CHAPITRE XXX.


Comment, à Sangerhausen, en Thuringe, Ulespiègle
lava les fourrures des femmes de l’endroit.



Ulespiègle s’en alla au village de Duringen, près de Niguestetten, et demanda une auberge. L’hôtesse se présenta et lui demanda de quel métier il était. Ulespiègle répondit : « Je ne suis compagnon d’aucun métier, mais je fais profession de dire la vérité. » L’hôtesse répondit : « J’aime beaucoup ceux qui disent la vérité, et je les loge avec plaisir. » En regardant à droite et à gauche, Ulespiègle s’aperçut que l’hôtesse louchait, et lui dit : « Madame la bigle, madame la bigle, où dois-je me placer ? où dois-je mettre mon bâton et mon sac ? — Que jamais bien ne t’arrive ! dit l’hôtesse ; de ma vie personne ne m’a reproché que je louchais. — Chère hôtesse, dit Ulespiègle, si je dois toujours dire la vérité, je ne puis taire cela. » L’hôtesse s’apaisa et se mit à rire.

Ulespiègle, ayant passé la nuit là, entra en conversation avec l’hôtesse, et vint à dire qu’il savait nettoyer les fourrures. Cela fit plaisir à l’hôtesse, qui dit qu’elle le dirait à ses voisines, et qu’elles apporteraient toutes leurs fourrures pour les faire nettoyer. Ulespiègle y ayant consenti, elle assembla ses voisines, qui apportèrent toutes leurs fourrures. Ulespiègle dit qu’il lui fallait du lait. Les femmes avaient grande envie de voir leurs pelisses mises à neuf ; elles apportèrent tout le lait qu’elles avaient chez elles. Ulespiègle mit trois chaudrons sur le feu, le lait dedans et ensuite les fourrures, et les fit bouillir. Quand il vit le moment venu, il dit aux femmes : « Il faut aller au bois et m’apporter du bois de tilleul, de jeunes pousses, dont vous enlèverez l’écorce. Quand vous reviendrez, je retirerai les fourrures, car elles auront assez bouilli, et je les laverai. C’est pour cela que j’ai besoin du bois. » Les femmes s’empressèrent d’aller au bois, et leurs enfants couraient après elles, les prenaient par les mains et chantaient en sautant : « Ô ! ho ! bonnes pelisses neuves ! Ô ! ho ! bonnes pelisses neuves ! » Ulespiègle riait et disait : « Oui, attends ! les fourrures ne sont pas encore à point. » Quand les femmes furent parties, Ulespiègle mit du bois tant qu’il put sous les chaudrons, puis il laissa tout là, sortit du village et s’esquiva ; il est encore à revenir pour laver les fourrures. Les femmes revinrent avec le bois de tilleul, et, ne trouvant plus Ulespiègle, elles pensèrent qu’il était parti. Alors ce fut à qui la première retirerait sa pelisse des chaudrons ; mais les fourrures étaient toutes bouillies et s’en allaient en lambeaux. Alors elles laissèrent les choses comme elles étaient, pensant qu’il reviendrait et qu’il laverait les fourrures. Mais il remerciait Dieu de s’être esquivé à temps.