Les Aventures du roi Pausole/Livre III/Chapitre 5

Bibliothèque Charpentier, Eugène Fasquelle, éditeur (p. 224-227).





CHAPITRE V



OÙ CHACUN EST TRAITÉ SELON SES VERTUS



Hélène. — Fata-lité ! Fata-lité ! Fata…
Pâris. — … li-ité !

Meilhac et Halévy.


— Je retiens de ta plaidoirie, dit Pausole, le premier point. Tu m’as fait préparer un gîte confortable et tu veilles sur mon bien-être : c’est d’un homme de gouvernement. Pendant cette terrible journée, je commence à entrevoir que toi seul as fait effort dans tous les sens où il convenait d’agir et que le mal m’est venu d’un autre… Taisez-vous, Taxis, taisez-vous ! vous êtes hideux et impolitique. Algébriste, vous avez l’esprit faux ; protestant, vous l’avez étroit ; eunuque, vous l’avez envieux. Je vous tiens pour une niguedouille. Allez indemniser le pauvre métayer de tous les dégâts qui se sont faits ici, et dont, somme toute, rien ne me dit que ce petit Gilles soit l’auteur. C’est une question qui sera réglée en temps et lieu, demain ou après, et qui ne m’intéresse en aucune façon, je le déclare. Occupez-vous des frais que je laisse derrière moi ; reconduisez au harem la Reine qui s’en est échappée…

— Oh sire, dit Guiguelillot, serez-vous si cruel ?

— Eh ! que veux-tu que je fasse d’une femme pendant un voyage secret ?

— Ne l’humiliez pas. Elle vous aime. Laissez-la vous suivre en silence.

— À l’instant, tu déplorais encore qu’elle m’eût rejoint !

— Je regrette qu’elle ait pu s’enfuir et bouleverser ainsi vos heures de repos : mais la chose est faite. Il faut l’accepter, ne fût-ce que pour imposer le silence aux gorges chaudes.

Ce n’est pas le jour de la Reine Diane, interrompit Taxis. Je m’oppose à toute faveur qui dérogerait au règlement.

— Que décide Votre Majesté ? demanda Giguelillot sans trop d’ironie.

— Je ne sais plus, répondit Pausole. Perds donc l’habitude de me proposer à toute minute des résolutions qui me fatiguent. Qui est mon conseiller à dix heures du soir ? C’est toi, Gilles. Fais donc à ta guise et sois sûr que je t’approuverai, mon ami, car il y a peut-être d’aussi bonnes raisons pour pardonner que pour punir. J’aime mieux m’en remettre à ton jugement que de tirer à la courte paille. Va, et parle en mon nom ; j’ai confiance en toi.

Le page s’inclina, obtint la clef, sortit et s’en fut délivrer la malheureuse Diane, non sans lui laisser entendre à demi-mot qu’il avait eu l’honneur de plaider pour elle.

Ses projets étaient fort simples : deux heures plus tard, selon toute apparence, Taxis reprenant le pouvoir sur le coup de minuit casserait la décision de son prédécesseur ; mais la Reine aurait eu le temps de s’installer au château. Giglio s’introduirait chez elle et Diane s’imaginerait peut-être donner par reconnaissance tout ce qu’elle offrirait par désir et par soif de se venger sur l’heure.


En revenant auprès du Roi, elle garda un maintien silencieux et blessé. Comme elle semblait attendre une parole de regret, le Roi lui tendit la main, mais il y mit une affection qui redoutait visiblement d’être accueillie avec transports.

— Houppe, vous ne rentrerez pas au harem ce soir, comme je vous en avais d’abord menacée. Je passe la nuit dans ce village et vous aussi ; mais il n’en est pas moins vrai que je reste mécontent de votre équipée, ainsi que de tous les tracas dont elle fut pour moi la cause. Venez ; nous sortirons à pied. Taxis s’occupera de nos montures et mon page vous prendra la main. En attendant, petit, donne-moi ma couronne.

Giglio prit à la patère le manteau de pourpre et la couronne légère ; Pausole se vêtit, se coiffa et jeta l’ordre du départ.

Quatre jeunes filles portant des torches et marchant devant le Roi, sans autres voiles que ceux de la nuit, firent lentement les vingt-cinq pas qui séparaient la ferme du château voisin.

Derrière, suivait Diane à la Houppe, que le page menait la main haute et à respectueuse distance.

Elle regarda longtemps le Roi ; puis, comme il ne se retournait point, elle jeta les yeux sur le page. Après un examen pensif qui dura plusieurs minutes et qui enveloppa le jeune homme de la tête jusqu’aux talons :

— Comment vous appelez-vous ? Dit-elle.

— Djilio, madame, répondit-il.

Et il crut devoir pousser un soupir mélancolique.

— Djilio ? fit la Reine, c’est un joli nom.