Les Aventures de Til Ulespiègle/Préface
PRÉFACE.
omme l’on compte l’an quinze cent après la naissance de Jésus-Christ, moi, N., ai été prié par plusieurs personnes de réunir et mettre par écrit, pour l’amour d’elles, ces récits et histoires, de ce qu’autrefois un vif, malicieux et rusé fils de paysan, né dans le duché de Brunswick, et nommé Thyl Ulenspiegel, a fait et accompli en Allemagne et dans les pays étrangers, me promettant leur faveur pour prix de ma peine et de mon travail. Je leur ai répondu que je le ferais volontiers, et plus encore ; mais que je ne me croyais pas assez de sens et d’intelligence pour cela ; et je les ai priées de m’en dispenser, en leur donnant plusieurs raisons,
même que si j’écrivais ce qu’Ulespiègle avait fait
en plusieurs endroits, cela pourrait les fâcher. Mais
elles n’ont pas voulu accepter cette mienne réponse
comme excuse, et elles ont insisté, me croyant plus
habile que je ne suis, et n’ont pas voulu m’en tenir
quitte. C’est pourquoi j’ai promis d’y employer mon
peu d’intelligence, et j’ai commencé avec zèle, comptant
sur l’aide de Dieu (sans laquelle rien ne peut
avoir lieu). Et je prie un chacun de me tenir pour
excusé, et de n’avoir pas ce mien écrit pour désagréable,
ne voulant, en le faisant, offenser personne,
loin de moi cette pensée ! mais seulement réjouir
l’esprit dans les temps difficiles, et offrir aux lecteurs
et auditeurs de bonnes plaisanteries et un joyeux
passe-temps. Il n’y a dans ce mien méchant écrit
ni art ni subtilité, car je suis malheureusement ignorant
de la langue latine, et ne suis qu’un pauvre
laïque. La lecture de ce mien écrit doit servir (sans
préjudicier au service de Dieu) à raccourcir les heures
pendant que les souris se mordent sous les bancs,
et à faire trouver les poires cuites bonnes avec le
vin nouveau. Et je prie ici un chacun, dans le cas
où mon livre d’Ulenspiegel serait trop long ou trop
court, de le corriger, afin qu’il ne m’attire pas de
reproches. Je termine ainsi ma préface, et donne en
commençant la naissance de Dyl Ulenspiegel, avec
adjonction de plusieurs fables du curé Amis et du curé de Kalenberg.