous n’essayez pas de me tromper ? répondit le comte d’un ton soupçonneux.

Le recors fouilla dans sa poche, en sortit plusieurs papiers qu’il déplia et présenta tout ouverts au comte.

Celui-ci y jeta machinalement les yeux : il y avait un extrait de naissance, une commission, plusieurs lettres qui établissaient péremptoirement l’identité du frère de son père nourricier. Le comte lui rendit les papiers.

— Comment se fait-il que ce soit vous qui m’ayez arrêté et que vous vous trouviez si à point pour me venir en aide ? lui demanda-t-il.

— D’une façon fort simple, monsieur le comte ; votre ordre d’arrestation a été demandé au cardinal ministre par l’ambassade de Hollande. J’étais présent lorsqu’un familier de Son Éminence, M. de Laffemas, qui me veut du bien, est sorti du Palais-Cardinal l’ordre à la main ; je me trouvais là, il m’a choisi ; seulement, comme je pouvais refuser, je l’aurais fait si je n’avais pas vu votre nom sur le papier. Je me suis souvenu alors des bontés que votre famille avait eues pour moi et pour mon frère, et profitant de l’occasion que m’offrait ma profession de recors, j’ai voulu vous rendre ce que m’ont fait les vôtres en essayant de vous sauver.

— Ceci ne me semble guère facile, mon pauvre ami.

— Plus que vous ne le croyez, monsieur le comte ; je vais laisser ici la moitié de notre escorte, une douzaine d’hommes : il n’en demeurera plus que dix avec nous.


L’aubergiste le précéda son bonnet de coton à la main.

— Hum ! c’est déjà un assez joli chiffre, répondit le comte, intéressé malgré lui.

— Ce serait trop, si dans ces dix hommes il n’y en avait pas sept dont je suis sûr, ce qui réduit à trois le nombre de ceux que nous avons à redouter. Il y a longtemps que je cours après vous, monsieur le comte, ajouta-t-il en riant, et mes précautions sont prises, vous allez voir : sous un prétexte facile à trouver nous passerons par Toulon ; arrivés là, nous séjournerons une heure ou deux dans une auberge que je connais. Vous vous déguiserez en moine mendiant et vous sortirez de l’auberge sans être remarqué. J’aurai soin d’éloigner ceux des gardes dont je ne suis pas sûr. Vous vous rendrez sur le port muni de papiers que je vous remettrai, vous vous embarquerez sur un charmant chasse-marée appelé la Mouette, que j’ai frété à votre intention et qui vous attend. Le patron vous reconnaîtra à un mot de passe que je vous dirai, et vous serez libre d’aller où vous voudrez. Ce plan n’est-il pas bien simple, monsieur le comte, fit-il en se frottant joyeusement les mains, et n’ai-je pas tout prévu ?

— Non, mon ami, répondit le comte avec émotion en lui tendant la main ; il y a une chose que vous n’avez pas prévue.

— Laquelle donc, monsieur le comte ? fit-il avec étonnement.

— C’est que je ne peux pas fuir ! répondit le jeune homme en secouant tristement la tête.