Les Aventures de Nono/XXIV. Tristes nouvelles

P.-V. Stock (p. 339-349).


XXIV

TRISTES NOUVELLES


Avant de prendre congé de la famille du fermier, sachant qu’ils auraient encore une longue route à faire avant d’arriver à la ville, Hans se fit garnir son bissac de victuailles qu’il paya, et les trois artistes, avec l’hirondelle qui les attendait à la porte de la ferme, reprirent leur route.

Ils marchaient d’un pas allègre, espérant, cette fois, ne pas tarder à retrouver leur camarade.

Cependant, après un bout de chemin, mis en appétit par la marche, ils s’arrêtèrent près d’une source pour déjeuner. Et, tout en déjeunant, ils causaient de leurs espérances, lorsque, tout d’un coup, d'un trou qu’ils n’avaient pas aperçu sortit une petite bête noire, au poil soyeux, qui tout en clignant des yeux leur dit :

— Celui dont vous parlez m'a sauvé la vie. Je crois que je puis vous être utile dans vos recherches, si mon infirmité m’empêche de voir clair en plein jour, en revanche, je vois très bien dans l’obscurité. Emmenez-moi. Promettez-moi seulement de ne pas me laisser dans la ville.

Hans et Mab émerveillés, mais nullement étonnés — il leur était déjà arrivé tant d’aventures — se consultèrent pendant que Penmoch flairait cette petite bête dont la tête se terminait en une espèce de groin comme le sien.

— C’est une alliée qui nous est suscitée par Solidaria, affirma Mab. Emmenons-la, nous nous en trouverons bien. Et, Hans faisant à la taupe une place dans son bissac, ils reprirent tous ensemble le chemin de Monnaïa qu’ils atteignirent le lendemain matin.

Selon une vieille coutume qui voulait que tout musicien, tout bateleur qui entrait dans la ville, jouât un morceau de son répertoire, fît danser ses bêtes savantes, Hans dut jouer aux fouines et tigres de la porte par laquelle ils entrèrent l’hymne de Monnaïa, pendant que Mab et Penmoch dansèrent et firent la révérence, aux grands éclats de rire de toute la garnison qui était accourue.

Mais ce n’était pas le tout d’avoir atteint la capitale ; nos jeunes amis n’étaient pas au bout de leurs peines. Lorsqu’arriva la fin de la journée, ayant parcouru un nombre incalculable de rues, ils durent s’avouer qu’il ne leur serait pas facile de retrouver les traces de leur ami.

Toutefois, ils se félicitaient d’avoir choisi le déguisement qu’ils portaient ; cela leur permettait d’aller partout, de pénétrer dans les établissements publics, jusque dans les cours des maisons, et de voir la foule s’amasser autour d’eux.

Le soir venu, ils louèrent une mansarde dans un quartier perdu, dans une maison où logeaient nombre de musiciens ambulants, de chanteurs des rues, faiseurs de tours et bateleurs de toute sorte.

Dans leurs courses ils eurent l’occasion de constater quelle misère effroyable régnait dans la capitale d’Argyrocratie ; mais dans la maison qu’ils habitaient, à côté d'une misère sans nom, ils purent constater des faits de cruauté qui leur serrèrent le cœur encore plus.

De malheureux enfants comme eux, plus jeunes même, étaient sous la dépendance d’un maître qui en avait ainsi plusieurs sous son exploitation. Ils étaient tenus de lui apporter chaque soir une certaine somme qu'il leur fixait ; en échange de quoi il leur mesurait parcimonieusement une pitance insuffisante.

Lorsqu’ils avaient le malheur de rentrer avec la somme incomplète, il les maltraitait, les battait, les faisait coucher sans souper.

Des femmes louaient des enfants en bas âge, jusqu’à deux, trois, dont un au maillot, et elles couraient ainsi la ville, quelque temps qu’il fît, pour implorer la pitié des passants ; pinçant sournoisement les enfants, afin d’apitoyer davantage par leurs cris.

Hans et Mab, dans leur chambrette, ne se parlaient de ces horreurs qu’en frissonnant, et, comparant cette vie avec celle qu’ils menaient à Autonomie, ils ne pouvaient concevoir comment les Argyrocratiens pouvaient être assez stupides pour vivre dans un état pareil.

Leurs conversations étaient interrompues parfois par leur amie l’hirondelle qui, s'étant logée sur le toit, auprès de leur mansarde, venait frapper au carreau, leur apportant les nouvelles qu’elle avait pu recueillir, leur demandant celles qu’ils avaient pu récolter.

La taupe, assise sur la table, écoutait gravement.

Un soir, tout émue, l’hirondelle vint leur dire qu’en passant dans un quartier populeux son attention avait été attirée par un enfant qui tenait un accordéon qui jouait, seul, les airs qu'elle leur avait entendu souvent jouer.

Nos deux amis se rappelèrent l’accordéon dont Riri avait fait présent à Nono. Au signalement donné par l’hirondelle, ils ne reconnurent pas leur camarade. Peut-être leur ami avait-il passé par là ? Ce ne pouvait être que son jouet.

