Les Aventures de Télémaque/Fables/16

Didot (p. 483-484).
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XVI. Le Chat et les Lapins.




Un chat, qui faisait le modeste, était entré dans une garenne peuplée de lapins. Aussitôt toute la république alarmée ne songea qu’à s’enfoncer dans ses trous. Comme le nouveau venu était au guet auprès d’un terrier, les députés de la nation lapine, qui avaient vu ses terribles griffes, comparurent dans l’endroit le plus étroit de l’entrée du terrier, pour lui demander ce qu’il prétendait. Il protesta d’une voix douce qu’il voulait seulement étudier les mœurs de la nation ; qu’en qualité de philosophe, il allait dans tous les pays pour s’informer des coutumes de chaque espèce d’animaux. Les députés, simples et crédules, retournèrent dire à leurs frères que cet étranger, si vénérable par son maintien modeste et par sa majestueuse fourrure, était un philosophe sobre, désintéressé, pacifique, qui voulait seulement rechercher la sagesse de pays en pays ; qu’il venait de beaucoup d’autres lieux où il avait vu de grandes merveilles ; qu’il y aurait bien du plaisir à l’entendre, et qu’il n’avait garde de croquer les lapins, puisqu’il croyait en bon bramin la métempsycose, et ne mangeait d’aucun aliment qui eût eu vie. Ce beau discours toucha l’assemblée. En vain un vieux lapin rusé, qui était le docteur de la troupe, représenta combien ce grave philosophe lui était suspect : malgré lui on va saluer le bramin, qui étrangla du premier salut sept ou huit de ces pauvres gens. Les autres regagnent leurs trous, bien effrayés et bien honteux de leur faute. Alors dom Mitis revint à l’entrée du terrier, protestant, d’un ton plein de cordialité, qu’il n’avait fait ce meurtre que malgré lui, pour son pressant besoin ; que désormais il vivrait d’autres animaux, et ferait avec eux une alliance éternelle. Aussitôt les lapins entrent en négociation avec lui, sans se mettre néanmoins à la portée de sa griffe. La négociation dure, on l’amuse. Cependant un lapin des plus agiles sort par les derrières du terrier, et va avertir un berger voisin, qui aimait à prendre dans un lac de ces lapins nourris de genièvre. Le berger, irrité contre ce chat exterminateur d’un peuple si utile, accourt au terrier avec un arc et des flèches : il aperçoit le chat, qui n’était attentif qu’à sa proie, il le perce d’une de ses flèches ; et le chat expirant dit ces dernières paroles : Quand on a une fois trompé, on ne peut plus être cru de personne ; on est haï, craint détesté, et on est enfin attrapé par ses propres finesses.