Les Aventures de Til Ulespiègle/LVI
CHAPITRE LVI.
bouillir du cuir chez un tanneur, avec des
chaises et des bancs.
n quittant Leipzig, Ulespiègle s’en alla à
Brunswick, chez un tanneur qui préparait le cuir pour les cordonniers. C’était en hiver, et il se dit : « Il faut s’arranger de façon à pouvoir
passer l’hiver chez ce tanneur. » Il s’engagea chez
lui comme garçon. Il y était depuis huit jours, lorsque
le tanneur fut invité chez quelqu’un ; il fallait
qu’Ulespiègle tannât du cuir dans la journée. Le
tanneur lui dit : « Tu prépareras plein le bassin de
cuir. – Bien, dit Ulespiègle ; mais quel bois prendrai-je
pour cela ? – Qu’as-tu besoin de me faire
cette question ? dit le tanneur. S’il n’y avait plus
de bois au bûcher, j’aurais bien assez de chaises et
de bancs pour que tu puisses préparer le cuir. » Ulespiègle
dit que c’était bien. Le tanneur partit. Ulespiègle
mit un chaudron sur le feu, et mit le cuir dedans,
une peau après l’autre, et fit bouillir le cuir
tellement, qu’en le prenant avec les doigts il s’en
allait en lambeaux. Pour faire bouillir le cuir, il
mit en pièces les chaises et les bancs qui se trouvaient
dans la maison, et les mit sous le chaudron,
et fit bouillir le cuir encore davantage. Quand cela
fut fait, il retira le cuir du chaudron et le mit en un
tas ; puis il sortit de la maison, quitta la ville et
s’en alla. Le tanneur n’appréhendait rien. Il but
tout le long du jour, et le soir il se coucha bien repu.
Le matin il lui prit envie de voir comment son garçon
avait arrangé le cuir. Il se leva et s’en alla dans la
tannerie ; il trouva le cuir ainsi bouilli, et ne vit ni
chaises ni bancs dans la maison. Il en fut tout chagrin ;
il entra dans la chambre de sa femme et lui
dit : « Femme, cela va mal ! Je suis sûr que notre
nouveau garçon était Ulespiègle, car il a l’habitude de faire les choses comme on lui dit. Il est parti, et
il a mis nos chaises et nos bancs au feu, et a fait
bouillir ainsi le cuir jusqu’à le mettre en bouillie. »
La femme se mit à pleurer et dit : « Courez vite après
lui ; rattrapez-le et ramenez-le ! – Non, dit le tanneur,
je n’ai pas envie de le ravoir : qu’il reste où
il est jusqu’à ce que je l’envoie chercher ! »