Ils se firent expliquer la situation de la rue, embrassèrent l’hirondelle pour sa bonne nouvelle, se promettant d’aller le lendemain visiter le quartier que leur avait désigné la gentille messagère.

En débutant, ils avaient bien pensé, afin de doubler leurs chances, à parcourir la ville chacun de son côté. Mais Mab s’était effrayée de courir seule les rues d’un si vilain pays et avait demandé à Hans de ne pas la quitter. Comme celui-ci, de son côté, lorsqu’il avait la présence de Mab, se sentait plus d’assurance, ils avaient résolu de ne pas se quitter un seul instant.

Le lendemain, ils partirent donc pour commencer leur enquête, guidés par l’hirondelle.

Mais ce jour-là, soit que l’enfant à la musique ne fût pas sorti, soit qu’il ne fût pas dehors aux instants où ils passèrent et repassèrent, ils rentrèrent le soir, harassés, sans avoir rien pu découvrir.

Ce n’est que le cinquième jour, toujours guidés par l'hirondelle, qu'ils finirent par trouver sur le pas de la porte de notre ancienne connaissance le tailleur, l’enfant au milieu de cinq ou six galopins de son âge, les régalant de musique.

Ne sachant comment interroger le tailleur, Hans imagina de découdre son habit et d’entrer pour le faire raccommoder. Et pendant que le tailleur s’escrimait, Hans amena la conversation sur le merveilleux accordéon, disant qu’il connaissait le pays où on en fabriquait de semblables.

Le tailleur dit qu’il lui avait été laissé, par un de ses ouvriers, mais sembla vouloir détourner la conversation, chaque fois que Mab et Hans l’interrogeaient soit sur la boîte, soit sur son propriétaire.

Un individu qui était dans la boutique du tailleur, et n'avait rien dit, se leva et sortit en souhaitant le bonsoir.

Quelle que fût leur insistance, Hans et Mab ne purent rien tirer du tailleur et s’en allèrent, se promettent d’y retourner.

Mais ils avaient à peine tourné la rue que celui qu’ils avaient trouvé dans la boutique du tailleur les rejoignit, et les aborda en ses termes :

— Je vois que vous êtes des amis du jeune Nono auquel appartenait la musique que vous avez reconnue entre les mains de l’enfant du tailleur. Mais vous perdez votre temps à questionner celui-ci, il a trop peur des exempts de Monnaïus, et, dans votre intérêt, vous ferez bien de ne pas y retourner.

L’individu était un des trois amis de Nono. Il raconta à Hans et Mab consternés l’arrestation de leur ami, sa condamnation, comment le tailleur avait déposé contre lui, et tout ce qui s’en était suivi.

Lui-même, pendant quelque temps, avait été surveillé comme suspect.

Les enfants lui demandèrent si, depuis, il avait eu des nouvelles de Nono, s’il savait où ce dernier était enfermé.

L’homme, par chance, avait un cousin qui était geôlier, et que, malgré sa répugnance à cause de ses fonctions, il allait voir de temps à autre. Justement, après sa condamnation, Nono avait été transféré dans un des cachots que contenait le palais royal de Monnaïus et où son cousin était de service. Il pouvait ainsi en avoir des nouvelles de temps en temps. Son cousin même avait bien voulu, une fois, lui remettre une lettre du prisonnier qui se portait bien, et prenait son mal en patience.

Puis, leur ayant promis de retourner voir son cousin pour tâcher d‘avoir quelques nouvelles, il les quitta ayant pris rendez-vous avec eux à quelques jours de là, mais en leur recommandant la plus grande circonspection, et la discrétion la plus absolue.

Aussitôt rentrés, Hans, Mab, l’Hirondelle, Penmoch et la Taupe tinrent conseil. Ils avaient le cœur bien gros de savoir leur ami prisonnier, mais ils savaient où il était, avaient quelque espérance de lui faire parvenir de leurs nouvelles. Il n’y avait rien dont ils ne fussent capables pour le sauver.

Hans s’était arrêté à ce moyen : c’était de profiter de l’avarice qui animait chaque Argyrocratien, d’aller trouver le cousin de leur nouvel ami, de lui donner assez d’or — leur bourse était inépuisable — pour le décider à laisser s’enfuir son prisonnier.

Mab convint que le moyen n’était pas à dédaigner, mais, pourrait-on se lier au geôlier ? Ne les trahirait-il pas après leur avoir arraché tout ce qu’il aurait pu ? La mauvaise foi des Argyrocratiens étant tout au moins aussi grande que leur avarice. Même, lui était-il possible de faire évader un prisonnier ? Ils avaient été à même de voir combien les Argyrocratiens se méfiaient les uns des autres, ayant toujours trois espions pour en surveiller un quatrième. En risquant leur liberté ils risquaient aussi celle de leur ami. Il leur fallait agir avec prudence, et selon les circonstances. L’important pour le moment était de nouer des relations avec le prisonnier. On verrait ensuite.

L’Hirondelle se proposa comme messagère.

La Taupe se fit forte de creuser jusqu’à lui. Personne ne douta plus du succès.